Texte intégral
Le Monde : 5 septembre 1996
Des prévisions incertaines pour la croissance et l'emploi, une décélération des déficits sociaux plus lente que prévu… tout cela doit-il plonger le pays dans le découragement et tourner les Français des efforts engagés ?
Les réalités demeurent difficiles. Encore faut-il les observer avec objectivité. Un exemple : alors que se répand l'idée d'une flambée de plans sociaux à partir du cas emblématique de plusieurs entreprises, le rythme des licenciements économiques est actuellement inférieur de 40 % au rythme de 1993. Et de 25 % à celui de 1994.
Au-delà des « quarantièmes rugissants », il y a le cap de bonne espérance. Sommes-nous bien sur la route ? En dépit de chiffres encore marqués par les retards accumulés, on peut répondre oui. Le cap est pris : tout va dépendre de la ténacité avec laquelle il sera tenu.
La France doit être à la fois un grand pays actif devant la concurrence mondiale, et demeurer une communauté nationale unie. Il faut pour cela une double démarche : dynamiser la société, faute de quoi on ne luttera pas efficacement contre le chômage, et assurer la cohésion sociale, pour que chacun trouve sa place dans la société.
Avant tout, il faut redynamiser la France. Et cela ne se fera pas sans réduire d'abord les déficits publics. Même si c'est difficile, il faut le faire, sinon l'argent partira en impôts au lieu d'aller à l'initiative et à l'investissement, qui sont les seules vraies préventions des difficultés sociales à venir. Les perdants seraient le développement et l'emploi.
Quand une politique est assortie d'un coefficient de nécessité aussi élevé, c'est un devoir national de la conduire jusqu'à son terme. J'en mesure tout le poids, étant comptable des aides à l'emploi et de la Sécurité sociale. Mais je suis aussi bien placé pour savoir que les choses ne pouvaient plus continuer sur leur lancée : trop d'aides à l'emploi ont servi à masquer du chômage par des stages qui ne conduisent pas au travail ; trop de dépenses de soins ont été payées sans d'assurer de leur intérêt réel pour la santé.
Parce qu'elle poursuit un but dont la légitimité est inattaquable, la dépense sociale est longtemps restée à l'écart de tout inventaire. C'est le contraire qu'il faut faire : plus la cause est juste, plus il faut s'assurer qu'elle est bien servie. Il importe maintenant de veiller à ce que chaque franc dépensé soit bien utile à l'emploi, à la santé, à la réduction de la fracture sociale… selon son objet.
La croissance ne suffit pas à elle seule : il faut la rendre plus créatrice d'emplois. Nous sommes sur la voie : depuis un an, avec une très faible augmentation du PIB, limitée à environ 1 %, le nombre d'emplois effectivement occupés est resté pratiquement stable, alors qu'au cours des années précédentes nous avions besoin de 2,3 points de croissance pour éviter de perdre des emplois.
Ce sont des résultats tangibles et prometteurs pour l'avenir qui, loin de résulter d'une évolution spontanée de l'économie, sont bien le fruit d'une politique volontariste, dont l'allègement du coût du travail est la première composante.
En 1997, les baisses de cotisations compensées par l'État, qui permettent d'abaisser le coût du travail de 13 % au niveau du SMIC, atteindront près de 40 milliards.
Elles ont été concentrées depuis 1995 sur l'abaissement du coût du travail moins qualifié pour avoir l'effet maximum sur l'emploi. À partir du 1er octobre de cette année, elles concerneront toutes les rémunérations inférieures à 133 % du SMIC, y compris celles des salariés à temps partiels.
Avec le temps partiel, c'est la diversification des modes de travail qui est en marche. Déjà, plus de 15 % des salariés bénéficient d'un emploi à temps partiel alors qu'ils dépassaient à peine 10 % en 1990. Pour encourager le recours au temps choisi, il faut une véritable déontologie, notamment pour éviter des horaires incompatibles avec les légitimes aspirations des salariés. Il faut aussi expérimenter dans les branches, et surtout les entreprises, de nouveaux modes d'organisation du travail. L'amélioration du fonctionnement des entreprises doit avoir pour contreparties une réduction sensible de la durée de travail, le moindre recours aux heures supplémentaires, et l'accueil de nouveaux salariés.
Mais rien ne sera possible sans un dialogue social très soutenu et si les partenaires sociaux ne contribuent pas eux-mêmes à accélérer la prise de conscience des évolutions nécessaires, en donnant l'impulsion depuis le sommet.
Enfin, tout doit être fait pour développer les services entre les personnes. La baisse du coût du travail lui est favorable, de même que l'essor très remarquable du chèque-service, qui compte déjà plus de 600 000 utilisateurs, et qui sera complété par la mise en place chèque-autonomie. Le développement de ces échanges est le signe d'une société plus vivante, plus innovante et plus active.
La remobilisation du pays ne sera menée à bien que si les Français ont la conviction qu'ils continueront à appartenir à une vraie communauté capable de les soutenir et de les aider à trouver leur place.
Les deux tests sur lesquels va se jouer le maintien d'une authentique communauté seront la formation tout au long de la vie et la sauvegarde de la protection sociale.
Une communauté doit offrir à chacun de ses membres la possibilité de s'insérer, se réinsérer et progresser dans une économie en mutation permanente. La promotion sociale des individus ne doit pas se jouer pour l'essentiel avant la première entrée dans la vie active. Le changement de métier ou d'entreprise doit être facilité. Il faut assurer à chaque Français des droits à une formation tout au long de sa vie, qui lui permettra de s'adapter aux évolutions du travail et de faire reconnaître objectivement les compétences acquises. Ces droits seront exercés aux moments les plus cruciaux ou les plus propices de sa carrière. Pour cela, il nous faut sortir de la qualification exclusive par les diplômes initiaux, valider les savoir-faire acquis dans le travail, construire une véritable progression professionnelle, au-delà des frontières d'une seule entreprise.
Cette réforme exigera de l'entreprise un nouveau regard sur les personnes. Les employeurs devront retrouver et assurer cette mission de formateurs inhérente à leurs responsabilités. C'est la contrepartie obligée des moyens accordés aux entreprises pour adapter leurs objectifs.
S'agissant de la Sécurité sociale, le défi que nous avons à relever est clair : préserver et renforcer son unité ou se résigner à la fragmentation de la société française. Pour répondre à ce défi, nous avons choisi la voie de l'optimisation des dépenses, de l'élargissement du financement à toutes les catégories de revenus et de l'universalité de l'assurance-maladie.
Après l'ère de la conception, la réforme entre progressivement dans celle de la gestion ! Les premiers résultats ne pouvaient être instantanés, mais la maîtrise médicale a pris corps, même si le maintien d'un déficit excessif, dû au freinage des recettes par la conjoncture, a tendance à l'occulter. Une décélération forte des dépenses doit être obtenue dès 1996, alors que nous ne disposons pas encore de tous les instruments prévus par les nouveaux textes. Mais la mise en place des Agences de l'hospitalisation, et l'arrivée prochaine du carnet de santé dans tout le pays vont nous permettre d'accélérer la mobilisation générale et la responsabilisation de tous.
La solidarité, c'est aussi la place que nous saurons réserver aux personnes âgées comme aux familles dans l'effort collectif, malgré les difficultés financières. Ainsi, pour les personnes âgées, nous allons franchir la première étape de la création de la prestation autonomie dès 1997, et rattraper en deux ans notre retard dans la médicalisation des maisons de retraite.
Le temps est fini où l'État providence pouvait assister des assurés sociaux demeurant passifs, où les politiques pouvaient se servir des avantages sociaux comme de bons arguments électoraux, où les partenaires sociaux recherchaient la popularité du toujours plus. Le système à la française est généreux pour les familles ayant à charge des enfants, il associe étroitement actifs et retraités dans la répartition, et il offre aux malades une très grande liberté d'accès aux soins. Mais il ne s'agit plus, aujourd'hui, d'aider sans solliciter la responsabilité de celui qui est aidé. La main tendue de la communauté nationale doit en rencontrer une autre. C'est tout le sens du carnet de santé.
Oui, il y a bien un horizon qui se dessine et qui pourrait être le cap de bonne espérance. Mais pour être sûr de l'atteindre, il y a des conditions que j'ai tenu à rappeler. Que cette vision imprègne les esprits, que l'effort engagé se poursuive avec constance, et l'horizon finira par s'éclairer. Que les lenteurs d'hier, les doutes, les peurs, resurgissent et, alors, nous finirons bien par tout perdre.
Le Parisien : 16 septembre
Le Parisien : Le chômage augmente mais le budget de votre ministère va être sensiblement réduit. Qui va faire les frais de ces restrictions ?
Jacques Barrot : Si tous les dispositifs étaient reconduits à l'identique, on aurait 15 à 20 milliards de dépenses supplémentaires. Les économies portent sur les subventions à l'emploi et sur une modération du traitement social du chômage au profit d'un traitement économique renforcé. Nous avons supprimé les aides systématiques à l'embauche. Le nombre des stages et des CES sera contenu dans des limites plus raisonnables. En outre, un effort supplémentaire sera sollicité de la part des collectivités et des associations qui utilisent ces CES, il arrivait que l'aide de l'État atteigne 100 % du salaire, elle sera diminuée de 10 % en moyenne et ne pourra plus être supérieure à 95 % du salaire. Mais il faut aussi souligner l'augmentation du nombre des contrats emploi consolidé, qui ont la supériorité par rapport aux CES d'assurer une insertion plus longue de cinq ans.
Le Parisien : Le traitement économique du chômage signifie-t-il que vous allez de nouveau baisser les charges des entreprises, en dépit du peu de résultats – 15 000 postes créés en un an après 40 milliards d'allègement – que cela a donné jusqu'à présent ?
Jacques Barrot : La Commission d'évaluation de la loi quinquennale constate que, progressivement, la baisse du coût du travail crée des emplois. Les entrepreneurs intègrent l'abaissement du coût de travail dans leur prix de revient et prennent des marchés nouveaux. Les mesures dans le textile, trois mois seulement après leur entrée en vigueur, ont déjà arrêté certaines délocalisations.
Mon souci maintenant est de poursuivre avec ténacité la même stratégie contre le chômage. Pour porter ses fruits, une politique de baisse de cotisations doit être durable et ainsi créer de nouveaux réflexes chez les employeurs. La Commission d'évaluation montre bien que les effets se feront sentir sur plusieurs années. Et dès le mois d'octobre, tout salaire mensuel en dessous de 133 % du Smic (soit 8 500 F, NDLR), y compris pour les emplois à temps partiel, bénéficiera d'une ristourne significative sur les cotisations. Pour le temps partiel, s'ajoute l'effet de l'abattement des charges de 30 %.
Le Parisien : Allez-vous prendre d'autres mesures pour enrayer la progression du chômage ?
Jacques Barrot : Le chômage a légèrement progressé en raison de la situation économique difficile. Pourtant, même avec un chiffre ne dépassant pas 1 % de croissance, nous avons, sur un an, beaucoup mieux maintenu l'emploi que cela n'aurait été possible il y a seulement deux ou trois ans avec plus de 2 % de croissance. Nous allons poursuivre cet effort à travers l'aménagement et la réduction du temps de travail. Dès octobre, les PME pourront obtenir le financement des études et des conseils nécessaires pour engager des négociations sur le temps de travail. Parallèlement, en nous appuyant sur la négociation et l'incitation, nous entendons développer un temps partiel rendu plus intéressant pour le salarié parce qu'assorti de garanties nouvelles. Enfin, nous continuons à développer les emplois de service. 700 000 personnes utilisent le chèque service et l'arrivée d'une prestation autonomie attribuée en nature devrait aussi favoriser cette politique.
Le Parisien : Voilà donc la fameuse allocation dépendance plusieurs fois repoussée ?
Jacques Barrot : Le Sénat va en effet étudier, au cours de la deuxième semaine d'octobre, la prestation sociale destinée aux personnes dépendantes. Ce sera une première étape. Désormais, les personnes âgées dépendantes bénéficieront d'heures de service effectivement rendues par des personnes jugées compétentes et capables de les assister. Parallèlement, nous allons médicaliser des lits de maisons de retraite. À travers ces actions, nous pouvons cibler un nombre d'emplois approchant 50 000. Tout devrait être en place début 1997.
Le Parisien : Que comptez-vous faire pour aider les jeunes ?
Jacques Barrot : Les jeunes Français doivent intégrer plus rapidement et plus nombreux la vie professionnelle. Grâce au nouveau dispositif financier d'appui à l'apprentissage et son élargissement à tous les secteurs économiques, nous devrions atteindre un objectif de 200 000 entrées en apprentissage. Les contrats d'apprentissage et de qualification devraient, au total, nous permettre d'offrir une formation en alternance à 350 000 jeunes en 1997.
Le Parisien : Et pour les jeunes exclus ?
Jacques Barrot : Le sort des jeunes les plus défavorisés, et en particulier des 50 000 environ qui sortent chaque année du système scolaire sans réelle formation, seront au coeur de la loi de cohésion sociale, un projet qui va être au Conseil économique et social à la fin du mois. Début 1997, après une large concertation, il sera présenté au Parlement. Notre volonté est de proposer un véritable itinéraire personnalisé d'insertion. Nous allons nous appuyer sur les missions locales et les points d'accueil d'insertion et d'orientation, les PAIO, qui peu à peu se transformeront en espaces jeunes avec tous les moyens mis à disposition de l'ANPE. Nous prévoyons 300 espaces jeunes à la fin de 1997. La loi de cohésion sociale donnera les moyens de suivre un jeune dans sa recherche d'une première insertion.
Le Parisien : Pour quelle raison envisagez-vous de supprimer l'aide aux chômeurs qui créent leur entreprise ?
Jacques Barrot : Elle n'est pas supprimée. Nous avons conservé l'essentiel avec l'exonération des cotisations. Mais au vu de différents rapports, le système de subventionnement est apparu mal approprié. Nous voulons donc appuyer cette aide aux chômeurs créateurs d'entreprise sur un dispositif plus général destiné à tous les créateurs, chômeurs ou pas. Avec Jean-Pierre Raffarin, le ministre des PME, et Anne-Marie Couderc, ministre déléguée à l'Emploi, nous envisageons déjà la prise en charge de toutes les études financières, comptables et juridiques nécessaires pour créer une société.
Le Parisien : On vous prête l'intention de partir en guerre contre les heures supplémentaires ?
Jacques Barrot : Il faut obtenir un meilleur usage des heures supplémentaires. Une négociation interprofessionnelle doit s'engager pour voir comment, à partir d'un seuil, elles pourraient être compensées autrement que financièrement, par du temps libre. Cela permettrait de procéder à des recrutements supplémentaires. Si cette négociation venait à s'enliser, nous envisageons de prendre une initiative législative. Il n'est pas question de supprimer les heures supplémentaires, mais il faut en faire un usage plus responsable.
Le Parisien : La relance du traitement économique du chômage permettra-t-elle une baisse de ce dernier en 1997 ?
Jacques Barrot : Je n'ai jamais cédé à la tentation des promesses faciles. Mais en gérant mieux l'État, en supprimant des gaspillages et des abus, on pourra utiliser l'argent gagné pour relancer l'investissement, l'innovation et la recherche. Et ainsi préparer les emplois de demain. En même temps, un surcroît de solidarité, une meilleure organisation de la société peuvent nous aider à insérer un plus grand nombre de Français.
Le Parisien : Mais pourquoi durcir certaines dispositions du RMI ?
Jacques Barrot : Il n'est pas question de modifier la loi sur le RMI. L'institution d'un revenu minimum correspond à un besoin social prioritaire. Mais le RMI exige ne gestion à la fois sérieuse et active. Gérer sérieusement veut dire que l'on doit être attentif à ce que ce revenu minimum soit vraiment donné à ceux qui en ont vraiment besoin. L'attribuer sans un examen précis des situations risquerait de favoriser des fraudes et de desservir ceux que l'on prétend aider. Prenons le cas d'un jeune appartenant à une famille notoirement très à l'aise : mieux vaut l'aider à bâtir un projet de vie que de se substituer purement et simplement à la famille qui doit normalement apporter un soutien.
Le Parisien : Concrètement, allez-vous demander aux familles leurs feuilles d'impôt ?
Jacques Barrot : L'attribution du RMI est précédée d'une enquête sociale qui doit justifier cette prise en charge par la solidarité nationale. Il faut qu'elle soit menée avec tout le sérieux nécessaire, dans l'esprit de la loi. Il ne faut pas que l'opinion française ait le sentiment que l'attribution s'accompagne pour certains d'un recours au travail au noir. La solidarité familiale doit aussi garder sa place.
Autrement dit, nous voulons que le préfet, qui prend la décision de l'attribution, soit parfaitement éclairé et que les commissions locales d'insertion puissent élaborer des contrats d'insertion adaptés à chaque cas et vérifier la justesse de l'allocation.
Le Parisien : Cherchez-vous à faire des économies sur les dépenses de RMI ?
Jacques Barrot : Les crédits consacrés au RMI continuent à progresser, mais nous devons être attentif au rythme de cette augmentation, non seulement pour des raisons financières mais aussi pour donner la plus grande efficacité possible à la solidarité. Il faut tenter d'offrir à certains demandeurs du RMI d'autres solutions. Je pense aux CES ou aux contrats d'emploi consolidé ou encore au contrats d'initiative emploi, les CIE, désormais ouverts aux plus défavorisés. Et, surtout, il faut faire en sorte d'accélérer la sortie du RMI grâce à une politique d'insertion plus imaginative.
C'est pourquoi la loi de cohésion sociale que nous préparons va privilégier « l'activation » des revenus de solidarité. Les érémistes se verront proposer des emplois réellement utiles à la société. Cela leur permettra, outre de bénéficier d'un revenu accru, de rendre service à la collectivité. Autrement dit, ce revenu minimum d'insertion doit revenir le plus souvent possible ce que j'appellerai un revenu minimum d'activité.
RMC : jeudi 19 septembre 1996
P. Lapousterle : Le Pape va venir en France pour quatre jours. Les protestations fusent dans les rangs laïques. Quelques recours ont même abouti contre l'utilisation de fonds publics pour cette visite. Pensez-vous que ces critiques sont justifiées ou exagérées ?
Jacques Barrot : D'abord, Jean-Paul II, c'est l'homme qui a ébranlé cet équilibre de la terreur, ce monde communiste des pays de l'Est. Jean-Paul II a quand même été le grand symbole de ce renouveau de la liberté dans la fin du siècle. Que l'on pense à cela d'abord, au lieu de parler de quelques réminiscences de la République où effectivement l'Église se mêlait de la politique ! Aujourd'hui, quelle menace, je vous le demande bien ! J'aurais été très content que le Pape vienne au Puy. Nous sommes en train de redonner à notre patrimoine monumental et spirituel, une actualité. Franchement, ne soyons pas mesquins, la vraie laïcité ce n'est pas cela ! C'est tout simplement de faire en sorte que le spirituel soit le spirituel et le politique soit le politique. Ce n'est pas d'aller chercher des noises sur un voyage pontifical qui, tout de même, honore la France.
P. Lapousterle : Vous êtes ministre du Travail et des Affaires sociales. Chacun reconnaît vos compétences et votre travail, il faut le dire, mais les résultats ne sont pas là ! Le nombre des chômeurs est plus important aujourd'hui qu'au moment de l'élection de J. Chirac. Est-ce que vous pensez qu'un jour, le nombre de Français privés d'emploi va diminuer dans ce pays ?
Jacques Barrot : Il y a des choses qui tiennent la croissance, au développement de l'Europe qui, évidemment, pour une certaine part, nous échappent. Si on avait une croissance qui ne soit pas de 1 mais de 2 ou 3 %, très vite, bien sûr, les choses s'amélioreraient. Cela étant, nous avons une part de responsabilité. J'ajoute que j'ai quand même quelque raison de garder un espoir solide : progressivement, les Français, avec le même niveau de développement, se débrouillent pour faire plus d'emplois ! Comment ils le font ? D'abord parce que nous avons baissé les cotisations qui pèsent sur le travail et qui font que dans les entreprises manufacturées, par exemple le textile, aujourd'hui on perd beaucoup moins d'emplois, on n'en perd pratiquement plus maintenant. Deuxièmement, les emplois de service se développent : le chèque emploi-service…
P. Lapousterle : Mais tout ça va lentement, Monsieur Barrot.
Jacques Barrot : Et deuxièmement, l'aménagement du temps de travail va quand même créer dans les entreprises, si nous arrivons à le susciter, des emplois. Et enfin, il ne faut pas oublier que nous pouvons faire un effort très volontaire sur l'insertion des jeunes. Pour le moment, c'est la bataille prioritaire.
P. Lapousterle : Quand vous entendez Monsieur Monory dire que cela ne va pas assez vite, d'autres personnes de votre majorité dire que la voie n'est pas la bonne, cela vous met en colère ?
Jacques Barrot : Non, parce que je suis comme les Français, j'essaye de ne pas avoir des espèces d'attentes impatientes. Les Français sont un peuple solide, simplement ils veulent que l'on arrive à destination. Et moi, je pense que tous les jours, en faisant ce que nous faisons, en enrichissant la croissance en emplois et aussi en stimulant un peu notre développement – il faut que nous investissions car nous avons un retard d'investissement. Aujourd'hui, si nous avons un manque d'emplois c'est parce que, dans les années précédentes, la France n'a pas suffisamment utilisé son argent pour les innovations, pour la recherche, pour stimuler ses entreprises. Elle a gaspillé un peu trop en fonctionnement et c'est pour cela qu'il y a la remise en ordre du Budget.
P. Lapousterle : Est-il normal que les économies budgétaires se fassent largement au détriment de ceux qui sont au chômage puisqu'il y aura moins de contrats initiative-emploi l'an prochain que cette année. On a supprimé quelques aides au premier emploi. Est-ce bien là qu'il fallait frapper ?
Jacques Barrot : Le budget du Travail et le budget social progressent. Ils progressent moins qu'ils auraient sans doute progressé à une certaine époque mais ce qui compte, c'est qu'ils sont beaucoup mieux ciblés ! C'est cela qu'il faut bien se dire. Par exemple, le contrat initiative-emploi est centré sur les gens les plus en difficulté : par exemple, les jeunes qui n'ont aucun diplôme, qui sont un peu en errance, peuvent immédiatement être recrutés avec le CIE. Et puis aussi, pour les chômeurs de très longue durée : il fallait mieux cibler sur ceux qui sont les plus en difficulté. Pour le reste, il y a tout de même la baisse des cotisations qui continue pour permettre aux entreprises de ne pas perdre de marchés dans la compétition, pour permettre aux entreprises de services de continuer. La progression, la continuité de cette politique qui est en train de faire ses preuves, c'est cela qui compte. Et puis, je rappelle quand même que nous allons avoir encore 500 000 CES avec des contrats d'emploi consolidé. Mais je ne veux pas entrer dans toutes ces données arithmétiques. Avec les emplois ville et probablement demain avec la loi de cohésion sociale, avec des emplois d'utilité sociale, nous avons encore les moyens d'offrir à ceux qui sont les plus loin du marché du travail, des chances. Et enfin, nous avons, pour les handicapés, un budget qui progresse avec 2 000 places de CAT, 500 places d'atelier protégé. Vous voyez que la marque sociale de ce budget de la France reste forte mais nous veillons à un bon usage de tous ces fonds. Pas de gaspillage !
P. Lapousterle : Est-ce que vous êtes satisfait de votre budget même s'il apparaît que les contraintes de la monnaie unique se soient imposées plus fortement que vos besoins ?
Jacques Barrot : Le ministre de l'emploi n'est pas seulement lié à son propre budget. C'est vrai que je préférerais que l'on puisse faire un peu plus pour l'investissement. J'ose espérer que les Français et les Allemands vont se mettre d'accord, dans les années qui suivent, pour que l'Europe continue à investir, à être à la pointe de la recherche, des innovations, parce qu'il faut penser aux emplois de demain. Je ne suis pas seulement celui qui, aujourd'hui, essaye de trouver des solutions pour les chômeurs d'aujourd'hui. C'est évidemment mon premier rôle mais il faut aussi penser aux emplois de demain parce qu'il faut absolument que la jeune génération garde confiance dans l'avenir. Et ça, c'est mon combat de tous les jours.
P. Lapousterle : Le gouvernement auquel vous appartenez a créé un peu d'émotion : un million de personnes touchent le RMI actuellement, va-t-on modifier les conditions d'attributions du RMI en tenant mieux compte des ressources de la famille proche ?
Jacques Barrot : Il n'est pas question de changer la loi qui a d'ailleurs prévu que le RMI était attribué après une enquête sociale, après un travail de meilleure connaissance des dossiers par la commission locale d'insertion.
P. Lapousterle : Va-t-on appliquer différemment la loi ?
Jacques Barrot : Cette commission locale à un double devoir. D'abord, gérer sérieusement le RMI. Hier, j'ai été reçu dans une région du Midi de la France où on me donnait des exemples, où il y avait des demandeurs de RMI qui avaient obtenu le RMI et dont on savait notoirement qu'ils avaient des revenus issus du travail au noir qui étaient plus importants que le RMI. Franchement, la commission locale doit mettre un peu les points sur les i ! C'est le cas de le dire ! Deuxièmement, il faut qu'il y ait une gestion plus active On entre au RMI parce que l'on est en difficulté ; si on peut en sortir en ayant la chance d'une réinsertion, c'est beaucoup mieux. C'est pour cela qu'il faut vraiment que nos commissions locales travaillent sérieusement, regardent de près les dossiers. Franchement, est-ce que c'est une solution pour un jeune, qui a juste dépassé les 25 ans, d'entrer dans le RMI ? Est-ce qu'il ne faut pas mieux que la commission locale propose d'autres formules ? Un contrat qui, peut-être, va exiger des efforts de ce jeune mais qui va justement l'aider à faire sa vie.