Déclaration de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et M. Gabriel Attal, ministre délégué, chargé des comptes publics, sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, le 02 mars 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Olivier Dussopt - Ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ;
  • Gabriel Attal - Ministre délégué, chargé des comptes publics

Circonstance : Débat sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, au Sénat le 2 mars 2023

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (projet n° 368, rapport n° 375, avis n° 373).

(…)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y sommes, nous y sommes de nouveau, si je puis dire, et nous y sommes enfin : je suis particulièrement heureux de vous présenter cette réforme et de soumettre ce texte à votre discussion.

Cette réforme des retraites, j'y crois profondément.

J'y crois, tout d'abord, parce qu'elle sort notre système par répartition de son état structurellement déficitaire. Elle permet de ne pas faire peser cette responsabilité sur les générations futures alors que nous savons tous, à la lecture des rapports du Conseil d'orientation des retraites (COR), que dès 2027 le déficit annuel du système sera de 12,5 milliards d'euros par an et qu'il atteindra 20 milliards d'euros par an en 2035 et 25 milliards d'euros par an en 2040.

Dans un peu plus de dix ans, si nous ne faisons rien, le déficit cumulé sera de 150 milliards d'euros, alourdissant d'autant la dette. Cela nous oblige, tout au long des débats qui s'ouvrent, à rester extrêmement attentifs à cet objectif d'équilibre et de retour à l'équilibre du système de retraite.

Cette réforme, j'y crois, ensuite, parce qu'elle rend plus juste notre système de retraite, en répondant à des attentes exprimées de très longue date par les Françaises et les Français.

J'y crois, enfin, parce qu'il s'agit tout simplement d'une promesse tenue, celle de réformer les retraites et, ce faisant, de continuer à transformer le pays et notre modèle social. Je le dis tout en soulignant que croire à cette réforme n'empêche évidemment pas d'entendre les contestations : je n'oublie pas que ceux qui ont élu le Président de la République ne l'ont pas tous fait pour soutenir en premier lieu cette promesse-là. Certains ont voté pour lui pour cette réforme, d'autres ont voté pour lui malgré cette réforme, d'autres encore ont voté contre lui à cause d'elle.

Cependant, et tout au long de la campagne présidentielle, cette réforme n'a jamais été un projet caché. Elle a été assumée, portée et annoncée par le Président de la République et par toute la majorité lors des élections législatives.

Elle s'inscrit dans la droite ligne des engagements pris depuis 2017, cette ligne qui fait du travail la meilleure et la plus forte des réponses apportées aux difficultés de notre pays. Cette ligne vaut également, en effet, là où il s'agit de rétablir l'équilibre du système de retraite, considérant, de surcroît, que le travail est la meilleure des politiques en faveur de l'autonomie, de la dignité et de la lutte contre la pauvreté.

C'est ce que le Président de la République a construit, réforme après réforme, depuis 2017, qu'ainsi nous voulons poursuivre.

Dans la série des réformes déjà nombreuses de notre système de retraite, celle-ci ne fait pas exception, bien au contraire, sur plusieurs points.

Elle est difficile, car vous savez comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, la complexité de ce sujet. Notre système de retraite, rendu plus opaque à chaque fois qu'on le modifiait, cache aujourd'hui d'innombrables imperfections sous chacun de ses détails. Ces imperfections, on les découvre en avançant, et personne ne peut véritablement se vanter d'en avoir fait le tour.

C'est pourquoi réformer notre système de retraite est une gageure – cela l'a toujours été, cela le reste –, car nous devons conjuguer nos priorités avec toujours plus de complexités et, souvent, d'inégalités. Même un funambule n'y verrait pas un chemin aisé…

En vérité, puisque je parle de chemin, le seul chemin que je connaisse pour aborder cette réforme, c'est celui du débat et du dialogue républicain.

La concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques du pays qui ont répondu à notre appel a précisément permis d'emprunter ce chemin.

Cela n'a évidemment pas suffi à surmonter tous les désaccords, notamment sur l'âge ou sur la durée de cotisation, mais, sur d'autres points, nous avons su acter des avancées, que certains jugent insuffisantes, d'autres excessives – je pense à l'emploi des seniors ou aux carrières longues –, mais qui toutes sont le fruit de cette concertation.

Ces avancées sont autant de preuves – il en faut – que le débat est toujours fécond et que le consensus est toujours possible, quand on veut bien leur laisser une chance.

Parler des retraites, et présenter cette réforme devant vous, c'est aussi regarder les choses en face et éviter toute forme de déni : demander aux Français de travailler deux ans de plus, même progressivement, même en tenant compte de la pénibilité et des carrières longues, c'est leur demander un effort – cet effort, certes, vise à sauver notre système de retraite par répartition et à financer de nouveaux droits, mais il reste un effort.

Demander un effort de plus, c'est parfois aussi bousculer des projets de vie, il faut le dire.

Parler des retraites, c'est en vérité parler du rapport des Français à leur travail, à leur carrière. C'est parler de leur vie, de leur famille, de leurs aspirations.

J'ai eu à maintes reprises l'occasion de rappeler combien est difficile l'exercice qui accompagne un départ à la retraite. Liquider sa pension peut avoir l'air d'un solde de tout compte. L'administration vous demande de faire le point en retraçant et en reconstituant votre carrière ; or se retourner sur sa vie n'est pas toujours chose facile.

Pour certains, ce sont de bons souvenirs, pour d'autres, des moments plus contrastés, et la retraite peut aussi bien arriver comme une délivrance que sonner le rappel de cette mémoire vive.

C'est aussi de ce point de vue que la présente réforme met en question notre rapport au travail et le sens que nous donnons au travail – ces questions, de plus en plus de Français se les posent, parfois non sans angoisse.

C'est donc bien comme ministre du travail, bien conscient de ce rapport personnel à l'existence que le sujet convoque, que je veux vous présenter cette réforme et en débattre avec vous ces prochains jours.

Cette réforme s'inscrit dans la suite de mon action au ministère du travail ; elle pose quelques fondations pour des chantiers qui nous attendent encore.

Elle continue en effet de construire les bases d'une nouvelle société du travail, d'abord impulsée, pour nous en tenir au quinquennat débuté en 2022, par la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat et par la réforme du marché du travail, chantier qui sera prolongé d'ici peu par un nouveau projet de loi, que nous souhaitons ambitieux, pour l'emploi, le travail et la formation, assorti d'un objectif : le plein emploi.

Toutes ces réformes ont en commun un même objectif, que je viens d'énoncer : le plein emploi pour tous, mais aussi le bon emploi pour le plus grand nombre.

C'est la réalisation de cet objectif qui requiert toute notre responsabilité et tout notre courage.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis, à cette tribune, pour souligner la complexité de l'exercice : toute réforme des retraites est difficile. Je le dis en ayant bien en tête qu'ici même vous avez régulièrement éprouvé que décider de pareilles réformes c'est s'exposer à la critique et à la contestation – mais c'est aussi faire preuve de courage. Faire cette réforme, en effet, c'est en avoir le courage, le courage d'affronter les difficultés inhérentes à cette entreprise, que d'autres gouvernements et d'autres majorités n'ont pas nécessairement eu avant nous, ce qui précisément nous invite aujourd'hui à agir, et à agir vite.

Nous le faisons. Nous avançons et nous assumons cette difficulté ainsi que la nécessité de dire quelles contraintes, budgétaires notamment, pèsent sur notre État et sur notre système de protection sociale.

J'ai eu la grande chance d'être maire, député, ministre de la fonction publique, puis du budget ; s'il y a bien une chose qui m'a été rappelée par l'exercice de chacune de ces fonctions, sans équivoque et sans nuance, c'est bien que les équilibres budgétaires fondent notre système et déterminent notre capacité à agir et, plus encore, à permettre à ceux qui nous succèdent de continuer à décider souverainement pour eux-mêmes.

Cette certitude, et cet attachement à l'équilibre budgétaire, je sais que vous êtes très nombreux à les partager. Comme vous, j'en serai le garant, avec mon collègue Gabriel Attal, ministre délégué aux comptes publics.

Bien entendu, nous le savons, les moyens ne sont pas les fins, et vouloir sortir un système du déficit pour le réformer ne signifie pas que l'objet unique de la réforme serait cet équilibre.

Mais, je le répète, toutes les interprétations du monde ne suffiront pas à contourner ce constat simple : le déficit de notre système de retraite est structurel. "Sur les vingt-cinq prochaines années, le système de retraite sera en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus" – j'emprunte leurs mots aux auteurs du dernier rapport annuel du COR.

Se soucier exclusivement de l'évolution des dépenses sans se préoccuper des ressources qui les permettent, ce n'est pas choisir une vision parmi d'autres au sein d'une alternative : c'est assumer une forme d'incurie financière.

Certains, par ailleurs, quand ils reconnaissent l'existence d'un déficit, parviennent encore à s'en satisfaire ou à le relativiser. Pour le coup, cela signifie renvoyer nos responsabilités aux prochaines générations. Le prix du déni, en la matière, c'est la trahison des générations qui, n'ayant pas encore voix au chapitre, ne peuvent décider pour elles-mêmes. Pareille trahison revient aussi à ouvrir la voie à une dénaturation, tôt ou tard, d'un des systèmes de retraite les plus protecteurs qui soient, qui protège les plus fragiles, réduit les inégalités et garantit la solidarité entre générations. Nier ce déficit et nier la nécessité de l'équilibre, en définitive, c'est être myope, et c'est penser que le présent mérite de dévorer l'avenir.

Ce que nous préférons, pour nos retraites – je l'ai dit –, c'est demander un effort à ceux qui le peuvent, comme la majorité sénatoriale le propose d'ailleurs depuis de nombreuses années.

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. Très bien !

Mme Michelle Meunier. Pas nous !

M. Olivier Dussopt, ministre. Le choix qui est le nôtre est ainsi que l'âge légal de départ soit relevé progressivement, pour atteindre 63 ans et 3 mois à la fin du quinquennat, puis 64 ans en 2030. Nous accélérons aussi la mise en œuvre de la réforme Touraine, afin d'atteindre 43 ans de durée de cotisation à la fin du quinquennat. Nous menons ces deux entreprises en maintenant l'âge d'annulation de la décote à 67 ans.

Nous faisons ce choix à un moment de notre histoire où le taux de chômage ne cesse de baisser et où le taux d'emploi bat des records, armés de cette certitude que par le travail, par l'augmentation du volume de travail dans la société, nous pouvons apporter les réponses les plus efficaces et les plus justes.

Nous le faisons aussi en sachant reconnaître au Sénat ce qui a été initialement conçu au Sénat ; je le dis devant Mme la présidente de la commission comme devant M. le rapporteur en pensant à l'amendement traditionnellement adopté par votre assemblée et à votre volonté d'une réforme de courage et d'équilibre, visant à agir sur ces deux leviers, l'âge et la durée de cotisation, sans jamais nier la réalité de l'effort demandé.

Je veux aussi dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'au-delà des initiatives de votre assemblée il y a eu évidemment, avant que nous ne soyons réunis autour de ce texte, d'autres réformes des retraites.

Quel que soit le gouvernement qui en a pris l'initiative, elles ont toutes eu en commun deux choses : avoir relevé l'âge et/ou la durée de cotisation ; ne jamais avoir été remises en cause une fois adoptées, quelles que soient les alternances.

Elles ont toutes eu en outre comme priorité le retour à l'équilibre financier plus que la création de nouveaux droits.

C'est peut-être sur ce dernier point que cette réforme se distingue : améliorer le système et financer des droits nouveaux dans une ampleur sans précédent. Nous demandons de travailler plus pour produire plus et, en retour, pour retrouver l'équilibre et financer de nouveaux droits.

Je le redis inlassablement : améliorer sans équilibrer serait irresponsable, équilibrer sans améliorer serait injuste. C'est pourquoi nous voulons faire les deux.

De fait, sur les 18 milliards d'euros que génère la mesure d'âge en 2030, un tiers, c'est-à-dire 6 milliards d'euros, sera consacré à des mesures de justice et de solidarité.

C'est d'ailleurs précisément ce qui fonde la justification d'une telle réforme dans un budget rectificatif de la sécurité sociale. L'effet des différentes mesures, en dépenses comme en recettes, sur les branches vieillesse et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) justifie pleinement leur recevabilité dans ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), au titre de leur impact sur les comptes sociaux dès 2023.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai dit un peu vite, il y a un instant, que cette réforme était une évidence, mais il est vrai que cette évidence est parfois contestée.

Fort heureusement pour nous qui la défendons, il n'y a pas de meilleur moyen de s'en convaincre que de faire le tour des solutions de remplacement qui lui sont opposées : elles se heurtent toutes à un mur de contradictions.

Certains ont proposé, dans une nostalgie qui ne trompe personne, de revenir à la retraite à 60 ans, mais sans toucher aux 43 annuités pour avoir le taux plein. C'est à n'y rien comprendre, sauf à penser que le projet derrière cette demande est de mettre les Français au travail le plus tôt possible ou de leur proposer un système qui soit une machine à décotes, une machine à petites pensions et, donc, une machine à pauvreté.

D'autres proposent de revenir à 60 ans, avec 40 annuités, comme vingt ans en arrière, en diminuant la durée de cotisation. C'est en réalité nous condamner collectivement à chercher 85 milliards d'euros de financement chaque année. Bon courage dans cette entreprise ! (Mme Éliane Assassi et M. Pierre Laurent protestent.)

À moins de vouloir ruiner un quinquennat de restauration de notre compétitivité, à moins de vouloir peser sur le pouvoir d'achat des Français, à moins de vouloir asseoir notre système sur l'imposition de profits aléatoires, je ne vois pas quel est l'avenir raisonnable de ce projet mortifère, qui a d'ailleurs été critiqué, encore cette semaine, par une partie de ceux-là mêmes qui en font la proposition.

D'autres contradictions sont plus graves, car elles disent tout du manque de sérieux de ces projets alternatifs. Quel sens cela a-t-il de nier la réalité des déficits tout en prévoyant des dizaines de milliards de recettes en plus pour y répondre ou de penser défendre l'égalité en défendant les régimes spéciaux ? (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. David Assouline. Parlons des bénéfices de Total !

M. Olivier Dussopt, ministre. Vous l'avez compris, nous n'emprunterons pas de tels chemins, aussi escarpés que sans issue. C'est donc une réforme d'équilibre et une réforme équilibrée,…

Mme Monique Lubin. D'un seul côté !

Mme Corinne Féret. Une réforme injuste !

M. Olivier Dussopt, ministre. … qui répartit l'effort que nous demandons de la manière la plus juste possible.

Mme Corinne Féret. Non, injuste !

M. Olivier Dussopt, ministre. La réforme que nous présentons est d'abord une réforme soucieuse de justice. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Travailler plus longtemps, oui, mais pas pour tout le monde et pas de la même manière.

Nous allons conserver et améliorer le dispositif des carrières longues, en le rendant plus juste,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. N'importe quoi !

M. Olivier Dussopt, ministre. … plus lisible, et en l'élargissant aux périodes de congé parental.

Nous apportons également une réponse aux carrières très longues, en permettant aux travailleurs ayant commencé avant 18 ans de partir quatre ans avant l'âge légal.

Nous le faisons en préservant les dispositifs déjà prévus pour ceux qui ont débuté avant 20 ans. Si vous l'acceptez, nous vous proposerons d'inclure ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans, comme l'a évoqué la Première ministre devant l'Assemblée nationale.

Ces améliorations ne pourront pas pour autant dénaturer le système, dont le principe fondamental est que la durée de cotisation est un minimum, un plancher, sans jamais avoir été un plafond.

Nous vous proposons un système plus juste, qui est également un système qui prend mieux en compte les travailleurs les plus fragiles, les victimes d'accidents et de maladies professionnelles. Les travailleurs handicapés pourront toujours partir à la retraite à 55 ans et les travailleurs invalides ou inaptes percevront toujours une retraite à taux plein dès 62 ans, comme c'est le cas aujourd'hui.

Dans le même temps, nous maintenons aussi le dispositif de départ anticipé à 50 ans pour les salariés exposés à l'amiante.

Nous vous proposons aussi de mettre ce texte à profit pour compléter les lois dites Chassaigne, du nom du président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, en particulier la première, en considérant comme complète la carrière des exploitants agricoles interrompue avant son terme pour inaptitude ou invalidité.

Cette condition d'une carrière complète est exigée pour bénéficier de la pension minimale ; l'aménagement proposé permettra à 45 000 exploitants à la retraite d'en bénéficier, avec une revalorisation d'environ 80 euros par mois.

Concernant les aidants, nous créons une assurance vieillesse pour eux, qui viendra compenser les interruptions de carrière par l'attribution de droits nouveaux.

Nous veillons ainsi à tenir compte des particularités des parcours comme de la difficulté des métiers exercés.

Cette réforme est par ailleurs une réforme de progrès, qui ouvre de nouveaux droits.

Nous entendons d'abord améliorer la prise en compte de la pénibilité, notamment l'usure liée aux conditions d'exercice de certains métiers.

L'accès et les droits acquis avec le compte professionnel de prévention (C2P) seront considérablement renforcés avec un abaissement des seuils, une meilleure prise en compte des salariés "poly-exposés" et la création de nouvelles utilisations possibles.

Nous créerons notamment un congé de reconversion afin d'éviter l'enfermement dans des métiers difficiles sans perdre en rémunération.

Nous demanderons également aux branches de négocier des accords de prévention de l'usure professionnelle pour les métiers identifiés comme difficiles par les instances de la sécurité sociale, notamment la branche AT-MP, afin de tenir compte de l'exposition aux critères ergonomiques de port de charges lourdes, de postures pénibles ou de vibrations.

Pour accompagner ce suivi et financer ces mesures, nous créerons un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, doté de 1 milliard d'euros sur les cinq prochaines années.

Pour les travailleurs les plus exposés à la pénibilité, nous renforcerons le suivi médical à compter de 45 ans afin de garantir la possibilité de départs anticipés quand c'est nécessaire. Nous prévoirons également une visite à 61 ans et, entre les deux, un rythme de visites défini par les branches professionnelles et par le dialogue social.

Cette réforme est donc la promesse à celles et à ceux qui ont des métiers difficiles de partir en meilleure santé. Nous voulons ajouter à ces progrès relatifs à la prise en compte de l'usure d'autres progrès concernant, notamment, les petites pensions.

Ainsi, conformément à l'engagement du Président de la République, nous revaloriserons de 100 euros la retraite minimale de nos compatriotes ayant eu une carrière complète au niveau du Smic, pour les retraités de demain comme pour ceux d'aujourd'hui. (Marques d'ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. À taux plein !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Vaste blague !

M. Olivier Dussopt, ministre. Comme l'a rappelé le Président de la République depuis sa campagne, et comme je le dis depuis le début, cette mesure concerne les carrières complètement cotisées, c'est-à-dire complètes, à taux plein. J'insiste sur ce point, car il s'agit non seulement d'une mesure forte pour valoriser le travail, mais aussi d'une défense de la nature de notre système.

Valorisation du travail, d'une part, qui ne doit pas se confondre avec une politique de minima sociaux, car comme je l'explique à ceux qui soulèvent cette question et qui comprennent l'argument, on ne peut pas imaginer un système de retraite qui distribue des pensions très supérieures aux salaires perçus pendant la carrière.

Défense de la nature de notre système, d'autre part, car il est important d'entretenir une saine différence entre l'assurance contributive et le minimum de pension. La retraite est une assurance, le minimum vieillesse est un minimum social : ce sont deux instruments différents pour deux objectifs distincts.

Pour les retraités actuels, environ 1,8 million d'entre eux bénéficieront de cette revalorisation. Pour la moitié d'entre eux, soit 900 000 personnes, cette revalorisation sera comprise entre 70 et 100 euros. (Mme Corinne Féret en doute.)

Pour les futurs retraités – il y en a 800 000 par an –, ce sont 200 000 d'entre eux qui bénéficieront d'une pension meilleure qu'avant la réforme grâce à ce système de pension minimale.

Beaucoup l'avaient réclamé depuis vingt ans lorsque le principe des 85 % du Smic a été inscrit dans la loi, mais aucune majorité ni aucun gouvernement ne l'avait concrétisé, personne n'avait prévu de système d'indexation. C'est ce à quoi nous voulons aujourd'hui apporter une réponse.

Enfin, cette réforme est une réforme d'équité, et j'en viens à la question des régimes spéciaux.

Les régimes spéciaux ont leur histoire. Ils avaient leur raison d'être,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils étaient les pionniers !

M. Olivier Dussopt, ministre. … mais pour la plupart d'entre eux ils ne se justifient plus.

Mettre un terme à ces différences dont notre système a hérité au fil du temps, c'est aussi avoir le courage que peu de personnes ont eu avant nous. Il s'agit d'effacer des différences devenues incompréhensibles et de faire preuve de responsabilité.

Personne ne comprend plus pourquoi des agents de conduite partent en moyenne à un peu plus de 56 ans en région parisienne contre 62 ans dans d'autres régions. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Nous devrons naturellement accompagner financièrement les régimes fermés progressivement à l'occasion des textes financiers de l'automne 2023. Je le dis très clairement : nous assurerons la soutenabilité des caisses de retraite, comme nous l'avons déjà fait pour la SNCF.

Les nouveaux employés des entreprises concernées seront affiliés au régime général de l'assurance vieillesse à partir du 1er septembre 2023. Dans le même temps, les salariés actuels continueront à bénéficier du régime spécial en matière d'assurance vieillesse, mais chaque entreprise devra négocier une période de convergence à l'issue de laquelle les âges spécifiques d'ouverture des droits seront relevés eux aussi de deux ans. C'est un point important, qu'il convient de souligner ici.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales caractéristiques du texte que je vous présente. Place au débat désormais.

L'examen à l'Assemblée aura permis d'entendre de nouvelles demandes, sans permettre de les discuter pour autant.

Je pense aux mesures pour les pompiers volontaires, les enseignants, les apprentis. Je pense aussi à la situation de Mayotte ou encore aux possibilités de rachat de trimestres de stages ou d'études. Je soutiendrai les amendements allant en ce sens ; le Gouvernement en a d'ailleurs déposé quelques-uns.

Cependant, nous devons aller plus loin, dans la continuité des discussions en commission des affaires sociales. Nous l'avons dit avec la Première ministre, le Gouvernement souhaite, vous le savez, ouvrir un débat sur les droits familiaux.

C'est un sujet complexe, car sensible, appuyé sur des inégalités entre les statuts, et qui porte sur un système pensé initialement pour compenser des trimestres non cotisés alors même que la progression du taux d'emploi des femmes a changé la nature de ces trimestres : ils viennent désormais s'ajouter à ceux qui ont été cotisés sur la même période.

Nous devons veiller à ce que notre système de retraite soit fidèle à notre époque, notamment pour les mères de famille. Il apparaît que la problématique est non plus tant celle des interruptions de carrière qu'elles subissent, comme cela l'a été et l'est encore parfois, que celle de l'accès à la promotion et à l'égalité professionnelle.

Les conclusions de ce débat sur les droits familiaux, à la fois en matière de maternité, d'éducation des enfants, de pension de réversion, trouveront leur place dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, mais cela ne doit pas nous empêcher d'avancer et d'apporter de premières réponses. Je pense à deux sujets en particulier.

Le premier doit nous permettre d'aller plus loin dans la compensation en matière de valorisation des pensions des écarts de salaires, dont une large partie est due aux interruptions. C'est tout le sens du dispositif de surcote à partir de 63 ans que votre commission des affaires sociales a adopté et que nous regardons avec beaucoup d'intérêt, car il répond à un certain nombre de nos priorités, même si nous restons attachés à l'équilibre financier du système.

Le second concerne une initiative du président Bruno Retailleau visant à créer un dispositif spécifique de pension de réversion des orphelins, notamment en faveur de ceux en situation de handicap. Le Gouvernement soutient également cette mesure.

Voilà donc, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme que nous vous proposons, voilà comment elle s'inscrit dans notre projet politique. Vous savez où nous voulons aller, vous savez comment nous voulons y aller. Avec cette réforme, nous prenons nos responsabilités, pour nous et pour les autres.

Je compte sur les débats du Sénat pour améliorer et enrichir ce texte. Soyez assurés que vous trouverez auprès du Gouvernement une oreille toujours attentive à l'ensemble de nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault ainsi que Mme Évelyne Perrot applaudissent également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la branche vieillesse, madame la rapporteure pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà, mon collègue ministre du travail et moi-même, devant le Sénat et devant les sénateurs pour présenter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale qui réforme nos retraites.

À l'orée de ces débats, je voudrais vous dire que nous venons devant vous avec un objectif simple : construire un compromis clair pour les retraites des Français. (Marques d'ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Fabien Gay. Un compromis ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je le répète, l'objectif du Gouvernement et de la Première ministre est qu'à l'issue de nos discussions nous puissions trouver un compromis pour payer les retraites des Français, sans impôt en plus ni retraite en moins.

Nous voilà devant vous cet après-midi et c'est, j'allais dire, le cycle naturel…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Constitutionnel !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … des lois financières : après l'Assemblée nationale, vient le temps du Sénat.

M. Bernard Jomier. C'est donc bien une loi financière.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je sais qu'ici, par-delà les divergences politiques, on s'écoute. (Murmures sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Je sais qu'ici, par-delà les oppositions de fond, on débat. (Murmures ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Je sais qu'ici, par-delà les parcours de chacun, on se respecte.

Je sais qu'ici il n'y a pas de ZAD, il n'y a que la République ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Je serais donc tenté d'espérer qu'après le vacarme et l'obstruction des extrêmes s'ouvre en cet instant le temps de la sagesse et de la raison.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quel mépris pour les députés ! (Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie ainsi que M. David Assouline renchérissent.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Car je souhaite poser une question et une seule : des cent heures de débat à l'Assemblée nationale, en commission et dans l'hémicycle – soit davantage de temps que pour les réformes précédentes –, qu'est-il sorti de bon pour les Français du point de vue de ceux-là mêmes qui s'arrogeaient le monopole de leur défense et qui ont tout fait pour retarder les débats ?

M. Emmanuel Capus. Rien !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Au fond, chacun apportera la réponse qu'il souhaite, même si je crois que les Français se sont malheureusement fait leur avis et qu'ils ne nous ont pas attendus pour cela. (Marques d'irritation sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mmes Cathy Apourceau-Poly et Raymonde Poncet Monge. Ça, c'est sûr !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Si je pose cette question, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n'est pas uniquement pour dénoncer une nouvelle fois ce qui a pu se passer.

Si je pose cette question, c'est parce qu'elle est la seule qui vaille d'être posée et parce qu'elle résume à elle seule notre unique boussole et, au fond, ce qui doit nous réunir : l'intérêt général et celui des Français.

Pour moi, l'intérêt général et l'intérêt des Français en matière de retraite tiennent en quatre points clairs.

Premier point : pouvoir payer sereinement les retraites de bientôt 20 millions de retraités en France.

Deuxième point : ne pas faire perdre 1 euro de pouvoir d'achat aux Français,…

Plusieurs sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST. C'est raté !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il ne fait que baisser !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … et donc exclure toute hausse d'impôts ou toute baisse des pensions.

Troisième point : équilibrer notre système de retraite en travaillant donc globalement un peu plus longtemps.

Quatrième point, enfin : prendre en compte la situation de chacun pour que la réforme soit équilibrée sur le plan budgétaire, je l'ai dit, mais qu'elle répartisse aussi équitablement l'effort demandé aux Français. (M. Bernard Jomier s'exclame.)

Voilà l'approche cohérente qui est la nôtre et que nous soumettons à votre examen.

Voilà le cadre qui est le nôtre et auquel nous ne dérogerons pas, mais au sein duquel nous sommes ouverts au compromis.

Voilà ce qui nous semble être des conditions raisonnables pour œuvrer ensemble au service de l'intérêt général. En l'espèce, l'intérêt général, cela signifie permettre à chaque Français, le temps venu, de compter sereinement sur la retraite à laquelle il a droit. Ni plus ni moins !

Voilà ce qui est en jeu : préserver nos retraites, non par dogme ou par réflexe, mais par bon sens. Une vie de travail, à la fin, on doit en voir les fruits. Et le fruit d'une vie de travail, pour l'immense majorité des Français, c'est leur pension de retraite, qui leur permet de financer leur mode de vie auquel ils n'ont aucune envie de renoncer.

Au fond, c'est cela la classe moyenne, à savoir tous les Français qui n'ont que leur travail pour vivre. Cette classe moyenne qui a trop souvent le sentiment de travailler pour d'autres qui, eux, font le choix de ne pas travailler. (Protestations indignées sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Bernard Jomier. Lamentable !

M. Fabien Gay. Honteux !

Mme Laurence Rossignol. C'est de la provocation !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Si l'on ajoute à cela le fait de travailler dur pour une retraite qui, en plus, diminuerait, ces Français perdront définitivement foi en l'action publique.

Alors c'est pour eux que nous agissons, c'est pour eux que nous nous sommes engagés dans cette bataille, c'est pour eux que nous vous présentons ce texte. Et c'est pour eux, mesdames, messieurs les sénateurs, que je souhaite lancer un appel. Loin des polémiques, engageons-nous dans ce débat sans faux-semblants ni postures politiques. (Murmures accentués sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Rémi Féraud. Et sans cynisme !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. J'adresse un appel au compromis entre la majorité sénatoriale, qui incarne la volonté d'une réforme, et la majorité présidentielle, qui porte la responsabilité de la réforme.

J'adresse un appel à la cohérence : la majorité sénatoriale a tant voulu cette réforme, et l'a votée de nombreuses fois.

Mme Raymonde Poncet Monge. C'est la sienne !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. J'adresse un appel à la responsabilité : augmenter les impôts pour financer les retraites n'est pas la bonne solution. Car, à la fin, il y en a toujours un qui paye : il s'appelle le contribuable.

J'adresse donc cet appel au Sénat : discutons, amendons, débattons, mais, à la fin, votons ce texte. Votons-le, car garantir aux Français que leurs retraites seront payées n'est ni de droite, ni du centre, ni de gauche. C'est tout simplement œuvrer pour l'intérêt général. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Fabien Gay. C'est de droite !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cet appel n'est ni idéaliste ni déconnecté des réalités politiques à l'œuvre au Parlement. En effet, la progression des débats dans le pays a permis de trouver des points de convergence (M. Fabien Gay proteste.) qui rendent possible ce compromis. Je souhaite les partager brièvement avec vous.

Tout d'abord, premier point de convergence politique qu'il me semble intéressant de noter, plus personne ne remet en question le problème de financement de nos retraites.

Mme Laurence Rossignol. Si !

Mme Monique Lubin. Mais si !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. S'il est un progrès permis par le débat à l'Assemblée nationale, c'est d'avoir vu la partie gauche de l'hémicycle, la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), reconnaître enfin qu'il y a un problème de financement pour notre système de retraite, comme l'ont dit plusieurs de ses députés. (Protestations sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)

Les faits sont là et ils sont têtus : en 2002, notre sécurité sociale devait payer la retraite de 12 millions de retraités ; en 2030, elle devra payer la retraite de 20 millions de retraités, soit un quasi-doublement en une génération. Quel pays pourrait absorber ce choc sans rien faire ? Aucun ! Et d'ailleurs, tous les pays européens ou presque ont réformé leurs retraites. (M. Pierre Laurent, Mme Michelle Gréaume et M. David Assouline protestent.)

M. Mickaël Vallet. Tant pis pour eux !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. C'est un premier point d'accord qui me paraît essentiel.

Je tiens, à cet égard, à saluer la qualité des travaux conduits par Catherine Deroche, Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet dans cette assemblée. Ils témoignent d'une volonté sincère d'affronter les problèmes et vous nous trouverez toujours à vos côtés pour cela.

Mme Raymonde Poncet Monge. Ça, c'est sûr !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ensuite, le contexte social du pays nous oblige tous, collectivement. Notre avertissement est clair : enlever 1 euro de pouvoir d'achat aux Français qui travaillent ou aux retraités serait d'une injustice presque cynique. Nous nous y opposerons de toutes nos forces, comme nous l'avons fait à l'Assemblée nationale où les propositions en matière de taxes, d'impôts, de cotisations, ont été nombreuses.

On nous a proposé de taxer les heures supplémentaires alors même qu'un ouvrier sur deux dans notre pays en fait. On nous a proposé de taxer les petites successions dans notre pays : 80 % des successions sont aujourd'hui exonérées d'impôt, les amendements venus de la Nupes nous proposaient de taxer toutes les successions, dès le premier euro, y compris les petites successions à 30 000 ou 40 000 euros. (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. C'est faux !

M. Étienne Blanc. Quel scandale !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Qu'aurions-nous dit aux Français qui ont travaillé toute leur vie et dont le travail a été taxé ? Le fruit de ce labeur devrait-il être de nouveau taxé au moment de la succession ?

On nous a proposé d'augmenter les charges pour les petits artisans, les petits commerçants et les petits chefs d'entreprise : 700 euros de plus de charges pour un salarié au Smic ! (Exclamations continues sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Voilà ce qui était proposé à l'Assemblée nationale !

MM. Fabien Gay et Mickaël Vallet. Les cotisations, pas les charges !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Cela signifie qu'un boulanger employant trois salariés au Smic aurait dû en licencier un pour payer les charges des deux autres ! Voilà exactement ce qui était proposé par amendements ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Marques d'approbation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Mais je constate que ces propositions ont aussi leurs défenseurs au Sénat…

Notre conviction, c'est que c'est le travail qui crée la richesse, pas les nouveaux impôts. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – Protestations continues sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Enfin, notre système actuel est injuste et il faut le corriger : pour les travailleurs qui ont des métiers pénibles et qui arrivent cassés à la retraite ; pour les femmes, dont les spécificités de carrière, en lien notamment avec la maternité et l'éducation des enfants, mais également avec des inégalités de rémunération, ne sont pas assez prises en compte au sein même du système de retraite ; pour les petites retraites, qui sont trop basses et que nous voulons revaloriser. (Mme Laurence Cohen s'exclame.)

Voilà, en toute transparence, les points d'accord qui sont, je crois, largement partagés sur ces travées et qui rendent possible la perspective d'un compromis. (Marques d'ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) C'est en tout cas ce que j'espère. Nous y sommes prêts, pour notre part. Notre volonté est réelle, elle est sincère, elle est entière.

Mais je suis lucide : si l'Assemblée nationale a été la chambre des divergences brutales, je ne crois pas que le Sénat sera pour autant celle des convergences miraculeuses. (Mêmes mouvements.) Car un compromis se construit à certaines conditions : la discussion dans laquelle nous nous engageons, la capacité à faire évoluer notre projet, nous la démontrons, mais le compromis se construit aussi par la cohérence que les Français attendent de nous tous.

Je rappelle que, si les parlementaires qui soutiennent depuis des années une réforme des retraites par le recul progressif de l'âge légal de départ à la retraite répondent à l'appel que nous lançons, alors voter une réforme serait non seulement possible, mais aussi logique !

En matière de retraite, la majorité sénatoriale a en effet incontestablement le mérite de la constance. Je ne doute pas qu'elle aura aussi celui de la cohérence. Puisqu'elle vote chaque année en PLFSS des mesures visant à assurer l'équilibre de la branche vieillesse, le projet du Gouvernement et celui que cette majorité sénatoriale défend de longue date sont proches.

Je pense, notamment, au report de l'âge légal de départ à 64 ans et à l'accélération de l'allongement de la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein, autant de mesures contenues dans l'article 7 de ce PLFRSS.

Je tiens d'ailleurs à saluer cet esprit de responsabilité dans un jeu politique où, malheureusement, de trop nombreux responsables choisissent parfois d'ignorer le danger qui pèse sur nos finances publiques.

En bref, je crois à un compromis possible au Sénat. J'y crois et je l'appelle de mes vœux, car ce serait œuvrer démocratiquement à l'intérêt général. Je le dis, la force du compromis vaut toujours mieux que le fait accompli.

L'intérêt général, je l'ai souligné, c'est de payer sereinement les pensions de bientôt 20 millions de retraités. Pour cela, l'équilibre financier est indispensable et n'est donc pas négociable. Le menacer n'est pas une option. Je dis bien que cet équilibre est indispensable, car ce n'est pas une variable d'ajustement de la réforme : l'équilibre financier n'est pas secondaire, c'est le moteur de cette réforme puisqu'il s'agit de pouvoir continuer à payer chaque mois les pensions de bientôt 20 millions de retraités dans notre pays.

Parlons donc équilibre financier quelques instants, mesdames, messieurs les sénateurs. Ma responsabilité de ministre des comptes publics, c'est de dire la vérité sur les chiffres et, donc, sur le potentiel impact budgétaire des mesures votées par le Parlement.

Le texte venant de l'Assemblée nationale qui vous a été transmis – au sens textuel du terme – est à l'équilibre. Un certain nombre de mesures, discutées et votées en commission, auront un coût pour notre système de retraite. Je sais que nous recherchons tous l'équilibre du système et que nous ne souhaitons pas alourdir davantage les déficits. Il faut que nous puissions en discuter de façon approfondie et sereine au cours de nos débats.

Je pense d'abord à l'amendement visant à permettre aux assurés ayant obtenu au moins un trimestre de majoration de durée d'assurance au titre de la maternité, de l'adoption ou de l'éducation des enfants et justifiant d'une carrière complète à 63 ans de s'ouvrir des droits à surcote sans devoir attendre d'atteindre l'âge de 64 ans. Nous aurons évidemment ce débat, mais la Première ministre a rappelé notre ouverture par rapport à des mesures de bonification pour les femmes et qui contribueraient à gommer les écarts dans le niveau des pensions. Les évaluations sont en train d'être affinées, mais le coût d'une telle mesure est évidemment très important.

S'agissant de la proposition de maintenir à 60 ans l'âge minimum de départ à la retraite anticipée pour incapacité permanente, elle représente, combinée aux ajustements permettant à davantage d'assurés d'être éligibles à ce dispositif présentés dans le texte initial, un surcoût de plus de 250 millions d'euros à l'horizon de 2030, dont 100 millions d'euros pour le système de retraite.

Je pense aussi à l'amendement prévoyant le maintien de l'âge d'éligibilité à la retraite progressive à 60 ans, au lieu de son report à 62 ans, qui coûte un peu plus de 100 millions d'euros en 2030.

S'agissant des mesures visant à favoriser le recrutement des seniors, la commission des affaires sociales a proposé la création d'un "contrat de fin de carrière". Ouvert aux salariés d'au moins 60 ans, ce contrat à durée indéterminée serait exonéré de cotisations famille.

Par ailleurs, le dispositif prévoit la possibilité pour l'employeur de mettre à la retraite le salarié si ce dernier remplit les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein. L'idée est d'inciter l'employeur à recruter des seniors et à les maintenir dans l'entreprise jusqu'à ce que ces derniers puissent liquider leur pension.

Là encore, si je comprends l'intention des rapporteurs, je souhaite alerter sur le coût considérable d'une telle mesure, qui pourrait avoisiner les 800 millions d'euros selon une première estimation provisoire – nous aurons l'occasion d'en débattre. Il faut par ailleurs noter qu'il existe un risque d'effet de seuil.

Si j'additionne les coûts de chacune de ces mesures, en ne retenant que celles dont les conséquences financières sont les plus importantes, l'équilibre de notre système à l'horizon de 2030 s'éloigne indubitablement. Je le dis très clairement : nous souhaitons pouvoir respecter cet équilibre. Soyons clairs, parler de dépenses supplémentaires n'a jamais été un tabou, mais si nous perdons de vue l'équilibre financier du régime de retraite une réforme serait non seulement vaine, mais surtout contre-productive.

L'équilibre financier n'est évidemment pas une fin en soi,…

M. David Assouline. Alors ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … mais il n'est pas pour autant accessoire ! C'est une condition indispensable à ce que nous voulons faire : permettre qu'une vie de travail donne droit à une retraite décente.

Enfin, puisque j'ai aussi vu dans vos amendements des propositions en ce sens, je souhaite dès le début de nos débats vous rendre compte des progrès que nous accomplissons en matière de lutte contre la fraude.

Grâce à la mesure que vous avez adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, les caisses d'assurance vieillesse ne verseront plus l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) à compter de juillet prochain sur des comptes bancaires étrangers. Cette disposition, que j'avais proposée à l'Assemblée nationale, devait entrer en vigueur au 1er janvier 2024, mais à la suite d'un amendement sénatorial elle a été avancée au 1er juillet 2023.

Ces mêmes caisses de sécurité sociale auront accès – enfin ! – au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) pour lutter non seulement contre la fraude à la résidence, mais aussi contre les fraudes à l'usurpation d'identité. J'ai eu l'occasion il y a quelques jours de communiquer sur le bilan des fraudes en 2022 : nous avons notamment démantelé un réseau de fraude aux relevés d'identité bancaire (RIB) lituanien pour les caisses d'allocations familiales. Évidemment, nous devons continuer à agir pour mieux renforcer le contrôle de l'identité.

Concernant les pensions versées à l'étranger, qui concernent 1,1 million de retraités, dont 510 000 en Europe et 440 000 dans les pays du Maghreb, nous avons également renforcé nos contrôles. Nous prévoyons en outre de déployer dès les prochains mois des outils biométriques pour permettre aux assurés volontaires de procéder au contrôle d'existence. Un décret en ce sens est en cours d'examen par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et sera publié au cours des prochaines semaines.

Soyez assurés que, compte tenu de l'ampleur du déficit pour nos retraites, nous prenons toutes les mesures de lutte contre la fraude pour assurer le paiement au juste droit (M. Sébastien Meurant s'en félicite. – M. Mickaël Vallet proteste.) et ne pas ajouter au déficit structurel un déficit imputable aux fraudeurs.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques-uns des débats que nous devrons avoir. Je sais que nous serons à la hauteur de ce qu'attendent nos compatriotes et de l'idée qu'ils se font du débat parlementaire. J'essaierai, pour ma part, de faire preuve d'écoute et d'ouverture pour construire avec vous un système de retraite plus juste et plus soutenable. (Marques d'ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. D'ouverture à droite !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. En introduction de mon intervention, je vous lançais un appel, un appel pour agir afin de payer nos retraites, un appel pour échanger et nous entendre, un appel pour un compromis politique au service des Français.

Mais s'il est un appel que nous devons entendre, c'est celui des Français, qui, au cours des débats auxquels ils ont assisté, se sont parfois demandé si, au fond, cela valait la peine d'avoir des débats. (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) Ils ont trop souvent eu le sentiment de n'être ni entendus ni défendus, y compris par ceux qui s'opposent à cette réforme !

À nous de leur prouver le contraire. Discutons et avançons pour eux ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)


source http://www.senat.fr, le 8 mars 2023