Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur Général,
Mesdames et messieurs les Députés,
Je suis très heureux de vous présenter ce projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique, auquel je crois que nous attachons tous ici beaucoup d'importance.
Nous sommes entrés dans une nouvelle économie qui repose pour beaucoup sur la valorisation et la commercialisation des données. Cette nouvelle économie doit nous amener à construire une nouvelle fiscalité et le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui est un des éléments de cette nouvelle fiscalité pour le 21ème siècle que nous voulons bâtir avec vous.
C'est un élément important, mais ce n'est pas le seul : ce n'est qu'une étape dans la mise en place d'une fiscalité du 21ème siècle plus juste et plus efficace, qui permettra de taxer les biens intangibles et de taxer notamment la valeur créée par les données.
Cette étape, je tiens à le préciser, nous ne sommes pas les seuls, nous Français, à la franchir puisque d'autres Etats européens vont la mettre en pratique – l'Italie, l'Autriche, la Grande-Bretagne – et que cette idée de taxer le numérique est soutenue aujourd'hui par 23 Etats européens sur 27.
Pourquoi cette taxe nous semble-t-elle indispensable ? D'abord parce que c'est une question de justice pour nos entreprises, comme l'a rappelé tout à l'heure le rapporteur général. L'évaluation qui est faite par la Commission européenne est sans appel : les entreprises du numérique payent 14 points d'impôt en moyenne de moins que les autres entreprises en Europe. Personne ne peut accepter que les plus grandes entreprises du digital paient 14 points d'impôt en moins que d'autres entreprises, TPE, PME ou ETI.
C'est également une question de justice pour nos concitoyens, car la valeur qui est créée par ces entreprises du digital repose sur la commercialisation de données dont nous sommes tous ici les pourvoyeurs. Ce sont les données des consommateurs qui font les profits de ces entreprises du numérique et ce sont ces profits qui échappent aujourd'hui largement à la taxation.
Enfin, c'est une question d'efficacité pour nos finances publiques, car si nous voulons demain pouvoir financer nos crèches, nos hôpitaux, nos collèges, nos lycées, nos services publics, si nous voulons financer les grands biens publics du 21ème siècle, nous aurons besoin de taxer la valeur là où elle se crée.
Nous avons besoin d'un système fiscal international au 21ème siècle plus juste. Nous avons besoin d'un système fiscal international au 21ème siècle plus efficace. Voilà pourquoi nous créons aujourd'hui cette taxation des plus grandes entreprises numériques au niveau national.
C'est une taxe simple, ciblée et efficace. Elle est simple puisqu'elle aura un taux unique : 3 % sur le chiffre d'affaires numérique réalisé en France. Elle est ciblée puisqu'elle ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique avec, je le rappelle, deux seuils cumulatifs : 750 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques dans le monde et 25 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques réalisées en France.
Ces seuils ont un objectif simple : ne pas freiner l'innovation de nos startups, ne pas freiner la digitalisation et la croissance de nos PME. Elle est également ciblée car elle vise trois types d'activités numériques, qui sont celles qui génèrent le plus de valeur : la publicité en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes.
J'entends bien entendu les critiques des uns et des autres sur cette taxation.
Certains nous disent que taxer le chiffre d'affaires n'est pas le plus raisonnable, ni le plus efficace. Très bien ! Cela fait deux ans que nous travaillons avec les services les plus compétents de la Commission européenne et de l'OCDE pour définir une autre base taxable : il n'y en a pas pour le moment. Le chiffre d'affaires, je le reconnais bien volontiers, est la base taxable faute de mieux et j'espère que l'OCDE nous présentera une meilleure base taxable d'ici quelques mois. Mais pour le moment ce n'est pas le cas.
On nous dit que ce sont les consommateurs qui vont payer cette taxe. Mauvais argument ! Il me semble que les publicités que vous consultez tous les jours, bon gré mal gré, sur vos smartphones ou sur vos autres instruments digitaux ne requièrent aucun paiement de votre part. Je ne vois donc pas en quoi taxer ces publicités en ligne et ces publicités ciblées pourrait avoir un quelconque impact sur le consommateur. Ne jouons pas avec les peurs et avec les faux arguments.
On nous dit : « Vous affectez la compétitivité de nos propres startups. » Sauf qu'aujourd'hui le problème de nos startups n'est pas d'être touchées par une taxe qui touchera uniquement les entreprises qui ont un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros au niveau mondial. Le vrai problème de nos startups est justement d'atteindre ces 750 millions d'euros de chiffre d'affaires mondial. Ne déplaçons pas le sujet là où il ne se trouve pas.
On nous dit : « Une taxe nationale ne sert à rien, attendons d'avoir un consensus international. » Mais sans la mobilisation de la France depuis deux ans, cette taxation du numérique à l'échelle internationale serait au point mort.
Pendant dix-huit mois, nous avons travaillé à une solution européenne. Désormais 23 États européens soutiennent cette proposition. Mais tant que la règle de la fiscalité en Europe restera l'unanimité, il sera compliqué d'obtenir des accords sur un projet de directive. Raison pour laquelle nous plaidons, avec le président de la République, pour le passage à la majorité qualifiée sur les questions fiscales. Si nous avions la règle de la majorité qualifiée, nous aurions aujourd'hui un accord européen sur la taxation du digital. Mais je le redis : nous sommes 23 États sur 27 à soutenir un projet de taxe au niveau européen, alors qu'en 2017, quand nous avions proposé cette taxation du numérique, nous étions les seuls à le faire.
Nous avons également bougé les lignes au niveau international, puisque depuis que la France a annoncé qu'elle allait créer cette taxe, subitement les travaux à l'OCDE semblent s'éclaircir et il semblerait qu'un accord y devienne possible rapidement. Je n'ai aucun doute que le jour où la France retirera sa taxe nationale sur les géants du numérique, tout d'un coup les travaux ralentiront exactement à la même vitesse.
Cette taxe nationale est donc un moyen, avec d'autres partenaires européens, de faire levier sur les travaux de l'OCDE pour obtenir le plus rapidement possible, en 2020, une taxation du numérique au niveau international. Je suis prêt à y travailler notamment avec nos partenaires américains. J'ai eu l'occasion d'en parler avec le secrétaire américain au Trésor, à plusieurs reprises, et je lui ai déjà indiqué que le jour où il y aurait une taxation du numérique au niveau international à l'OCDE, la France retirerait bien entendu sa taxe nationale.
Voilà les éléments de présentation rapide que je voulais vous faire. Je voudrais terminer par deux convictions très simples.
La première, c'est que lorsque la France montre sa volonté, les choses bougent. Le rôle de la France n'est pas d'être suiveur et derrière, mais d'être leader et devant. Et sur cette taxation du numérique, sur cette fiscalité internationale du 21ème siècle, il est indispensable que la France prenne les devants, ouvre la voie et rassemble le plus grand nombre de partenaires.
Ma deuxième conviction, c'est que ce combat pour la fiscalité du 21ème siècle ne fait que commencer et qu'il va nous demander de répondre à trois questions fondamentales qui sont très complexes, très techniques, et dont les incidences sont majeures pour nos ressources publiques.
La première question, c'est : où se crée la valeur et comment la taxer ? Sur le lieu de consommation ? Sur le lieu de production ? Comment taxer les intangibles, comme disent nos amis américains ? C'est une question majeure que nous traitons au sein de l'OCDE.
La deuxième question majeure, c'est : comment éviter le dumping fiscal ? Car la course vers le bas en matière fiscale ne conduira qu'à l'appauvrissement de tous les États, à la fin des services publics et à l'impossibilité de financer nos biens publics.
Enfin la troisième question fondamentale – et je sais que vous y êtes tous très attachés dans cette commission des finances – c'est : comment lutter contre l'évasion fiscale ? Et c'est tout l'enjeu de parvenir à un taux minimal de l'impôt sur les sociétés, pour éviter l'évasion fiscale des grandes multinationales, qui est, je le rappelle, l'objectif prioritaire du G7 Finances que je préside depuis le début de cette année.
Merci de votre attention.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 5 avril 2019