Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à RTL le 24 juillet 1996, sur les mesures d'aide prévues par l'Union européenne pour les éleveurs victimes de la crise de la "vache folle" et de la baisse de la consommation de viande bovine.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q. : La Commission de Bruxelles a proposé hier de renforcer les mesures de précaution sur la viande et de les étendre à la viande ovine. On ajouterait la rate des moutons et des chèvres à la liste des abats interdits. Craignez-vous qu'il y ait une crise du mouton comme il y a eu – et comme il y a – une crise de la vache ?

R. : Tout à fait. C'est surtout dramatique pour ces producteurs qui sont déjà dans des productions très difficiles. Alors je crois qu'il faut prendre toutes les précautions vis-à-vis du consommateur. Le consommateur a raison d'être exigeant, mais il ne faut pas non plus céder à la psychose et voir partout des difficultés sanitaires mais il faudra prendre des mesures, il faudra les prendre et aussi soutenir la consommation de ces productions ainsi que les producteurs.

Q. : Pensez-vous, comme le ministre espagnol de l'Agriculture qui a beaucoup protesté sur cette proposition de Bruxelles, que Bruxelles ajoute à la panique et risque maintenant de ruiner la filière ovine ?

R. : Oui, je crois qu'il ne faut pas aller trop vite dans toutes les mesures qui sont prises. Il faut bien sûr faire la clarté. Mais, à aller trop vite, on risque de créer une psychose supplémentaire qui est fatale pour les producteurs. Alors, oui à l'éclaircissement, à la transparence pour le consommateur, mais attention à ne pas prendre des mesures qui seraient souvent irréversibles. Il faut que les scientifiques soient un peu plus clairs.

Q. : Mais le comité vétérinaire a établi de manière scientifique la contagion et la facilité de la contagion et le saut d'espèce entre bovins et ovins. Cela peut-il être remis en question ?

R. : Pour les moutons, on est dans une situation un peu différente de la viande bovine puisqu'on connaît déjà la maladie de la tremblante du mouton depuis plus de deux siècles, alors aujourd'hui il faut sans doute prendre des mesures, mais je le redis aujourd'hui, il faut prendre des mesures pour assainir la situation, mais faisons attention de ne pas prendre des mesures trop rapides qui remettraient tout en cause.

Q. : La Commission européenne va également proposer, pour stabiliser le marché, de retirer 700 000 tonnes de viande bovine au lieu des 400 000 initialement prévues. Les indemnisations coûteraient entre 8 et 9 milliards de francs. Est-ce suffisant ? C'est une somme, tout de même !

R. : Oui, c'est une somme, et malheureusement, je suis obligé de dire qu'il faudra peut-être y retourner, compte tenu que nul ne sait aujourd'hui combien de temps cette crise durera. Les mesures qui sont prises concernant l'intervention pour retirer les viandes du marché sont essentielles. Quand on connaît une baisse de la consommation de 15, 20 à 25 %, il est impossible de pouvoir continuer à produire sans avoir des mesures de retrait du marché. Donc, ces mesures-là sont essentielles. Ce que nous regrettons simplement, c'est que cela se passe à des prix tellement bas qu'elles ne permettent pas aux agriculteurs de voir sereinement leur avenir.

Q. : « Bas » individuellement pour chacun des exploitants, mais lorsqu'on voit que cela coûte entre 8 et 9 milliards à la Communauté européenne, comment pourrait-elle aller plus loin ?

R. : La Communauté européenne devra prendre ses responsabilités, compte tenu de cette crise. On n'a jamais connu de crise de ce style-là. Il faut donc accompagner bien sûr les producteurs. Mais derrière les producteurs, il y a toute une économie, il y a tout l'aménagement du territoire et les engagements qui ne seraient pas pris par la Commission européenne ou par la France, coûteraient bien plus cher à nos nations dans les années qui viennent si elles n'étaient pas prises aujourd'hui.

Q. : On propose aussi l'accroissement de l'abattage des petits veaux de moins de 20 jours et des jeunes bovins de moins de 9 mois qu'on appelle les « broutards ». C'est une bonne ou une mauvaise mesure ?

R. : Oui, je crois que c'est une bonne mesure qui doit permettre de préparer l'avenir, car aujourd'hui nous devons régler le moment présent, soutenir, bien sûr, la relance de la consommation, soutenir les éleveurs qui sont en situation complètement catastrophique et, dans le même temps, il faut préparer l'avenir. La production de viande bovine n'est pas une production classique où on arrête la chaîne et puis c'est terminé. Aujourd'hui, les animaux continuent à croître, les veaux continuent à naître, et on continue donc à produire. Compte tenu de la baisse de consommation, il faut, pour l'avenir, maîtriser la production de viande bovine cela passe par l'abattage et le retrait de certains animaux du marché pour éviter qu'ils fassent des carcasses encore plus lourdes. À chaque jour qui avance, les animaux prennent un kilo de viande bovine, ceci multiplié par un nombre très important fait des tonnages supplémentaires.

Q. : Les mesures de soutien en faveur des producteurs de bovins pourraient être en partie financées par des économies réalisées sur d'autres secteurs agricoles, par exemple on envisage la réduction des aides et des primes aux céréaliers. Vous êtes d'accord avec cette mesure ?

R. : Nous avons été clairs : dans une situation de crise comme celle-là la solidarité européenne doit jouer, la solidarité nationale doit jouer, la solidarité professionnelle doit jouer. Celle des transferts d'une partie des différents soutiens entre les différentes productions fait partie de cet équilibre et la FNSEA s'est prononcée pour un certain rééquilibrage entre les soutiens aux producteurs, qu'ils soient végétaux ou animaux. Mais cela ne suffira pas. C'est un des éléments essentiels et prioritaires pour pouvoir trouver, de façon durable, un équilibre.

Q. : Sur ce point précis, certains pays européens ne sont pas du tout d'accord avec votre position. L'Europe est-elle en question dans cette crise de la « vache folle » ?

R. : L'Europe, c'est quinze pays. C'est donc très difficile pour être d'accord sur le même sujet. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion bien des fois de le dire, déjà à M. Barnier qui est chargé de s'occuper de la conférence intergouvernementale : on doit écouter les agriculteurs parce que les agriculteurs ont une expérience du fonctionnement de l'Europe. Cela ne veut pas dire que tout est fichu pour autant, mais qu'il y a des procédures qui doivent être assainies si l'on veut pouvoir gouverner dans cette Europe. La crise que l'on connaît aujourd'hui est certainement un coup dur pour l'Europe car certains pays n'ont pas respecté les règles, l'Europe a sans doute été un peu trop laxiste et aujourd'hui on en voit les conséquences.

Q. : On a découvert récemment en Grande-Bretagne un trafic de farine de bovin à l'usage d'autres pays. Peut-on les obliger à arrêter ?

R. : On peut espérer que ce soient de fausses informations aujourd'hui. Il y a eu sans doute ici ou là quelques trafics, comme cela existe dans d'autres secteurs…

Q. : Il semblerait que cela ne soit pas une fausse information…

R. : Nous disons clairement que s'il y a eu des fraudeurs, ils doivent être poursuivis. C'est d'ailleurs dans cet esprit-là que la FNSEA a porté plainte contre X pour savoir les responsabilités. Nous ne voulons pas faire la chasse aux sorcières là-dessus mais nous voulons que la vérité soit faite sur toute cette crise et que nous puissions reprendre, vis-à-vis du consommateur, la trace habituelle du produit. Il faut que le consommateur demain puisse vraiment savoir d'où vient le produit qu'il achète, comment il a été produit. La France a une belle longueur d'avance sur les autres pays de l'Union européenne, il faut donc pouvoir maintenir cette avance.

Q. : Y. Galland, le ministre en charge de la Consommation, a proposé hier un nouveau logo pour la viande bovine identifiée. Vous partagez ce souci ?

R. : Nous avons mis en place « la viande bovine française », nous avons tous les sigles, labels et autres pour identifier les produits. C'est essentiel pour demain : il faut avoir des éléments qui permettent au consommateur de remonter toute la filière et de venir jusque dans nos exploitations s'il le faut pour savoir comment sont nourris les animaux qu'ils vont consommer demain. Là-dessus, nous sommes tout à fait d'accord.

Q. : Jusqu'à quand la crise aura-t-elle des effets économiques ? L'agriculture est-elle un secteur déprimé jusqu'à la fin du siècle, comme le dit le commissaire européen à l'agriculture ?

R. : Malheureusement, je crois qu'il a peut-être raison et que cette crise aura des conséquences vraiment durables sur tout le secteur agricole, en particulier celui de l'élevage. Mais si les moyens sont mis en œuvre, tant au niveau national et professionnel pour relancer cette production, pour redonner confiance aux consommateurs, la meilleure façon aujourd'hui, c'est qu'un vrai contrat de confiance lie les producteurs et les consommateurs. À ce moment-là, peut-être qu'on pourra gagner quelques années.