Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d'information sur la gratuité des transports collectifs, sur les conclusions du rapport : La gratuité totale des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ?
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence du secrétaire d'État chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, actuellement à l'Assemblée nationale pour l'examen final du projet de loi d'orientation des mobilités.
Le rapport de la mission sénatoriale, complet et équilibré, souligne combien il importe de faire évoluer notre modèle de transport vers des mobilités plus propres et plus solidaires. Ce sont des objectifs que nous partageons tous, quels que soient les moyens mis en oeuvre pour y parvenir.
En préambule, je précise que je préfère parler de "choix de tarification" plutôt que de "gratuité", car, comme nous le savons tous, la gratuité des services publics n'existe pas : ces services ont un coût, la question posée étant celle de la répartition de ce coût entre le contribuable et l'usager. L'emploi du seul terme "gratuité" tend à masquer la réalité du choix qu'une telle option suppose, à savoir que l'on fait supporter l'intégralité du coût du service au contribuable.
Une fois le débat posé en ces termes, il est particulièrement important que le Gouvernement puisse y prendre part, et ce au moment même où le projet de loi d'orientation des mobilités est sur le point d'aboutir.
Votre travail met parfaitement en évidence les trois objectifs, parfois difficilement conciliables, auxquels doit répondre une politique tarifaire : garantir le droit au transport pour tous, favoriser une politique de report modal et, enfin, couvrir une partie des coûts de production du service.
La tarification relève de la compétence des autorités organisatrices de la mobilité et, à ce titre, d'un choix politique fait en responsabilité par les élus locaux. Ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins de leurs concitoyens, si bien que l'État n'a pas à décider à leur place. En l'espèce, je vous confirme la volonté du Gouvernement de respecter le principe de libre administration des collectivités locales.
C'est en vertu de ce principe que la gratuité pour l'usager existe aujourd'hui dans vingt-neuf communes en France, comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, ce qui permet de nourrir la réflexion sur ce type de dispositif ici et ailleurs dans le monde.
La gratuité pour l'usager peut être considérée comme une mesure sociale essentielle pour répondre aux problèmes de mobilité des plus fragiles. Pour autant, vous le savez, d'autres solutions existent pour atteindre cet objectif.
La tarification solidaire en fonction des revenus ou du statut, mise en place par de nombreuses autorités organisatrices, apparaît, en termes de pouvoir d'achat, comme une alternative efficace pour répondre à la problématique de mobilité des populations les moins aisées.
Elle me semble également plus égalitaire, car elle est fondée sur la capacité financière des usagers. C'est d'ailleurs le choix que fait la grande majorité des collectivités locales, qui aident les usagers des transports publics sous condition de ressources, les étudiants, aux côtés des entreprises qui contribuent au financement de l'abonnement de leurs salariés.
De plus, la question de la tarification ne doit pas monopoliser le débat et masquer les autres enjeux en matière de solidarité et d'accès à la mobilité.
Pour les publics les plus fragiles, un accompagnement à la mobilité et des solutions spécifiques sont nécessaires. De ce constat établi lors des Assises nationales de la mobilité, le Gouvernement a tiré des solutions concrètes dans le projet de loi d'orientation des mobilités : ainsi, un plan d'action en faveur de la mobilité solidaire devra être copiloté par la région et le département dans chaque bassin de mobilité.
Par ailleurs, comme la consultation que vous avez conduite l'a bien montré, l'enjeu en termes d'accès à la mobilité réside d'abord et avant tout dans le développement d'une offre utile.
Le premier frein à la mobilité sur un territoire, c'est l'absence d'offre adéquate. La question de la tarification ne vient qu'après. Comme le secrétaire d'État chargé des transports le rappelait devant votre assemblée il y a deux semaines, notre défi commun, celui qui est au cœur du projet de loi d'orientation des mobilités, est d'offrir partout et pour tous des solutions en matière de mobilité qui soient rapides, fréquentes et fiables. Le débat sur la tarification ne doit pas occulter cet objectif majeur.
Concernant l'enjeu écologique, le manque d'évaluations à notre disposition doit nous conduire à rester prudents sur l'incidence de la gratuité pour l'usager en matière de report modal de la voiture particulière vers les transports en commun.
On peut toutefois relever que les reports modaux observés dans les territoires sont en général le fruit d'une politique globale de mobilité qui dépasse le seul enjeu de la tarification. Celle-ci combine une politique visant à améliorer l'offre de transport et une politique tendant à en améliorer la qualité. À cet égard, vous noterez la plus grande sensibilité des associations d'usagers aux notions de desserte ou de ponctualité qu'à celle de gratuité.
Par ailleurs, il convient de déployer une politique de régulation de l'usage de la voiture, notamment au travers du stationnement.
En revanche, la gratuité pour l'usager permet indiscutablement d'améliorer la fréquentation des services de transport existants, en fidélisant certains usagers et en attirant d'autres publics qui ne sont pas captifs du confort ou de la rapidité de la voiture. Revers de la médaille, il semble que la gratuité conduise certaines personnes à utiliser les transports en commun au détriment de la marche ou du vélo, ce qui ne manque pas de soulever des questions en termes de préservation de l'environnement et de santé publique.
Enfin, si l'incidence de la gratuité pour l'usager en matière sociale et écologique prête à débat, il n'en est pas de même sur le plan économique, puisque la perte de ressources pour la puissance publique est, pour le coup, tout à fait tangible.
Comme je l'ai dit en introduction, et pour reprendre les termes de l'étude récemment menée par le groupement des autorités responsables de transport (GART), "la gratuité n'existe pas dans l'absolu". Ce qui n'est pas payé par l'usager doit l'être par le contribuable. Il faut être transparent de ce point de vue vis-à-vis de nos concitoyens, en évitant toute démagogie.
Quand la gratuité est mise en œuvre, elle est financée par le contribuable local : les employeurs au travers du versement transport, qui deviendra bientôt le versement mobilité, et les habitants au travers de la fiscalité locale. Si certains territoires peuvent s'appuyer sur un réel dynamisme économique avec la présence de grandes entreprises pour financer la part de l'usager, ce n'est pas le cas de tous.
Ce n'est donc pas un hasard si les réseaux gratuits pour l'usager, une trentaine aujourd'hui en France, sont pour la plupart de taille modeste, avec un taux de fréquentation souvent plus faible que la moyenne.
Comme votre rapport le montre, mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en oeuvre d'une telle politique sur les réseaux de grandes agglomérations ne me paraît pas facile. En effet, les recettes tarifaires que les métropoles perçoivent auprès des usagers des réseaux représentent des sommes très importantes, qui couvrent une part significative des dépenses de fonctionnement. Cela correspond par exemple à 36% des dépenses de financement du réseau en Île-de-France, soit 3,66 milliards d'euros.
La gratuité pour l'usager implique par ailleurs une fréquentation supplémentaire des réseaux sur l'ensemble de la journée, y compris aux heures de pointe, quand ceux-ci sont souvent déjà à saturation, ce qui tend à aggraver la situation et oblige à des investissements et à des dépenses de fonctionnement supplémentaires. Les moyens de production matériels et humains sont en effet dimensionnés pour absorber le trafic en heures de pointe.
À ce titre, les exemples étrangers sont une source d'enseignement, puisque certaines villes ont rétabli une tarification pour faire face aux besoins de financement liés au développement de l'offre.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez compris au travers de mon intervention que le Gouvernement, tout en respectant le choix souverain des collectivités locales, souhaite d'abord développer les offres de mobilité partout dans notre pays et pour tous nos concitoyens.
Le premier facteur d'exclusion ou de discrimination, c'est non pas la tarification, mais l'offre. Ainsi, c'est d'abord en démultipliant les offres concrètes de mobilité que nous répondrons à la principale demande de nos concitoyens.
Vos travaux vont nous permettre d'échanger sur ces sujets au cours de débats qui s'annoncent, j'en suis certaine, riches et constructifs. (Mme la présidente de la mission d'information, MM. Frédéric Marchand et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)
- Débat interactif -
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, une mission d'information sur la gratuité des transports a été créée sur l'initiative de mon groupe. Ce choix a été guidé par la volonté de disposer de données précises sur les expériences de gratuité mises en oeuvre par un nombre croissant de collectivités, sous l'impulsion d'un certain nombre d'élus de notre sensibilité politique, mais pas seulement.
Nous estimons aujourd'hui et plus que jamais, alors que l'impératif climatique devient incontournable, que la gratuité, en complément d'un renforcement de l'offre de transport, doit être considérée comme l'un des outils favorisant le report modal de la voiture individuelle vers les transports collectifs. Il s'agit d'un outil qui permettrait également de faciliter la concrétisation d'un véritable droit à la mobilité conditionnant souvent l'accès à d'autres droits.
Cette question urgente se combine à des enjeux sanitaires prégnants : on dénombre 48 000 morts dues à la pollution chaque année, je vous le rappelle.
Le rapport de la mission a de nombreuses qualités : il fait notamment un bilan des expériences conduites dans notre pays, ainsi que dans toute l'Europe. Il relève les atouts d'une telle politique en termes de retombées sociales et de report modal.
Pour aller plus loin, il faut maintenant les financements pour aider les collectivités qui souhaiteraient s'engager dans cette voie.
Nous proposons par exemple la généralisation et l'augmentation du versement transport. On nous répond que cela pénaliserait les entreprises. Pourtant, mettre en place de bonnes conditions de transport serait un atout pour les entreprises, tant pour leurs clients que pour les salariés.
Madame la secrétaire d'État, ce rapport comporte plusieurs propositions. Je pense notamment à l'instauration d'un taux de TVA à 5,5% pour les transports publics, qui correspond à une proposition récurrente de mon groupe. Quelle suite comptez-vous donner à cette mesure, notamment dans le cadre du projet de loi de finances que nous nous apprêtons à examiner au Sénat ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente Assassi, merci beaucoup de votre question.
Vous avez raison, l'intérêt de cette mission est de nous fournir des données précises et de nous permettre de mieux connaître à la fois les expériences ayant lieu en France et les expériences internationales.
Votre question porte notamment sur les principales données chiffrées en matière de financement.
En 2017, le montant des financements consacrés à l'ensemble des transports urbains de province s'élevait à 8,807 milliards d'euros, dont 6,91 milliards d'euros, soit 78% du total, consacrés au fonctionnement. Le reste, soit environ 1,9 milliard d'euros, était affecté à l'investissement.
Ces ressources proviennent d'abord des employeurs publics et privés. En effet, le versement transport représente aujourd'hui environ 44% du financement total des transports en France, soit 3,875 milliards d'euros.
L'État, quant à lui, y contribue à hauteur de 105 millions d'euros, montant qui inclut notamment la compensation versée aux collectivités du fait du relèvement du seuil du versement transport, les collectivités locales à hauteur de 2,833 milliards d'euros, soit 32% du total et, enfin, les usagers à hauteur de 1,379 milliard d'euros au travers des recettes commerciales, soit 16% du total. À ces ressources propres s'ajoutent les emprunts pour un montant d'environ 615 millions d'euros.
Vous soulevez la question de la baisse du taux de TVA à 5,5%. Cela représenterait un manque à gagner d'environ 800 millions d'euros pour l'État. Ce dossier n'est pas encore instruit à ce stade.
Pour en revenir à la part des employeurs dans le financement des réseaux de transport, qui s'élève à près de 4 milliards d'euros, soit 44% du total, il est déjà très significatif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.
Mme Éliane Assassi. Madame la secrétaire d'État, je veux rappeler que le secteur routier bénéficie, hors réseau autoroutier, d'une gratuité de service : la construction et l'entretien des routes sont pris en charge par le seul contribuable, ce qui correspond à près de 16 milliards d'euros chaque année, soit davantage que les 12,6 milliards d'euros que représentaient les dépenses pour l'entretien et le fonctionnement des transports publics urbains en 2018.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, revenu à la une de l'actualité à l'approche des élections municipales de mars prochain, le sujet de la gratuité des transports collectifs est l'objet du rapport qui nous est présenté aujourd'hui.
Ce rapport, dont je tiens à saluer la qualité, nous éclaire sur l'une des politiques publiques les plus sensibles. En effet, afin de répondre à certains effets de mode que l'on observe au sujet de la mobilité, dont la gratuité est l'un des volets, certaines démarches sont mises en oeuvre dans les territoires, les métropoles et les régions.
Plutôt que d'essayer de répondre à la dictature du court terme, en oubliant l'intérêt général, rappelons-nous que ce type de dispositif est une réponse de long terme et qu'il doit s'intégrer dans une politique globale des transports collectifs et de la mobilité.
Comme nous le démontre le rapport, la gratuité totale n'est applicable que dans des collectivités de taille réduite, ayant un réseau unique et sous-utilisé.
Pour les autres, notamment les métropoles, l'adaptabilité peut être envisagée grâce à certaines mesures de gratuité partielle, telles que la gratuité lors de pics de pollution, ou la gratuité en fonction de l'âge des usagers, des créneaux horaires, ou encore du type de transport. En outre, certaines collectivités ont créé une tarification solidaire.
La mise en place de toutes ces solutions modulables en fonction du territoire nécessite des recettes : il s'agit de la question centrale, car celles-ci diffèrent en fonction du type de collectivité et de la localisation.
Au moment où des solutions plus écologiques en matière de transport sont étudiées, où certains développent de nouveaux projets de mobilité soutenables pour les collectivités, il nous faut mieux outiller les acteurs de la mobilité, afin de répondre aux attentes des citoyens et aux besoins de tous les territoires.
Chaque offre de mobilité est spécifique, apporte sa richesse et sa singularité. Chacun de nos territoires est concerné, qu'il soit urbain, périurbain ou rural.
Madame la secrétaire d'État, afin que ce dispositif ne devienne pas une fausse bonne idée et qu'il puisse s'appliquer quel que soit le territoire – je pense surtout aux zones rurales –, pourriez-vous nous détailler les outils que le Gouvernement envisage de proposer aux autorités organisatrices de la mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Wattebled, vous l'avez dit, la décision de mettre en oeuvre la gratuité relève bien du libre choix des collectivités locales, et non d'une décision de l'État.
Les autorités organisatrices de la mobilité restent libres de leur politique tarifaire, de l'appréciation de leurs marges de manœuvre financières et fiscales. Vous l'avez également mentionné, c'est bien une politique de long terme que ces autorités doivent conduire.
Comme je viens de l'indiquer, il existe différents outils : ainsi, la tarification solidaire mise en place par de nombreuses autorités organisatrices apparaît déjà comme une alternative efficace pour répondre aux besoins en termes de mobilité des populations fragiles. Pour ces publics, un accompagnement est d'ailleurs nécessaire au-delà de l'aspect tarifaire. L'une des dispositions du projet de loi d'orientation des mobilités a précisément pour objet de donner une compétence « mobilité solidaire » aux autorités organisatrices, avec un plan d'action qui sera appliqué par la région et le département dans chaque bassin de mobilité.
Enfin, l'enjeu en matière d'accès à la mobilité réside aussi dans le développement de l'offre elle-même. C'est ce que nous ont dit les usagers, comme à vous aussi dans le cadre des travaux de votre mission : ils sont sensibles au niveau et à la qualité de l'offre, et pas seulement aux tarifs. C'est notamment la position de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports.
La mission, au travers des nombreuses réponses à la consultation qu'elle a lancée, a pu mesurer les attentes de nos concitoyens : c'est un axe central du projet de loi d'orientation des mobilités, qui prévoit que chaque territoire se dote d'une autorité chargée de la mobilité, et qui permet à chacun de ces territoires de développer un panel d'outils pour agir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la gratuité des transports collectifs est un sujet qui divise.
Mais il est des territoires où cette question passe après celle de la réalité et de la qualité des transports, tant ceux-ci sont déficients.
Je pense en particulier aux difficultés que rencontrent les travailleurs transfrontaliers du nord de la Lorraine, qui se rendent chaque jour dans le Grand-Duché de Luxembourg. Ils se heurtent à d'énormes problèmes de circulation, car tous les réseaux sont saturés, y compris ceux des transports collectifs. Près de 105 000 salariés sont concernés aujourd'hui et ils sont 4 000 de plus chaque année. Ceux-ci s'établissent du côté français, obligeant les collectivités, parfois – j'insiste sur ce terme ! – soutenues par l'État, à investir lourdement dans les équipements scolaires, périscolaires, culturels, sportifs, mais aussi dans les équipements de transport vers le Luxembourg.
Il faut toutefois souligner que, dans une démarche de codéveloppement, le Luxembourg vient d'accepter de cofinancer à hauteur de 50 % ces investissements en matière de mobilité, qui représentent une dépense totale de 240 millions d'euros. Le protocole d'accord afférent, négocié en mars, a été ratifié par une loi du 29 octobre dernier.
C'est un progrès, mais est-ce suffisant ? Le Gouvernement ne devrait-il pas plutôt négocier que le Luxembourg assure 100% du financement ? Ces investissements ne sont pas détachables du travail frontalier. Ces équipements servent exclusivement à se rendre au Luxembourg. S'ils n'étaient pas réalisés chez nous, ils devraient l'être chez nos voisins et, donc, ils seraient totalement à leur charge.
Dans ces conditions, madame la secrétaire d'État, ne pensez-vous pas qu'il devient urgent de négocier cette gratuité avec nos voisins, d'autant qu'ils encaissent la totalité de l'impôt sur le revenu des travailleurs frontaliers et que, pour l'heure, ils n'envisagent aucune rétrocession fiscale, à la différence de ce qui prévaut avec la Belgique, par exemple ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Mizzon, votre question renvoie à la problématique épineuse du modèle de développement transfrontalier entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg.
En matière de voyageurs, il faut bien reconnaître qu'il est très difficile d'intéresser les autorités du Luxembourg au sort des travailleurs frontaliers français, comme le démontre la situation des TER français qui ne pourront plus franchir la frontière à Thionville à partir du 1er janvier prochain. L'État continue à se mobiliser, et les secrétaires d'État Jean-Baptiste Djebbari et Amélie de Montchalin ont encore écrit tout récemment au ministre luxembourgeois chargé des transports à ce sujet.
Les participations luxembourgeoises sont d'ailleurs rarement désintéressées. Ainsi, les investissements dans les TER, soutenus par le Luxembourg à hauteur de 120 millions d'euros en application d'un protocole intergouvernemental de mars 2018, bénéficient principalement au Grand-Duché, puisqu'ils facilitent l'acheminement des travailleurs français sur son territoire.
Il faut poursuivre le travail pour répondre à ces enjeux de mobilité en renforçant la dynamique de codéveloppement, et en investissant plus massivement dans les infrastructures de transport durable en France. Ainsi, l'État continuera de solliciter le Grand-Duché pour qu'il apporte un soutien plus important aux travaux déjà engagés sur le sillon ferroviaire Metz-Luxembourg, mais aussi sur le débouché sud via Nancy.
Enfin, en matière de développement économique, vous l'avez rappelé, le principe d'une compensation financière des États où travaillent les frontaliers au profit des États où ceux-ci résident a été validé par le Conseil de l'Europe le 29 octobre dernier. Là encore, des discussions sont en cours pour mettre en place un tel système avec le Luxembourg, comme nous l'avons déjà fait avec les autres États voisins de la France que sont l'Allemagne et la Suisse, notamment.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la secrétaire d'État, votre réponse manque d'ambition et d'agressivité. (Mme Dominique Estrosi Sassone manifeste son étonnement.) Vous avez rappelé tout à l'heure la volonté de l'État d'offrir des solutions de mobilité de qualité et efficaces partout. Or, sur ce dossier, vous avez l'occasion d'agir et, en l'espèce, je ne réclame pas la gratuité pour les usagers, mais pour vous, pour l'État français !
Les temps changent : le Luxembourg a fait un effort, il faut profiter de la circonstance pour enfoncer le clou et demander une telle gratuité. Je sais que ce n'est pas simple, mais c'est la raison pour laquelle faire de la politique est exaltant. (Mme la secrétaire d'État opine.)
Vous en avez la force, alors donnez-vous les moyens d'y parvenir. En tout cas, vous trouverez tout l'appui nécessaire du côté des parlementaires concernés !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. La liste est longue des services proposés à la population qui font l'objet de débats apparaissant ou réapparaissant à la veille des élections municipales : gratuité de l'eau, gratuité de la restauration scolaire, gratuité de la piscine, gratuité des transports, et j'en passe.
Il importait donc aux membres de la mission d'information sur la gratuité des transports collectifs de sortir de la dualité sur ce sujet pour construire un outil d'aide à la décision plutôt que de prévoir une recette élaborée nationalement, qui s'appliquerait uniformément sur tous les territoires.
Je remercie la présidente de la mission, Michèle Vullien, et le rapporteur, Guillaume Gontard, d'avoir su déjouer ce piège, et d'avoir suivi la voie du pragmatisme et du réalisme plutôt que celle du dogmatisme.
L'incidence, ou plutôt le bénéfice environnemental de la gratuité n'est pas avéré. Elle ne favorise qu'un report modal très limité : le nombre de voitures ne diminue pas ou très peu, le transfert s'opérant du vélo et de la marche à pied vers les transports en commun.
L'impact financier est préjudiciable à l'autorité organisatrice et, de fait, aux entreprises qui paient le versement mobilité.
Les publics les plus fragiles bénéficient déjà de tarifs préférentiels ou de la gratuité totale, sur l'initiative de l'autorité organisatrice de transports. Leur situation est donc largement prise en compte aujourd'hui.
Les usagers souhaitent, non pas la gratuité des transports, mais une offre de service plus importante dans les secteurs les moins matures. Pour les autres, on obtiendrait l'effet inverse à celui qui est recherché, avec un phénomène de sur-fréquentation.
Ce rapport permettra à chacun de puiser des arguments, d'alimenter ses réflexions. Le Gouvernement entend-il prolonger ce travail et, si oui, sous quelle forme ? Je rappelle qu'il est envisagé, dans le cadre du PLF pour 2020, de priver les autorités organisatrices de transports de 45 millions d'euros et que rien n'est prévu en matière de financement de la compétence mobilité, ce dernier point ayant entraîné l'échec de la CMP sur le projet de loi d'orientation des mobilités ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Remarquez, monsieur le sénateur Mandelli, que nous cherchons, non pas une réponse nationale uniforme sur ce sujet, mais bien une capacité à répondre à des besoins différenciés sur des territoires eux-mêmes différenciés.
Comme le montre la mission d'information, ainsi que l'étude menée par le GART, l'incidence de la gratuité sur le report modal de la voiture particulière vers les transports publics reste difficile à mesurer.
Les effets en termes de report modal sont généralement la conséquence d'une politique d'ensemble, visant, d'une part, à améliorer l'offre et la qualité des transports, d'autre part, à réguler l'espace, notamment à travers la politique de gestion de l'espace public ou de stationnement.
Pour mieux mesurer l'impact propre de la gratuité, des outils méthodologiques adaptés pourraient être mis en place par les réseaux. Ils permettraient de mieux appréhender et objectiver le report modal. Selon certains, il semble que la gratuité ait eu peu d'effet sur ce dernier, mais qu'elle diminuerait en revanche la part du vélo et de la marche, ce qui pose évidemment question.
Par ailleurs, l'aide à la décision des collectivités locales en matière tarifaire doit les amener à s'interroger sur l'équilibre entre dépenses et ressources, afin de disposer des moyens nécessaires pour répondre aux besoins.
L'État soutient donc la proposition de la mission de mettre en place un observatoire de la tarification des transports pour recenser des éléments plus objectifs, notamment sur le report modal, et constituer ainsi une aide à la décision pour les choix tarifaires des élus locaux.
L'État appuie de telles initiatives, mais ne peut en assurer le pilotage, qui relève plutôt des collectivités ou de leurs associations. On pourrait par exemple envisager qu'il participe en tant que de besoin à l'observatoire, lequel serait piloté par le GART.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. J'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises lors des auditions, notamment lors de celle de Mme la ministre Élisabeth Borne sur le projet de loi Mobilités, aujourd'hui rien n'est prévu en matière de financement pour les intercommunalités qui prendraient la compétence mobilité sans avoir, sur leur territoire, suffisamment de ressources sur le plan économique pour financer les nouvelles mobilités.
J'appelle votre attention sur ce point, madame la secrétaire d'État. C'est important ! Malgré la volonté affichée des uns et des autres – nous sommes évidemment tous favorables à la prise en compte de ces nouvelles mobilités –, il faut que toutes les collectivités puissent les financer dans de bonnes conditions.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Cette question, passionnante, de la gratuité des transports concerne bien évidemment les territoires disposant d'une offre de transport, comme nous l'avons tous relevé, donc, pour l'essentiel, les zones urbaines ou certains territoires qui ont pu prendre certaines initiatives par le passé. Elle recoupe largement celle de la fracture territoriale.
Alors que, dans le projet de loi Mobilités, il était question de donner un droit à la mobilité pour tous, constatons que certains territoires sont dépourvus de toute offre de transports. On peut donc mettre en regard ceux qui ont la possibilité de ne pas payer leurs transports et ceux qui sont contraints d'utiliser leur voiture particulière.
Ma question visera tout particulièrement ceux qu'un sociologue, Éric Le Breton, appelle les « insulaires » et qui, d'après lui, représentent 20 % de la population. Il s'agit de ces personnes qui sont pratiquement assignées à résidence, sans offre de transports en commun et sans moyens de financer une voiture particulière.
Madame la secrétaire d'État, comment accompagner les territoires les plus fragiles, dès lors que, dans le projet de loi Mobilités, vous avez refusé les dispositifs proposés unanimement par le Sénat, dispositifs intéressants qui visaient tout particulièrement les nouvelles autorités organisatrices de transports disposant de faibles ressources fiscales en matière de base de versement transport ?
Ma question cible en premier lieu les départements, censés traiter des mobilités solidaires. Ces départements sont exsangues. Or on n'envisage même pas, contrairement à une réponse que nous avait donnée le Premier ministre, de flécher vers eux un peu de TVA !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Votre question, monsieur le sénateur Jacquin, évoque les fractures territoriales, un sujet auquel nous sommes évidemment tous sensibles. Elle a trait, précisément, à la prise de la compétence mobilité par les petites intercommunalités, notamment celles qui disposent de faibles ressources.
Pour les territoires qui ne lèveront pas de versement mobilité, le Gouvernement prendra en compte le besoin de financement nouveau dans le cadre du mécanisme de compensation de la suppression de la taxe d'habitation. Vous vous attendez à cette réponse…
M. Olivier Jacquin. Pas du tout !
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. C'est en tout cas la réponse que je vous fais, même si elle ne vous satisfait pas totalement.
La taxe d'habitation sera effectivement remplacée par une quote-part de TVA, dont la dynamique est réellement plus importante que celle des bases actuelles de ladite taxe. Cela concerne toutes les intercommunalités, y compris les plus petites.
Selon nos estimations, la recette supplémentaire que les communes et intercommunalités, sur la France entière, tireront chaque année se situera dans une fourchette allant de 30 et 40 millions d'euros, soit 120 à 160 millions d'euros en produit annuel complémentaire au bout de la quatrième année.
Les communautés de communes qui prendraient volontairement la compétence disposeraient ainsi d'une recette dynamique, permettant d'asseoir le développement de services de mobilité alternatifs à des services collectifs réguliers.
Par ailleurs, l'État, au travers de la démarche France Mobilités, accompagne les territoires qui le souhaitent. Cet accompagnement passe par des appels à projets, comme vous le savez, avec des financements dédiés pour la prise de compétence, notamment au travers de cellules régionales d'appui à l'ingénierie.
Mais le projet de loi d'orientation des mobilités, c'est également un engagement de l'État d'investir 13,4 milliards d'euros dans les infrastructures de transport sur l'ensemble du quinquennat, partout sur le territoire. Cet effort, significatif, est sans précédent ; il est évidemment nécessaire.
On trouve dans cette somme des engagements pris pour le rail, en particulier pour permettre que les trains retrouvent une vitesse normale sur certaines de nos voies ferrées – 2,6 milliards d'euros seront consacrés, sur dix ans, au développement des TER entre les villes moyennes et les métropoles –, et des engagements, à hauteur de 1 milliard d'euros, pour réaménager certaines routes et garantir à leurs usagers un parcours plus sûr.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Vous avez reconnu vous-même, madame la secrétaire d'État, que votre réponse ne me satisferait pas. J'avais bien indiqué, dans ma question, que ce n'était pas la réponse que j'attendais.
Je visais très précisément l'accompagnement des départements chargés des mobilités solidaires. Vous ne me répondez absolument pas sur ce sujet.
Dans le projet de loi Mobilités, il est dit que la mobilité doit être accessible à toutes et à tous.
Je ne reviens pas sur les propos de Guillaume Gontard concernant la logique de démobilité : c'est sans aucun doute l'avenir ! Mais, il faut le garder en tête, le droit à la mobilité permet d'accéder à d'autres droits, et, à l'heure actuelle, certains de nos concitoyens sont véritablement assignés à résidence.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Léonhardt.
M. Olivier Léonhardt. À chaque occasion qui m'est offerte dans cet hémicycle, j'alerte sur le cauchemar que vivent les usagers du RER francilien et je rappelle que notre système de transport est à bout de souffle, au bord de l'explosion.
Chaque fois, on m'explique que le Gouvernement investit bien plus qu'avant, progresse sur le projet du Grand Paris, finance les transports du quotidien.
C'est sans doute vrai, mais ces mesures sont clairement insuffisantes pour répondre à la lourde crise à laquelle nous sommes confrontés et que tous les gouvernements ont systématiquement minimisée.
Réveillons-nous ! On a autorisé l'interdiction progressive des véhicules à essence et diesel à l'intérieur des frontières de l'autoroute A86 d'ici à 2030. C'est bien pour l'environnement… Mais où sont les trains RER et les bus qui permettront à des centaines de milliers d'habitants de la grande couronne de laisser leur voiture pour prendre les transports en commun ? Le Grand Paris Express, même s'il était achevé dans vingt-cinq ans – je suis optimiste –, n'arrive pas jusqu'aux départements de grande banlieue et ne complétera donc pas l'offre du RER.
Aucune mesure à la hauteur de ce défi gigantesque n'est prévue.
Réveillons-nous ! Nous ne parvenons déjà pas à gérer la situation actuelle.
Ces dernières semaines, encore, l'accélération des dysfonctionnements au moment des heures de pointe a bloqué des centaines de milliers de personnes sur les quais de nos gares. Les trains sont supprimés ; ils sont sans cesse en retard ; ils sont tellement bondés qu'il faut parfois en laisser passer deux ou trois pour pouvoir monter dans une rame.
Les usagers ne demandent pas en priorité la gratuité des transports. Ils savent bien que les services ont un coût et qu'ils les paieront toujours d'une manière ou d'une autre.
Ce qu'ils demandent, c'est tout simplement des transports qui fonctionnent ! Ils exigent de ne pas être entassés dans des wagons bondés. Ils veulent juste arriver à l'heure le matin au travail ou le soir pour récupérer leurs enfants à la crèche.
C'est maintenant qu'il faut agir et créer des transports légers pour couvrir les besoins, très importants, des 4,5 millions d'habitants de la grande couronne parisienne. Qu'ils soient payants ou gratuits, s'ils fonctionnent, nous les prendrons ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. La capacité à répondre aux enjeux de transport dans la métropole du Grand Paris et en Île-de-France, en général, est évidemment un important défi, qui nous est lancé à tous.
Il est lancé, avant tout, à l'autorité organisatrice de transports, Île-de-France Mobilités, mais l'État intervient pour la soutenir.
Ainsi, les RER franciliens vont être financés à hauteur de 300 millions d'euros par an dans le cadre du contrat de plan État-région, soit 100 millions d'euros supplémentaires par an que sur la période précédente. Le Grand Paris Express, que vous avez également cité, monsieur le sénateur Léonhardt, fera l'objet d'investissements extrêmement élevés. Le programme global atteint 35 milliards d'euros et sera de nature à permettre un désengorgement.
Île-de-France Mobilités a aussi lancé un plan de bus en grande couronne pour désengorger le transport à l'intérieur de cet espace.
Ce sont donc des efforts communs à l'autorité organisatrice et à l'État qui permettront de répondre aux besoins des usagers.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. L'incidence de la gratuité sur le coût généralisé des transports serait en milieu urbain trop faible, cela a été dit et répété depuis le début de notre débat, pour induire un report modal significatif depuis l'automobile.
De nombreuses études de cas confirment les prédictions de la théorie en économie des transports.
Les villes ayant expérimenté une telle mesure n'ont pas observé de réduction significative de la pression automobile ni de leurs externalités. Le report modal a été systématiquement inférieur aux attentes des décideurs publics.
En général, cette mesure a été associée à une augmentation de l'utilisation des transports publics provenant principalement d'un report modal depuis des modes actifs, comme la marche ou le vélo, de nouveaux trajets qui n'étaient pas effectués auparavant et d'une hausse de l'attractivité territoriale des villes concernées.
Nous savons que la réduction de la pression automobile passe nécessairement par un changement de paradigme, qui induit une modification du coût relatif des modes de transport. Un tel changement implique de penser conjointement la tarification des transports en commun et de l'automobile. Les travaux sur le sujet s'accordent sur l'idée que cette modification de coût relatif doit passer par une hausse de la tarification de l'automobile. Or vous reconnaîtrez, mes chers collègues, qu'une telle mesure est plus que politiquement incorrecte en ces temps agités !
Différentes contributions suggèrent que les modalités de mise en oeuvre de cette tarification, comme le péage cordon, le péage de zone ou le péage sur le stationnement, jouent un rôle important en termes de performances. À titre d'exemple, des simulations réalisées pour Paris suggèrent des gains importants de bien-être, dont l'ampleur dépend de la technologie choisie.
Enfin, il convient de rappeler que la tarification ne constitue pas le seul outil en mesure de modifier le coût relatif des différents modes de transport. La réduction de la pression automobile devrait être envisagée dans une approche globale de la mobilité urbaine, incluant, outre la réflexion sur la tarification des différents modes de transport, la question de l'espace laissé à l'automobile – nombre de bandes de circulation, zones accessibles, etc. –, de l'espace laissé aux autres modes de transport – transports en commun, mais aussi marche ou vélo – et la promotion d'un usage plus efficace de la voiture à travers la promotion du covoiturage et de l'auto partagée.
Madame la secrétaire d'État, le débat sur la gratuité des transports permet, de manière plus globale, d'ouvrir celui qui concerne la mobilité urbaine. Il permet de reposer le problème de la place de voiture, la gratuité « servant d'alibi pour avoir à prendre des mesures impopulaires auprès des automobilistes » comme l'indique la Fédération nationale des associations d'usagers des transports, la Fnaut.
D'où ces questions simples. Partagez-vous cet avis ? Quel pourrait être le remède ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison, monsieur le sénateur Marchand, il faut réfléchir plus globalement à la mobilité urbaine et à la place de la voiture. Pour vous répondre, je ne peux que partager cette approche !
Les territoires sur lesquels on observe du report modal de la voiture individuelle vers d'autres modes de transport sont ceux qui ont développé, à la fois, une offre de services de mobilité diversifiée et de qualité, et une politique de régulation de la voiture, notamment par le biais du stationnement payant.
La mise en oeuvre au 1er janvier 2018 de la dépénalisation du stationnement souhaitée par de nombreuses collectivités permet aujourd'hui d'utiliser ce levier pour travailler sur la place de la voiture individuelle dans les villes.
Par ailleurs, plusieurs grandes collectivités se sont engagées dans la mise en place de zones à faible émission, visant à réduire la circulation des voitures les plus polluantes dans les centres-villes, ce qui répond à des enjeux de santé publique.
S'agissant du péage urbain, la loi permettait déjà de l'expérimenter, mais selon un dispositif inopérant. Aucune collectivité n'a donc utilisé cette possibilité.
Après de multiples études techniques menées en prévision de l'élaboration du projet de loi Mobilités, dans le contexte de la crise des « gilets jaunes », aucun élu ne soutenant la mesure, celle-ci n'a pas été retenue dans le texte déposé par le Gouvernement au Parlement.
Cela nous montre simplement qu'il faut trouver un juste équilibre entre les contraintes et les mesures d'incitation positive. Ainsi, la mission suggère de réfléchir à d'autres solutions de mobilité, notamment les mobilités partagées, qui sont très encouragées au travers du projet de loi Mobilités.
Ce dernier incite aussi à se saisir du principe de la mobilité vue comme un service, une approche intégrée permettant à l'usager de disposer d'une information, d'une billetterie, voire d'une tarification qui combine tous les modes, indépendamment du territoire et de l'organisateur du service. Les autorités organisatrices de transports pourront ainsi développer des tarifications à l'usage, mixant toutes les formes de mobilité disponibles avec une facture en fin de mois, y compris les vélos ou les voitures partagées en libre-service.
Par ces actions, le Gouvernement entend ouvrir le champ des possibles pour améliorer les solutions de mobilité sur les territoires, afin que la nécessaire transition écologique en matière de mobilité ne soit pas vécue de façon punitive par nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Tout en saluant le rapport sur la gratuité dans les transports collectifs, qui nous permet d'avoir le débat de ce jour, je veux, moi aussi, évoquer le sujet du financement des transports publics, sujet que l'on ne peut plus éluder. D'ailleurs, je constate que c'est un refrain lancinant sur toutes les travées cet après-midi : il faut l'entendre !
Après les débats sur le projet de loi Mobilités, et après les interventions de mes collègues, je ne peux me priver de remettre le couvert…
Comme vous le savez, madame la secrétaire d'État, la ressource principale pour financer un service de transports publics ne provient pas des recettes de billetterie, que celles-ci existent ou non, si le choix de la gratuité a été retenu. Elle est liée, en grande partie, au versement transport, rebaptisé "versement mobilité".
Vous n'ignorez pas non plus que cette ressource est un impôt de production, critiqué depuis toujours par le monde économique, au motif qu'il est basé sur la masse salariale.
La mise en place de ce versement, dans des territoires très industriels, suscite de très fortes oppositions et donne l'occasion à une forme d'allergie fiscale de s'exprimer. En pareil cas, il est très difficile pour un conseil communautaire de choisir d'en faire une fiscalité nouvelle.
Madame la secrétaire d'État, je vis dans un territoire, la vallée de l'Arve, qui a connu ces difficultés et qui, en même temps, doit faire face au défi de la pollution de l'air.
Comment envisagez-vous d'aider les collectivités, de leur apporter des solutions de financement ?
J'espère obtenir une réponse qui ne se cantonne pas à la dynamique de la TVA… Si vous vous contentez de cela, en évoquant un montant de 40 millions d'euros à l'échelon national, permettez-moi de vous dire, même si je ne suis pas très bon en mathématiques, qu'un simple produit en croix démontre le caractère tout à fait insatisfaisant d'une telle réponse. Les politiques publiques dont nous parlons sont extrêmement onéreuses ; j'attends vraiment une réponse d'un autre ordre !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Vous l'avez dit, monsieur le sénateur Hervé, le versement transport représente un montant important, puisque les entreprises, avec près de 4 milliards d'euros de versement transport, financent 44 % des recettes des transports collectifs.
Le schéma de gouvernance prévu par le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) est le fruit de longues discussions avec toutes les parties prenantes, parmi lesquelles le Medef, qui a vivement écarté toute perspective de hausse de ce versement transport, compte tenu de son poids actuel dans le financement des transports.
Pour autant, afin de répondre aux demandes légitimes des 25% de citoyens, des 75% de territoires dépourvus de réseau géré par une autorité organisatrice de transports, donc de solutions de mobilité organisées, la future LOM encourage les communautés de communes, qui représentent environ 20 millions d'habitants à l'échelle nationale, à exercer la compétence d'organisation de la mobilité.
Le versement transport est sanctuarisé et devient le versement mobilité pour les collectivités qui mettront en place des services de transport collectif réguliers, afin de préserver l'acceptabilité de cet impôt assis sur la masse salariale par les acteurs économiques – vous l'avez rappelé, c'est un sujet délicat.
Le Sénat avait proposé un versement transport réduit à 0,3% pour les communautés de communes qui n'organisaient pas de services de transport collectif réguliers, ainsi qu'une affectation d'une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour celles dont le rendement était inexistant.
Alors que le versement transport est un impôt complexe pour les entreprises, cette solution conduisait à doubler le nombre d'entreprises soumises à cette imposition, ce qui les contraignait à assumer de nouvelles obligations déclaratives pour des montants très faibles.
C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas souhaité retenir cette solution et a préféré recourir à la réforme de la fiscalité locale, en substituant, comme vous le savez, de la TVA dynamique à de la taxe d'habitation moins dynamique, afin que les collectivités confrontées à un problème d'acceptabilité ou de rendement du versement transport puissent, malgré tout, disposer de ressources pour organiser des solutions de mobilité sur leur territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Vous ne serez pas surprise, madame la secrétaire d'État, de ce que je vais vous dire… J'avais bien précisé que j'attendais autre chose que cette réponse. Mais vous ne me répondez pas plus que vous n'avez répondu à mon collègue du groupe socialiste et républicain !
Vous prétendez inciter les collectivités, surtout les communautés de communes ou d'agglomération, à exercer la compétence mobilité. Mais vous savez qu'il faut nécessairement des ressources et des recettes – c'est un "nécessairement" sonnant et trébuchant ! Que l'on soit confronté à une allergie fiscale sur le territoire ou à des difficultés de mise en œuvre – le conseil communautaire n'ose pas mettre le point à l'ordre du jour, ou alors, comme dans mon cas, la décision politique locale est négative – et l'on n'est plus en mesure de développer cette politique publique, pourtant vitale pour nos concitoyens.
C'est pourquoi je vous incite à travailler le sujet. Il est pour nous essentiel !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Vous avez fait référence, madame la secrétaire d'État, à un rapport du GART publié au début du mois d'octobre. Consacré à la gratuité dans les transports en commun, ce rapport s'est appuyé sur les conclusions d'un colloque organisé en juin dernier à Nice, intitulé « Gratuité des transports publics : entre idéal et réalité ? » Il vient utilement compléter le rapport de la mission d'information.
Le constat est assez unanime : supprimer purement et simplement le paiement des transports par les usagers est une mesure relevant du leurre, voire de la démagogie dans les territoires tendus.
En effet, un service gratuit est forcément payé par quelqu'un, et la priorité pour l'usager, c'est avant tout la qualité de service. Il ne faut donc pas sacrifier la qualité à la gratuité !
De plus, la gratuité totale ne serait pas nécessairement au bénéfice des plus modestes, qui, bien souvent, on l'a dit, bénéficient déjà d'offres gratuites, tout comme les jeunes ou les seniors disposent de tarifs préférentiels.
À cela s'ajouterait un effet d'aubaine pour les vacanciers et les touristes dans les territoires à forte attractivité touristique, comme le mien, où le réseau serait alors financé par les seuls contribuables locaux.
L'offre payante est donc un levier de financement garantissant à l'autorité organisatrice de transports des moyens en matière d'entretien, des capacités d'investissements, mais également la faculté de proposer une pluralité d'offres, parfois proches de la gratuité. Dans la métropole Nice Côte d'Azur, l'instauration du ticket à un euro a permis d'introduire équité et solidarité territoriale, ce ticket s'appliquant à l'ensemble des 49 communes de la métropole, des zones de montagne jusqu'au bord de mer.
Je ne vais pas vous poser de nouveau la question de la baisse du taux de TVA, madame la secrétaire d'État, puisque vous avez répondu à Mme Éliane Assassi sur le sujet.
Je formulerai ma question différemment : le Gouvernement serait-il prêt à considérer les transports en commun comme des services de première nécessité, à l'image des pratiques ayant cours dans de nombreux pays – Allemagne, Royaume-Uni, Suède, ou encore Norvège ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Le colloque du GART à Nice, colloque auquel vous avez fait référence, madame la sénatrice Estrosi Sassone, a effectivement contribué à la réflexion et au débat.
Comme nous l'observions précédemment, la décision de mettre en place ou non la gratuité des transports publics relève avant tout du libre choix des collectivités locales. Ce n'est pas une décision de l'État. Les autorités organisatrices de transports restent libres de leur politique tarifaire, de l'appréciation de leurs marges de manœuvre financières et fiscales, comme en témoigne le choix de la métropole Nice Côte d'Azur que vous avez mentionné.
J'ai cité tout à l'heure plusieurs options : la tarification solidaire, qui permet de différencier les tarifs en fonction du revenu ou des statuts et qui apparaît comme une alternative pour répondre à la problématique de mobilité des populations les plus fragiles ; un accompagnement à la mobilité, avec la compétence mobilité solidaire et l'appui des départements et des régions par bassin de mobilité ; le développement d'une offre de qualité, considéré par la Fédération nationale des associations d'usagers des transports comme le critère essentiel.
S'agissant du fait de considérer les transports comme un service essentiel, je crains de devoir réitérer la réponse que j'ai donnée à Mme Éliane Assassi. Le manque à gagner serait de 800 millions d'euros pour le budget de l'État, qui n'est pas encore instruit à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Ce rapport d'information sur la gratuité des transports à l'avantage de replacer la problématique dans sa globalité. Je pense notamment aux liaisons domicile-travail et aux incidences liées à l'étalement urbain.
En 1968, déjà, Henri Lefebvre, cité dans le rapport, notamment à la page 93, indiquait dans son livre Le Droit à la ville : "les milieux populaires souffrent d'une double peine, car, pour eux, la distance travail-domicile ne cesse de croître et parce que la pauvreté se traduit par l'usage des modes de transport plus lents, moins directs, inconfortables".
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de publier un avis sur le rapport entre travail, emploi et mobilités, dans lequel il est souligné que, plus que jamais, l'offre de logements est trop éloignée des lieux de travail.
Ainsi, on peut lire en page 69 : "L'étalement urbain est un facteur important de l'allongement des déplacements domicile-travail. La périurbanisation a tendance à s'accentuer avec le renchérissement généralisé du coût du logement en accession à la propriété ou pour le parc locatif et social. En effet, les écarts du coût du foncier, entre le centre des grands pôles urbains et leur périphérie, incitent les actifs et actives à rechercher des logements moins chers et plus grands plus loin des zones d'activité."
Les politiques d'urbanisme des années 1960 ont montré leurs limites. La pression foncière dans les centres des métropoles, concentrant des activités tertiaires, rend l'immobilier résidentiel inaccessible.
Dès lors, madame la secrétaire d'État, y a-t-il une volonté gouvernementale de mettre en place des outils de régulation, notamment via la taxation des plus-values immobilières, pour financer, certes la diversification sociale du logement, mais aussi les besoins liés aux infrastructures et, de manière générale, les besoins en mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous rejoins totalement, monsieur le sénateur Houllegatte, quand vous posez la question globale de l'aménagement du territoire et de l'étalement urbain.
Cette question est centrale dans les débats qui nous animent, à la fois au regard de la mobilité, compte tenu de l'allongement des temps de transport, et en matière de vivre ensemble, puisque les personnes se retrouvent éloignées des centres de travail comme des lieux de convivialité. En outre, elle évoque des défis écologiques redoutables, l'étalement urbain étant l'une des causes de l'artificialisation des sols et, donc, de la perte de biodiversité.
Vous m'interrogez sur l'articulation des politiques d'aménagement et des politiques de mobilité, l'amélioration des infrastructures de transport et des services encourageant l'étalement urbain, lequel nous invite à conduire des réflexions pour diminuer ces besoins en mobilité.
La mission dont nous discutons les conclusions aujourd'hui propose de poursuivre et d'élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité, notamment en matière de captation des plus-values foncières. Du point de vue du Gouvernement, un travail pourrait être engagé en ce sens.
Je rappelle que plusieurs mesures prévoyant l'instauration d'une taxation des plus-values immobilières liées aux infrastructures de transport ont été adoptées par le Parlement au cours des dernières années. Aucune n'a été mise en oeuvre.
S'agissant de l'Île-de-France, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris avait ainsi prévu l'instauration d'une taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant des projets d'infrastructures du réseau de transports du Grand Paris, mais cette disposition a finalement été abrogée par la quatrième loi de finances rectificative pour 2010.
Une taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant de la réalisation d'infrastructures de transports collectifs en site propre avait également été instituée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle 2, mais cette taxe, qui ne concernait pas l'Île-de-France, n'a elle non plus jamais été appliquée. Elle a été abrogée par la loi de finances initiale pour 2015.
Si les outils existent en droit, l'absence de mise en oeuvre conduit à s'interroger sur la complexité opérationnelle d'un tel dispositif. Les réflexions portent davantage sur des dispositifs fiscaux plus simples, avec une assiette territoriale élargie, financés par des ressources fiscales de type taxe sur les bureaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Il y a urgence à remettre l'ouvrage sur le métier, madame la secrétaire d'État. Cela concerne notre capacité, à la fois, à repenser nos politiques urbaines et à revoir la taxation des plus-values. À l'heure actuelle, la pression foncière crée un mouvement centrifuge d'éviction. Dans son livre L'Archipel français, Jérôme Fourquet évoque un phénomène de gentrification des centres-villes. Celui-ci crée un risque social et sociétal très important.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les comparaisons internationales montrent qu'en France la part des recettes tarifaires dans les ressources des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) est significativement inférieure à celle des réseaux de transports collectifs étrangers. En effet, en France, les employeurs sont les premiers financeurs des transports publics. À l'exception culturelle française bien connue, la France ajoute discrètement l'exception du financement des transports publics.
L'apport financier des entreprises passe par deux canaux principaux : premièrement, la participation des employeurs aux frais de transport de leurs salariés, entre le domicile et le lieu de travail, pour un coût annuel de l'ordre de 900 millions d'euros pour les entreprises ; deuxièmement, le versement transport, prochainement dénommé « versement mobilité », qui est un impôt. Instauré en 1971 pour la seule région parisienne, ce versement a été progressivement étendu, de sorte que plus de 250 autorités organisatrices de la mobilité lèvent actuellement cet impôt sur les entreprises comptant plus de dix salariés.
Nous constatons, au cours des quinze dernières années, une baisse généralisée de la part des usagers dans le financement des transports publics et une hausse importante du versement transport. Celui-ci représente en moyenne 47 % des ressources des AOM. Dès 2017, 67 % des AOM de plus de 300 000 habitants ont atteint le plafond. Le nombre de municipalités ou de conseils d'agglomération qui offrent le transport gratuit n'a jamais été aussi élevé. Selon le groupement des autorités responsables des transports, elles sont au nombre de 29. Sous le couvert de la transition énergétique, une vingtaine de programmes électoraux proposent la gratuité totale, et plusieurs équipes sortantes y pensent à plus ou moins haute voix.
Ma question, madame la secrétaire d'État, est donc la suivante : ne pensez-vous pas que l'extension de la gratuité totale risque d'amener les employeurs à contester la légitimité même d'un impôt de plus en plus éloigné de sa raison d'être initiale ? Un vieux dicton nous apprend que la cruche finit par se casser à force d'aller à l'eau ; or le versement mobilité restera indispensable pour cofinancer les investissements nécessaires à la modernisation et à l'expansion continue des transports publics.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Danesi, le versement transport, effectivement, est aujourd'hui une ressource importante du financement des transports collectifs. Comme je l'ai dit plus tôt, il représente environ 44 % du coût total. C'est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas l'augmenter, mais simplement le stabiliser.
Qu'on le veuille ou non, une gratuité entraînerait forcément un transfert de charges vers les contribuables, alors que les autorités organisatrices ont à mener des politiques de renouvellement et d'extension du réseau. Ces politiques ont un coût. Ce qui n'est pas financé par l'usager le sera par le contribuable local ou par les employeurs – le cas du versement transport a été cité.
La gratuité induit une fréquentation supplémentaire des transports publics sur l'ensemble de la journée, y compris aux périodes de pointe, aggravant la saturation du réseau. La gratuité appelle donc des investissements et des dépenses de fonctionnement supplémentaires, les moyens de production, matériels et humains étant en effet dimensionnés pour absorber les heures de pointe.
Ainsi, pour les plus grands réseaux, la gratuité pourrait doublement renchérir le recours à l'impôt, notamment au versement transport : par un effet prix, entraînant une baisse de ressources, d'une part, et par un effet volume, entraînant une hausse des moyens de production nécessaires, d'autre part.
Comme vous le soulignez, pour la très grande majorité des réseaux de transports publics en zone dense, les besoins de mobilité sont tels que la gratuité apparaît plutôt pénalisante ; elle risquerait de remettre en cause l'équilibre subtil qui a été trouvé entre les financements de l'usager et du contribuable et de mettre en péril toute l'accessibilité du versement transport.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, notre rapport a eu une vertu, celle de sortir ce débat d'une approche un peu binaire. Nous avons montré que la gratuité des transports collectifs n'est pas une idée bonne ou mauvaise en soi : tout dépend dans quel but elle est mise en oeuvre. Elle doit s'inscrire dans une stratégie locale de développement qui prend en compte les particularités du territoire et de ses habitants.
Pour ma part, je préfère la notion d'accès libre aux transports. Elle illustre mieux le fait que l'accès aux transports a un coût et qu'ouvrir cet accès à tous ou non relève d'un choix de la collectivité. Cette expression permet de mieux réfléchir à des outils alternatifs : la tarification solidaire, plus ambitieuse, implique non pas la gratuité totale, mais donne la gratuité à ceux qui en ont besoin.
Toutes ces mesures participent néanmoins d'une révolution sociale des mobilités, une révolution dont les effets positifs se feront sentir, à terme, pour l'ensemble des habitants : réduction de la pollution de l'air, amélioration de la fluidité du trafic, etc. Ces retombées positives vont bénéficier à tous : non seulement aux collectivités et aux AOM, mais aussi à l'État, via une baisse des dépenses de santé.
Pour renforcer ces externalités positives, notre rapport a mis en évidence l'éventualité de ressources alternatives à la fiscalité locale : une vignette pour les SUV, par exemple, ou l'affectation d'une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au fonctionnement des transports en commun.
Madame la secrétaire d'État, quelle est la position du Gouvernement à l'égard de l'affectation d'une part de la fiscalité de l'État au financement des politiques de mobilité vertueuses ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Devinaz, vous avez raison, ce débat est l'occasion de sortir d'une discussion binaire. Je me réfère donc à la première recommandation du rapport : "Dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d'idées préconçues." Pour revenir au fond, la décision de mettre en place la gratuité relève bien du libre choix des collectivités territoriales – et donc des autorités organisatrices de la mobilité.
Des alternatives existent pour sortir de ce débat binaire. Premièrement, la tarification solidaire, que nous avons déjà évoquée dans ce débat, permet de répondre à la problématique de mobilité des populations les plus fragiles. Deuxièmement, nous pouvons accompagner la mobilité, au-delà de l'aspect tarifaire, avec la compétence mobilité solidaire des AOM, soutenues par la région et le département. Troisièmement, nous devons continuer à travailler sur le développement d'une offre de mobilité.
En ce qui concerne la TICPE, celle-ci est plutôt orientée vers les investissements. Elle ne me paraît donc pas une solution à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. J'entends bien que la TICPE est orientée vers les investissements. En l'occurrence, il s'agit d'un investissement ! Si cette logique prévalait, et si nous avions une vision plus globale des dépenses de l'État, on pourrait constater que les aides aux collectivités pour développer des mobilités plus vertueuses permettent des économies dans le domaine de la santé !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'heure des bouleversements climatiques, plus personne ne peut faire aujourd'hui l'impasse sur la question de l'environnement.
Dans son rapport de 2018, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat préconisait d'atteindre une réduction de plus de 40 % des consommations d'énergie dans les transports, tout d'abord en réduisant notre usage de la voiture. Il ne s'agit pas de simples ajustements, comme le fait de prendre moins souvent sa voiture. Il s'agit de changer radicalement nos modes de vie en ville.
L'État et les collectivités territoriales ont une responsabilité dans le domaine des transports et de la mobilité. Les politiques doivent ainsi proposer à nos concitoyens les moyens de changer leur mode de vie, afin que la voiture ne soit pas le mode de transport prépondérant.
Peu d'expériences sur la gratuité des transports collectifs sont menées à l'échelle nationale. Cependant, l'une d'entre elles retient toute mon attention, celle de l'agglomération de Dunkerque, qui compte plus de 200 000 habitants. Après avoir été expérimentée le week-end pendant trois ans, la gratuité a fini par s'étendre à la semaine. Les premières conclusions sur l'expérience dunkerquoise semblent particulièrement positives.
Dans le débat des élections municipales, les maires de la métropole lilloise ont fait savoir qu'ils étaient favorables à la mise en place d'une gratuite partielle, tournée vers certains publics, notamment les jeunes, et même les très jeunes – ce à quoi je suis très favorable –, et lors des pics de pollution.
La gratuité totale n'est pas possible partout. Cependant, afin de lutter contre le changement climatique, l'État et les collectivités territoriales devront mettre en place des politiques plus incitatives.
Madame la secrétaire d'État, quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour inciter nos concitoyens à utiliser davantage les services publics de transport collectif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Lherbier, l'un des avantages de cette mission d'information et de ce débat est de pouvoir s'appuyer sur des expériences concrètes et réelles, qui nous permettent d'éviter les positions de principe, au-delà des préjugés. Il est manifeste qu'il revient à chaque autorité organisatrice de trouver le bon équilibre entre les différentes sources de financement, ses capacités d'investissement, le versement transport et ce qu'elle veut demander à ses administrés.
Si la métropole lilloise souhaite se diriger vers une gratuité partielle, une gratuite solidaire qui autorise une tarification qui ne pèse que peu ou pas du tout sur les jeunes, les plus fragiles ou les étudiants, ce choix relève de sa responsabilité, au sein d'une offre globale de transport consolidée.
Pour accompagner les autorités organisatrices, l'État ou le Gouvernement doivent faire passer le message suivant : il y va de la responsabilité des collectivités, dans le respect du principe de la libre administration territoriale, auquel cette chambre est particulièrement attachée. Ensuite, la LOM présente différents outils : la tarification solidaire, une idée qui est maintenant un impératif qui s'imposera aux autorités organisatrices, et surtout la lutte contre les zones blanches.
La première injustice est effectivement de résider dans un territoire couvert par une autorité organisatrice ou non. Notre objectif est de faire en sorte que, à moyen terme, tous les Français habitent des territoires couverts par des autorités organisatrices, qui trouveront le point d'équilibre. L'État soutiendra les autorités par la contractualisation, y compris par l'intermédiaire des appels à projets France mobilités, qui peuvent permettre d'innover. Cependant, les autorités ont la responsabilité de faire des choix.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, ce rapport sur la gratuité des transports collectifs parle essentiellement des transports en commun à l'échelle des aires urbaines. L'avant-propos précise en effet que la question des personnes vivant en zones périurbaines ou en milieu rural est une problématique plus vaste ; elle mérite un traitement à part entière, car aborder ce sujet par le prisme de la gratuité serait trop réducteur.
Néanmoins, les zones périurbaines et rurales qui entourent nos agglomérations et métropoles sont parfois couvertes par des réseaux de transport émanant de la ville-centre. Le service rendu est alors fortement déséquilibré. Pour illustrer concrètement mon propos, je vous parlerai des transports de la ville de Besançon et de sa métropole. Je le dis d'emblée, une gratuité totale à laquelle accéderaient exclusivement les habitants de la ville-centre, et donc ceux qui disposent de services et d'emplois à proximité immédiate, me semble particulièrement inéquitable. Les arbitrages budgétaires réalisés pour permettre cette gratuité empêcheraient, par exemple, le développement d'une meilleure offre par un réseau élargi ou un cadencement plus soutenu.
En revanche, j'adhère à l'idée de la gratuité partielle. Les jeunes sont une cible privilégiée à bien des égards. Je crois à la portée éducative que pourrait revêtir ce genre de pratique, en les incitant, dès le plus jeune âge, à se déplacer différemment de leurs aînés et à adopter d'autres réflexes, plus vertueux d'un point de vue écologique.
Ensuite, si le choix d'une gratuité partielle en direction des jeunes me semble pertinent, c'est aussi parce que la mobilité leur est purement et simplement imposée pendant leur scolarité !
Concernant l'exemple de Besançon et de ses communes périphériques, Grand Besançon Métropole est l'autorité organisatrice de la mobilité sur son territoire. La région Bourgogne-Franche-Comté, pour sa part, organise les transports scolaires, à l'exception des zones couvertes par un réseau urbain et périurbain. La conséquence est la gratuité totale du transport scolaire pour tous les élèves du ressort de la région, du cours préparatoire à la classe de terminale. En revanche, les élèves de la communauté urbaine doivent s'acquitter d'un abonnement mensuel important.
Le déséquilibre, une fois encore, se fait sentir. L'absence d'une mesure nationale sur ce sujet pose le problème de l'harmonisation, qui n'est pas automatique. Je ne sais s'il s'agit d'une bonne solution ; mais, si la gratuité peut être une solution pour un cas donné ou un territoire en particulier, elle ne le sera pas forcément pour un autre.
Madame la secrétaire d'État, comment le Gouvernement peut-il favoriser, tout en respectant l'autonomie des exécutifs locaux, une plus grande équité pour répondre à l'enjeu central que seront les mobilités de demain ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Grosperrin, la première équité – voilà le sens de notre action à travers la loi d'orientation sur les mobilités – est que les Français, partout sur le territoire, bénéficient de la couverture par une autorité organisatrice.
Vous avez raison de mentionner le fait que, à Besançon, comme ailleurs, l'autorité organisatrice ne peut être seulement la ville-centre, dont les habitants connaissent des situations tout à fait différentes par rapport à ceux de la périphérie. L'autorité organisatrice doit se déployer selon un maillage plus général, afin de mutualiser les moyens et être solidaire au sein même d'une communauté d'agglomération ou d'une communauté de communes, a fortiori d'une métropole, entre l'hypercentre et toutes les communes périphériques. La première solidarité consiste en une capacité à couvrir tout le territoire français et à exercer cette solidarité à l'échelle de l'agglomération.
La question que vous posez est une question d'équilibre entre l'action de la région et celle des intercommunalités. Vous reconnaîtrez qu'il ne revient pas à l'État de s'immiscer dans la relation entre les différents niveaux des collectivités locales ; cependant, votre question a du sens et doit être discutée. L'État contractualise aussi avec les régions dans le cadre des contrats de plan. La question peut donc se poser.
Il nous faut trouver un bon équilibre : pas de zones blanches, pas d'absence de réponse de la part des collectivités à celui qui demande une aide en matière de mobilité. Nous voulons une compétence exhaustive sur tout le territoire, un bon équilibre entre ville-centre et villes périphériques à l'intérieur des communautés d'agglomération ou de communes. La discussion doit donc aboutir entre les deux grands niveaux d'organisation que sont les intercommunalités et la région.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la secrétaire d'État, à l'approche des élections municipales de mars prochain, les débats sur la gratuité des transports collectifs sont nombreux.
Aujourd'hui, chaque autorité organisatrice de la mobilité a mis en place une politique tarifaire plus ou moins avantageuse pour les usagers.
Je ne suis pas opposé par principe à la gratuité des transports urbains ; elle peut contribuer à réduire la pollution urbaine et à donner du pouvoir d'achat à nos concitoyens.
Pour que la gratuité ait un sens, il faut qu'elle permette un réel report modal, afin d'augmenter le nombre d'usagers délaissant leur voiture au profit des transports en commun. Les études le prouvent, plus les infrastructures de transports en commun en site propre sont nombreuses, plus les usagers les fréquentent. Les usagers ne s'y trompent pas ; ils préfèrent à la gratuité une offre de transports collectifs payante, mais plus développée.
Des questions se posent sur les conséquences de la gratuité, notamment sur la prise en compte de la hausse de la fréquentation des lignes existantes. L'équation est simple : plus de fréquentation implique un plus grand nombre de rames, plus de lignes pour atteindre l'objectif de réduction de la place de la voiture dans nos villes. Avec les modifications des modes de vie, nous pouvons même imaginer de prévoir des modules spécialement conçus pour les usagers du vélo.
Cependant, tout cela à un coût. À Montpellier, de lourds investissements ont été réalisés jusqu'en 2014. Il faut toutefois garder à l'esprit que la gratuité suppose, par définition, moins de recettes et un nécessaire redéploiement de certains personnels.
Aujourd'hui, dans le cadre des mobilités du quotidien et de la lutte contre le réchauffement climatique, l'État est-il prêt à s'engager dans une politique globale en soutenant financièrement une métropole comme celle de Montpellier, si elle décidait la gratuité de ses transports et, naturellement, l'extension de son réseau ? Je pense notamment à une renégociation des encours de dette de l'autorité organisatrice et à un fort soutien financier aux nouveaux investissements rendus nécessaires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. La gratuité, comme l'ont montré les travaux du GART et de la mission dont on vient de parler, pose effectivement des questions de soutenabilité économique et doit être examinée au cas par cas pour en déterminer l'efficacité. Des recettes commerciales doivent nécessairement être compensées. Si la gratuité a été mise en place, dans les 29 cas analysés, plutôt sur de petits réseaux à faible potentiel de recettes, avec des ratios recettes/dépenses souvent inférieurs à 10 %, sa mise en oeuvre sur des réseaux de grandes agglomérations comme Montpellier ne paraît pas facilement accessible. En effet, les recettes tarifaires des réseaux de ces métropoles, perçues auprès des usagers, représentent des sommes très importantes et couvrent une part significative des dépenses de fonctionnement.
L'État n'a évidemment pas vocation à intervenir financièrement dans les politiques de transport, qui relèvent des collectivités locales. C'est pourquoi il convient que celles-ci considèrent avec la plus grande prudence les effets potentiels de la gratuité sur leurs ressources, et donc sur leur capacité à répondre aux enjeux de demain.
En soutien des collectivités, l'État souhaite donc intervenir sur la qualité de l'offre. Montpellier a développé en peu de temps un réseau performant, notamment avec la création de quatre lignes de tramway. L'État souhaite continuer à favoriser le développement de projets structurants ; à ce titre, il continuera à soutenir de tels projets, avec un quatrième appel à projets en faveur des investissements en transports collectifs, lancé en 2020, la LOM ayant prévu des crédits à cette fin.
Source http://www.senat.fr, le 25 novembre 2019