Texte intégral
ALI BADDOU
Dans le " Grand entretien ", ce matin, avec Marion L'HOUR nous recevons le ministre de la Justice et garde des Sceaux, numéro 2 du gouvernement. Vos questions, chers auditeurs, vos réactions, vos questions sur la justice et l'état de droit en France au 01 45 24 7000 ou l'application d'Inter. Bonjour Didier MIGAUD.
DIDIER MIGAUD
Bonjour.
MARION L'HOUR
Bonjour.
ALI BADDOU
Merci d'avoir choisi France Inter pour prendre la parole. Une parole qui est attendue. Vous avez été nommé au gouvernement dans un poste stratégique, dans un contexte explosif, au moment Didier MIGAUD où la justice elle-même est en accusation. Rien ne vous prépare à cette situation.
DIDIER MIGAUD
Pourquoi ?
ALI BADDOU
Parce qu'en l'occurrence, la justice, c'est 70 à 80% des Français qui jugent qu'elle est trop laxiste, qu'il faut encore durcir le droit pénal. Et je ne vais pas vous apprendre qu'un certain nombre de vos collègues au gouvernement pensent la même chose.
DIDIER MIGAUD
Il y a des situations tout à fait objectives, comme sur l'exécution des peines qui a beaucoup progressé, comme le nombre de personnes qui aujourd'hui sont détenues en prison. Mais je sais que c'est in-entendable pour le citoyen. Surtout…
ALI BADDOU
Vous êtes inaudible, vous avez conscience que le discours que vous portez est inaudible ?
DIDIER MIGAUD
Je souhaite convaincre les citoyens qu'il faut faire confiance dans la justice. Et comme garde des Sceaux, ce sera à moi effectivement de veiller à ce que la justice puisse avoir les moyens de fonctionner. Je serai toujours le défenseur de l'Etat de droit, toujours le défenseur de la justice, toujours le défenseur des magistrats, sans être complaisant vis à vis de manquements qui peuvent effectivement intervenir.
ALI BADDOU
On va en parler, mais on vous a reproché votre silence ces derniers jours, votre silence pour désigner des responsables dans des cas comme celui du meurtre et du viol de la jeune Philippine, on va en parler. On vous a reproché aussi de ne pas suffisamment soutenir les magistrats et ceux qui font fonctionner la justice en France. Pourquoi vous vous êtes tus, Didier MIGAUD ?
DIDIER MIGAUD
C'est je crois injuste. Vous savez que le garde des Sceaux ne peut pas intervenir dans le cadre d'une procédure individuelle. Ça ne m'empêche pas de ressentir aussi fortement que les citoyens, l'émotion devant une telle situation. C'est une tragédie. Ma dernière fille, elle a l'âge de la victime. Donc vous vous rendez compte que je peux imaginer le drame que ça peut représenter pour la famille. Et je lui exprime bien évidemment toute ma sympathie. Alors qu'est-ce que je dois faire ? Essayer de travailler justement pour voir si la réglementation, si la législation est adaptée en toutes circonstances pour faire en sorte d'éviter ce type de situations et ce type de drame. Et là, je dois travailler avec le ministre de l'Intérieur. C'est ce que nous efforçons de faire d'ailleurs depuis quelques jours pour faire face à cette situation. Mais je comprends que l'émotion est telle qu'elle submerge bien évidemment tous les discours objectifs que nous nous efforçons de…
ALI BADDOU
Donc vous ... l'idée qu'il y a eu défaillance de l'institution judiciaire dans l'affaire qui a amené au meurtre de la jeune Philippine ?
DIDIER MIGAUD
Mais c'est une décision individuelle, vous savez que je n'ai pas à la commenter, donc je ne la commenterai pas. Je vais regarder si les procédures sont totalement adaptées face à ce type de situation pour, avec mon collègue de l'Intérieur, éventuellement proposer les modifications nécessaires. On doit ressentir. Pour moi, c'est un sentiment d'échec. Bien évidemment, quand on est confronté à ce type de situation, c'est évident. Donc comment faire en sorte que ce type de situation ne puisse pas se reproduire ? Et ça, ce sera de ma responsabilité avec le ministre de l'Intérieur et l'arbitrage du Premier ministre par rapport à un certain nombre de propositions que nous pourrons, lui formuler. Mais bien évidemment que c'est inacceptable.
MARION L'HOUR
Vous avez prononcé le mot de manquement, Didier MIGAUD, en tout cas, l'affaire Philippine, le viol et le meurtre de cette étudiante y font débat, notamment à cause des lenteurs qui ont conduit à remettre en liberté sur le territoire français le principal suspect qui était sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français. On comprend que vous ne voulez pas commenter le cas individuel, l'affaire individuelle. Mais Emmanuel MACRON lui-même, hier, a exprimé l'émotion de toute la Nation. Il parle d'un crime odieux et atroce. Il dit : " Il faut chaque jour mieux protéger les Français ". Ça veut dire quoi ? Mieux protéger les Français.
DIDIER MIGAUD
C'est évident que de telles situations ne restent pas impunies. Je suis conscient de ce que la justice doit toujours s'exercer dans la sérénité nécessaire. Le temps de la justice n'est pas le temps de l'émotion. Donc il faut pouvoir, bien évidemment, analyser en toute objectivité, en toute sérénité, une situation. Mais on doit pouvoir gagner en rapidité. Bon, et je suis tout à fait conscient…
ALI BADDOU
Mais à ceux qui vous disent : " Philippine n'aurait pas dû mourir ", c'est le cas de Fabien ROUSSEL, c'est le cas d'autres, de l'autre bord politique, elle n'aurait pas dû mourir, est-ce qu'aujourd'hui, vous cherchez à pointer du doigt un responsable ou une responsabilité ?
DIDIER MIGAUD
Bien sûr, elle n'aurait pas dû mourir, écoutez, ce type… J'entends, bien sûr ce qui est dit. Moi aussi, c'est mon réflexe. Quand je vous dis : est-ce qu'il y a eu des manquements individuels ?
MARION L'HOUR
Administratifs ou juridiques ?
DIDIER MIGAUD
C'est ce qu'il faut que nous regardions avec le ministre de l'Intérieur. Est-ce que les textes, par exemple, sont suffisamment clairs pour apprécier, pour que le juge puisse apprécier si la personne doit rester en détention ? Bon, mais vous avez de… La personne ne peut pas rester en détention de façon illimitée. Vous avez… Nous sommes un Etat de droit, iI y a un certain nombre de règles qui s'impose, donc il faut voir si au niveau des procédures, si au niveau des règles, quand il s'agit de renouveler par exemple une quatrième possibilité, de sortir de la détention, il faut regarder s'il n'y a pas des choses à ajuster pour faire en sorte que ce type de situation n'arrive pas. Bien évidemment que ce crime est odieux, bien évidemment que Philippine n'aurait pas dû mourir.
MARION L'HOUR
Donc vous êtes d'accord en fait avec votre collègue, Bruno RETAILLEAU, qui dit qu'il faut faire évoluer l'arsenal juridique ?
DIDIER MIGAUD
A partir d'un constat objectif, oui, il peut être possible de faire évoluer l'arsenal juridique.
MARION L'HOUR
Donc, on a mal compris quand on a eu l'impression qu'il y avait un désaccord entre vous, notamment sur le laxisme supposé de la justice ?
DIDIER MIGAUD
Mais je ne peux pas être d'accord. Le garde des Sceaux ne peut pas être d'accord quand on dit que la justice est laxiste et regardez les données objectives. La justice a tendance à infliger des peines plus lourdes que par le passé. Le taux d'exécution des peines et meilleur qu'il ne l'a été. Il n'y a jamais eu autant de détenus dans les prisons françaises. Alors, est-ce que pour cela, cela signifie que tout fonctionne bien ? Bien sûr que non, bien sûr que non. Donc, ce sera mon rôle de voir ce qui peut être amélioré pour que la justice, elle est rendue au nom du peuple français. Il faut donc qu'il y ait une confiance des citoyens dans la justice comme dans toutes les institutions. Et ça, c'est un problème dans nos démocraties, cette défiance que peuvent avoir les citoyens vis-à-vis des institutions, y compris vis-à-vis de la justice, à moi de faire en sorte que cette confiance soit beaucoup plus forte.
MARION L'HOUR
Et par exemple allonger la durée de rétention des étrangers clandestins dangereux, ce que proposent Les Républicains ? Bonne idée ?
DIDIER MIGAUD
Je ne vais pas vous répondre comme ça sur le… Je veux travailler avec le ministre de l'Intérieur et proposer des solutions au Premier ministre et bien sûr au Parlement…
ALI BADDOU
Vous devez nous répondre, Didier MIGAUD, parce que c'est une question extrêmement importante et que c'est une question de principe. Les députés Les Républicains, Marion le disait, donc, ont déposé une proposition de loi pour allonger nettement la durée de rétention des étrangers clandestins dangereux….
DIDIER MIGAUD
Donc, vous savez que ce sont les députés qui votent la loi avec les sénateurs ?
ALI BADDOU
Oui.
DIDIER MIGAUD
Bon, la loi, elle est votée par le Parlement.
ALI BADDOU
Mais vous pouvez l'approuver ? La porter ? Ou vous y opposer ?
DIDIER MIGAUD
Bien sûr, mais il faut… Pourquoi je m'opposerai a priori par rapport à une proposition ? Il faut pouvoir en débattre, en discuter. J'ai été député pendant 22 ans et je me suis toujours battu pour que justement la fonction législative, la fonction de contrôle, la fonction de parlementaire soit davantage reconnue. Bon, comme ministre, je ne vais pas, bien sûr, m'opposer à ces discussions parlementaires, et je tiens à la disposition, bien sûr, du Parlement.
MARION L'HOUR
Donc, vous allez nous dire la même chose sur la proposition du Rassemblement national de rétablir les peines planchers, qui va être déposée également à l'Assemblée nationale ?
DIDIER MIGAUD
C'est un sujet plus compliqué puisque vous avez des rapports qui expliquent que ce n'est pas obligatoirement la solution, que ce n'est pas obligatoirement efficace par rapport aux sujets posés. Dans ces sujets-là, évitons que l'émotion l'emporte, évitons que la démagogie et le populisme l'emportent. Bon, en revanche, en toute objectivité, je suis prêt à entendre un certain nombre de propositions, à y contribuer pour faire en sorte que la justice puisse s'exercer au sens noble du terme et que les citoyens puissent avoir confiance dans leur justice.
ALI BADDOU
Et lorsque vous entendez…
DIDIER MIGAUD
Elle est rendue, une fois de plus, au nom du peuple français, donc, je suis conscient…
ALI BADDOU
Elle est rendue au nom du peuple français, mais pas suffisamment bien à en croire par exemple, le président du Rassemblement national, Jordan BARDELLA, qui parlait hier soir à la télévision de justice trop laxiste, qui veut pour le coup rétablir la double peine et qui critique extrêmement vertement le problème du garde des Sceaux en tant que tel, il faut changer les textes. Il faut également changer de manière de fonctionner dans les tribunaux. Est-ce que vous iriez jusque-là ou est-ce qu'une proposition du Rassemblement NATIONAL pour rendre le droit pénal plus dur vous semble inutile ?
DIDIER MIGAUD
Je suis favorable à tout ce qui peut contribuer au bon fonctionnement de la justice.
ALI BADDOU
Donc vous pouvez adhérer à des propositions du Rassemblement national ? Didier MIGAUD.
DIDIER MIGAUD
Mais écoutez, les sujets ne se posent pas ainsi et je ne vous répondrai pas sur l'émotion par rapport à une situation, même si je comprends cette émotion.
ALI BADDOU
Il y a toujours des tensions…
DIDIER MIGAUD
On ne peut pas légiférer sur l'urgence à partir de l'urgence, à partir d'un cas individuel.
ALI BADDOU
Et pourtant, c'est ce qui se fait très régulièrement sur le droit pénal.
DIDIER MIGAUD
Je le regrette, je le regrette parce qu'il faut, il faut pouvoir. On voit bien d'ailleurs que dans un certain nombre de situations, quand on légifère à chaud, on peut commettre quelques erreurs. Donc prenons le temps d'en discuter et ce temps peut être court. On peut, on peut très bien travailler sur un certain nombre d'améliorations, mais dans le respect d'un certain nombre de principes. Nous sommes un Etat de droit et ça, je le rappellerai en permanence.
ALI BADDOU
Il y a toujours des tensions entre un ministre de l'Intérieur et le ministre de la Justice, c'est une tradition dans le fonctionnement d'un Gouvernement. Depuis le début de cet entretien, vous dites systématiquement, et vous l'avez répété plusieurs fois, cet élément de langage, avec le ministre de l'Intérieur et vous refusez, vous mesurez les mots que vous employez pour parler du Rassemblement national. Question toute simple : est-ce que le RN fait partie de l'arc Républicain ?
DIDIER MIGAUD
Ecoutez, je suis ministre, il y a des députés, il y a des élus…
ALI BADDOU
En vous avec des convictions, répondez.
DIDIER MIGAUD
Il y a... Mais j'ai des convictions, mais il y a des élus du suffrage universel, ils doivent être respectés. Je dois répondre à chacune et chacun. Dans l'hémicycle, si j'ai des questions, s'il y a des propositions qui sont formulées, bien sûr qu'on doit en débattre, ça ne veut pas dire que vous partagez les convictions de celles et ceux avec lesquels vous parlez puisque vous avez vos propres convictions. Et le Didier MIGAUD d'aujourd'hui, il n'est pas si éloigné que cela du Didier MIGAUD quand il était député socialiste. Donc, j'ai des convictions. Oui, oui, je n'ai pas pu les exprimer à partir du moment où mes fonctions faisaient en sorte que je ne pouvais pas.
ALI BADDOU
Mais vous refusez de dire si le RN appartient à l'arc Républicain ou non ?
DIDIER MIGAUD
Honnêtement, ce n'est pas le sujet. Il est député de la République. Ils sont députés de la République. Bon, alors, je sais bien que chacun joue sur les mots et tout ça, mais ils sont là, ils sont députés, ils ont été élus par le suffrage universel et puis ils sont partie prenante.
ALI BADDOU
On a compris. Est-ce que le Rassemblement national, c'est un parti d'extrême droite ?
DIDIER MIGAUD
Je le pense, oui, il y a des positions qui sont prises par le Front national que personnellement, je trouve, que je trouve d'extrême-droite, mais il faut pouvoir bien sûr prendre en considération toutes les propositions. Un député est un député, un parlementaire est un parlementaire avec tous les droits qui s'attachent à cette fonction, mais vous n'êtes pas obligé de reprendre toutes les propositions des parlementaires, il faut en discuter. Il se trouve qu'il n'y a pas de majorité au niveau de l'Assemblée nationale, c'est la difficulté d'ailleurs.
MARION L'HOUR
Didier MIGAUD, vous disiez tout à l'heure : " Il ne faut pas légiférer sous le coup de l'émotion ", et tout à l'heure, sur notre antenne, à 7 h 20, la présidente de la Fondation des femmes, dans sa chronique, parlait, concernant l'affaire Philippine, d'une " Récupération politique obscène ", là, je la cite. Vous partagez ses mots ?
DIDIER MIGAUD
Ah, je ne veux pas ajouter de la polémique dans ce type de situation.
MARION L'HOUR
Mais récupération ou pas ?
DIDIER MIGAUD
Je comprends, comprends l'émotion, vous vous rendez compte, c'est le perdre, perdre un enfant, c'est terrible.
MARION L'HOUR
Mais la récupération, elle existe ?
DIDIER MIGAUD
Je ne veux pas vraiment raisonner comme cela. Il y a un sujet, il faut voir comment je peux le traiter de façon objective, faire en sorte que ça ne se renouvelle pas, mais, mais dans le respect de ce qui est notre Etat de droit, donc, c'est quand même ce qui fonde notre démocratie. Il faut qu'on en soit conscient. Bon, donc, mais je ne rejette pas un certain nombre de propositions….
ALI BADDOU
… Didier MIGAUD, c'est assez frappant de vous écouter lors de votre discours de passation de pouvoir…
DIDIER MIGAUD
Mais il vaut mieux. Je trouve que certains s'expriment peut-être un peu trop rapidement.
ALI BADDOU
Vous citiez vos modèles : Robert BADINTER, c'était également Robert SCHUMAN, Christiane TAUBIRA…
DIDIER MIGAUD
Parce qu'elle a marqué aussi…
ALI BADDOU
Qui est quelqu'un qui ne plaît pas énormément aux Républicains avec qui vous siégez au Gouvernement. Ce que vous appréciez chez elle, en quoi est-elle un modèle pour vous, Christiane TAUBIRA ?
DIDIER MIGAUD
Sa spontanéité, les valeurs qu'elle peut, qu'elle peut défendre. Bon alors après, ça ne veut pas dire que vous êtes d'accord sur tout, mais c'est une femme qui défend avec beaucoup de conviction, beaucoup de force ses idées. Bon, j'ai cité aussi BADINTER que j'ai cité, Nicole BELLOUBET parce que ce sont mes prédécesseurs immédiats. Éric DUPOND-MORETTI aussi bon, qui a présenté un bilan qui, par rapport aux moyens même de la justice, est un, est un bon bilan. Il faut augmenter… Le budget de la Justice, vous savez, ça représente 2% des dépenses de l'Etat, c'est faible, quand vous regardez ce que représente, c'est pauvre…
ALI BADDOU
Oui, c'est pauvre, mais merci pour la transition, Didier MIGAUD, puisque justement, on a Laurent qui nous appelle au Standard sur cette question.
DIDIER MIGAUD
Oui, mais peut-être répondre plus complètement par rapport au ministre de l'Intérieur et par rapport police-Justice. Nous avons vocation à travailler ensemble. Bon, alors bien sûr, chacun doit être dans son rôle au niveau de la défense de sa propre institution, mais on doit travailler ensemble. Police et justice sont complémentaires. Nous recherchons, nous avons les mêmes objectifs, les mêmes buts : la justice.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er octobre 2024