Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Quel bilan quatre ans après la commission d'enquête parlementaire ?", demandé par le groupe Droite républicaine, dans le cadre de sa séance thématique.
Conformément à l'organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d'abord les rapporteurs –? qui ont rédigé une note mise en ligne sur le site internet de l'Assemblée nationale –, puis les orateurs des groupes et le gouvernement. Nous procéderons enfin à une séquence de questions-réponses.
(…)
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
La fraude sociale constitue un préjudice important pour nos concitoyens, pour notre modèle social mais aussi pour nos finances publiques. La fraude, particulièrement la fraude sociale, porte en effet atteinte à la confiance de nos concitoyens dans l'action publique. Elle peut fragiliser voire rompre le contrat républicain. Je pense aux politiques publiques dont bénéficient les Français les plus modestes et les plus fragiles, politiques qui les accompagnent dans le handicap, le vieillissement ou la formation professionnelle.
Nous avons sans doute tous déjà été destinataires d'une tentative de fraude aux aides publiques, concernant MaPrimAdapt' ou le compte personnel de formation (CPF). Comme l'indiquait Catherine Vautrin lorsqu'elle a présenté le bilan pour 2024 des résultats obtenus en matière de fraude sociale, "chaque euro détourné est un euro qui manque à nos hôpitaux, à nos crèches, à nos Ehpad et aux publics les plus vulnérables".
La fraude sociale porte aussi une atteinte considérable, je le disais, aux finances publiques et au nécessaire désendettement. Le déficit prévisionnel pour 2025, arrêté par la loi de financement de la sécurité sociale, s'élève à 22 milliards d'euros. Or le Haut Conseil du financement de la protection sociale évalue à 13 milliards le niveau de la fraude sociale, soit l'équivalent de plus de la moitié de ce déficit.
Face à cette menace, nous avons intensifié notre action, ces dernières années. Les résultats sont là : en 2024, 2,9 milliards d'euros de fraude sociale ont été détectés, contre 1,2 milliard en 2020. La mobilisation porte ses fruits, avec une augmentation de 150 % des redressements depuis 2020 et de 30 % rien qu'en 2024. L'Urssaf a redressé 1,6 milliard d'euros de cotisations frauduleuses, une somme qui aurait permis de financer près de 670 000 accouchements, soit l'équivalent de 91 % des naissances en France en 2023. Les bons résultats obtenus par les caisses de sécurité sociale en 2024 sur les montants de fraude détectés permettent de stopper le phénomène et donc de diminuer son ampleur. Ils permettent aussi d'identifier les fraudeurs et de rendre leur entreprise plus complexe, voire de leur retirer leur capacité à reproduire un système frauduleux.
Nous continuerons donc à traquer les fraudeurs, à les arrêter dans leur entreprise et à aller chercher cet argent partout où il se trouve, chez ceux qui ne respectent pas nos règles et nos lois, au détriment de nos compatriotes, de nos politiques publiques et de notre confiance dans notre modèle social.
Il ne s'agit pas de traquer les plus pauvres, comme je l'ai entendu de façon caricaturale au cours du présent débat,…
Mme Sandrine Runel
C'est pourtant bien ce que vous faites !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
…mais bien d'aller récupérer des sommes indûment détournées, que ce soit par des particuliers, des professionnels ou, pire encore, des auteurs de montages complexes.
M. Patrick Hetzel, rapporteur
Très bien !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Pour cela, nous ne partons évidemment pas d'une feuille blanche. Je veux notamment mentionner le plan ministériel ambitieux de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques, adopté en mai 2023, avec un objectif clairement assumé : lutter contre la fraude partout où elle se trouve.
Cette stratégie repose sur quatre piliers : le renforcement des moyens et des effectifs de contrôle pendant la période 2023-2027, avec une modernisation pour un coût de plus de 1 milliard d'euros de nos systèmes d'information et le recrutement de plus de 1 000 équivalents temps plein supplémentaires ; la modernisation des stratégies de contrôle avec des ciblages plus précis et des actions plus efficaces contre la fraude ; un arsenal juridique consolidé, avec des dispositions législatives dans chaque loi de financement de la sécurité sociale –? en 2023, 2024 et encore en 2025 –, pour mieux sanctionner les abus ; enfin, la sécurisation accrue des données pour l'ouverture des droits et la gestion des prestations.
Cette ambition a permis la détection et le recouvrement de montants de fraude records, je l'ai dit. Ces chiffres nous obligent aussi pour la suite et nous permettent d'afficher une ambition forte.
La fraude s'adapte ; l'administration s'adapte en conséquence. La loi de financement de la sécurité sociale a ainsi développé l'arsenal législatif à disposition des caisses de sécurité sociale. Elle renforce par exemple la lutte contre les plateformes frauduleuses délivrant des arrêts de travail abusifs. Nous ouvrons également un chantier majeur : la taxation des revenus issus d'activités illicites. Il est en effet inacceptable que des trafiquants bénéficient d'aides sociales tout en échappant aux cotisations.
La suite du débat me permettra de revenir sur l'ensemble des actions que nous engageons en faveur de la lutte contre la fraude sociale. (M. Antoine Vermorel-Marques applaudit.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée de chaque question et celle de chaque réponse est de deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Fabien Di Filippo.
M. Fabien Di Filippo (DR)
Dans un rapport publié le 13 décembre 2024, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et la Caisse nationale de l'assurance maladie indiquent que la hausse du volume d'arrêts maladie s'est accélérée de façon importante depuis 2019 –? en onze ans, le nombre de ces arrêts ont même progressé de 30 %. Or je ne pense pas que les conditions de travail se soient à ce point dégradées pendant cette période. En 2023, les arrêts maladie ont représenté 85 % des arrêts de travail et 60 % des dépenses d'indemnités journalières avec à la clef une facture de plus de 10 milliards d'euros pour l'assurance maladie.
Au total, 5,9 millions d'actifs en ont bénéficié pour une durée moyenne de trente-cinq jours. Le cumul a représenté plus 8,4 millions d'arrêts, soit une augmentation de quasiment 4 % sur les cinq dernières années et 30 %, comme je viens de le mentionner, depuis 2012.
La Cnam indique également que sur les six premiers mois de l'année 2024, le coût total des arrêts de travail était en hausse de 8,5 % et de 10 % pour les arrêts longs. Cette croissance du nombre d'arrêts maladie ne s'explique ni par la croissance démographique ni par la hausse des salaires et, en tout cas, elle n'est pas soutenable étant donné l'état du budget de la sécurité sociale dont le déficit est de près de 16 milliards d'euros pour 2024.
Comptez-vous aider les employeurs à signaler les arrêts qui leur sembleraient abusifs ? La Cnaf préconisait une meilleure coordination entre les médecins, les entreprises et elle-même afin de vérifier la pertinence des arrêts de longue durée. Comment accompagnerez-vous cette orientation ? Comptez-vous prendre des dispositions pour faciliter les contrôles, notamment pour les arrêts de longue durée ? Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, le gouvernement a annoncé une campagne pour contrôler les médecins prescrivant cinq à dix fois plus d'arrêts maladie que leurs confrères. Pouvez-vous nous dire si cette mesure a été appliquée et si elle a été efficace ? Enfin, en ce qui concerne la prolifération des sites internet frauduleux qui proposent la vente d'arrêts maladie en ligne sans consultation médicale –? notre collègue Vermorel-Marques y reviendra – comptez-vous agir ? Le tribunal judiciaire de Paris a imposé la fermeture de plusieurs sites en 2020 mais ils continuent de prospérer et, au prix de 19 ou 24 euros l'arrêt maladie, aggravent ce phénomène. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Vous avez raison : il nous faut lutter activement et toujours plus contre les arrêts de travail abusifs et contre les fraudes. Face à la très forte dynamique de la dépense d'indemnités journalières, des mesures de responsabilisation collective des professionnels prescripteurs et des assurés bénéficiaires d'arrêts maladie ont été prises. Depuis février 2024, les prescriptions d'arrêts de travail par le biais d'une téléconsultation sont ainsi mieux encadrées : la durée maximale d'un arrêt prescrit en téléconsultation est désormais limitée à trois jours.
En juillet 2024, un décret a été pris pour organiser les contre-visites médicales demandées par un employeur. Dès le début de son arrêt de travail, le salarié doit communiquer à son employeur son lieu de repos et les horaires auxquels la contre-visite peut s'effectuer.
À partir de l'été prochain, un nouveau modèle papier d'avis d'arrêt de travail rempli par le médecin sera obligatoire et tous les avis d'arrêts de travail devront être transmis à l'assurance maladie à partir de ce modèle sécurisé. Le décret en Conseil d'État est en cours d'instruction.
La vente en ligne de documents falsifiés, tels que des ordonnances ou des arrêts maladie, s'est structurée et renforcée, facilitant leur diffusion et leur usage abusif. Les montants détectés au titre des faux arrêts de travail s'élèvent à près de 30 millions d'euros en 2024.
Depuis 2023, en réponse à ces menaces, les effectifs dédiés à la lutte antifraude de la Cnam ont connu une augmentation supérieure à 10 % : plus de 1 600 agents interviennent désormais dans ce domaine d'action.
En ce qui concerne les professionnels de santé à l'origine de prescriptions frauduleuses, dans le cadre de la mise sous objectif (MSO), on propose aux médecins une réduction de leur taux de prescription et une pénalité en cas de dépassement. Le refus de cette mise sous objectif déclenche la procédure de mise sous accord préalable, par laquelle le versement des indemnités journalières correspondant aux arrêts de travail prescrits par le praticien est soumis à l'accord préalable du service du contrôle médical de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM).
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Vermorel-Marques.
M. Antoine Vermorel-Marques (DR)
Il y a dix jours, un chef d'entreprise de ma circonscription m'a envoyé un message me révélant l'existence d'un site internet qui vend aux salariés des arrêts de travail frauduleux. Dans ses propres rangs, il compte un salarié qui connaît bien ce site.
Je n'en croyais pas mes yeux. Ce matin, j'ai demandé un faux arrêt de travail à mon nom. Rien de plus simple ! Pour 19 euros, il est possible d'obtenir en deux clics un arrêt de travail conforme au Cerfa, lequel est envoyé directement dans votre boîte mail et peut être transmis à l'employeur.
En 2024, ces faux arrêts de travail ont généré un coût de 42 millions d'euros pour la sécurité sociale. Leur nombre a été multiplié par 2,4 en douze mois. Ils font très rarement l'objet de sanctions, puisque les 70 000 suspensions d'arrêt maladie de 2024 n'en ont provoqué aucune de la part de l'assurance maladie.
Quel est la source du problème, madame la ministre ? Bien sûr, l'employeur peut prendre des sanctions disciplinaires à l'encontre du salarié qui recourt à de faux arrêts de travail pour ne pas venir travailler et continuer à être rémunéré, mais encore faut-il qu'il ait la preuve de la fraude. Pour ce faire, l'assurance maladie doit communiquer le nom du salarié à son employeur.
Mme Andrée Taurinya
C'est de la délation !
M. Antoine Vermorel-Marques
Le secret médical ne s'applique pas, puisque le salarié a fraudé et n'était pas vraiment malade. C'est pourquoi à mon initiative et celle de Fabien Di Filippo, le groupe Droite Républicaine…
Mme Andrée Taurinya
L'extrême droite !
M. Antoine Vermorel-Marques
…a déposé une proposition de loi visant à obliger l'assurance maladie à transmettre le nom des 70 000 fraudeurs à leur employeur,…
Mme Andrée Taurinya
Vive la délation !
M. Antoine Vermorel-Marques
…pour qu'ils soient licenciés ou que leur fraude soit au moins sanctionnée, conformément à l'arrêt rendu par la Cour de cassation en 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Romain Daubié
Nous sommes d'accord !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Vous soulignez un problème grave dont on constate qu'il va plutôt en augmentant : l'utilisation de documents falsifiés, tels que des ordonnances ou des arrêts maladie, dont la vente en ligne s'est structurée et intensifiée. Les montants détectés au titre des faux arrêts de travail s'élèvent à près de 30 millions d'euros en 2024.
Je l'ai déjà dit, en réponse à ces menaces, depuis 2023, la Cnam a augmenté de plus de 10 % ses effectifs dédiés à la lutte antifraude. Plus de 1 600 agents interviennent dans ce domaine. Parmi eux, on compte 60 agents spécialisés –? enquêteurs judiciaires, statisticiens, managers expérimentés – sont répartis dans 6 nouveaux pôles interrégionaux d'enquêteurs judiciaires. Ils sont dotés de compétences en investigation numérique et de prérogatives judiciaires.
À compter de juillet 2025, le recours à un Cerfa sécurisé deviendra obligatoire pour les envois papier. Les nouveaux documents seront dotés d'un hologramme, d'une bande changeant de couleur en cas de photocopie ou d'un QR code –? autant d'éléments qui permettront de garantir l'authenticité des arrêts de travail, désormais mieux sécurisés, et de diminuer significativement les possibilités de fraude.
Nous sommes évidemment favorables sur le principe à la proposition de loi que vous avez évoquée. Nous l'examinons actuellement dans le détail pour mesurer les différents impacts qu'elle pourrait avoir et contribuer à sa concrétisation. (Mme Félicie Gérard et M. Antoine Vermorel-Marques applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Tristan Lahais.
M. Tristan Lahais (EcoS)
Le rapport du HCFIPS publié en septembre 2024 évaluait le manque à gagner résultant de la fraude sociale à 13 milliards d'euros par an. Comme l'ont déjà démontré mes collègues, la majeure partie est imputable aux entreprises, notamment en raison du travail dissimulé. La fraude sociale est donc d'abord une fraude patronale.
En dépit de ce que prétendent certains sur les bancs à la droite de l'hémicycle, toutes les fraudes aux prestations sociales ne présentent pas la même indignité morale. Cela avait déjà été rappelé. Nous distinguons la fraude consécutive à la grande pauvreté de celle qui finance le confort des plus aisés.
M. Philippe Vigier
Oh là là !
M. Tristan Lahais
J'attire votre attention sur le non-recours aux droits, c'est-à-dire sur les situations dans lesquelles des personnes éligibles aux aides sociales n'en font pas la demande ou ne les perçoivent pas. Environ 34 % des bénéficiaires potentiels du RSA n'en font pas la demande, soit un tiers d'entre eux. Quels dispositifs le gouvernement prévoit-il pour diminuer le non-recours aux droits, qui empêche la réinsertion et se traduit trop souvent par le maintien dans la précarité ?
Les chiffres liés à la fraude fiscale –? évasion fiscale, fausses déclarations ou fraudes à la TVA – sont encore plus significatifs. La Cour des comptes évalue son montant entre 60 et 80 milliards d'euros par an.
La lutte contre la fraude, qu'elle soit fiscale ou sociale, nécessite d'importants moyens humains et technologiques ; or des critiques récurrentes pointent les réductions d'effectifs dans les administrations de contrôle et rappellent que l'outil informatique ne remplace pas l'expertise humaine. La direction générale des finances publiques (DGFIP) a perdu environ 30 000 emplois depuis 2019, tandis que la loi de finances pour 2025 a réduit les moyens de France Travail d'environ 35 millions d'euros.
Depuis 2022, notre groupe réclame de façon constante davantage de moyens humains et financiers pour les administrations en charge du contrôle et du recouvrement, en particulier la DGFIP. Disposer d'une infrastructure publique solide dans l'appui de ces missions revêt une importance primordiale.
À l'heure où nous avons tant besoin de dégager des recettes, quels seront les moyens dégagés par le gouvernement et pour quels objectifs, compte tenu du contexte de fraude fiscale manifeste ? (M. Sébastien Delogu applaudit.)
Mme la présidente
Monsieur le député, votre temps de parole est écoulé.
M. Tristan Lahais
Je devais poser deux questions, donc j'avais théoriquement le droit à quatre minutes.
Mme la présidente
Excusez-moi, je ne savais pas. Voulez-vous enchaîner avec la deuxième question ?
M. Tristan Lahais
J'ai posé mes deux questions. Je vous remercie, madame la présidente.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Vous soulignez le problème que pose la fraude aux cotisations sociales du fait des entreprises. La lutte contre cette fraude est une garantie indispensable pour les droits sociaux des salariés et une saine concurrence économique. Elle constitue également une priorité pour le gouvernement, étant donné que son montant est évalué entre 7 et 9 milliards d'euros annuels, soit la moitié du montant de la fraude sociale estimé par le rapport du HCFIPS de septembre 2024.
Si le système de recouvrement repose initialement sur la confiance, de plus en plus de contrôles sont réalisés par 1 500 inspecteurs et 220 contrôleurs pour vérifier l'exactitude des déclarations. Qualitativement, la lutte contre la fraude s'est renforcée, grâce à l'amélioration du ciblage –? plus de 80 % des contrôles ciblés débouchent sur un redressement –, les ressources ont été augmentées, les inspecteurs spécialisés se sont professionnalisés et des partenariats ont été conclus –? avec la police, la gendarmerie, l'Office central de lutte contre le travail illégal, Tracfin, etc.
En 2024, les moyens engagés ont permis de réaliser 6 700 actions répressives de contrôle, soit 11 % de plus qu'en 2023, et de collecter le montant record de 1,6 milliard d'euros en matière de redressement –? 1 milliard pour le BTP –? bâtiment et travaux publics – et 408 millions pour les services aux entreprises –, soit une augmentation de 34 % en un an. Les redressements ont été multipliés par quatre en dix ans et ont doublé ces deux dernières années.
Les auteurs du délit de travail dissimulé doivent être frappés au porte-monnaie ; le taux de recouvrement doit donc être optimisé. Bien qu'il apparaisse faible, il a pourtant augmenté de manière substantielle : en 2024, le montant des recouvrements liés au travail dissimulé s'est élevé à 121 millions d'euros, soit une progression de 50 % par rapport à 2023.
Le recouvrement de sommes résultant de la lutte contre le travail dissimulé est extrêmement difficile, car les fraudeurs disposent de peu d'actifs ou organisent eux-mêmes leur insolvabilité et disparaissent avant la mise en recouvrement des montants redressés. C'est pourquoi le déploiement de la solidarité financière du donneur d'ordre est un levier d'amélioration du recouvrement des sommes dues par un débiteur, car il permet de faire jouer la responsabilité d'un tiers lorsqu'il n'a pas respecté ses obligations de vigilance en contractant avec un sous-traitant. En 2024, 557 actions liées à l'exécution de la solidarité financière ont été réalisées et un décret en Conseil d'État visant à la sécuriser sur le plan réglementaire est à paraître.
Avant que nous activions ce levier répressif, les donneurs d'ordre privés et publics doivent participer à la prévention de la lutte contre le travail dissimulé. Il est très simple de sécuriser sa relation contractuelle : la loi oblige le donneur d'ordre à se faire remettre par son sous-traitant une attestation de vigilance attestant du bon accomplissement de ses obligations sociales.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier (Dem)
Lors de ma précédente prise de parole, je vous ai posé quelques questions. Le fameux rapport du HCFIPS sur l'évaluation des fraudes est très attendu, car il fournira des éléments d'appréciation à l'Assemblée. Je m'adresse en particulier aux collègues de gauche : il ne s'agit pas de stigmatiser et d'affirmer que ce sont toujours les mêmes qui fraudent.
Mme Sandrine Runel
Si, si !
M. Philippe Vigier
Non ! Nous devons examiner la fraude sous tous ses aspects, que ce soit celle commise par une entreprise, par un professionnel de santé ou par un citoyen.
M. Romain Daubié
Exactement !
M. Philippe Vigier
Sinon, il me semble que nous ne remplirions pas notre mission. D'où ma première question sur le HCFIPS.
Deuxièmement, vous avez fait référence aux avis du Conseil constitutionnel qui nous privent d'un certain nombre d'outils qui me semblent indispensables pour lutter contre les fraudes, au sens large du terme. Le gouvernement envisage-t-il des pistes juridiques pour sécuriser ces outils et franchir l'étape du Conseil constitutionnel ? Comme l'expliquait un collègue, l'échange d'informations n'a rien d'une inquisition. C'est ce qui est exigé de tout contribuable par l'autorité fiscale. Lorsqu'elle vous écrit, vous lui répondez –? c'est la moindre des choses. Il est incompréhensible que cet échange d'informations ne puisse pas avoir lieu.
Troisièmement, est-ce que la mise en place d'une carte Vitale biométrique est envisageable à court ou moyen termes ? Ce serait une avancée.
Quatrième et dernier point, je veux évoquer le numérique, l'espace numérique de santé et tout ce que les outils numériques et l'intelligence artificielle apporteront. Il existe désormais des algorithmes très puissants qui permettent de dénicher certains comportements, souvent du fait des entreprises qui font de la fraude aux charges sociales. Disposerez-vous d'éléments en la matière pour aller "plus vite, plus fort" comme le voulait Patrick Hetzel ? Car l'argent que nous récupérerons ne sera pas économisé, mais servira à mieux aider les personnes en difficulté.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Je vais essayer de répondre à l'ensemble de vos questions.
Le montant de la fraude sociale a été évalué à 13 milliards d'euros annuels par le HCFIPS dans son rapport "Lutte contre la fraude sociale : état des lieux et enjeux". Il est disponible depuis septembre 2024 : vous pouvez donc le consulter.
Les chiffres de l'évaluation de la fraude sociale par le HCFIPS ne doivent pas être perçus comme une recette miracle pour résoudre les problèmes de financement de la sécurité sociale. Les montants en jeu, même s'ils sont importants, sont relativement faibles si on les rapporte à la masse des dépenses ou des prélèvements sociaux, ce qui s'explique par le fait que les fraudeurs sont heureusement très minoritaires. Compte tenu des sommes et de leur poids dans le déficit précédemment évoqué, nous continuerons néanmoins à traquer sans relâche les fraudeurs.
L'impact financier de la lutte contre la fraude sur les finances sociales doit s'apprécier en prenant en considération le montant des fraudes évitées ou les recouvrements effectifs.
Pour lutter contre la fraude, les caisses de sécurité sociale ont recours, depuis quelques années, à des techniques algorithmiques de data mining pour identifier les dossiers à contrôler en privilégiant ceux dont la probabilité de non-conformité à la réglementation, et donc de paiement indu, est la plus forte. Ces algorithmes comptent parmi les moyens que développent les caisses pour cibler leurs contrôles, dans un souci de meilleure efficacité.
Vous avez évoqué l'échange d'informations entre l'assurance maladie et les complémentaires santé. Le gouvernement y est tout à fait favorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Romain Daubié.
M. Romain Daubié (Dem)
Je voulais vous dire toute l'importance qu'a ce débat sur les fraudes aux prestations sociales à mes yeux. Pour lutter contre le phénomène, le gouvernement dispose de plusieurs moyens, notamment la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf), à la cellule de veille interministérielle antifraude aux aides publiques et aux contrôles flash.
Pourtant, plusieurs faits m'interpellent. Le Conseil d'évaluation des fraudes était censé rendre un rapport en 2014, mais ne l'a toujours pas fait. Quand les députés, qui ont besoin de données concrètes pour apprécier la fraude sociale, le recevront-ils ?
D'autre part, les principales recommandations de la commission d'enquête parlementaire portaient sur le croisement de bases de données. Avec d'autres députés, nous avions préparé des amendements au PLFSS pour permettre ce croisement, mais le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions que nous défendions. Disposez-vous d'autres moyens, législatifs ou réglementaires, pour organiser le croisement de fichiers ? À quand une carte Vitale biométrique, question qui se pose régulièrement ?
Vous l'aurez compris, les Français attendent une lutte intensifiée contre les fraudes avant l'augmentation des taxes et impôts.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Merci pour votre engagement et votre vigilance dans la prévention et la lutte contre la fraude sociale, dont le poids est important –? elle représente la moitié du déficit de la sécurité sociale. Le recouvrement des sommes détournées constitue donc un enjeu important.
Le montant de la fraude sociale a été évalué à 13 millions d'euros par an par le Haut Conseil du financement de la protection sociale, dans un rapport intitulé "La lutte contre la fraude sociale", remis et disponible depuis septembre 2024.
Sur la base de ce rapport, les caisses développent des techniques pour cibler les contrôles a posteriori et aussi efficacement que possible, en contrôlant prioritairement les dossiers associés à la plus forte probabilité de fraude.
Comme le recommandent les auteurs du rapport, les politiques développées dans les années récentes s'attachent à prévenir les fraudes. Parmi les projets en cours de déploiement qui contribuent à sécuriser le calcul des prestations et à réduire en amont les versements indus du fait des erreurs, on peut citer le renforcement des contrôles automatiques intégrés dans les systèmes de paiement de l'assurance maladie, le développement des e-prescriptions ou le préremplissage des déclarations de ressources que les allocataires doivent soumettre tous les trimestres aux CAF, pour bénéficier de prestations sous conditions de ressources.
Vous avez évoqué plusieurs dispositifs, notamment le partage d'informations, les solutions algorithmiques ou la carte Vitale biométrique, autant de dispositions que le Conseil constitutionnel a censurées, mais qui sont toujours à l'étude. Le gouvernement y est favorable et recherche les moyens législatifs qui permettront leur application.
Mme la présidente
La parole est à Mme Félicie Gérard.
Mme Félicie Gérard (HOR)
Parmi les instances publiques en contact avec nos concitoyens, celle dont j'entends le plus parler est la CAF. Je suis régulièrement contactée par des habitants de ma circonscription au sujet des difficultés qu'ils rencontrent à disposer d'un interlocuteur privilégié et de l'opacité des méthodes de calcul et des décisions rendues.
Ce manque de transparence ne peut qu'engendrer du mécontentement, voire des erreurs dans les attributions d'aides ou dans l'analyse des situations personnelles et même de la fraude. Fraude aux allocations familiales, fraude à l'allocation de rentrée scolaire, fraude à l'aide au logement… j'en passe.
Les caisses d'allocations familiales sont certainement des cibles à privilégier pour lutter contre la fraude sociale. En France, celle-ci a connu une nette augmentation : son montant est passé de 1,2 milliard d'euros détectés en 2020 à près de 3 milliards d'euros en 2024. Or la majorité des problèmes identifiés par la commission d'enquête en 2020 demeurent, notamment les profils d'assurés fantômes et les fausses déclarations.
Pourriez-vous nous indiquer les mesures mises en place pour lutter contre la fraude sociale dans les CAF ? Le partage de données entre organismes sociaux et administrations de l'État est-il efficace ? Enfin, ne serait-il pas temps de lancer un audit précis du fonctionnement de ces structures, sachant qu'il est très souvent critiqué par nos concitoyens pour son manque de clarté et d'efficacité ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Vous avez raison d'appeler l'attention sur la fraude aux allocations familiales. Chaque année, la branche famille verse près de 100 milliards d'euros de prestations, et le montant des fraudes détectées par les CAF atteignait, après avoir crû de 30 % par rapport à 2023, 449 millions d'euros en 2024. D'après les estimations disponibles, les fraudes aux allocations familiales représentent 30 % du montant total de la fraude sociale –? 3,87 milliards d'euros. La fraude au RSA représente 40 % de ce montant et la fraude à la prime d'activité en représente 27 %.
Entre 2020 et 2024, le montant des fraudes aux allocations familiales détectées est passé de 257 millions d'euros à 450 millions d'euros. Les fraudes sont majoritairement liées des déclarations erronées, et vous savez que nous sanctionnons les fraudes et pas les erreurs. Les citoyens peuvent rencontrer des difficultés lorsqu'ils remplissent des documents ou formulaires. Le président de la République s'est engagé à mettre en œuvre la réforme de la solidarité à la source, qui doit permettre de simplifier l'accès aux prestations sociales, de lutter contre le non-recours, mais aussi de lutter contre la fraude. En d'autres termes, la réforme doit permettre aux citoyens qui ont besoin des aides et qui y ont droit d'en bénéficier, tout en empêchant la fraude et le détournement des moyens des caisses d'allocations familiales.
Depuis 2021, les CAF disposent d'un service national de lutte contre la fraude à enjeux, pour mieux détecter la fraude massive et organisée et accompagner les caisses dans leur traitement.
Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Roseren.
M. Xavier Roseren (HOR)
Il y a quatre ans, la commission d'enquête parlementaire sur la fraude aux prestations sociales révélait des failles préoccupantes dans notre système, un manque de coordination entre les organismes, une sécurisation insuffisante des immatriculations et une difficulté à recouvrer les sommes fraudées.
Depuis, des mesures ont été annoncées, mais les chiffres actuels montrent que la fraude sociale reste un problème majeur. Selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale, elle représente au moins 13 milliards d'euros par an, dont 7 milliards sont liés au travail dissimulé et à l'évasion des cotisations. Ce phénomène fragilise notre système de protection sociale et pénalise ceux qui y contribuent honnêtement.
Pire encore, si 2,1 milliards d'euros de fraudes sociales ont été détectés, seuls 1,1 milliard a été évité et recouvré. Autrement dit, près de 50 % des sommes détournées ne sont jamais récupérées. Le travail des agents de contrôle s'est pourtant intensifié et de nouveaux outils ont été créés.
Face à ces constats, nous devons nous interroger : quels résultats concrets avez-vous obtenus en quatre ans ? Quels sont les obstacles persistants qui empêchent d'aller plus loin ?
La lutte contre la fraude ne doit pas se faire au détriment des bénéficiaires légitimes. Aujourd'hui encore, des citoyens fragiles voient leurs droits suspendus à tort, tandis que des réseaux organisés exploitent les failles du système. Quelles nouvelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour renforcer la détection des fraudes, améliorer la coopération entre les organismes de protection sociale et surtout garantir un meilleur taux de recouvrement ? Il faut que les fraudeurs ne puissent plus échapper à leurs obligations.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Merci pour votre vigilance et pour votre engagement dans la lutte contre la fraude sociale. En mai 2023, le gouvernement a présenté une feuille de route contre toutes les fraudes aux finances publiques, qui comporte un plan de lutte contre la fraude fiscale et douanière et un plan de lutte contre la fraude sociale.
Ce plan doit atteindre des cibles ambitieuses en matière de lutte contre la fraude aux cotisations et aux prestations sociales. Pour les cotisations et contributions sociales redressées, l'objectif est de récupérer 5 milliards d'euros pendant la durée du quinquennat, soit d'avoir doublé en 2027 les résultats obtenus en 2022. Pour la branche maladie, une cible particulière a été fixée pour la période s'étendant de 2023 à 2027 : 2,3 milliards de fraudes détectées et évitées. En matière d'allocations sociales, l'objectif est de 3 milliards d'euros de fraudes détectées.
En 2024, nous avons atteint un record : 2,9 milliards d'euros ont été redressés, soit une augmentation de 30 % par rapport à l'année précédente.
En mars 2024, les mesures du plan ont été renforcées. Pour l'Urssaf, la cible a été ajustée à 5,5 milliards d'euros entre 2023 et 2027, compte tenu des bons résultats obtenus en 2023. Pour la branche maladie, la dynamique constatée en 2024 a conduit à une réévaluation à la hausse de l'objectif initial.
Les bons résultats obtenus dans la lutte contre la fraude, ce sont plus de moyens, notamment le renforcement des effectifs dédiés au contrôle, la modernisation des stratégies de contrôle des organismes de sécurité sociale et la sécurisation des données pour l'ouverture des droits à la gestion des prestations.
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac (LIOT)
Notre débat porte sur les fraudes aux prestations sociales, et j'en profite pour vous interroger sur leur corollaire, le non-recours aux prestations sociales. Vous avez brièvement abordé ce sujet, lorsque vous avez évoqué la volonté du président de la République d'éviter ces non-recours, avec une allocation qui serait directement versée aux personnes qui en ont besoin.
Selon l'étude publiée en 2023 par la Drees, 40 % des cas de non-recours aux prestations sont liés à l'absence d'information des potentiels allocataires.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre que la majorité des personnes concernées sont parmi les plus précaires – familles monoparentales ou foyers dont les revenus sont les plus modestes dans le pays. Les plus jeunes générations sont également concernées par le phénomène, et l'étude évoque aussi des démarches jugées trop complexes pour les administrés, qui sont dès lors dissuadés de formuler leurs demandes de prestations.
Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) estime à 50 % la part des personnes éligibles à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) qui n'y ont pas recours. Ce taux atteint 34 % lorsqu'il s'agit du RSA et 30 % lorsqu'il s'agit de l'assurance chômage. Il ne s'agit pas d'un épiphénomène et ses conséquences sur le budget des ménages, souvent modestes, peuvent être particulièrement importantes.
Aussi, pourriez-vous nous indiquer les pistes envisagées par le gouvernement pour faire baisser le taux de non-recours aux prestations sociales ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Merci d'évoquer le problème du non-recours. Si l'enjeu est de pouvoir lutter contre la fraude sociale et de garantir que les prestations soient attribuées aux personnes qui en ont besoin, force est de constater qu'il est encore compliqué, pour nos concitoyens, de bénéficier des prestations auxquelles ils ont droit.
En 2022, le président de la République s'est engagé à organiser la solidarité à la source, pour simplifier l'accès aux prestations sociales et lutter contre le phénomène du non-recours au droit.
Depuis le 1er février 2024, le montant net social est affiché sur les bulletins de paie et les relevés de prestations. Il correspond au montant de référence que doivent déclarer les allocataires pour bénéficier de la prime d'activité et du RSA, ce qui facilite les démarches administratives, limite les erreurs déclaratives et réduit le non-recours aux droits pour des raisons administratives.
Depuis le 1er mars 2025, les formulaires de renouvellement trimestriel du RSA et de la prime d'activité sont préremplis avec les montants des salaires versés et des aides perçues. Là encore, le préremplissage, jusqu'à présent expérimenté dans cinq départements, facilite la déclaration des ressources. Le gouvernement améliore ainsi significativement la fiabilité du versement des prestations sociales, déchargeant ainsi les bénéficiaires d'une tâche administrative chronophage qui, parce qu'elle génère de l'anxiété et des erreurs fréquentes, est en partie responsable du non-recours aux droits –? de l'ordre de 34 % pour le RSA et de 39 % pour la prime d'activité. Dans l'immédiat, la réforme bénéficiera aux 6 millions de Français allocataires de l'une ou l'autre de ces aides, et ce dès le prochain renouvellement.
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
Dans la continuité des propos de mon collègue Paul Molac, j'aborderai la question de l'accessibilité et de la lisibilité des prestations sociales, en prenant l'exemple de la Corse. Bien qu'elle ne soit pas la seule dans cette situation, la Corse est l'une des régions les plus pauvres de France. Elle compte un taux important d'illettrisme –? 14 000 personnes sont concernées – et le plus fort taux d'illectronisme, qui touche 75 000 personnes. Si l'on ajoute le manque d'informations et la complexité des démarches, le faible recours se comprend aisément. La situation de pauvreté et de précarité s'en trouve nécessairement aggravée. Sur quels dispositifs comptez-vous pour remédier à ce problème et accompagner les plus fragiles ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Vous soulignez la difficulté rencontrée par nos concitoyens pour identifier, dans une sorte de maquis administratif, les prestations sociales auxquelles ils ont droit. En 2022, le président de la République s'est engagé à lutter contre le non-recours aux droits et à simplifier l'accès aux prestations sociales. En conséquence, nous déployons progressivement la solidarité à la source. Comme je le disais à votre collègue, depuis le 1er février 2024, le montant net social affiché sur les bulletins de paye permet d'identifier aisément le montant à déclarer pour bénéficier du RSA ou de la prime d'activité. Et, depuis le 1er mars dernier, les formulaires de renouvellement trimestriels sont préremplis, facilitant les démarches administratives de nos concitoyens. Le gouvernement continue à améliorer significativement la fiabilité du versement des prestations sociales : certaines sont déjà concernées par la solidarité à la source, d'autres, comme l'Aspa, le seront bientôt, au gré des développements informatiques conséquents que nous parvenons progressivement à mettre en œuvre.
Mme la présidente
La parole est à M. Bernard Chaix.
M. Bernard Chaix (UDR)
En 2020, une commission d'enquête parlementaire révélait l'ampleur des fraudes aux prestations sociales, estimées à plusieurs milliards d'euros par an. Depuis, les gouvernements successifs ont pris des mesures, telles que le renforcement du contrôle des CAF, le croisement des fichiers ou encore l'obligation de résidence en France pour toucher certaines allocations. Toutefois les fraudes persistent, et le recouvrement à hauteur de 600 millions d'euros des sommes indues perçues –? pour ne pas dire volées –? demeure insuffisant.
Les Français qui travaillent dur et cotisent beaucoup attendent légitimement que chaque euro versé au titre de la solidarité nationale soit utilisé avec responsabilité et efficacité. Des dispositifs comme l'AME, les paniers de soins accordés aux étrangers en situation irrégulière, ou encore certaines allocations, demeurent des sources importantes de fraude –? notamment à l'usurpation d'identité et aux déclarations falsifiées.
Alors que la dette explose, pour atteindre plus de 3 300 milliards d'euros, alors que la fraude sociale est estimée à 13 milliards et que le pouvoir d'achat des Français est mis à rude épreuve, quelles mesures prévoyez-vous pour éradiquer ces fraudes massives ? Faut-il renforcer davantage le contrôle de l'identité des bénéficiaires et les conditions d'octroi des aides sociales ? Envisagez-vous d'étendre les sanctions afin que les fraudeurs récidivistes soient enfin sanctionnés ? Respecterez-vous un jour les contribuables et leur argent ? Plutôt que de faire les poches aux entreprises, ferez-vous enfin les poches aux fraudeurs ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Le gouvernement est pleinement mobilisé pour continuer à lutter contre la fraude sociale, dont les techniques évoluent constamment. Notre administration s'adapte et se montre de plus en plus forte et efficace pour détecter, prévenir et recouvrer les sommes indûment perçues : en 2024, les détections ont augmenté de plus de 30 %. S'agissant de l'AME, sachez qu'elle fait l'objet de contrôles approfondis à toutes les étapes, de l'instruction des demandes jusqu'à l'attribution de la carte et à la prise en charge des soins.
Le rapport de Claude Evin et Patrick Stefanini sur le sujet a souligné le professionnalisme des agents de l'assurance maladie qui attribuent cette aide, dans le cadre de procédures renforcées depuis 2019 ; le rapport indique également que la proportion d'anomalies dans ces procédures est comparable à celle constatée dans les dossiers des assurés sociaux. Pour bénéficier de l'AME, les ressortissants étrangers doivent remplir plusieurs conditions, lesquelles font l'objet d'un premier contrôle qui conduit à refuser 13 % des demandes. Ensuite, leur présence sur le territoire est systématiquement vérifiée. Enfin, le titre d'admission à l'AME –? une carte sécurisée comportant un hologramme – est désormais délivré en mains propres, ce qui réduit aussi fortement la fraude.
Mme la présidente
La parole est à Mme Katiana Levavasseur.
Mme Katiana Levavasseur (RN)
Depuis la commission d'enquête parlementaire de 2020, le gouvernement a affiché sa volonté de renforcer la lutte contre la fraude sociale. Plus de quatre ans plus tard, les chiffres restent pourtant préoccupants, comme l'a souligné mon collègue. Malgré des progrès dans la détection des fraudes, des failles majeures demeurent et font le lit des réseaux criminels, qui les exploitent afin de détourner des fonds publics –? je pense notamment à un phénomène mis en lumière par plusieurs enquêtes ces dernières années, le trafic de médicaments remboursés par la sécurité sociale, puis revendus illégalement à l'étranger, qui prive les Français de traitements essentiels, alors que notre pays est confronté à de graves pénuries de médicaments.
Quelles actions ont été conduites par le gouvernement pour mettre un terme à ces détournements qui coûtent des millions d'euros aux contribuables et menacent la santé de nos concitoyens ? Pour lutter contre la sophistication des fraudes, nous manquons de moyens : par exemple, les différents organismes sociaux ne disposent pas d'un fichier unique consolidé des bénéficiaires, alors qu'un tel fichier permettrait d'éviter que certains fraudeurs touchent plusieurs prestations sous différentes identités. Bien que cette faille soit connue, aucune réforme structurelle n'a permis d'y remédier : pourquoi cette fusion des bases de données n'est-elle toujours pas prévue ? Qu'en est-il des fraudes aux prestations versées à l'étranger ? La commission d'enquête avait recommandé la création d'une liste des pays à l'état civil peu fiable, afin de mieux contrôler les documents d'identité douteux : pourquoi cette proposition, jugée prioritaire à l'époque, n'a-t-elle pas été suivie ? Alors que des efforts toujours plus importants sont exigés d'eux pour préserver notre modèle social, les Français sont en droit de demander en retour des résultats concrets dans la lutte contre la fraude.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Le gouvernement s'est engagé à renforcer la lutte contre la fraude, ce qu'il fait depuis 2020 et la commission d'enquête que vous évoquez : les outils sont plus nombreux et un plan de fraude a été lancé en 2023. Tout cela porte ses fruits : les redressements représentent 2,9 milliards d'euros pour l'ensemble de la sécurité sociale, 628 millions d'euros pour l'assurance maladie.
L'ordonnance numérique, en cours de déploiement, doit permettre de lutter contre les fraudes à l'ordonnance : sécuriser les prescriptions permet en effet d'éviter les erreurs de délivrance ainsi que les falsifications. L'ordonnance papier remise au patient contient désormais un QR code qui permet aux pharmaciens de consulter la base sécurisée des ordonnances numériques afin de vérifier la cohérence entre la prescription enregistrée par le médecin dans la base et les informations figurant sur l'ordonnance remise par le patient. À la fin février 2025, 37 000 médecins avaient créé au moins une ordonnance numérique, ce qui représente 56 millions d'ordonnances numériques ; plus de 12 000 officines avaient déjà traité une ordonnance numérique. Dix-sept logiciels médecins et huit logiciels pharmaciens sont utilisés.
Depuis l'été 2024, le téléservice Asafo –? alerte sécurité aux fausses ordonnances – est disponible depuis le portail Amelipro : il permet de signaler et de consulter les ordonnances frauduleuses en lançant des recherches au moyen du numéro de sécurité sociale de l'assuré, puis d'opérer une vérification en envoyant un email au médecin prescripteur pour authentifier l'ordonnance. Depuis août 2024, 7 300 suspicions de fraude ont été signalées par ce biais, dont les trois quarts ont été confirmées. Un tel outil offre en outre une visibilité nationale sur les fraudes et facilite l'identification des réseaux qui en sont à l'origine.
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Buisson.
M. Jérôme Buisson (RN)
Les prestations sociales représentaient une dépense équivalente à près de 31,5 % du PIB en 2023. La lutte contre les fraudes sociales est donc un enjeu capital ; il y va de l'efficacité de la dépense publique. De rapport en rapport et de texte de loi en texte de loi, des avancées sont constatées –? la détection des fraudes est en forte hausse – mais les résultats restent insuffisants devant l'ampleur du phénomène. Le rapporteur a soulevé le problème des domiciliations en dehors de France, tant pour les personnes qui bénéficient de prestations sous condition de résidence que pour les pensions versées à l'étranger, au nombre de 1,2 million.
Comme l'a relevé la commission d'enquête en 2020, les pays du Maghreb sont ceux où les enjeux financiers sont les plus importants, en particulier pour les caisses de retraite. À elle seule, l'Algérie compte près d'un tiers des retraités vivant à l'étranger…
M. Sébastien Delogu
Ça commence !
M. Jérôme Buisson
Or les informations dont disposent les caisses sur ces assurés sont très lacunaires : une enquête menée en 2018-2019 par la caisse complémentaire Agirc-Arcco, mentionnée dans le rapport de la commission, n'a permis de fiabiliser que 18 % des dossiers environ. Qu'en est-il aujourd'hui ? Disposez-vous de chiffres actualisés ? Dans le cas de l'Algérie, le manque de coopération des autorités pour fournir des données a été souligné par la commission, comparé aux progrès observés avec le Maroc.
M. Sébastien Delogu
Encore !
M. Jérôme Buisson
Alors que nous traversons une crise diplomatique avec l'Algérie, qui porte atteinte à nos intérêts dans de nombreux domaines, ce dossier s'ajoute à la longue liste de nos différends. Cela est d'autant plus d'actualité que, après le durcissement rhétorique du ministre de l'intérieur à l'encontre des autorités algériennes et les nombreuses menaces sans lendemain, le président algérien en a appelé directement à Emmanuel Macron.
Le bras de fer verbal engagé par le ministre menace donc de tourner au fiasco, alors que les Français attendent des résultats. Dans ce contexte, quelles sont les avancées que le gouvernement envisage d'obtenir à l'international pour renforcer la coopération et l'échange d'informations, afin de lutter plus efficacement contre la fraude sociale ?
M. Sébastien Delogu
Ça vous embête que l'Algérie soit devenue indépendante !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
L'enjeu de la lutte contre les fraudes sociales, dans laquelle le gouvernement est pleinement mobilisé, est bien de lutter contre tous les types de cette fraude, quels qu'en soient les auteurs, particuliers ou professionnels, et quelle qu'en soit la forme –? il peut s'agir de grands montages financiers frauduleux organisés par des entreprises –, sans stigmatiser ni cibler une catégorie de personnes en particulier.
M. Jérôme Buisson
C'est dans le rapport !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
En mai 2023, le gouvernement a présenté sa feuille de route en la matière, composée de deux volets : un plan de lutte contre la fraude fiscale et douanière ; un plan de lutte contre la fraude sociale.
Ce plan est assorti d'objectifs ambitieux : recouvrer 5 milliards d'euros sur le quinquennat par le redressement de contributions et de cotisations sociales, 2,3 milliards d'euros pour la branche maladie et 3 milliards d'euros pour les allocations sociales. Ces objectifs ont été progressivement rehaussés compte tenu des bons résultats obtenus dans la lutte contre la fraude sociale.
Les pensions de retraite, contrairement aux prestations sociales dont le versement est conditionné à une présence en France, sont exportables et peuvent être versées à l'étranger. Parmi les 15 millions de retraités percevant une retraite de base du régime général, 1 million résident dans un pays étranger, soit 7 % du total. Le nombre de retraités résidant à l'étranger a tendance à baisser légèrement depuis quelques années ; ces derniers sont aussi plus âgés. La maîtrise du risque de non-déclaration ou de non-connaissance du décès repose essentiellement, en Europe, sur des accords bilatéraux d'échange dématérialisé d'état civil : ils couvrent près de 50 % des versements effectués hors de France.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Delogu.
M. Sébastien Delogu (LFI-NFP)
Le rapport fait au nom de la commission d'enquête relative à la fraude aux prestations sociales, publié en 2020 et qui sert de base à notre discussion, indique que la fraude aux prestations sociales s'élevait à 764 millions d'euros en 2019. En y ajoutant la fraude aux cotisations sociales, le total atteignait 1,5 milliard d'euros. Cette somme équivaut à seulement 0,15 % des montants versés par les organismes de sécurité sociale cette année-là.
En lisant ce rapport, j'ai été étonné par l'abondance d'outils dont disposent les administrations pour évaluer la fraude sociale. Étonné parce que, dans son rapport sur la détection de la fraude fiscale des particuliers publié en 2023, la Cour des comptes révèle que, en comparaison et contrairement à la majorité des pays de l'OCDE, la France ne dispose pas d'estimations statistiques de la fraude fiscale sur ses principaux impôts. Si l'on se fonde sur les taux de fraude fiscale dans les pays de l'OCDE, cette dernière atteindrait entre 30 et 110 milliards d'euros en France, tous impôts confondus, soit jusqu'à un cinquième des recettes annuelles de l'État. Un montant considérable qui ne tient pas compte de l'optimisation fiscale, immorale mais légale.
Pire encore, depuis 2017, 1 600 postes de la DGFIP ont été supprimés, avec, pour conséquence, 16 milliards d'euros non récupérés chaque année, depuis 2019.
Fort avec les faibles, faible avec les forts : voilà une formule qui résume bien votre politique de lutte contre la fraude. Tous les moyens sont employés pour traquer les pauvres mais, lorsqu'il s'agit de vos amis les milliardaires, vous ne vous donnez même pas la peine de mesurer l'ampleur du vol, alors qu'il représente au minimum vingt fois plus d'argent que la fraude sociale.
Quand pourrez-vous dire précisément aux Français à combien s'élève le montant du vol dont ils sont victimes du fait de la fraude fiscale ? Quand vous occuperez-vous enfin de ce pillage indécent, qui coule les finances du pays ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
La fraude sociale, c'est aussi le détournement de cotisations sociales par des entreprises qui font du travail non déclaré ; ce sont aussi des entreprises qui réalisent des montages frauduleux complexes et qui, par ce moyen, parviennent à détourner l'argent des caisses sociales, au détriment de nos concitoyens. Il importe donc de lutter contre cette fraude, quelle qu'elle soit et quel que soit son auteur, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises, afin que cet argent, estimé par le Haut Conseil du financement de la protection sociale à la moitié du déficit social, puisse revenir dans les caisses de la sécurité sociale et servir ainsi à nos concitoyens qui en ont besoin.
Puisque vous vous dites soucieux de ce que nos concitoyens puissent effectivement bénéficier des prestations sociales auxquelles ils ont droit, rappelons que le président de la République s'est engagé, en 2022, à mettre en œuvre la réforme de la solidarité à la source –? une réforme qui doit permettre de simplifier l'accès aux prestations, en rendant les choses plus lisibles et plus fluides pour nos concitoyens, afin d'éviter qu'ils ne passent à côté de droits et de prestations qui leur sont utiles et nécessaires.
Citons, à titre d'exemple, deux mesures de simplification prises récemment : depuis le 1er février 2024, le montant net social est affiché sur les bulletins de paie et sur les relevés de prestation ; il permet aux allocataires de bénéficier de la prime d'activité et du RSA plus facilement, tout en limitant les erreurs déclaratives qui pourraient leur porter préjudice. En outre, depuis le 1er mars 2025, les formulaires de renouvellement trimestriel du RSA et de la prime d'activité sont préremplis avec les montants des salaires versés et des aides perçues.
Le gouvernement lutte donc contre la fraude sociale mais aussi contre le non-recours, afin que les prestations sociales aillent bien aux personnes qui en ont besoin.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Fernandes.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP)
Plus de quatre ans après la commission d'enquête relative à la fraude aux prestations sociales, le constat demeure : ceux qui voudraient identifier et actionner les leviers destinés à améliorer le financement de la protection sociale devront repasser. En effet, sur 581,4 milliards d'euros versés en 2023 –? incluant les allocations chômage et familiales ainsi que les prestations relatives à la maladie et à la vieillesse –, la fraude ne représente que 5,7 milliards, soit moins de 1 % du total.
Pour éviter toute ambiguïté, je précise qu'à La France insoumise nous ne cautionnons pas la fraude.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Heureusement !
M. Emmanuel Fernandes
Nous disons même que frauder, ce n'est pas bien. Toutefois, comme le montrent les chiffres que je viens de citer, dans plus de 99 % des cas, les prestations sociales sont versées à des bénéficiaires qui y ont effectivement droit. Donc tout le monde, ou presque, s'applique déjà l'idée que frauder, c'est mal.
Mais nous le savons : pour la droite et l'extrême droite, il y a les bons et les mauvais fraudeurs. Pourtant, dans son dernier rapport sur le sujet, publié en juillet 2024, le Haut Conseil du financement de la protection sociale précise que "la fraude sociale est souvent réduite à la fraude au RSA ou à la fraude à la résidence, ce qui tend à nourrir un discours anti-pauvres" et, ajouterais-je, xénophobe.
En effet, s'agissant du RSA, la fraude représente, toujours selon le HCFIPS, 1,5 milliard d'euros, alors même qu'avec un taux de non-recours de 34 %, 3 milliards d'euros ne sont pas versés à des personnes éligibles à cette prestation –? ce qui équivaut à deux fois le montant de la fraude.
M. Rodrigo Arenas
Eh oui !
M. Emmanuel Fernandes
Alors, je le dis aux membres de la droite et de l'extrême droite : rendez-vous utiles, attaquez-vous plutôt à la fraude aux cotisations non versées par les patrons, notamment dans le cas du travail dissimulé, qui représente à elle seule autour de 7 milliards d'euros chaque année, soit plus que la somme de toutes les fraudes aux prestations sociales !
À quel moment le gouvernement consacrera-t-il enfin des moyens à la hauteur pour lutter contre l'évasion fiscale, qui représente chaque année entre 80 et 100 milliards d'euros de manque à gagner pour les caisses de l'État ? Mais dans ce cas, les fraudeurs sont sans doute à vos yeux de bons fraudeurs, puisque ce sont vos amis. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Ne soyons pas caricaturaux : la lutte contre la fraude sociale est indispensable et nécessaire.
Nous devrions tous être convaincus du bien-fondé de cette bataille, sans stigmatiser les uns ni négliger les fraudes de plus faibles niveaux, quel que soit leur auteur. En effet, 1 euro pris de façon indue dans les caisses de la sécurité sociale, c'est 1 euro de moins pour une personne qui en a réellement besoin. C'est pourquoi le gouvernement a fait de la lutte contre la fraude un enjeu majeur. Les moyens, nous l'avons dit, qu'ils soient technologiques ou humains, ont été particulièrement renforcés afin de mieux identifier la fraude, dont une partie relève effectivement du travail dissimulé, véritable fléau contre lequel nous ne ménageons pas nos efforts.
Cependant, la lutte contre la fraude sociale doit être complétée par la lutte contre le non-recours, afin que nos concitoyens qui ont besoin d'une aide sociale puissent l'identifier facilement et en bénéficier. C'est le sens de la réforme de la solidarité à la source annoncée en 2022 par le président de la République, que nous n'avons de cesse de déployer. Plusieurs mesures récentes permettent également de faciliter les démarches administratives pour nos concitoyens. Citons-les de nouveau : le préremplissage des formulaires de renouvellement trimestriel du RSA et de la prime d'activité ; l'affichage, sur les bulletins de paie et les relevés de prestations, du montant net social que l'on doit déclarer pour percevoir la prime d'activité ou le RSA. Autant de démarches chronophages et anxiogènes que le gouvernement s'emploie à supprimer ou à simplifier pour permettre l'accès au juste droit.
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Bellay.
Mme Béatrice Bellay (SOC)
Nous l'avons compris : la fraude, ce n'est pas bien. Cependant, une injustice plus grave et plus cruelle, quoique plus discrète, frappe les pays des océans, dits d'outre-mer : celle du non-recours aux droits, dont le taux y dépasse les 40 %.
Le non-recours, c'est ce moment où un citoyen souvent vulnérable et isolé se retrouve seul face à un montage administratif, instauré par un État qui promet des droits inaccessibles mais propose des procédures labyrinthiques, des justificatifs toujours plus nombreux et des démarches où chaque étape semble conçue pour décourager au lieu d'aider, de favoriser l'émancipation, l'égalité des chances et la dignité.
En cause, parfois l'illettrisme, souvent l'illectronisme et plus fréquemment encore les zones blanches. Pourtant, ces citoyens ne manquent ni de volonté ni de détermination ; mais ils vivent et subissent leur situation et la misère. En Martinique, les besoins sont immenses : on vieillit mal, malade, sans toucher les aides auxquelles on pourrait prétendre ; on élève des enfants sans bénéficier des soutiens essentiels, ce qui conduit ensuite les autorités à modifier les statistiques de décrochage scolaire ; on endure des violences alimentées par l'histoire dans un silence entretenu ; on survit dans des habitats insalubres et même sur des terres empoisonnées.
La résignation, c'est ce à quoi la population martiniquaise –? comme c'est sans doute le cas dans d'autres territoires – se soumet tristement quand l'État parle une langue qu'elle ne comprend plus. Cette politique de l'indifférence est absurde et constitue un échec pour la République, pour la liberté, l'égalité et la fraternité, car elle pénalise des pères et mères de famille, des grands-parents, des jeunes sans repère et des personnes isolées, qui chaque jour renoncent, par épuisement ou par découragement, parfois même par honte de ne pas savoir naviguer dans les méandres d'un système kafkaïen qui les exclut.
On ne peut lutter véritablement contre la fraude sociale qu'en luttant aussi contre la pauvreté. Si l'État mettait plus d'énergie à rendre plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs les dispositifs de retour à l'activité, on compterait peut-être moins de fraudeurs –? terme des plus méprisants que les politiques aiment tant à employer.
À quand, madame la ministre, une véritable politique d'accès effectif aux droits dans les pays des océans, une politique qui n'exigerait pas des citoyens qu'ils soient juristes ou énarques pour se nourrir décemment, se soigner ou vivre dignement ? À quand une politique du "aller vers" plutôt que du "aller contre et courir derrière" ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Le gouvernement est pleinement engagé auprès des territoires ultramarins, qu'il entend ne jamais laisser de côté. Il travaille à leur apporter des réponses adaptées à des contextes parfois très différents et éloignés de ce que nos concitoyens vivent dans l'Hexagone.
Je me rendrai en Martinique les 7 et 8 avril, pour travailler notamment, avec le département et d'autres acteurs, aux problématiques liées au grand âge –? elles y sont très importantes, comme vous l'avez souligné. Nous aborderons également la question du handicap, à propos de laquelle l'État s'engage à financer de nouvelles solutions.
Mobilisé auprès des territoires ultramarins, le gouvernement l'est également contre le non-recours. Le président de la République, en 2022, s'est engagé à le combattre par la réforme de la solidarité à la source : ce ne sera plus à nos concitoyens d'engager des démarches pour accéder aux prestations auxquelles ils ont droit, mais à l'État, progressivement, de se mobiliser pour les leur verser, de la manière la plus directe et la plus facile possible. La prime d'activité et le RSA ont déjà été intégrés à ce dispositif. Chacun pourra ainsi réussir son parcours et son insertion sociale.
Nous ne cessons de travailler au développement de ces réponses, qui demandent toutefois du temps, du fait de la complexité des moyens techniques qu'elles nécessitent de déployer.
Mme la présidente
Le débat est clos.
(Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 mars 2025