Déclaration de Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées et de M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État, sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, au Sénat le 12 novembre 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Stéphanie Rist - Ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées ;
  • David Amiel - Ministre délégué, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État

Circonstance : Examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales au Sénat le 12 novembre 2025

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (projet n° 24, texte de la commission n° 112, rapport n° 111, avis nos 104 et 106).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque j'ai présenté le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, j'ai évoqué quatre risques pesant sur la pérennité de notre système de protection sociale : la concurrence internationale des modèles sociaux ; les excès du repli individualiste ; l'incapacité de s'adapter aux transitions économiques et démographiques ; les abus.

La fraude sociale menace non seulement la sécurité sociale, mais aussi le principe même de solidarité. Dès lors que la société choisit de mutualiser ses ressources et de faire contribuer tout le monde pour protéger les plus vulnérables, la fraude ne relève plus seulement de l'abus : elle devient une trahison de la confiance sur laquelle repose la solidarité. Non seulement l'argent est volé, mais c'est l'idée même de justice qui est abîmée, dès lors que s'installe une inégalité presque morale entre ceux qui respectent la règle et ceux qui l'enfreignent.

La lutte contre la fraude sociale ne se réduit pas à un exercice comptable ni à un ensemble de sanctions visant à recouvrer les 13 milliards d'euros détournés. Elle doit être au cœur de la consolidation de notre pacte social. À cet égard, je tiens à saluer l'engagement constant du Sénat, de ses rapporteurs sur ce projet de loi ainsi que de votre collègue Nathalie Goulet.

L'engagement du Gouvernement n'est pas nouveau. Sous l'impulsion de Gabriel Attal et de Thomas Cazenave, une feuille de route inédite pour lutter contre toutes les fraudes était lancée en mai 2023.

Un an plus tard, un premier bilan en était réalisé ; les chiffres parlent d'eux-mêmes.

En ce qui concerne les fraudes aux cotisations sociales, l'Urssaf a vu le montant de ses redressements augmenter : 1,6 milliard d'euros en 2024, contre 500 millions en 2017 et 800 millions en 2022.

En ce qui concerne les prestations sociales, le nombre de fraudes détectées par les caisses d'allocations familiales (CAF) a crû de 20 % en 2024 par rapport à l'année précédente. Les CAF ont réalisé 32 millions de contrôles et près de 49 000 cas de fraude ont été identifiés.

Je ne développerai pas davantage ce bilan, mais je souhaite profiter de ce moment pour remercier l'ensemble des administrations de la sécurité sociale et de France Travail qui ont permis la mise en œuvre de cette politique de lutte contre la fraude et son accélération.

En dépit d'une volonté politique très forte et d'une mise en œuvre opérationnelle remarquable de la feuille de route que j'ai évoquée, les fraudeurs s'adaptent – vous le savez. Le Gouvernement a donc souhaité vous soumettre ce nouveau projet de loi, qui a été élaboré main dans la main avec les caisses de sécurité sociale et France Travail.

L'objet du texte est avant tout d'accélérer le passage de la suspicion à la détection, de la détection à la sanction et de la sanction au recouvrement. Voilà qui doit nous permettre tout à la fois de restaurer la confiance et d'assurer la pérennité de notre modèle social.

Dans le champ de la fraude sociale, ce texte vise donc d'abord à améliorer la détection.

Une telle amélioration passe, en particulier, par un meilleur usage et un meilleur partage des informations entre les administrations, afin de faciliter le traitement des fraudes.

Songez, par exemple, à l'affaire de cette société d'audioprothèses qui surfacturait systématiquement les dispositifs pris en charge par l'assurance maladie. La fraude a été détectée et elle a donné lieu, conformément aux dispositions qui prévalent actuellement dans notre droit, au dépôt d'une plainte pénale par chacune des soixante caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) concernées. Par l'article 4 de ce projet de loi, nous proposons qu'il n'y ait plus qu'un seul dépôt de plainte et un seul interlocuteur par parquet. Voilà qui garantira l'accélération du traitement des affaires et permettra d'obtenir davantage de condamnations pour escroquerie.

Je pourrais aussi évoquer l'affaire, jugée cet été, de cette conductrice de taxi du Var, qui avait détourné 2,3 millions d'euros de l'assurance maladie en surfacturant des trajets qui n'avaient jamais été réalisés. En prévoyant la généralisation de la facturation par géolocalisation des transports sanitaires, l'article 7 de ce projet de loi garantira une juste facturation pour tous les transporteurs.

La détection sera également améliorée dans la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). L'article 12 donne ainsi davantage de moyens aux caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), qu'il s'agisse du renforcement des pénalités financières en matière, par exemple, de sous-déclaration des accidents du travail, ou de l'accroissement des pouvoirs de contrôle des agents.

Un autre volet du projet de loi permet de mieux sanctionner les fraudes relatives aux allocations chômage, les revenus illicites et le travail dissimulé.

Là encore, je citerai des exemples très concrets de fraudes auxquelles nous voulons répondre.

Ainsi, lors d'une perquisition, on a découvert des produits illicites d'une valeur de 100 000 euros chez un trafiquant de drogue. Celui-ci s'est vu infliger une pénalité fiscale forte, mais, côté sphère sociale, on ne lui a demandé que 9 200 euros. Si l'article 14 du présent texte est adopté, le trafiquant devra s'acquitter demain, pour le même délit, d'un montant de contribution sociale généralisée (CSG) cinq fois plus élevé.

En ce qui concerne l'assurance chômage, nous sommes régulièrement interpellés à propos de situations où un fraudeur bénéficie d'allocations sans résider en France de manière effective, faute de contrôles suffisants. Grâce à l'article 13, les indemnisations chômage ne pourront être versées que sur un compte bancaire domicilié en France ou dans l'espace unique de paiement en euros de l'Union européenne.

Enfin, dernier exemple, il arrive que le titulaire d'un compte personnel de formation (CPF), agissant en collusion avec des fraudeurs, s'inscrive à une formation sans s'y rendre. Pour éviter cette dérive, l'article 13 prévoit que le titulaire d'un compte CPF devra rembourser les frais de formation s'il ne se présente pas à l'examen de certification.

Concernant spécifiquement l'assurance maladie, le projet de loi prévoit de lever l'interdiction de cumul pour les mêmes faits d'une pénalité financière et d'une sanction conventionnelle, que les caisses primaires d'assurance maladie sont aujourd'hui tenues de respecter.

Ainsi, actuellement, une pharmacie qui facture massivement des médicaments onéreux non délivrés peut être déconventionnée. Cette mesure n'est toutefois pas toujours dissuasive, car la pharmacie peut continuer de fonctionner. Le projet de loi permettra de cumuler le déconventionnement avec des pénalités financières particulièrement dissuasives.

Enfin, ce projet de loi vise à améliorer l'efficacité du recouvrement. L'article 21, en particulier, permet notamment le recouvrement des cotisations éludées en cas de travail dissimulé. À cette fin, il crée une procédure de "flagrance sociale". Très concrètement, on s'assurera que les entreprises ne disparaissent pas pendant la période du contrôle en gelant leurs actifs. Voilà qui garantira le paiement effectif des cotisations non versées par l'entreprise coupable de travail dissimulé.

Ce projet de loi permet également à France Travail de mieux recouvrer les allocations chômage indûment versées, grâce à deux dispositions concrètes : la personne qui fraude ne pourra plus invoquer le respect de la quotité non cessible et non saisissable des prestations qui lui sont versées ; en outre, elle pourra voir son compte bancaire directement débité des sommes indûment perçues.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des mesures que j'ai citées, je veux réaffirmer une conviction : la sécurité sociale n'est pas un simple ensemble d'administrations, de guichets et de prestations ; elle constitue notre héritage, un socle de valeurs fondamentales qu'il nous appartient de faire prospérer.

Pour cela, l'argent des cotisations sociales doit être utilisé de manière juste, équitable et transparente. La tricherie et l'abus sont intolérables. Les mesures que nous proposons sont une condition du rétablissement de la confiance dans la solidarité ; à défaut, on laissera se développer le chacun-pour-soi.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de revenir aujourd'hui devant la Haute Assemblée pour discuter d'un sujet qui, je le sais, vous est cher : celui de la lutte contre la fraude et contre l'argent sale.

La semaine dernière, j'étais déjà au banc du Gouvernement pour l'examen de l'importante proposition de loi de Nathalie Goulet et Raphaël Daubet, que vous avez adoptée, pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment.

Il nous revient aujourd'hui, comme nous en étions convenus, de compléter notre arsenal de lutte contre la fraude, ou plutôt, devrais-je dire, contre toutes les fraudes.

C'est en effet la particularité de ce projet de loi que d'aborder dans le même mouvement la lutte contre la fraude fiscale et la lutte contre la fraude sociale. Cette dernière regroupe, comme ma collègue Stéphanie Rist l'a indiqué, la lutte contre la fraude aux cotisations et la lutte contre la fraude aux prestations, dont une partie est d'ailleurs réalisée par des professionnels.

Tel est l'enjeu essentiel de ce texte : s'attaquer au business de la fraude, à ceux qui ont fait de la fraude une profession en exploitant nos retards technologiques et nos lacunes réglementaires, en s'appuyant sur des failles juridiques qu'il s'agit précisément de combler.

Nous ne partons pas de rien, puisque le nombre de fraudes détectées a considérablement augmenté ces dernières années. En quatre ans, le montant des fraudes que nous parvenons à détecter a doublé : il atteint 20 milliards d'euros en 2024, soit l'équivalent de la construction de mille collèges, ou encore le double du budget de la justice. C'est considérable !

Ce progrès ne vient pas de nulle part. Il est dû d'abord à l'effort de nos agents des douanes, de la direction générale des finances publiques (DGFiP), des caisses de la sécurité sociale, que je tiens à mon tour à saluer, etc.

Il est dû aussi à la mise en œuvre du plan lancé par le Gouvernement, sous l'impulsion de Gabriel Attal, puis de Thomas Cazenave, pour donner à nos services plus de moyens humains et technologiques et pour renforcer la coopération entre les administrations : plus de moyens humains, disais-je, puisque 800 nouveaux emplois ont été créés dans les services de contrôle fiscal ; plus de moyens technologiques également, puisque l'intelligence artificielle et l'exploitation des données via leur croisement automatisé, ce que l'on appelle, en mauvais français, le data mining, permettent de mieux orienter et de mieux cibler les contrôles, donc de mieux détecter les montages frauduleux.

Toutefois, les fraudeurs aussi innovent. Sans cesse ils exploitent nos faiblesses et cherchent à avoir un temps d'avance.

Le texte que nous vous soumettons aujourd'hui est donc une loi de riposte, qui repose sur trois convictions.

Première conviction : face à la fraude numérique, il nous faut une riposte numérique. La technologie doit changer de camp. Il convient que la puissance numérique soit du côté de la République, et non du côté des délinquants. Face à une délinquance 3.0, à une fraude 3.0, nous devons donner à nos agents des moyens 3.0.

Grâce au travail réalisé en commission – je tiens à cet égard à remercier particulièrement le rapporteur pour avis Bernard Delcros –, le texte proposé permet de dématérialiser les preuves dans le cadre des enquêtes pour fraude bancaire : fini le temps où des agents transportaient des valises pleines de documents papier lors des échanges entre les établissements bancaires et les services de contrôle fiscal, avec à la clé une perte de temps et d'énergie considérable.

Le contrôle des terminaux de paiement sera également amélioré. Un certain nombre d'entre eux sont trafiqués pour que l'argent soit envoyé directement sur un compte à l'étranger.

Nous souhaitons également multiplier les croisements et les échanges de données entre les administrations – ce point a été évoqué à l'instant par ma collègue Stéphanie Rist, je n'y reviens donc pas.

Deuxième conviction : moins il y a de formulaires, moins il y a de fraude. Si cette dernière se niche dans nos lacunes technologiques, elle prospère aussi dans les zones grises, les lenteurs ou l'opacité administratives.

C'est la raison pour laquelle les services doivent collaborer davantage. Les dispositions qui vous sont présentées le permettent. Les échanges entre les douanes et le fisc ou entre les complémentaires santé et l'assurance maladie, par exemple, seront renforcés. Le contrôle sur les formations financées par le CPF sera également accru : il faut vérifier que l'argent versé sert bien à préparer un examen et non à alimenter des officines frauduleuses.

Troisième conviction, enfin : il faut continuer à frapper, encore plus vite, encore plus fort, contre tous les professionnels de la fraude. J'insiste sur le mot "tous". Outre les fraudeurs stricto sensu, il y a aussi, en effet, tous ceux qui permettent, facilitent et encouragent la fraude.

En amont, nous devons viser tous ceux qui élaborent des schémas frauduleux depuis des officines douteuses ou qui mettent en ligne des kits permettant de frauder sur YouTube, TikTok et autres réseaux sociaux.

En aval, il convient évidemment de lutter contre le blanchiment. Nous en avons longuement parlé la semaine dernière, et nous continuerons de le faire en examinant ce projet de loi. Nous proposons notamment de renforcer un certain nombre d'obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Ceux qui montent des schémas frauduleux, ceux qui organisent la triche, devront être poursuivis avec les outils les plus puissants, y compris ceux, d'ailleurs, qui sont utilisés actuellement dans la lutte antimafia et contre le crime organisé. Les peines de prison comme les amendes encourues devront être encore renforcées.

Avant de conclure, je voudrais insister sur un point important : il ne saurait y avoir de législation sans un diagnostic préalable. Or, en matière de lutte contre la fraude, nous sommes encore loin de disposer d'un panorama complet de l'état des lieux, même si des progrès ont été réalisés.

Les chiffres que j'ai cités sont ceux de la fraude détectée : ce ne sont pas des estimations de la fraude réelle. (Mme Nathalie Goulet approuve.) Le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) a réalisé, dans un rapport important, une estimation de la fraude sociale. En ce qui concerne la fraude fiscale, des travaux récents du Conseil d'analyse économique (CAE) fournissent des ordres de grandeur, mais il est clair que nous avons besoin d'établir, de manière beaucoup plus ferme, des bases de données solides et fiables.

Le Conseil d'évaluation des fraudes (CEF), dont la création était l'une des mesures du plan de Gabriel Attal, sera de nouveau réuni dans les prochaines semaines : autour de la table prendront place les services concernés et les experts indépendants.

Mme Nathalie Goulet. Et moi !

M. David Amiel, ministre délégué. Je souhaite y associer également les représentants syndicaux. Il s'agit de fiabiliser nos estimations et d'affiner nos stratégies de contrôle.

Ce projet de loi est donc celui d'une République lucide et déterminée : lucide, parce qu'elle regarde en face la réalité d'une fraude organisée, internationale et numérique ; déterminée, parce qu'elle se dote des moyens de réagir, de se moderniser et de protéger ceux qui respectent les règles.


Source https://www.senat.fr, le 1er décembre 2025