Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à France Info le 8 décembre 2025, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 et les élections municipales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Alix Bouilhaguet - Journaliste

Média : France Info

Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Bonjour, Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

ALIX BOUILHAGUET
Le budget de la Sécurité sociale sera soumis au vote des députés, ça va se passer demain. Ça semble quand même très incertain au vu des rapports de force. Est-ce que vous êtes tout de même optimiste ? Est-ce que vous vous dites "oui, il y a un trou de souris, ça peut passer" ?

AURORE BERGE
Déterminée déjà, parce qu'on a un budget qui a été particulièrement discuté, amendé avec les parlementaires. C'était le souhait qui était le nôtre au sein du Gouvernement de se dire "il faut que ça devienne la copie du Parlement". C'est le cas, pleinement le cas, et donc on aura un vote demain à l'Assemblée nationale.

ALIX BOUILHAGUET
Mais je reviens à ma question, est-ce que vous êtes optimiste ? Est-ce que vous vous dites, je ne sais pas, il y a 5 chances sur 10 que ça passe ?

AURORE BERGE
Je ne fais pas de probabilité, mais ce que je sais, c'est qu'évidemment, à partir du moment où on fait le choix justement de faire confiance au Parlement, de faire confiance à l'Assemblée nationale, et qu'on sait que nous n'avons pas de majorité acquise, ça veut dire que jusqu'au bout, c'est notre responsabilité d'aller convaincre, et d'aller convaincre d'abord les Français en fait de la nécessité d'avoir un budget de la Sécurité sociale, parce que si ce budget n'est pas voté, le risque, c'est un risque de dérapage très massif en termes de déficit, à au moins 30 milliards d'euros de déficit.

ALIX BOUILHAGUET
Horizons, qui fait pourtant partie du socle commun, a fait part de ses doutes. Edouard PHILIPPE a même dit la semaine dernière qu'en l'état, les députés ne voteraient pas… Ses députés, ceux de son groupe, ne voteraient pas le budget de la Sécu. Est-ce que vous pensez qu'il y a un risque qu'il passe à l'acte, c'est-à-dire qu'ils votent contre le budget de la Sécurité sociale ?

AURORE BERGE
Moi, je ne suis pas là pour donner des leçons aux uns et aux autres. On a encore des discussions ensemble, parce que nous travaillons ensemble évidemment, et main dans la main, et il faut garantir que ça puisse être le cas jusqu'à demain, parce que tant que le vote n'a pas commencé, n'a pas débuté, c'est-à-dire que jusqu'au bout, on peut tâcher d'aller convaincre. Je sais bien que ce n'est pas un budget parfait. Moi-même, c'est un budget où j'aurais préféré peut-être qu'il y ait d'autres choses. Ça s'appelle un compromis. Et un compromis, ce n'est jamais pleinement satisfaisant pour chacun. Donc ça ne peut pas être tout ou rien, ça n'est pas tout ou rien, mais c'est un budget qui a été discuté, négocié, amendé, et encore une fois, qui nous évite un dérapage massif, et un budget, moi j'y suis attachée, qui permet de réaliser des choses. Je vois les messages très nombreux que j'ai reçus, par exemple sur le congé de naissance, ce nouveau droit qu'on pourrait donner, cette nouvelle liberté qu'on pourrait donner aux parents. Si ce budget n'est pas adopté, on oublie ça. Donc c'est aussi ça, ce budget, c'est éviter un dérapage massif, et c'est aussi permettre des avancées sociales, des nouveaux droits pour les Français. Mais le coût du compromis, il est quand même très, très cher.

ALIX BOUILHAGUET
La suspension de la réforme des retraites, l'abandon de l'année blanche, l'abandon des franchises médicales, certains disent au sein même du socle commun que Sébastien LECORNU a fait trop de concessions.

AURORE BERGE
En fait, il y a eu des votes. Il y a eu des votes au sein de l'Assemblée nationale. Donc est-ce que moi, ça me fait plaisir de suspendre la réforme des retraites ? La réponse, elle est clairement non. Moi, j'aurais préféré qu'on puisse aller au bout de cette réforme que j'ai soutenue. J'étais présidente de groupe à l'époque et que j'ai soutenue ardemment. Et de toute façon, les Français sont très lucides. Ils savent qu'en 2027, la question sur notre système de retraite se reposera. Ils savent qu'il va falloir anticiper cette question-là. Mais il y avait une majorité contre, malheureusement. Il y avait une majorité qui demandait la suspension au sein de l'Assemblée nationale.

ALIX BOUILHAGUET
Sauf qu'Edouard PHILIPPE, lui, pourra dire : "Moi, je vais au bout de ma logique, au bout de mes convictions". Comment être candidat à la présidentielle en plaidant pour un recul de l'âge de départ à la retraite et soutenir la suspension de la réforme des retraites ?

AURORE BERGE
Mais dire qu'à un moment, on est pragmatiques. On est pragmatiques parce qu'il y a un chemin à construire jusqu'en 2027. Il reste 18 mois. Il y aura un autre chemin à construire à partir de 2027. Dire aussi aux Français – je le vois notamment sur les incohérences massives du Rassemblement national, qui aujourd'hui essaye matin, midi et soir de draguer notamment les forces économiques dans notre pays – à la fin, regardez les votes. Si nous avons une suspension de la réforme des retraites, c'est d'abord parce que le Rassemblement national vote la suspension de la réforme des retraites. Et regardez sur la question des hausses d'impôts, c'est systématiquement le Rassemblement national qui les a adoptées. Donc il faut regarder scrupuleusement qui vote quoi, qui promet quoi pour l'avenir. Nous, on a assumé l'idée que malheureusement, la suspension de la réforme des retraites était le seul chemin pour ensuite pouvoir continuer à agir, pour pouvoir passer à d'autres choses que la question budgétaire parce qu'il y a d'autres sujets qui intéressent les Français. Mais oui, évidemment, en 2027, il y aura un enjeu de responsabilité et de crédibilité pour dire aux Français la vérité sur notre système de retraite et sa réforme nécessaire.

ALIX BOUILHAGUET
Je dressais la liste des concessions qui ont été faites par Sébastien LECORNU. Il y en a une nouvelle, cette fois-ci pour amadouer les écologistes. C'est l'augmentation de l'objectif des dépenses de l'assurance maladie qui passerait des 1,6 % prévus à 3 %. Ça, c'est un geste, de 300… Je me demande si ce n'est pas 600 millions d'euros. 600 millions d'euros, c'est fort et c'est massif. Est-ce que ça ne va pas trop loin ? Et on sent que c'est ce que pensent beaucoup de députés au sein de ce fameux socle commun.

AURORE BERGE
Vous savez, encore une fois, il faut arriver à concilier des choses qui, sur le papier, sont impossibles à concilier.

ALIX BOUILHAGUET
Mais ça, vous confirmez que ça pourrait être la dernière concession qui pourrait être annoncée demain ?

AURORE BERGE
C'est le Premier ministre qui en fera part demain, avant le vote final, pour savoir quels sont les objectifs qui peuvent être poursuivis. Mais sur le papier, cette assemblée est impossible. Sur le papier, évidemment, elle pense des choses qui sont complètement différentes. Elle peut être fracturée. La question est posée à la fois au Gouvernement : est-ce que le Gouvernement est capable d'assumer des compromis ? Elle est posée à chaque député individuellement. Est-ce qu'on préfère un compromis maintenant ? Ce qui est plutôt ce que nous demandent les Français, c'est de dire à un moment : "Vous avez été élu, on ne vous demande pas de repasser aux urnes demain, on vous demande de réussir à trouver un chemin et à travailler ensemble aujourd'hui et en effet, de ne pas faire n'importe quoi parce que si ça n'est pas adopté…"

ALIX BOUILHAGUET
Regardez, 17 milliards de déficit de la Sécurité sociale, c'était ce qui était promis dans le projet initial, la copie initiale, on avoisine maintenant les 23 milliards. Est-ce qu'on n'est pas passé dans une forme de folie aussi fiscale ?

AURORE BERGE
La folie, ce serait qu'il n'y ait pas de budget adopté demain, parce que là, on le sait, c'est un dérapage qui serait a minima à 30 milliards d'euros. C'est ça la conséquence de la non-adoption. Il y a plusieurs conséquences, des choses qu'on aimerait faire, des choses qui nous tiennent à cœur, qu'on ne peut pas faire. Ce que je vous disais sur le congé de naissance, parce qu'il y a des familles qui concrètement attendent et disent : "Voilà les projets qu'on a, est-ce que oui ou non on pourra en bénéficier ?" Je dis qu'en fait, tout dépendra du vote. Tout dépendra du vote demain, si oui ou non c'est adopté. Si c'est adopté, on pourra en bénéficier. Si ça n'est pas adopté, je ne sais pas. Et de toute façon, si la copie n'était pas adoptée demain, notre pays ne sait pas fonctionner sans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Ça veut dire que nous ou d'autres, peu importe, on y reviendra. On rediscutera avec cette même assemblée pour savoir si, oui ou non, on peut réussir à établir un compromis. Je pense qu'il vaut mieux assumer, de dire clairement aux Français, on a voulu éviter un dérapage des comptes, on a accepté de voter cette copie, certes imparfaite, mais surtout, on passe à autre chose parce que notre pays veut qu'on travaille sur d'autres choses.

ALIX BOUILHAGUET
Donc sans 49.3, ça c'est acquis. Mais imaginons, il n'y a pas de 49.3, si le budget est rejeté, on sait déjà que Sébastien LECORNU ne présentera pas sa démission. Mais comment est-ce qu'il pourrait tenir après un tel échec ?

AURORE BERGE
Après un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, se posera la question du budget de l'État. Est-ce que, oui ou non, nous sommes en capacité d'adopter un budget pour l'État parce que ça va être aussi une nécessité ou est-ce que nous devons trouver des correctifs en urgence ? Mais dans tous les cas, ce que je dis aux Français – parce qu'à force, je pense qu'entre PLFSS, PLF, loi spéciale, tout le monde s'y perd – c'est que si demain, la copie était rejetée, malheureusement, ce que je n'espère pas, il faudra que le Gouvernement représente une nouvelle copie. Un pays, notre pays, ne peut pas fonctionner sans projet de loi de financement de la Sécurité sociale, de la même manière que si nous n'avons pas un budget de l'État adopté, une loi spéciale, ça n'est pas un budget. Ça veut dire qu'il faudra y revenir. Est-ce que les Français ne préfèrent pas qu'on puisse parler d'autre chose, qu'on puisse travailler sur des enjeux de sécurité notamment, de protection au quotidien ? Je crois que oui.

ALIX BOUILHAGUET
On vous entend. Deux dernières questions, dans son livre, Nicolas SARKOZY prépare les esprits à la fin du Front républicain. Sans me dire à mi-mot parler même d'union des droites, est-ce qu'il fait une erreur, Nicolas SARKOZY ?

AURORE BERGE
J'ai beaucoup de respect pour le Président SARKOZY et je serai toujours reconnaissante pour ce qu'il a porté dans notre pays. Après, j'ai une différence. Déjà je ne crois pas à l'union des droites qui irait jusqu'au Rassemblement national. Je ne pense pas d'ailleurs que le Rassemblement national soit un parti de droite. Je pense que les incohérences économiques majeures qu'ils ont démontrées tout au long de l'examen budgétaire. Et j'invite chaque Français qui s'interroge sur son vote de demain ou d'après-demain à regarder ce que leurs députés votent. Et ce que les députés du Rassemblement national ont voté, c'est systématiquement renoncer à des réformes structurelles. La réforme de l'assurance chômage, ils ne l'ont pas votée. La réforme du RSA, ils ne l'ont pas votée. La réforme des retraites, évidemment non. Et ils ont voté toutes les hausses et toutes les augmentations des impôts. Le chemin de responsabilité de la droite ne peut en aucun cas être avec le Rassemblement national.

ALIX BOUILHAGUET
Un tout dernier mot sur les municipales. C'est dans trois mois, ça arrive. Pourquoi ne pas soutenir le candidat de votre camp, Pierre-Yves BOURNAZEL, et lui préférer Rachida DATI ? Est-ce que c'est son pouvoir de nuisance ? On parle beaucoup du pouvoir de nuisance de Rachida DATI.

AURORE BERGE
Il se trouve que nous sommes collègues au sein du même Gouvernement et que Rachida DATI soutient le Président de la République. Ça me paraissait logique de lui apporter mon soutien de la même manière que je vais soutenir Thomas CAZENEUVE, par exemple, cette semaine, qui est notre candidat à Bordeaux et qui est soutenu par le parti.

ALIX BOUILHAGUET
Pierre-Yves BOURNAZEL, c'est quand même le candidat du parti. Il est Horizons… par Gabriel ATTAL.

AURORE BERGE
Heureusement qu'un parti politique, ce n'est pas une caserne. On en fait la démonstration d'ailleurs au quotidien. On peut arriver à vivre ensemble, en faisant parfois des choix différents. Il y a de très bons candidats dans notre parti : Violette SPILLEBOUT à Lille, Thomas CAZENEUVE à Bordeaux pour ne parler que d'eux.

ALIX BOUILHAGUET
Et BOURNAZEL, il n'en est pas ?

AURORE BERGE
Et je considère que je suis membre d'un Gouvernement et que je soutiens une ministre du Gouvernement qui, en plus, soutient l'action du Président de la République, qui est Rachida DATI.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup, Aurore BERGE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 décembre 2025