Texte intégral
Vous êtes secrétaire d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat. Comme les entreprises commencent toujours par être petites avant de grandir, vous êtes un observateur privilégié de l'esprit d'entreprise et de son évolution en France. C'est évidemment vital pour la croissance et l'emploi. Quel est votre diagnostic en ce début 2002 ?
- "En ce début 2002, je vois que certains indices publiés la semaine dernière montre qu'il y a un frémissement dans un sens positif. Cela, bien entendu, concerne les entreprises de production mais je vois que les petites entreprises, notamment l'artisanat, le commerce, disent qu'après un mois de décembre un peu difficile, ils voient aujourd'hui, en janvier, leurs carnets de commande se remplir. Donc, il ne s'agit pas d'être béat ou optimiste inutilement, je crois qu'il s'agit d'être déterminé et de prendre en compte la culture entrepreneuriale qui se développe dans notre pays, d'accompagner le mouvement de création des entreprises, de reprise des entreprises qui sont le tissu économique essentiel de notre pays."
On a tous été frappé par un sondage publié à l'occasion du Salon des entrepreneurs il y a quelques semaines de cela qui montrait que plus de 6 millions de Français avaient un projet précis d'entreprise et on est frappé de comparer ce chiffre au nombre de ceux qui passent vraiment à l'acte : 180 000 par an. Il y a beaucoup de déperdition, quand même...
- "J'ai coutume de dire que nous sommes passés ces dernières années d'une culture de salariat, voulu pour des raisons de chômage bien compréhensibles, à une véritable culture entrepreneuriale, notamment chez les jeunes qui, chez les jeunes de 18 à 24 ans, pour 60 % disent un jour souhaiter créer une entreprise. J'y vois bien entendu l'effet Start-up, qui est un peu retombé aujourd'hui comme vous le savez. Mais néanmoins, [il y a] la volonté chez les jeunes de s'inscrire dans une création, de devenir eux-mêmes leur chef d'entreprise, de mettre leurs idées au service de l'économie, un souci de liberté, d'épanouissement personnel."
C'est pour cela que vous faites une publicité sur le thème "Si vous avez envie de dire merde à votre patron, devenez patron vous-même" ?
- "Entre autres. Je trouve que la formule est bonne. L'artisanat, première entreprise de France et pour longtemps. Rappelons-nous simplement le chiffre : 2 millions de petites entreprises en France pour 5,5 millions d'actifs ; il y va de l'économie, du social et il y va aussi du maillage territorial. Sachez que beaucoup de petites entreprises sont en territoire rural ou périurbain."
Vous avez longuement consulté - il y a eu trois rapports - et il y a un projet de loi qui arrive demain en première lecture à l'Assemblée nationale : qu'est-ce que vous proposez ?
- "Il ne s'agit pas d'une grande loi d'orientation. Il s'agit d'un texte clair, fait de mesures ponctuelles qui a lui-même 17 articles et qui s'adjoint un plan d'accompagnement de mesures qui seront prises par circulaires ou par décrets au cours de l'année 2002, même avant le vote de la loi. Je pense en particulier au prêt à la reprise d'entreprise qui est attendu par beaucoup d'artisans."
Parlons-en parce que c'est le moment le plus délicat, quand le créateur de l'entreprise passe la main. Là, il y a une mortalité très importante.
- "Vous savez que 250 000 emplois sont conditionnés chaque année par des reprises : c'est très important. Il y a des situations sociales difficiles. Beaucoup d'artisans voudraient céder. Pour ce faire, à côté du prêt à la reprise d'entreprise, qui est, je crois, un outil attendu, nous prenons des mesures de financement. En un mot : certaines personnes pourront utiliser leur épargne défiscalisée - je pense aux PEL et aux PEA - pour pouvoir l'utiliser sans perdre les avantages fiscaux pour créer ou pour reprendre une entreprise. Nous allons monter le plafond des CODEVI de façon à ce que ce plafond monté à 6000 euros puisse être fléché par une remontée à la Caisse des dépôts spécifiquement vers les petites entreprises. Je pense aussi à l'élévation du plafond des plus-values pour la vente ou la reprise d'entreprise, je pense à l'étalement possible du paiement des plus-values lorsqu'il y a cession d'entreprise. Je pense enfin à des avantages fiscaux pour drainer l'épargne de proximité ; pour ceux qui emprunteront pour prendre des actions de SA dans les entreprises autour de chez eux, ils pourront bénéficier d'exonérations fiscales importantes.
Ça, ce sont les questions de financement. Il y a souvent des freins qui sont évoqués, y compris dans les études que j'évoquais tout à l'heure, qui concernent la réglementation et puis, bien entendu, le risque. Et là aussi, le projet prévoit d'apporter une meilleure protection.
- " Deux choses importantes qui concernent la relation bancaire. La première, c'est le découvert qui est autorisé aujourd'hui aux artisans, aux petites entreprises - souvent, il peut être bloqué ou supprimé instantanément : maintenant, nous installons un préavis durant lequel d'une part, l'artisan ou l'entrepreneur pourra trouver d'autres sources de financement et qui sécurisera aussi les banques, parce qu'à partir de ce moment-là, elles ne pourront pas être taxées de soutien abusif. La deuxième chose qui est importante, c'est la caution. Maintenant, nous demandons une meilleure relation banque-entrepreneur de façon à ce que, dans la prise de décision de la caution, il y ait une vraie concertation avant et que, pour le cas où il y aurait défaillance de l'entreprise, les biens professionnels puissent être soumis à la commission de surendettement. Pour le statut, nous avons deux choses. Le premier concerne le "reste à vivre" : c'est la quotité disponible qui sera laissée à un chef d'entreprise qui aura connu des difficultés, pour lequel il pourrait y avoir une saisie ou une faillite ; d'abord, par décret, nous fixerons un minimum vital et les tribunaux fixeront la somme nécessaire."
La plupart des organisations professionnelles saluent votre texte. Elles regrettent simplement qu'il arrive très tard dans le calendrier et qu'il n'y ait qu'une seule lecture avant la fin de la législature. Elles s'inquiètent de ce qui va se passer ensuite. Vous-même, vous n'êtes pas du tout inquiet ?
- "Non. Ce texte n'a pas été élaboré dans l'urgence mais c'est un engagement que j'avais pris en entrant au Gouvernement, il y a quinze mois. Ce texte est fait aujourd'hui de décisions, de mesures, qui paraissent tellement évidentes et tellement urgentes que, quelles que soient les échéances, quel que soit le résultat des échéances futures, personne ne pourra revenir en arrière. S'il a été adopté en première lecture, il sera repris sous une forme ou sous une autre quelle que soit la majorité. Ces mesures, qui ne sont pas des mesures qui ne sont pas minimes puisqu'elles représentent à elles seules bien plus qu'il n'y a eu dans les deux dernières lois pour l'artisanat qui dataient de monsieur Raffarin et de M. Madelin - et ça, ce sont les professionnels qui le reconnaissent eux-mêmes. Donc, je considère que ce texte ira non seulement à son terme mais qu'il sera même enrichi dans les débats parlementaires."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le19 février 2002)