Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 10 avril 2020, sur l'accord européen pour faire face à la crise économique provoquée par l'épidémie de covid-19, la récession économique et le soutien aux entreprises.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK 
Bonjour Bruno LE MAIRE ! 

BRUNO LE MAIRE
 Bonjour Sonia MABROUK ! 

SONIA MABROUK 
Merci d'être avec nous en direct à distance sur Europe 1. 

BRUNO LE MAIRE 
Merci à vous. 

SONIA MABROUK 
Un accord sur le plan européen a été arraché hier soir, un plan de soutien à l'économie tout d'abord pour tous ceux qui nous écoutent ce matin Bruno LE MAIRE pour nous tous, qu'est-ce que ça va changer concrètement, cet accord ? 

BRUNO LE MAIRE 
C'est un excellent accord d'abord parce qu'il marque l'unité des États européens, je pense que c'est important de marquer cette unité dans la période de crise et c'est un excellent accord parce qu'il permet de dégager immédiatement 550 milliards d'euros pour financer toutes les économies de l'Union européenne et en particulier, celles qui ont subi le choc de la manière la plus violente, l'Italie, l'Espagne, toutes celles qui ont besoin de soutien collectif de la part de l'Union européenne. Donc ce que ça va changer, c'est que nous allons avoir des moyens supplémentaires disponibles pour financer nos économies et financer le redressement économique de l'Europe.  

SONIA MABROUK 
Vous parlez ce matin de solidarité, il y a encore quelques heures vous dénonciez vous-même, Bruno LE MAIRE, avec des mots forts, une honte pour l'Europe. Qu'est ce qui s'est passé en quelques heures ? 

BRUNO LE MAIRE 
Moi, je crois qu'il y ait eu au lendemain de cette nuit très difficile où il y a eu des négociations très dures entre les États européens une vraie prise de conscience vers 8h30/9 heures du matin après 16h de négociations que nous ne pouvions pas aller à l'échec, que nous ne pouvions pas échouer, que ce qui était en jeu, ce n'était pas simplement les 550 milliards d'euros dont je viens de vous parler. Ce qui était en jeu, c'était la construction européenne, c'était l'avenir de la zone euro et que si nous échouions, le risque était grand de voir exploser l'Union européenne et de voir disparaître la zone euro. Donc je pense qu'il y a eu une vraie prise de conscience et toute la journée d'hier, nous avons repris le travail. La France n'a pas ménagé ses efforts pendant toute la journée d'hier heure après heure sur la base de la coopération franco-allemande pour essayer de ramener à la raison un certain nombre d'États. Le président de la République s'est lui-même mobilisé auprès d'un certain nombre de chefs d'Etat, le président de l'Eurogroupe, Mario CENTENO, nous a fait un travail tout à fait exceptionnel et puis heure après heure, contact après contact, les choses se sont dénouées et nous sommes parvenus à cet accord qui, je le redis, est à la fois un immense soulagement. C'est une vraie victoire pour l'Europe parce qu'elle montre face à la Chine et face aux Etats-Unis qu'elle est capable de décider, de décider vite et de décider fort.  

SONIA MABROUK 
Et de décider jusqu'au bout ? La question de la mutualisation des dettes futures n'a pas été encore tranchée ; certains pays comme les Pays-Bas continuent de refuser de s'inscrire dans cette démarche commune, pas de mutualisation en commun des dettes ? 

BRUNO LE MAIRE 
Mais le débat est posé et il y a une vraie victoire française, c'est la mise en place de ce fonds de relance c'est-à-dire un fonds qui doit apporter des moyens pour financer demain les hôpitaux, les services publics toutes les filières industrielle qui va falloir reconstruire dans l'automobile, dans l'aéronautique, financer aussi les nouvelles technologies, le déploiement de la 5G, l'intelligence artificielle, tout ce qui aurait été à l'arrêt du fait de la crise et du fait du manque de financement . Ce fonds de relance doit permettre de financer ces investissements au lendemain de la crise pour que l'économie européenne redémarre le plus vite et nous, nous estimons avec le président de la République que le meilleur financement de ce fonds de relance, c'est de lever de la dette commune parce que lever de la dette commune, ça veut dire qu'on aura un taux d'intérêt collectif qui sera faible, voire très faible. Ça veut dire que nous étalons les dépenses sur le temps plutôt que de tout dépenser immédiatement avec le budget européen. Et puis, ça permet effectivement à ceux qui sont les plus touchés par cette crise sanitaire que personne n'a demandé qui est une vraie injustice de ce point de vue là, ça permet à ceux qui ont été de plus touchés de tirer un peu plus d'argent, d'avoir un peu plus de soutien de la part de ceux qui ont été moins touchés et qui ont moins besoin de cet argent. C'est un vrai signal de solidarité européenne. 

SONIA MABROUK 
Mais clairement, il faut encore convaincre d'autres pays. 

BRUNO LE MAIRE 
Oui mais ça progresse et je pense que le pas qui a été franchi hier est un pas absolument majeur, c'est-à-dire plus de solidarité européenne, que ceux qui ont moins souffert de la crise puissent aider ceux qui en ont le plus souffert.  

SONIA MABROUK 
En France, Bruno LE MAIRE plus singulièrement vous avez dévoilé une nouvelle trajectoire budgétaire ; on note que le plan d'urgence est passé à 100 milliards. La prévision de récession désormais à moins 6%, le déficit attendu à 7,6% du PIB, ce sont des chiffres vertigineux et temporaires. Ils sont malheureusement encore appelés en tous les cas pour la prévision de récession encore appelés à changer, voire à s'aggraver ? 

BRUNO LE MAIRE 
Alors ce sont effectivement des chiffres vertigineux parce que c'est une crise économique vertigineuse et je crois ne jamais avoir caché aux Français que cette crise est une crise qui ne pouvait avoir d'autres comparaisons que la grande récession de 1929. Je l'ai dit depuis le début. La directrice générale du FMI a repris cette comparaison, d'autres économistes aussi ; effectivement, cette crise est vertigineuse parce que pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale une grande partie de l'économie française, une grande partie des économies européennes sont à l'arrêt. Nous ne produisons plus ; nous ne travaillons plus dans des pans entiers de l'économie. Ça n'est pas arrivé depuis la Deuxième Guerre mondiale ; du coup, nous mettons des moyens massifs à la demande du président de la République et du Premier ministre depuis le premier jour. Nous avons décidé d'intervenir massivement, nous avons aujourd'hui un nouveau projet de loi de finances qui nous donne les marges de manoeuvre nécessaires. Donc nous avons de quoi voir venir au moins pour plusieurs semaines. Est-ce que ce sera les derniers chiffres ? Je ne peux pas vous le garantir. 

SONIA MABROUK 
Vous savez déjà probablement que non mais pour tous ceux qui vous écoutent ce matin Bruno LE MAIRE et on voit une cascade de 2 milliards il y a encore quelques mois, c'était compliqué d'avoir de l'argent pour l'hôpital. Comment vous expliquez – on comprend évidemment légitimement qu'il faut tout cet argent – mais on se demande comment il vient, ce n'est pas de l'argent magique ? 

BRUNO LE MAIRE 
Non c'est de la dette, je suis très simple et très clair avec les Français là aussi depuis le début : entre des milliers de faillites et la dette, nous avons choisi la dette et je pense que c'est le seul choix responsable donc nous acceptons d'avoir une dette qui va atteindre 112% de notre richesse nationale pour créer une digue contre les faillites et contre l'effondrement de l'économie française. Donc c'est une intervention d'urgence qui se solde effectivement par un niveau d'endettement qui est très élevé. Je veux là aussi être très clair, cet endettement, il doit être provisoire. Et nous devons le plus rapidement possible dès que l'économie pourra redémarrer réduire cette dette parce que chacun voit bien à l'occasion de cette crise que quand on est à un niveau d'endettement qui est faible, c'est le cas de l'Allemagne, on a plus de marge de manoeuvre que lorsqu'on a un niveau d'endettement qui est très élevé, je pense à l'Italie où les marges de manoeuvre sont plus réduites. Donc ce choix que nous faisons du financement par la dette, c'est un choix responsable ; c'est un choix nécessaire ; c'est un choix qui va éviter une catastrophe sociale et une catastrophe économique à la France et qui va nous permettre de sauver notre patrimoine économique qui est considérable mais ça ne peut être qu'un choix provisoire et je l'ai toujours dit à la sortie de cette crise, il faudra faire des efforts. Le redressement, il sera long ; il sera difficile et il passera par le désendettement du pays. 

SONIA MABROUK 
Dans le journal Les Echos, vous prévenez que la crise effectivement va durer longtemps et vous dites qu'il faudra faire des efforts. Sachant que vous avez prévenu qu'il n'y aura pas de hausse d'impôts, on aimerait bien savoir ce matin quels efforts précisément vous demandez aux Français. 

BRUNO LE MAIRE 
Les efforts, le premier effort ce sera de se remettre au travail tous. Ce sera ça le premier effort qui sera demandé aux Français, ce sera l'effort des entreprises, l'effort des entrepreneurs pour investir parce que le grand risque, c'est que les entreprises n'investissent pas suffisamment à la sortie de la crise. C'est les efforts des entreprises pour avoir des comportements qui soient exemplaires ; quand nous les amenons à réduire les dividendes, c'est bien pour qu'elles gardent du capital pour investir dans les entreprises plutôt que de distribuer des dividendes aux actionnaires. De ce point de vue-là, je salue par exemple la décision qui a été prise par le président de RENAULT. Pas de dividendes, baisse de la rémunération, c'est exactement dans cette direction-là qu'il faut aller, c'est ça les efforts que je demande, du travail, de l'investissement et de l'exemplarité.  

SONIA MABROUK 
RENAULT on peut également citer AIR FRANCE vous avez dit que l'Etat allait prendre sa part et soutenir les fleurons français mais Monsieur le ministre de l'Economie, vous n'êtes pas allé plus loin, on a évoqué encore dans le journal des Echos un fonds de 20 milliards. Est-ce que c'est une caisse, une cagnotte qui est destinée justement à racheter, à aider ces fleurons français ? 

BRUNO LE MAIRE 
Oui, c'est un compte qui s'appelle le compte d'affectation spéciale qui est placé sous l'autorité de l'Agence des participations de l'Etat, qui est l'agence qui, ici au ministre de l'Economie et des Finances, gère les participations de l'Etat dans les entreprises. Et donc nous avons décidé d'abonder ce fonds, de mettre 20 milliards sur ce compte d'affectation spéciale justement pour pouvoir soutenir en capital toutes les entreprises qui pourraient en avoir besoin publiques ou privées et s'agissant d'AIR FRANCE, nous nous tenons prêts le moment venu sans doute rapidement à intervenir pour soutenir AIR FRANCE et faire en sorte que ce qui est un fleuron industriel français et puis je pense un symbole aussi parce que c'est une compagnie aérienne que tout le monde connaît et qui est un symbole pour tous nos compatriotes puisse être soutenu le moment venu et se redresser rapidement.  

SONIA MABROUK 
En tant que ministre de l'Economie, vous faites face à un dilemme évidemment, il y a un arbitrage même si c'est l'urgence sanitaire qui prime, beaucoup de pays, eh bien, ont remis ou veulent remettre la machine en route, relâcher un peu le confinement pour éviter une faillite générale ; vous y pensez ? Est-ce qu'à un moment, il va falloir accélérer pour pas que le remède soit pire que le mal ? 

BRUNO LE MAIRE 
Déjà, nous, nous avons fait un choix très clair qui est de maintenir une activité économique minimum, un service économique minimum. J'ai refusé que nous définissions des secteurs stratégiques parce qu'il y aurait eu d'autres secteurs moins stratégiques qui du coup auraient été fermés et puis les chaînes de valeur sont tellement imbriquées que cela n'aurait pas eu beaucoup de sens. Ce qui va nous permettre de redémarrer l'économie et effectivement le plus tôt sera le mieux, c'est de garantir la sécurité sanitaire des salariés. On voit bien, par exemple, dans la chaîne alimentaire, dans la distribution alimentaire, qui a été absolument exemplaire pendant toute cette crise que progressivement à force de se doter de réglementations sanitaires qui soient plus strictes, d'avoir les équipements nécessaires par exemple les vitres plexiglas aux caisses de la grande distribution, on a été capable de remettre l'activité en route dans la grande distribution et que là où il avait 20 ou 25% d'absentéisme, on en a plus que 10 ou 15 en fonction des régions. Donc il y a un retour au travail qui doit se faire progressivement en garantissant évidemment la sécurité sanitaire des salariés mais qui est nécessaire pour que notre pays puisse se redresser.  

SONIA MABROUK 
Parce que la crainte Bruno LE MAIRE, et beaucoup l'évoquent, ce n'est pas seulement évidemment, c'est la crise économique mais ce sont les fractures sociales. Est-ce que c'est un véritable risque, des troubles sociaux après la crise sanitaire ? 

BRUNO LE MAIRE 
Ce que je vois d'abord, c'est le comportement exemplaire de l'immense majorité des Français. Moi, ce que je constate, c'est que des millions de Français sont allés travailler, sont allés faire de la production agricole, sont allés dans les usines de l'industrie agroalimentaire, ont transporté les produits, les ont mis en rayon, les ont fait passer aux caisses et c'est tous ses salariés exemplaires que je veux saluer. Il n'y a pas eu de troubles sociaux ; il y a eu, au contraire, une mobilisation de tous ces salariés, ouvriers partout dans la chaîne alimentaire, dans l'industrie, dans les services, aux comptoirs des banques à la Poste qui nous ont permis d'avoir une vie normale. Je voudrais que chacun prenne conscience du courage, de l'engagement, du professionnalisme de ces millions de salariés publics comme privés qui nous ont permis de continuer à avoir une vie normale, de pouvoir nous alimenter, de pouvoir trouver dans la grande distribution l'alimentation dont nous avions besoin. Donc moi, ce n'est pas des troubles sociaux que je vois ; c'est exactement le contraire, c'est-à-dire une vraie mobilisation et une exemplarité des Français. Mais il faut effectivement en tirer les leçons. Ca fait plusieurs mois, dès le mois de janvier 2020 que j'avais alerté sur le niveau de rémunération des salariés les plus modestes, sur les écarts qui étaient grandissants, sur les inégalités qui n'étaient pas acceptables dans le capitalisme, je pense que cette crise montre à quel point des millions de salariés que souvent on ne voit pas, on ne considère pas assez sont absolument indispensables à la vie de la nation et méritent notre reconnaissance.  

SONIA MABROUK 
Des salariés et aussi les chefs d'entreprise, artisans, indépendants, ils sont nombreux probablement, ils vont vous poser des questions dans quelques instants. Merci Bruno LE MAIRE ; merci aussi de rester pour les auditeurs, je le dis les chefs d'entreprise également très mobilisés, beaucoup de questions à venir.  

BRUNO LE MAIRE 
Merci à vous !