Déclaration de M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités, sur la branche accident du travail et maladies professionnelles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les projets de loi de finances et relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, au Sénat le 28 octobre 2025.

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Texte intégral

M. Jean Sol, président. - Nous accueillons M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités.

Monsieur le ministre, notre commission est impatiente de vous entendre sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 au regard des enjeux qui concernent vos champs d'action : les retraites, bien entendu, mais également la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Deux autres textes concernent aussi notre commission : le projet de loi de finances (PLF), en particulier la mission "Travail et emploi", et le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, dont la commission des affaires sociales est saisie au fond.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. - Je suis très honoré d'être devant vous. Dans mes précédentes fonctions, j'ai toujours apprécié les échanges avec les sénatrices et les sénateurs. La chambre haute aborde les sujets avec profondeur et sérénité.

Vous savez d'où je viens : de la SNCF, c'est-à-dire du monde de l'entreprise, où j'ai passé 45 années, dont les six dernières comme président. Le groupe SNCF est au carrefour de nombreuses entreprises publiques. C'est un bon baromètre des inquiétudes et des attentes des Français. On dit parfois que la SNCF est un bout de la France, avec ses 150 000 cheminots répartis sur tout le territoire. À la SNCF comme dans les autres entreprises, le dialogue social, l'attention portée aux conditions de travail, le développement des compétences, la valorisation du travail, l'usure professionnelle, les retraites sont des sujets de préoccupation légitimes des salariés et des organisations syndicales, tout comme le coût de l'emploi et la compétitivité sont des sujets de préoccupation légitimes des employeurs et des organisations patronales.

Les problématiques relatives au travail, à l'emploi et à la solidarité ont toujours un écho local fort, car c'est sur le terrain que les ajustements se réalisent. En rejoignant le Gouvernement, j'ai souhaité mettre mon expérience au service des Français dans un moment de grandes difficultés sociales, économiques, politiques et géopolitiques.

J'ai mené cette réflexion en quelques heures avant de décider et j'ai préféré être dans l'action, sur le terrain, plutôt que spectateur dans les tribunes. Mais je prends ces nouvelles responsabilités avec beaucoup d'humilité. Je sais les défis nombreux, bien au-delà de ce PLFSS compliqué.

Ma méthode reste l'écoute et le dialogue. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai souhaité rencontrer certains d'entre vous le plus vite possible. Ma porte reste ouverte : je suis disponible, pour que choses avancent.

J'en viens au projet de loi de financement de la sécurité sociale, en débutant par un constat. La France dispose de l'un des meilleurs systèmes de protection sociale du monde. Nous en sommes fiers. C'est un pacte entre les Français et la nation ; c'est aussi un pacte de solidarité entre les générations. Malheureusement, les soubassements économiques de ce pacte sont fragilisés par la situation démographique. Or, les tendances démographiques sont irrésistibles. La natalité baisse tandis que la population vieillit. On atteint un ratio de 1,8 actif pour 1 retraité. En 2070, il sera de 1,4 pour 1. L'équation devient compliquée. Le mode de financement, qui repose à 65 % sur le travail, atteint lui aussi ses limites, puisqu'une partie de la dépense est universelle et non assurancielle.

Nous faisons face à des déficits croissants et alarmants. Le plafond de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a été relevé à plus de 80 milliards d'euros, atteignant les limites en matière de trésorerie et de capacité à lever des fonds pour assurer le fonctionnement de nos organismes.

Le diagnostic est simple : si nous voulons préserver notre système social et le transmettre en bon état aux générations futures, nous devons trouver des solutions pour le maintenir à flot. La solidarité intergénérationnelle est essentielle : les jeunes seront un jour actifs ; les actifs seront retraités ; les retraités peuvent souffrir d'une perte d'autonomie. Chacun, dans sa vie, passe d'une branche de la sécurité sociale à l'autre.

Ce PLFSS n'a pas d'ambition structurelle. Ce n'est pas son objet : les textes budgétaires, PLF et PLFSS, n'ont qu'une portée annuelle. Aussi, il présente des réponses de court terme, tant sur le volet des recettes que sur celui des dépenses.

Réduire les dépenses n'est jamais très populaire. J'en suis conscient. Le Premier ministre l'a dit : ce PLFSS est un projet. Par conséquent, il mérite d'être amendé. Mon souhait est qu'il le soit dans le respect de notre cadre économique.

La mesure la plus forte de ce PLFSS est le gel, ou la stabilité en niveau, des prestations et des retraites. Cette année blanche nous paraît nécessaire d'un point de vue financier, parce que son rendement est de 3,6 milliards d'euros, et possible, puisque l'inflation est modérée. Nos compatriotes pourront supporter cet effort, dès lors qu'il est partagé. Je crois savoir que quelques-uns d'entre vous avaient déjà évoqué cette piste dans leurs travaux estivaux.

Cette logique d'année blanche vaut aussi pour le gel des montants des revenus utilisés pour déterminer l'application des taux réduits ou nuls de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement et par extension de l'assujettissement à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) et la cotisation d'assurance maladie sur les retraites complémentaires.

Venant de l'entreprise, je sais combien l'emploi est décisif. Or il est créé par les entreprises. Cela suppose qu'elles soient compétitives. Il faut faire attention à rester ajusté, pour que les mesures que nous envisageons soient supportables pour les entreprises. N'alourdissons pas trop la barque de nos entreprises, qui créent de l'emploi. Or l'emploi, c'est du travail, et donc des cotisations. Tout se tient. La France est le pays de l'OCDE où les cotisations sont les plus lourdes. Les entreprises pâtissent déjà structurellement d'un handicap qu'elles ne manquent pas de rappeler.

Du côté des recettes, nous nous penchons sur les niches fiscales. Celles-ci ont été créées parce qu'on a voulu, dans un secteur considéré, envoyer un signal prix, ou plutôt un signal exonération, pour encourager une pratique.

Alors que les temps sont durs, il ne nous paraît pas anormal, du moins sur le plan intellectuel, que l'on s'interroge sur ce que sont devenues ces niches fiscales et sur la manière dont elles ont évolué par rapport à l'intention originelle qui a prévalu à leur création. N'y a-t-il pas eu une extension incontrôlée ? Il convient d'y revenir.

Par ailleurs - je serai là un peu militant -, quelle est la ressource de la sécurité sociale ? Ce sont les cotisations. Par conséquent, chaque exonération de cotisations affaiblit la sécurité sociale. Il faut donc bien réfléchir avant de créer des niches, et être conscient de leurs conséquences.

Les niches sociales sont très larges dans notre pays. Nous sommes tout à fait ouverts au débat et aux propositions alternatives à celles que nous avons faites ; d'autres pistes sont possibles. Je rappelle que le rendement de ces niches sociales est d'à peu près 1,2 milliard d'euros. Cela mérite que l'on y prête attention.

L'idée d'équité est fondamentale. Tous les contributeurs, tous les acteurs du système de protection sociale et tous les bénéficiaires doivent participer à l'effort, qu'il s'agisse des actifs, des retraités ou des opérateurs. Je respecte les professionnels pour leur savoir et leurs compétences - nous en avons besoin -, mais, au fond, tous ceux qui font partie de cet écosystème à 666 milliards d'euros doivent être solidaires d'un effort d'ajustement et de maîtrise. Cela permettra de passer le cap avant que des réformes plus structurelles puissent voir le jour dans notre pays.

Monsieur le président, je saisis bien volontiers la perche que vous m'avez tendue en évoquant le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Ce n'est pas un hasard que ce texte arrive en même temps que les projets de loi financiers : les Français ne comprendraient pas, au moment où des efforts leur sont demandés, que nous paraissions laxistes et éloignés de cette préoccupation. Bien au contraire, via le projet de loi, qui sera examiné par le Sénat le 12 novembre prochain, nous nous emparons du sujet.

Dans notre pays, la lutte contre la fraude fiscale est assez bien équipée. La direction générale des finances publiques (DGFiP) est un instrument très efficace : il est compliqué de frauder, car ses agents savent tout de nous. Sur le plan social, la lutte contre la fraude n'est pas aussi outillée, pas aussi unifiée. Il y a un effort technique à faire, ce qui suppose une loi, parce qu'il faut aussi veiller au respect des libertés. Il faut donner à nos contrôleurs du champ social les moyens de mieux faire leur métier et de lutter contre les abus, les écarts, voire les fraudes qui existent un peu partout, sans stigmatiser quiconque.

Je rappelle que le Haut Conseil du financement de la protection sociale a estimé le montant de la fraude sociale à 13 milliards d'euros. Ce n'est pas rien : c'est la moitié du déficit de la sécurité sociale. L'enjeu est important. Nous ne récupérerons certes pas 13 milliards, mais, si nous pouvons en récupérer quelques-uns, il est de notre devoir de le faire.

La volonté d'être plus efficace en la matière, sous l'impulsion du Premier ministre, est très forte au sein de l'ensemble du Gouvernement. Ce n'est pas qu'une formule. Si l'écart à la loi doit bien évidemment être puni par des mécanismes légaux, la fraude sociale et la fraude fiscale sont également moralement répréhensibles dans le moment que traverse notre pays.

L'autre grand sujet de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est, bien sûr, celui des retraites. Le véhicule du PLFSS a déjà été choisi par le passé pour traiter du sujet : que l'on songe à la loi de 2023. Cela avait été validé par le Conseil constitutionnel. Dès lors, rien n'empêche de le faire.

Le débat est sensible, et cette audition vous donnera l'occasion de le nourrir...

La question de la suspension est importante - je développerai ce point si vous le souhaitez. Elle peut être débattue ; elle le sera. Elle a au moins le mérite de donner du temps. Le Premier ministre m'a demandé d'utiliser ce temps pour refaire le tour du débat travail-retraite, comprendre pourquoi notre construction n'a pas totalement fonctionné et ce par quoi elle a pu pécher.

Pour ce qui me concerne - cela tient peut-être aussi à ma nature optimiste -, j'ai la conviction qu'il y a un chemin pour un accord. De fait, si l'on observe la situation avec un peu de recul, nous n'avons pas été si loin de l'obtenir. Nous l'avons manqué, à deux reprises : lors du projet de réforme de 2019-2020 ; à la sortie du conclave. Nous connaissons les raisons du blocage. On peut se demander si celui-ci était pertinent, au vu des enjeux sous-jacents. Que faudrait-il ajouter pour que ce blocage soit levé ? La chose ne me paraît pas impossible.

Nous allons donc nous donner le temps du recul en intégrant la question du travail. Pour le dire très simplement, il s'agit de répondre à la question suivante : pourquoi autant de Français, quels que soient leurs métiers - ou presque -, ont-ils, à 60 ou 62 ans, une si grande envie de quitter le monde du travail ? J'ai le sentiment que nous n'avons pas eu "l'occasion" - pour employer un terme neutre - de traiter cette question. Or il est déterminant de comprendre pourquoi les Français résistent autant à l'idée de travailler deux ans de plus ; si tel n'était pas le cas, la question des retraites se poserait différemment. C'est pourquoi il est très important que la conférence sociale aborde autant le travail que la retraite.

Concernant les retraites, je le dis tout de suite, l'objectif est de mettre à plat les différents types de régimes. Au fond, il y a, sur le sujet, une espèce de guerre de religion. En toute honnêteté, je n'ai, pour ma part, aucune idée préconçue. Ce que je souhaite, c'est que nous définissions un système de retraite qui fasse largement consensus au sein des forces vives, politiques et syndicales, et de la population.

Il est important d'essayer d'apaiser le débat et, pour ce faire, de rester factuel. J'essaierai de décrire une nouvelle fois les grands systèmes que nous connaissons - la répartition, le système par points, la capitalisation. Que signifie chacun d'eux ? Des "mix" sont-ils possibles ? Si oui, lesquels ? J'ai la conviction que nous reparlerons de la pénibilité lorsque nous évoquerons la répartition. C'est peut-être un manque sur le sujet qui peut expliquer pourquoi nous avons finalement échoué il y a quelques mois, alors que nous avons failli réussir. Quoi qu'il en soit, nous allons nous donner cette chance.

Je vous ai dit l'essentiel et vous ai donné la couleur. Je suis sûr que les questions ne manqueront pas.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ma première question est relative au cadrage général des finances publiques, et non à la seule sécurité sociale.

Le 8 octobre dernier, dans le cadre des discussions avec les partis politiques, le Premier ministre a évoqué un objectif de déficit public pour 2026 "en dessous de 5 %" du PIB. Si l'on considère que cela correspond, par exemple, à un déficit maximal de 4,9 points de PIB, cela signifie que le déficit 2026 pourrait être augmenté d'environ 6 milliards d'euros par rapport au déficit de 4,7 points de PIB actuellement prévu. Faut-il comprendre les choses ainsi ? Si oui, cette "marge d'aggravation du déficit" a-t-elle été répartie entre État et sécurité sociale ?

Selon le texte résultant de la lettre rectificative, le coût de la suspension de la réforme des retraites est estimé, pour le système de retraite, à 100 millions d'euros en 2026 et à 1,4 milliard d'euros en 2027. Pourtant, lors de son discours de politique générale, le 14 octobre, le Premier ministre a indiqué que le coût de la mesure était "de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,8 milliard d'euros en 2027". Nous comprenons qu'il s'agit, dans les deux cas, d'un chiffrage sur le seul champ du système de retraites. Comment expliquer l'écart entre, d'une part, les montants indiqués par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, et, d'autre part, le texte résultant de la lettre rectificative ?

Pour sa part, la presse a fait état de chiffrages nettement plus élevés du coût de la suspension de la réforme des retraites que ceux qui figurent dans l'exposé des motifs de l'article de la lettre rectificative. Le 8 octobre 2025, le Premier ministre a déclaré, sur France 2, que le coût de la suspension serait de "pas moins de 3 milliards d'euros" en 2027. Le même jour, Roland Lescure a annoncé que la mesure coûterait "des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027", et TF1-LCI a précisé que "Bercy chiffre une mise en pause de la réforme à 500 millions d'euros en 2026 et 3 milliards d'euros en 2027." Dans ces conditions, nous comprenons que les Français soient perdus !

Nous comprenons que ces chiffrages à 3 milliards d'euros en 2027 concernent l'ensemble des administrations publiques, en prenant notamment en compte l'effet de la moindre croissance économique, et non le seul système de retraite. Pouvez-vous nous confirmer ce point ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse. - Nous avons regretté que la réforme de 2023 ait pris place dans un texte purement financier et que nous n'ayons pu obtenir d'équilibres sur la pénibilité, les carrières longues et la retraite des femmes - sur ce dernier point, il y a une avancée. Nous attendons depuis 2023 la loi sur le travail que Mme Borne nous avait promise ; nous aurions pu y inscrire des dispositions qui auraient permis l'acceptabilité du report de l'âge.

Je veux d'abord rebondir sur la question de Mme la rapporteure générale. Je confirme que nous sommes un peu perdus dans les chiffres... Si l'on comprend bien, les estimations à 3 milliards d'euros en 2027 portent non sur le seul système de retraite, mais sur l'ensemble des administrations publiques. Si l'on fait un calcul rapide, l'écart d'environ 1,5 milliard d'euros pour 2027 - 1,4 milliard d'euros pour le seul système de retraite selon l'évaluation préalable ; 3 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques selon les autres déclarations - suggère que la suspension de la réforme des retraites réduirait le PIB d'environ 0,1 point en 2027. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?

Comme cela nous a été dit par vos services, nous avancerons, pour la première fois depuis 1982, l'âge d'ouverture des droits à la retraite en suspendant l'application de la réforme de 2023 pour les générations de 1964 et 1965. Avez-vous une idée du coût qu'une telle mesure va engendrer pour l'ensemble des caisses de retraite qui vont devoir recalculer des liquidations de pensions ?

L'article 43 du PLFSS pour 2026 prévoit de réformer le cumul emploi-retraite dans le sens des recommandations émises par la Cour des comptes, afin d'en limiter les effets d'aubaine et de réserver l'accès au cumul intégral aux seuls assurés ayant atteint l'âge de 67 ans. Cette mesure a pour objet d'encourager les seniors à rester plus longtemps sur le marché du travail. Or nous savons que le taux d'emploi des seniors en France est le plus faible d'Europe, malgré une légère progression. Quels outils les entreprises ont-elles à leur disposition pour continuer à former les seniors et à entretenir leur productivité ? Surtout, comme j'ai pu le demander en 2023, les entreprises vont-elles garder leurs seniors ?

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). - La branche AT-MP a longtemps été excédentaire, mais sa situation financière a aujourd'hui de quoi préoccuper : à compter de 2025, une situation de déficit structurel devrait s'installer, avec des taux de déficit prévisionnels allant jusqu'à 8 % pour 2027. Il s'agira très certainement du pire déficit de l'histoire de la branche. Ce constat amène deux questions.

Si nous déplorons la situation financière en elle-même, il est peut-être encore plus regrettable que la détérioration du solde de la branche soit le fruit d'un choix politique. En effet, bien plus que la dynamique des prestations, c'est la hausse conjointe du transfert à la branche maladie et du transfert de recettes à la branche vieillesse qui plonge la branche AT-MP dans le déficit. Si je ne conteste pas la pertinence du transfert pour la sous-déclaration, ce phénomène étant bien étayé, force est de constater que les estimations qui fondent son montant sont volatiles, du fait du manque de fiabilité des données. Elles placent désormais la branche AT-MP dans une situation financière difficile. Sans les transferts aux branches maladie et l'attribution du taux de cotisation AT-MP à la branche vieillesse, la branche AT-MP afficherait un excédent prévisionnel compris entre 0,9 milliard et 1,5 milliard d'euros entre 2025 et 2029. Pourquoi avoir fait le choix de "sacrifier" la santé financière de la branche AT-MP pour tenter de résorber le déficit d'autres branches ? Le Gouvernement entend-il maintenir cette politique ?

Ma seconde question porte sur l'annexe 3 du PLFSS pour 2026, qui annonce, sans davantage de détails, une amélioration des recettes de 0,4 milliard d'euros. Pourriez-vous préciser quelles mesures sont envisagées en ce sens et indiquer si les partenaires sociaux seront partie prenante dans la définition des modalités de retour à l'équilibre de la branche ?

En tout état de cause, je crois ne pas me tromper en disant que la commission s'opposerait fermement à toute augmentation uniforme des cotisations : il ne serait pas acceptable que des employeurs vertueux, investis dans la prévention des risques professionnels, aient à payer les conséquences d'un déficit qui procède, je le répète, d'un choix politique plutôt que d'une augmentation de la sinistralité.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Concernant le cadrage général, vous avez parfaitement posé les termes du débat. L'équation de départ est un déficit de 4,7 %, et la trajectoire vise à atteindre 3 % en 2029. La dynamique est donc la bonne, puisque le déficit était à 5,4 %, et cette baisse va continuer. Il faut le faire en soi, sans parler de la pression qu'exercent sur nous la Commission européenne, les marchés, etc. C'est un élément fondamental : c'est certainement l'armature du retour à la vertu dont notre pays a besoin en matière de finances publiques.

Effectivement, le Premier ministre, par une formule tout à fait ajustée, a parlé, pour le déficit, d'un chiffre "inférieur à 5 %". Vous avez vous-même évoqué un déficit de 4,9 %. De fait, il s'agit précisément d'atteindre ce déficit à la fin : il importe, dans ce contexte mouvant, fait de discussions, d'échanges, d'ajustements, qu'il y ait une forme de clôture. Ce déficit de 4,9 % n'est donc pas un déficit de départ : il doit permettre, in fine, de constater que les conditions d'une stabilisation de l'action gouvernementale sont réunies, ce qui permettra d'avancer et de traiter les problèmes du pays. Vous m'accorderez que ce n'est pas complètement gagné à ce jour : le processus sera difficile. Mais tels sont les termes de l'équation.

Honnêtement, je pense qu'il appartient au Premier ministre d'apprécier la manière dont il convient d'ajuster les choses, en respectant les deux conditions que j'ai évoquées : il faut que ce soit juste et pertinent. Il faut vraiment que nous puissions, par exemple, amodier les éléments d'économie qui apparaîtraient trop difficiles à supporter pour les Français ; nous serons bien évidemment attentifs à ce critère. Autre critère : nous devons faire en sorte de créer de la convergence, et non de la divergence. Ce sont ces deux critères qui, me semble-t-il, seront utilisés par le Premier ministre pour ajuster les arbitrages - finaux ou successifs - qui permettront d'assurer l'objectif de redressement des comptes, auquel il me semble que nous sommes nombreux à souscrire.

Pour ce qui concerne la lettre rectificative, effectivement, les chiffres ont bougé. Comme vous, j'ai entendu, dans la déclaration de politique générale du Premier ministre, les chiffres de 400 millions d'euros et de 1,8 milliard d'euros - on ne savait pas encore la forme que cela prendrait d'un point de vue législatif. Les calculs ont ensuite été affinés. Une première estimation avait été faite par la direction de la sécurité sociale, mais l'assiette a bougé après que nous eûmes regardé de plus près ce qu'il y avait dedans.

Mon avis peut être discuté, mais ceux qui me connaissent savent l'importance que j'attache au bon sens. Or, en l'occurrence, le bon sens a consisté à considérer que la suspension ne devait toucher que ceux qui montaient vers 64 ans, autrement dit à interrompre, pour ces derniers, le processus du recul de l'âge de départ. C'est ce raisonnement, simple, qui a conduit à une assiette un peu plus resserrée. De fait, nous avons considéré qu'il n'était pas anormal d'exclure du calcul le sous-ensemble de salariés qui n'étaient pas concernés par la montée à 64 ans : les carrières longues, qui partent à la retraite avant cet âge, parce qu'elles ont commencé à travailler tôt ; les régimes spéciaux, qui, par nature - je connais bien celui de la SNCF -, partent aussi beaucoup plus tôt. En procédant ainsi, nous avons fait baisser le périmètre, et nous sommes tombés à 100 millions d'euros en 2026 et 1,4 milliard d'euros en année pleine.

Les chiffres dépendent aussi des hypothèses que l'on retient. Par exemple, il est difficile de savoir comment se comporteront les Français : vont-ils partir plus tôt ou, au contraire, pousser jusqu'à la date prévue pour bénéficier de mécanismes de surcote ou de cotisations supplémentaires ? Sur ce point, nous ne pouvons que formuler des hypothèses ; les faits parleront.

Vous avez raison de dire que ce sont des calculs aux bornes de la caisse : les effets plus larges que vous mentionnez, et qui donneraient lieu à un doublement du coût estimé de la suspension, n'ont pas été, à ce stade, pris en compte.

Or il ne faut pas oublier que l'effort de financement porte sur les effets sur la caisse. Deux éléments doivent être pris en compte.

Tout d'abord, considérons que le coût de la suspension est bien de 100 millions d'euros pour 2026. L'an dernier, les mutuelles ont profité d'un petit effet d'aubaine, puisqu'elles ont tenu compte d'une exonération qui n'a finalement pas eu lieu. Ainsi, leurs primes ont été augmentées sans qu'aucune dépense supplémentaire n'ait finalement été induite. Il ne serait donc pas anormal de les appeler à un effort complémentaire cette année.

Pour 2027, en revanche, le coût de la suspension s'élèverait à 1,4 milliard d'euros. Le principe assez orthodoxe qui a prévalu - et nous pourrons en débattre -, c'est que les retraites paient les retraites. Plusieurs leviers sont possibles : pour notre part, nous proposons d'amplifier le mécanisme de sous-indexation, en le fixant à 0,9 point, entre 2027 et 2029. Ce principe avait d'ailleurs été accepté par les partenaires sociaux à l'occasion du conclave, à hauteur de 0,4 point.

Madame le rapporteur de la branche vieillesse, vous regrettez que la question du travail n'ait pas été assez traitée. Vous avez raison : l'une des clés pour trouver un accord est de parler du travail. Au sein de la conférence sociale sur le travail et les retraites, ce sujet tiendra une place aussi importante que celle des retraites dans les réflexions. Nous avons une sincère volonté d'écoute sur les conditions et l'organisation du travail, sur la rémunération, sur la pénibilité ou encore sur la prévention - car mieux vaut prévenir que réparer des usures excessives. Tous ces sujets sont très importants. Et s'ils sont correctement traités, ils seront de nature, j'en suis convaincu, à créer les conditions d'une convergence.

J'en profite pour dire que cette conférence ne sera pas un conclave bis. Il ne s'agira pas d'un lieu de négociation fermé, dont on ne sortirait qu'à l'apparition d'une fumée blanche, mais d'un lieu de débat, ouvert, où des experts pourront s'exprimer. Ses conclusions seront structurées et organisées pour être partagées de la manière la plus rationnelle possible. Nous n'empêcherons personne d'adopter une position idéologique, mais nous pousserons chaque acteur à argumenter pour exposer concrètement ses solutions.

Nous espérons que les travaux de la conférence seront repris par les partenaires sociaux, à la fois sur les retraites, mais aussi sur le travail.

J'ai évoqué la promotion interne. Le parcours professionnel fait partie des éléments qui peuvent convaincre les salariés de se réaliser dans l'entreprise et d'y rester un peu plus longtemps. Il n'y a pas d'âge pour progresser - la preuve, on peut devenir ministre à 68 ans !

Nous avons donc bien l'intention de nous pencher sur ce sujet fondamental qu'est le travail.

J'en viens au cumul emploi-retraite. J'ai le sentiment que, dans les années à venir, de plus en plus de personnes seront à cheval entre les deux mondes : la retraite n'apparaît plus, autant qu'autrefois, comme une césure radicale. C'est tout l'intérêt des instruments permettant de mélanger travail et retraite, comme la retraite progressive ou le cumul emploi-retraite, à des niveaux variables, en fonction de la situation de chacun.

Le cumul emploi-retraite apparaît donc comme une nouvelle philosophie du passage du travail à la retraite. Nous avons voulu clarifier cet instrument.

Disons-le clairement : nous n'encourageons pas les salariés de moins de 64 ans à y recourir. C'est assez logique, puisque cela correspond à l'âge d'ouverture des droits à la retraite. Nous incitons plutôt ces salariés à travailler.

De même, à partir de 67 ans - âge d'annulation de la décote -, on considère que le travailleur est quitte vis-à-vis du système de retraite. Dès lors, tout est possible : prendre sa retraite sans décote, continuer à travailler, ou profiter de ce système intermédiaire. Ses paramètres peuvent être discutés : ce que nous proposons dans le PLFSS, c'est qu'au-delà d'un plafond de revenu de 7 000 euros, la pension de retraite soit écrêtée.

Étant donné que nous manquons de médecins, et que nous souhaitons les encourager à travailler plus longtemps, un système particulier est prévu pour cette profession.

Le système est donc simple. Nous restons ouverts à la discussion sur le curseur.

Concernant les accidents du travail, il me semble tout d'abord qu'il faut les distinguer des maladies professionnelles. Ensuite, en tant qu'ancien patron d'entreprise, je n'ai jamais pu me résoudre à accepter que des personnes se blessent, voire décèdent, en travaillant. C'est une situation insupportable, plus que pénalement, moralement. Le dirigeant d'entreprise a la responsabilité de créer les conditions pour empêcher de tels accidents. Sur ce sujet encore, les comparaisons européennes ne sont pas flatteuses, même si certaines entreprises françaises s'en sortent bien. Sans doute devons-nous réfléchir à la culture du travail et de l'entreprise pour mieux comprendre les phénomènes profonds qui aboutissent à de telles situations.

Je reçois régulièrement la liste des salariés qui décèdent au travail : il y en a plusieurs par jour. C'est toujours un drame, qui m'interroge sur les conditions qui y ont abouti. Il ne s'agit pas de culpabiliser les dirigeants. Mais n'oublions pas que la prévention des risques professionnels est un métier. Il existe des méthodes, que nous devons déployer avec détermination, pour parvenir à réduire drastiquement le nombre de personnes qui se blessent en exerçant leur travail.

Je reconnais avec humilité que je ne maîtrise pas encore très bien les sujets économiques que vous évoquez. Comme vous, je m'interroge sur les flux entre les différentes branches de la sécurité sociale. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants, mais ils m'interrogent. Je sais seulement que les paramètres du mécanisme de sous-déclaration sont ajustés par une commission qui se réunit tous les trois ans. Vous vous interrogez sur la rigueur de ses travaux : laissez-moi un peu de temps pour me faire un avis personnel sur la qualité de leurs délibérations.

J'en viens au CDI senior. Il fait partie des outils à notre main. Cependant, l'un des paramètres importants reste le taux d'emploi - des jeunes comme des seniors. En effet, quand les Français travaillent, ils travaillent assez bien. Toutefois, notons qu'après avoir beaucoup augmenté dans notre pays, la productivité décroît depuis quelques années, pour des raisons à la fois complexes et multifactorielles. Cette baisse est problématique, car la productivité est liée aux salaires et à la création de richesse.

La loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, récemment adoptée, permettra la création de dispositifs qui améliorent l'emploi des seniors. Je pense notamment à un contrat qui permet d'embaucher des seniors en précisant leur date de départ, ce qui clarifie la situation, tant pour l'employeur que pour le salarié.

Reconnaissons cependant que si les seniors travaillent davantage, c'est bien en raison de la réforme des retraites. C'est un effet mécanique - et vertueux. Cependant, nous devons nous pencher sur les conditions de travail dans les entreprises pour donner envie aux seniors de travailler plus longtemps et aux employeurs de jouer le jeu. Vous avez raison : il ne faut pas que les entreprises mènent une politique "anti-seniors".

Le ministère ne peut pas se substituer aux entreprises, mais nous devons trouver un moyen de mieux surveiller la bonne mise en oeuvre de cette politique. C'est en effet un enjeu majeur : si notre taux d'emploi des seniors était identique à celui de l'Allemagne, notre système serait bien plus équilibré ! Et si les Allemands y arrivent, pourquoi pas nous ? C'est un sujet que je prendrai à bras-le-corps, car il est fondamental pour le travail.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis des crédits de la mission "Travail, emploi et administration des ministères sociaux". - Contrairement à mes collègues, j'estime que les chiffres sont assez clairs sur la mission "Travail, emploi et administration des ministères sociaux". En effet, celle-ci contribue très fortement à la baisse des charges pour l'année 2026 - à hauteur de 2,3 milliards d'euros, soit une baisse de 12 %, assez proche de la diminution votée dans le PLFSS pour 2025.

Cela ne nous pose pas de problème, puisque nous devons nous inscrire dans cette trajectoire de baisse de la dépense. En revanche, ce qui est plus préoccupant, c'est l'absence de trajectoire, voire de cap, sur un budget qui implique tout un écosystème et de nombreux partenaires.

L'exemple de l'apprentissage est assez révélateur. Ce dispositif intègre plusieurs partenaires - entreprises, familles ou encore centres de formation d'apprentis (CFA). L'an dernier, il avait été décidé de baisser fortement les aides aux entreprises pour 2025. Cela ne nous posait pas de difficulté. Nous avions étudié, avec votre prédécesseure, les paramètres sur lesquels jouer. Les commissions des affaires sociales et des finances du Sénat avaient d'ailleurs proposé des amendements pour dissocier les entreprises de plus de 250 salariés de celles de moins de 250.

L'objectif était de faire une pause en 2026, compte tenu du temps nécessaire à la mise en place de ce système, du décalage entre la rentrée et le vote du budget et du nombre de partenaires impliqués dans ce dispositif. Surtout, nous ne voulions pas que le dispositif de l'apprentissage soit mis à mal.

Or le budget 2026 est exactement dans la même épure : il prévoit une baisse de près d'un milliard d'euros pour les aides aux entreprises.

Aussi, nous ne pouvons manquer de nous interroger. Vous êtes le bienvenu dans la commission et nous apprécions tant votre expérience que votre regard sur le budget. Cependant, la succession de ministres pose question à tous les partenaires. Sans trajectoire sur un budget qui mobilise autant d'acteurs, dans un contexte économique compliqué, nous risquons de briser des dynamiques.

Aussi, quel regard portez-vous sur cette coupe et sur cette absence de trajectoire ?

M. Olivier Henno. - Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, dont je suis corapporteur, est bien entendu nécessaire. Je songe à l'article 27, qui prévoit notamment de permettre à France Travail de retenir une part plus importante des indus versés aux bénéficiaires de l'allocation de retour à l'emploi. Cette mesure relève du bon sens.

Cependant, certaines des personnes que nous avons auditionnées avec ma collègue Frédérique Puissat ont souhaité aller plus loin. Je pense notamment à la question de l'exploitation du registre des Français établis hors de France, des fichiers de passagers de compagnies aériennes ou même des adresses IP des bénéficiaires afin de lutter contre la fraude à la résidence. Ces possibilités de consultation pourrait-elle être octroyées à certains organismes comme France travail ? Il semble que seule l'administration fiscale ait aujourd'hui des prérogatives étendues pour lutter contre la fraude.

Par ailleurs, vous venez d'affirmer que les retraites doivent payer les retraites. René-Paul Savary, qui a précédé Pascale Gruny dans ses fonctions, disait que sans réforme paramétrique, nous ne pourrions éviter une baisse du pouvoir d'achat des retraités. Or nous y sommes, monsieur le ministre. Nous devons être francs avec les Françaises et les Français, car cela équilibrerait le débat.

Enfin, j'ai la conviction, partagée par la majorité sénatoriale, que notre pays vit au-dessus de ses moyens. Il me semble que le Gouvernement actuel - dans un objectif de stabilité - prend moins en compte cette réalité que les deux gouvernements précédents.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 est annoncé avec un déficit de 17 milliards d'euros. Vous avez déjà lâché sur les retraites. Dans le débat à l'Assemblée nationale, tiendrez-vous ce cap, ou des négociations - pour de bonnes ou de mauvaises raisons ! - sont-elles prévues ? Cela conditionnera bien entendu nos débats au Sénat.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Madame la rapporteure, je vous rejoins sur la continuité des politiques publiques, d'autant plus lorsqu'elles sont nouvelles. L'apprentissage est un dispositif assez récent, qui est une véritable réussite depuis 2018. Ses détracteurs sont peu nombreux. Nous avons doté ce pays d'une nouvelle filière de formation : 10 % des jeunes diplômés passent par l'apprentissage. Nous sommes passés de 400 000 à 1 million d'apprentis, en stock, et de 300 000 à 850 000 apprentis en flux. C'est donc un vrai succès quantitatif.

En outre, l'apprentissage favorise l'égalité des chances : des jeunes accèdent à des diplômes de l'enseignement supérieur grâce à l'apprentissage et à des techniques pédagogiques plus concrètes. Le taux de poursuite d'études des apprentis atteint ainsi 35 %.

Enfin, la proximité avec les entreprises est fondamentale pour trouver un emploi - et c'est bien l'objectif de l'apprentissage ! - à l'issue des études.

Cette politique, très fortement financée par l'État, est donc globalement un succès, avec un pic à 16 milliards d'euros en 2024. C'est tout de même considérable.

Comme vous l'avez indiqué, le projet de budget prévoit un second ajustement, qui correspond à un effort supplémentaire. Cela compromet-il la politique menée ? Là encore, l'indicateur de performance, c'est le nombre d'apprentis. L'an dernier, il y a eu une petite décrue, de l'ordre de 3 %. Nous aurons bientôt les chiffres relatifs à la rentrée 2025.

Notre intention n'est pas de mettre à mal l'apprentissage. J'ai évoqué deux effets : l'effet de bosse - mais nous espérons qu'il y aura un plateau derrière - et l'effet d'efficacité. Dans une période où beaucoup d'argent public a été mobilisé dans le secteur, il a pu y avoir de la dispersion. Mais, aujourd'hui, les gens sont prêts à travailler sur l'efficacité de l'argent public. Et je demande que mon ministère se dote des capacités de contrôle de gestion, afin de savoir si l'argent déployé dans les territoires est bien utilisé.

Nous anticipons une baisse des volumes. C'est un paradoxe : si nous tenons l'exécution budgétaire, ce sera une bonne nouvelle financièrement parlant, mais cela signifiera qu'il y a bien eu une baisse des bénéficiaires, et il faudra se demander pourquoi ; inversement, si nous n'assistons pas à un déclin trop important des volumes, nous aurons un problème budgétaire. En tout état de cause, la politique publique d'apprentissage demeure une priorité du Gouvernement, et nous souhaitons travailler avec tous les acteurs concernés, notamment sur l'amélioration de la qualité des formations.

Monsieur le sénateur Henno, nous sommes prêts à aller plus loin sur la lutte contre la fraude, quitte à durcir les sanctions s'il le faut. Je vous rejoins : la fraude sociale doit bénéficier des mêmes outils que la fraude fiscale. Le ministère examinera avec attention votre proposition, qui me semble aller dans le bon sens.

Le système par répartition repose sur un triptyque : le niveau des pensions, le montant des cotisations et la durée de cotisation. La réforme adoptée en 2023 a consisté à jouer sur la durée de cotisation. Mais si l'on refuse de toucher à la durée de cotisation, il faut toucher aux autres paramètres. Nous le voyons bien aujourd'hui : revenir sur l'allongement de la durée a, par exemple, des conséquences sur notre capacité d'indexation des pensions.

La France vit-elle au-dessus de ses moyens ? Les chiffres des comptes publics le démontrent : il y a bien un déséquilibre structurel entre ce que l'État gagne et ce qu'il dépense. Et ce déséquilibre, qui s'appelle le déficit, il faut d'abord le maîtriser, ce qui est déjà compliqué. Je le rappelle, avec un déficit public ramené à 3 % du PIB, la dette serait seulement stabilisée.

Enfin, je vous laisse libre de votre appréciation quant à l'action des gouvernements passés, sur laquelle il ne m'appartient pas de me prononcer.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le Parlement a adopté l'accord des partenaires sociaux en faveur de l'emploi des seniors, mais le sujet est resté de côté depuis l'adoption de la réforme des retraites en 2023. Les difficultés à retrouver un emploi après 55 ans sont pourtant parfaitement documentées, en particulier par l'Unedic et la Cour des comptes. Elles tiennent, notamment, à l'absence de dispositifs adaptés. Quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour améliorer l'emploi des seniors ? Comment pourriez-vous rationaliser les dispositifs de reconversion, afin de les adapter aux compétences et aux besoins du marché ? Et ne pensez-vous pas que des mesures pour les seniors spécifiquement ciblées sur les carrières féminines - je pense au congé maternité ou à la question des proches aidants - s'imposent ?

Mme Jocelyne Guidez. - Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une réduction du nombre de postes financés pour les entreprises adaptées, alors même que le chômage des personnes handicapées est reparti à la hausse. Le texte acte une baisse de 22,3 millions d'euros et la suppression de 3 000 postes financés. Or ces aides ne constituent pas une subvention générale ; elles compensent les surcoûts spécifiques liés à la fragilité, à l'absentéisme et à la moindre productivité inhérente à certains handicaps. Leur diminution fragilise directement l'emploi dans les entreprises adaptées, qui opèrent dans un environnement concurrentiel. Le Gouvernement entend-il revoir cette trajectoire budgétaire ? Les entreprises adaptées réclament simplement de la stabilité et des moyens constants.

Par ailleurs, l'accord de branche du 4 juin 2024 a élargi aux salariés des entreprises adaptées le dispositif Ségur, tout en le conditionnant à des garanties de financement par les pouvoirs publics. Dans sa décision du 3 janvier 2025, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a refusé d'en assurer le financement tout en confirmant le caractère obligatoire de l'accord. Est-il envisagé d'exclure les établissements adaptés du bénéfice de ce dispositif ?

Mme Brigitte Bourguignon. - Nous partageons tous, je le crois, le même objectif : tenir les comptes sociaux tout en accompagnant les plus fragiles. Comme ma collègue Jocelyne Guidez vient de le rappeler, les structures d'insertion par l'économie sont actuellement très inquiètes ces derniers temps. Elles ont besoin de tenir les parcours, notamment parce que le public est difficile. Agir par à-coups, comme on le fait aujourd'hui, les fragilise. Comptez-vous garantir une pérennité des aides aux postes d'insertion par l'activité économique (IAE) ? Quel avenir envisagez-vous pour les contrats aidés ?

M. Daniel Chasseing. - Vous le savez, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans a doublé. Dans le même temps, nous sommes passés de 13 millions d'affections de longue durée (ALD) à 18 millions. Et la durée de vie a nettement augmenté, de plus de dix ans depuis 1980, moyennant quoi il y a près de 20 millions de retraités en 2025, contre 4 millions en 1988. Le déficit s'aggrave, malgré le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans. Vous proposez une année blanche ; voyons tout de même s'il n'y a pas une possibilité d'indexation pour les petites retraites. Il faut évidemment allonger la durée de cotisation. Certes, il faut aussi savoir faire des compromis, et j'espère que vous saurez en trouver avec les partenaires sociaux sans qu'il y ait trop de déficit supplémentaire. Le financement reposant à 65 % sur le travail, il faut davantage d'emplois, davantage de cotisations, sans augmenter les taxes.

Comment comptez-vous développer le travail des seniors, qui est moins important que chez nos voisins européens ? Idem s'agissant de l'emploi des jeunes. Ne faut-il pas créer plus de centres de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide), notamment pour ceux qui n'ont aucune formation à l'issue de leur cursus ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous vous rejoignons sur la nécessité de prendre des mesures sur les recettes et d'autres sur les dépenses pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre. Mais, vous vous en doutez, nous n'avons pas la même vision politique que vous.

Vous avez eu raison de le souligner, chaque nouvelle exonération affaiblit la sécurité sociale. Or, sous Emmanuel Macron, les niches sociales ont augmenté de 8 milliards d'euros - c'est la Cour des comptes qui le dit -, ce qui correspond à l'évolution du déficit de la sécurité sociale sur la même période ! Il faut y remédier. Que comptez-vous faire avec la prime de partage de la valeur, qui a explosé ? Quid de l'exonération des heures supplémentaires, qui coûte 2 milliards d'euros chaque année à la sécurité sociale, et même 4 milliards d'euros aux finances publiques en général, puisque l'exonération est à la fois sociale et fiscale ? D'ailleurs, pour les retraites, il manque précisément 2 milliards d'euros ; il n'y a donc pas que les trois paramètres que vous avez évoqués...

Et, alors que tant de niches existent, vous nous proposez une taxe de 8 % sur... les tickets-restaurant ! Je rappelle au passage que nous avons été parmi les premiers à dénoncer la manière dont ceux-ci ont été dévoyés.

Nous n'avons clairement pas la même lecture économique et politique des problèmes auxquels notre système social est confronté. N'ayant pas eu de réponse de la part de Mme de Montchalin, j'aimerais vous interroger sur les effets récessifs de votre projet de budget.

Le ton est donné dès l'article 1er. Le déficit de la sécurité sociale était de 23 milliards d'euros, au lieu des 22 milliards d'euros prévus en loi de financement de la sécurité sociale, principalement parce que la masse salariale a crû dans des proportions moindres qu'escompté et parce que toutes les recettes attendues de TVA n'ont pas été au rendez-vous. En d'autres termes, le déficit se creuse, car la dégradation du contexte macroéconomique grève les recettes. Ce n'est pas faute de l'avoir dit ! Et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) le constate aujourd'hui. En 2024, nous avons perdu 0,4 point de PIB du fait de l'austérité budgétaire.

Monsieur le ministre, avez-vous calculé l'impact récessif des mesures présentées dans l'actuel PLFSS ? Pourquoi tabler une fois de plus sur un taux de croissance optimiste de 1 %, quand le consensus des économistes est à 0,9 %, voire à 0,7 % ? La politique de l'offre, qui est aujourd'hui plutôt une politique de la rente, crée un déficit de la demande : les carnets de commandes sont au plus bas. Pourquoi vous obstinez-vous ? Combien de temps va-t-on maintenir cette politique à fort effet récessif qui pénalise de surcroît les plus pauvres ? Le gel des prestations va toucher les 10 millions de Français qui sont sous le seuil de pauvreté.

Pour les administrations publiques (APU), l'écart entre les dépenses et les recettes est de 5,8 points de PIB - un tel taux n'avait jamais été atteint -, alors qu'il était de 3,4 % en 2017. Selon l'OFCE, la politique de l'offre a conduit à une diminution de 2,5 points de PIB.

Je fais miennes les conclusions de l'OFCE : "La dégradation du solde structurel observée entre 2017 et 2024 s'explique essentiellement par la baisse non financée des prélèvements obligatoires, et non par une dérive des dépenses publiques primaires. Bien au contraire, celles-ci ont reculé de 0,3 point de PIB potentiel sur la période. En tenant compte de la hausse de la charge d'intérêts liée à la remontée des taux souverains, la dépense publique totale, en points de PIB, est stable sur la période."

À rebours de ce que l'on observe en Espagne, en Allemagne ou au Royaume-Uni, les recettes baissent en France. Certes, et vous l'avez dit, nos taux de prélèvements sont plus élevés. Mais c'est parce que nous avons fait le choix collectif de la sécurité sociale.

M. Martin Lévrier. - Si je me réjouis de ce que j'ai entendu sur l'apprentissage, j'ai toutefois quelques interrogations.

Selon l'économiste Bruno Coquet, le coût d'un jeune en apprentissage dans le supérieur est le double de celui d'un jeune en cursus classique. Depuis 2017, l'apprentissage s'est envolé dans le supérieur, quand il restait faible dans le pré-bac, en particulier dans les lycées professionnels. Or, à mes yeux, la richesse de l'apprentissage, c'est avant tout le pré-bac. Je m'interroge donc sur le versement des aides de 5 000 euros aux entreprises de moins de 250 salariés. Ne faudrait-il pas essayer de faire évoluer cette réforme en ciblant davantage le pré-bac ?

Par ailleurs, j'entends souvent des jeunes très diplômés et des cadres supérieurs dirent qu'ils sont en train de "recharger" leurs droits au chômage pour pouvoir partir en vacances. Je pense qu'une réflexion s'impose à cet égard. Soyons vigilants.

Mme Chantal Deseyne. - Je le rappelle, l'abattement de 10 % pour frais professionnels pour les retraités avait été mis en place pour compenser les faibles montants des pensions et la faible revalorisation des retraites en deçà de l'inflation. Or vous prévoyez de le plafonner quand, dans le même temps, vous envisagez aussi une sous-indexation des pensions. C'est, en quelque sorte, une double peine pour les retraités. Pensez-vous que c'est vraiment la solution ? Ne faut-il pas reconsidérer la valeur travail et la durée du temps de travail ?

Mme Patricia Demas. - L'instauration du forfait social de 8 % sur les avantages en nature et la hausse de dix points du forfait sur les ruptures conventionnelles pourraient détériorer le climat social dans les entreprises, alors que la qualité de vie au travail est déjà un enjeu majeur. En outre, la hausse du coût des ruptures conventionnelles risque de compliquer les restructurations, notamment dans les secteurs en mutation, comme l'industrie ou le commerce. Comment justifiez-vous de tels choix, monsieur le ministre ?

Je tiens à vous alerter sur la hausse du forfait social sur les ruptures conventionnelles. Il est nécessaire de fluidifier le marché du travail, surtout dans un contexte de chômage structurel. Prévoyez-vous une clause de revoyure pour ajuster les taux en fonction de leurs conséquences sur l'emploi et le dialogue social ?

Mme Monique Lubin. - La France, demandiez-vous, vit-elle au-dessus de ses moyens ? Je vous retourne la question : la France se donne-t-elle vraiment les moyens de maintenir son modèle social ? Et je serai même un peu provocatrice : les derniers gouvernements n'ont-ils pas organisé cette forme d'insolvabilité ?

Depuis 2017, il y a eu un grand nombre de cadeaux fiscaux ; on nous avait alors même parlé de "ruissellement". Tous les économistes le disent aujourd'hui : il n'y a eu aucun ruissellement. Et toutes ces pertes de recettes n'ont strictement rien amené. Compte tenu du marasme dans lequel nous sommes actuellement, pourquoi ne pas revenir sur un certain nombre de ces cadeaux, en particulier aux plus fortunés ?

Je m'étonne que l'on veuille toucher aux budgets des missions locales et remettre en cause l'action des centres interinstitutionnels de bilan de compétences (CIBC).

Encore une fois, on choisit la facilité : geler les pensions, geler ceci, geler cela... Ne vous étonnez pas ensuite du climat qui règne dans ce pays ! Avez-vous prévu de revenir sur les aides aux entreprises, dont, pour un certain nombre d'entre elles - nos collègues viennent de remettre un rapport sur le sujet -, nous ne savons pas à quoi elles servent ?

Je suis très surprise que, parmi les concepteurs de ce projet de budget, personne ne se rende compte que pénaliser toujours les plus modestes et les classes moyennes, c'est pénaliser la consommation.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les précédents PLFSS étaient déjà pénibles, mais celui-là, c'est le pompon ! Il va à l'encontre des principes mêmes de la sécurité sociale : financement par les cotisations sociales, solidarité générationnelle, accès universel aux soins. Il va encore aggraver les inégalités, en faisant payer les retraités et les salariés les plus fragilisés. Gel des pensions en 2026, sous-indexation des pensions à partir de 2027, remplacement de l'abattement fiscal de 10 % par un forfait de 2 000 euros, hausse des tarifs des complémentaires santé, déremboursement des médicaments, hausse du ticket modérateur et des franchises, etc. La liste est très longue.

La suspension de la réforme des retraites de 2023 n'est qu'un décalage. Et le président Larcher a déjà annoncé qu'elle serait supprimée par la majorité sénatoriale. Actuellement, le texte prévoit la suspension de la hausse de la durée de cotisation et de l'âge de départ en retraite pour les générations nées entre 1964 et 1968. Mais cela s'effectue au détriment des retraités et des travailleurs, qui vont subir une hausse de la taxe sur les contrats de complémentaire santé et une aggravation de la sous-indexation des pensions à partir de 2027. Vous avez obtenu un report de la censure, mais les travailleurs et les retraités paieront plein pot le bénéfice de cette maigre victoire. Et, en commission mixte paritaire, la droite et le bloc central retireront finalement le décalage des retraites, mais maintiendront le gel des pensions et la sous-indexation. Quels engagements prenez-vous quant au maintien de cette suspension dans le texte définitif ?

Mme Annie Le Houerou. - En général, nous ne sommes pas favorables aux exonérations de cotisations sociales, mais c'est le choix qui a été fait par les gouvernements sous Emmanuel Macron. Ces exonérations, que nous évaluons à 91 milliards d'euros, n'ont jamais cessé d'augmenter depuis 2017, au point, selon nous, de rompre avec le principe de sécurité sociale. Ne pensez-vous pas que les nouvelles taxations envisagées, par exemple sur les tickets-restaurant, soient un mauvais coup porté au pouvoir d'achat des travailleurs, en particulier des plus modestes ? Au lieu de cibler encore les plus fragiles, pourquoi ne pas ramener le point de sortie des allègements généraux de cotisation de 3 Smic à 2,4 Smic, ce qui n'aurait aucune conséquence sur le pouvoir d'achat des plus modestes ni sur l'emploi ?

Avez-vous des éléments complémentaires à nous communiquer sur la suppression de l'exonération issue de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom) ?

Nous partageons l'objectif de lutter contre la fraude sociale. Mais quels moyens humains comptez-vous donner aux Urssaf et aux établissements concernés pour cela ?

Mme Marion Canalès. - La suppression de plusieurs postes d'opérateurs de l'État est dans l'air. Quid de France Travail, dont les effectifs sont sous votre responsabilité ? Les crédits des missions locales ont diminué de 20 % en deux ans.

J'en viens à la sinistralité. Vous l'avez dit, il y a en moyenne deux morts par accident du travail par jour. Et on constate une surexposition à la sinistralité dans la sous-traitance, à laquelle 38 % des entreprises ont recours. Quelle est votre vision de la chaîne des responsabilités à cet égard ? Comment lutter contre un tel phénomène ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Nous avons renforcé les dispositifs en faveur de l'emploi des seniors, et nous sommes prêts à aller plus loin. Nous sommes preneurs de toutes les bonnes idées. Des mesures concrètes ont déjà été adoptées : l'accord national interprofessionnel, fruit du dialogue social, est devenu loi et entrera en vigueur dès la publication des décrets d'application. Nous ferons pareil pour l'emploi des jeunes. Là aussi, nous travaillons sur des dispositifs qui pourraient résulter d'accords entre partenaires sociaux. En d'autres termes, nous voulons permettre d'arriver plus vite dans l'emploi et d'y rester plus longtemps.

Au demeurant, je pense qu'une réflexion sur l'organisation du travail s'impose. À partir d'un certain âge, on n'est pas obligé d'être à 100 %. Il faut s'interroger sur des formules mixtes : cumul emploi-retraite, retraite progressive, etc. Voyons pourquoi de tels dispositifs, qui ont l'air formidables sur le papier, ne marchent pas davantage. Il y a des cas - je pense que c'est vrai notamment pour les cols blancs - où un emploi à temps plein pourrait devenir deux emplois à mi-temps. J'ai en tête des expériences à la SNCF qui montrent que c'est possible. Essayons d'identifier et de traiter les freins. En tout cas, la volonté du Gouvernement est là.

Avec la formation et l'apprentissage, l'insertion est au cœur de nos priorités politiques. Il existe plein de dispositifs de retour à l'emploi. Nous avons effectivement des ambitions assez fortes en matière d'économies à cet égard. Certes, il est possible d'en débattre. Mais je voudrais que vous acceptiez l'idée d'une recherche d'efficience aussi dans ce domaine. L'État - la balle est dans notre camp - doit se doter des moyens d'être plus au clair sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je pense que nous avons tout de même, ici ou là, des marges de progression sur certains dispositifs.

Je suis sensible à ce qui a été indiqué sur les établissements et services d'accompagnement par le travail (Ésat), d'autant que, comme les sommes en jeu ne sont pas énormes, il ne s'agit pas là de potentielles sources majeures d'économies.

La problématique des trajectoires et des à-coups se pose dans les mêmes termes pour l'apprentissage et l'insertion. Le propre d'un projet de budget est d'être une tranche annuelle. Or une tranche annuelle, cela masque les trajectoires. Je pense qu'il y a encore une possibilité de gagner en efficience dans le budget de 2026.

La démographie est un vrai sujet. La situation démographique de la France en 2025 n'est pas la même qu'en 1945 ou en 1990. L'heure n'est-elle pas venue, pour 2026, d'ouvrir la discussion de fond du financement de la sécurité sociale ? Si les parlementaires et les partenaires sociaux souhaitent prendre le taureau par les cornes parce que les rustines annuelles atteignent leurs limites, nous sommes prêts à avoir ce débat. La difficulté ne me fait pas peur.

Pourquoi avons-nous eu l'idée saugrenue de taxer les tickets-restaurant ? Cela a été dit, le dispositif a été dévoyé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Nous vous avions prévenus dès le début !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Et nous eussions dû vous écouter.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Comme souvent !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Aujourd'hui, les tickets-restaurant sont quasiment devenus des compléments de salaire.

Mme Monique Lubin. - Il vaudrait mieux donner du salaire !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Et qui dit salaire dit aussi cotisations. Le débat sur une telle mesure n'est donc pas illégitime. Au demeurant, s'il s'agissait vraiment de salaire, le taux de cotisation serait de 40 %. Là, nous proposons 8 %.

Sur l'apprentissage, l'ambition était tout de même l'ouverture au supérieur. Certes, cela n'a peut-être pas été bien maîtrisé. Là aussi, des progrès en termes d'efficience sont sans doute à rechercher. Bien entendu, il n'est pas question de renoncer à l'apprentissage originel, notamment les certificats d'aptitude professionnelle (CAP) et les bacs professionnels.

Vous avez évoqué la mesure que nous prévoyons sur l'abattement de 10 %. Nous continuons de réfléchir à des dispositifs d'accompagnement.

Comme cela a été souligné, il existe une sorte de "droit de tirage" du chômage. Il s'agit d'ailleurs plus de cadres supérieurs que d'ouvriers ou d'employés. Il n'est pas normal de considérer que l'on peut se mettre au chômage pour aller voyager...

Mme Raymonde Poncet Monge. - Mais on parle de qui, là ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - Il s'agit de cas individuels. D'ailleurs, les partenaires sociaux sont d'accord pour discuter du sujet. Sur la rupture conventionnelle, il y a un consensus parmi eux pour dire qu'il existe quelques abus.

Nous examinerons l'efficience des missions locales, qui, comme leur nom l'indique, sont des structures locales : dans certains endroits, elles fonctionnent très bien ; dans d'autres, c'est un peu moins le cas.

Cette année, nous réduisons les allègements ; je pense que cela ne vous a pas échappé. Pour le moment, notre proposition est de maintenir l'allègement maximum à 3 Smic ; c'est ce que demandent par les entreprises.

Je crois qu'il faut beaucoup de sagesse et de prudence à propos des outre-mer. Mais, même en outre-mer, il y a des entreprises qui peuvent profiter de certaines situations. Il n'est donc pas interdit que le Gouvernement s'interroge, là aussi, sur le bon usage de l'argent public.

Je l'ai indiqué, vous avez face à vous un ministre décidé à faire progresser, avec humilité, nos résultats en matière d'accidentologie au travail. Et, en effet, dans la sous-traitance aussi, il y a des règles de droit à respecter et des responsabilités à assumer : ce n'est pas parce que l'on sous-traite que l'on n'est pas responsable des accidents du travail de ses sous-traitants. Si un véhicule législatif permettait d'apporter des précisions à cet égard, j'y serais attentif.

M. Jean Sol, président. - Monsieur le ministre, nous vous remercions de vos réponses.


Source https://www.senat.fr, le 3 novembre 2025