Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, sur les orientations de la réforme du droit de la famille, notamment l'autorité parentale, le mariage, le divorce et les droits de l'enfant, Paris le 4 avril 2001.

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Circonstance : Présentation des orientations de la réforme du droit de la famille à Paris le 4 avril 2001

Texte intégral

Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui avec Marylise Lebranchu les orientations de la réforme du droit de la famille. Elles indiquent ce qui, dans notre Code Civil - cette dimension primordiale quoique non exclusive du droit de la famille - doit aujourd'hui être clarifié, précisé, modifié afin de tenir mieux compte de ce qui, de nos jours, " fait famille ", de ce qui constitue le noyau dur des droits et des devoirs des parents dans un contexte où la pluralité des formes de vie familiale et, souvent, leur succession au cours d'une même vie nous posent des questions inédites. Des questions d'organisation de la vie quotidienne pour beaucoup de nos concitoyens. Des questions tenant à la place et au rôle de chacun au fil des remaniements possibles. Des questions, en somme, de principe et de pratique.
Ces orientations s'inscrivent dans le contexte plus large d'une politique familiale dont le Premier Ministre a rappelé, lors de la dernière Conférence de la Famille, qu'elle ne se borne pas au versement de prestations, si utiles soient-elles, mais doit permettre de mieux articuler les libertés, les responsabilités et les sécurités nécessaires, les choix privés et les solidarités publiques. Instituer plus solidement les liens de filiation, refonder et rénover l'autorité parentale qui en procède, quel que soit le statut juridique du couple ou les désunions parentales susceptibles d'intervenir, soutenir dans la vie de tous les jours l'exercice concret de la parentalité en veillant à ce que le père prenne toute la place, de droit et de devoir, qui lui revient et à ce que le droit de tout enfant à être éduqué par ses deux parents, y compris après leur séparation, soit mieux garanti, telle est l'inspiration.
Elles s'inscrivent dans une réflexion globale sur les évolutions de la famille contemporaine et la solidarité des différents chantiers de la politique familiale dont j'ai la charge. Celui d'aujourd'hui constitue en quelque sorte le socle de tous les autres dont le point commun est de considérer que les droits et les devoirs auxquels nous donnons force de loi ne vont jamais sans les moyens de les exercer.
C'est pourquoi je ne dissocie pas la réforme de notre Code Civil dont il est question aujourd'hui des conséquences que doivent, à mon sens, également en tirer ces autres domaines du droit de la famille que sont le droit social, le droit fiscal et le droit international. J'établis, de même, un lien direct entre la réforme du droit de la famille que nous vous présentons ici et les conséquences opérationnelles qu'il reviendra à la prochaine Conférence de la Famille de tirer des propositions du groupe de travail que j'ai présidé sur le partage de la responsabilité parentale, auquel les services du Ministère de la Justice ainsi que l'ensemble des ministères concernés et les différents partenaires de la politique familiale sont associés. Le rapport finalisé vient de m'être remis et nous aurons bientôt l'occasion d'en reparler. Pour aujourd'hui, je voudrais éclairer les partis-pris dont procède la nécessaire évolution de notre Code Civil et vous dire quelques mots de ma conviction relative à la nécessité et à la possibilité de refonder une vision partagée de la famille.
1°) Des débats d'hier aux questions d'aujourd'hui
Chacun a conscience que la famille, de nos jours, est bien différente de ce qu'elle était il y a 30 ou 40 ans. Il n'y a pas lieu de s'en alarmer : la famille témoigne avec une belle vigueur de ce que changer n'est pas se perdre. Elle tire même sa force de ce que les pessimistes annonçaient comme sa faiblesse : son aptitude aux réaménagements, sa tolérance aux remaniements. Plus diverse, moins prévisible, elle reste le lieu de convergence de fortes espérances et d'aspirations très voisines. C'est sans doute pourquoi les vieux débats " famille traditionnelle " contre " famille moderne " nous paraissent dépassés. Les mentalités ont évolué, les murs ont tranché, les choix coexistent. Cela nous pose des questions nouvelles et nous oblige à penser différemment des questions qui ne sont pas forcément nouvelles. Il en va ainsi de l'autorité parentale dont le principe a été posé il y a une trentaine d'années et doit être aujourd'hui revisité, aménagé, affermi. Ni désuète, ni en crise, la famille administre la preuve de sa vitalité et de sa plasticité, riche de libertés acquises mais aussi de fragilités et de risques nouveaux.
Les jeunes la plébiscitent. Les Français de tous âges, de tous milieux, de toutes convictions l'inscrivent en tête de leurs préoccupations et d'une certaine idée que chacun se fait du bonheur privé dans un monde commun. On a dit la famille contemporaine " incertaine " car, lorsque 40% des enfants naissent hors mariage et trois couples mariés sur dix divorcent, il n'est plus de modèle unique de la " bonne famille " ni de configurations familiales assurées à tout coup de leur stabilité. Cela ne va pas sans inquiétude, sans solitudes, sans lassitudes parfois et sans mise à l'épreuve des liens entre parents et enfants. Cela ne va pas sans difficultés accrues : pour tenir son rôle de père et de mère, pour grandir avec la certitude de pouvoir compter sur l'un comme sur l'autre. Cela ne va pas sans inégalités entre celles et ceux pour qui une séparation signifie, ici, plus de liberté assumée, et là, un surcroît de contraintes. Nombre de familles monoparentales sont ainsi parmi les plus exposées à l'isolement et à la précarité. Dans nombre de familles recomposées, il n'est facile ni pour les adultes ni pour les enfants de trouver spontanément leurs marques.
Le mariage, pour autant, n'est pas boudé. On se marie toujours, à différents âges, avec ou sans enfants, c'est selon. N'étant plus la condition obligée d'une vie à deux, il procède d'un choix d'autant plus valorisé qu'il est libre, réfléchi, affranchi des conventions. L'espoir mis dans sa durée est intact, le risque connu et accepté donne sens à l'engagement. Affaire de conscience personnelle, le choix privé du mariage s'accompagne d'une forte exigence de bonheur et d'une moindre soumission aux situations invivables, comme l'atteste le nombre de divorces demandés pour cause de violences conjugales. Un récent sondage BVA réalisé à l'occasion du Salon du Mariage conclut même que, pour une majorité de Français (65%), le mariage " redevient à la mode ", cependant que le nombre de ceux qui le tenaient pour dépassé est tombé, en quatre ans, de 25% à 21%.
Les séparations, si elles sont loin d'être l'aboutissement de toutes les unions et jamais un événement anodin, ne constituent toutefois plus une réalité marginale de la vie familiale. Comment, dès lors, rester parents quand on ne forme plus un couple ? Au-delà de la pluralité, largement admise et vécue, des formes de vie familiale, qu'en est-il, dans ce contexte, de l'unicité des missions que toutes les familles ont en commun ? Quels repères se donner pour que les droits subjectifs des parents et des enfants ne s'opposent pas au détriment des plus faibles et pour établir plus solidement l'équilibre nécessaire des droits et des devoirs ? Telles sont quelques unes des interrogations avivées non par la crise mais par les métamorphoses de la famille.
2°) Refonder une vision partagée de ce qui " fait famille "
Je crois le moment venu de refonder une vision de la famille forte d'une légitimité nouvelle, de valeurs communes, d'espoirs partageables et d'un pacte d'obligations acceptées.
Cela oblige à un effort lucide de mise en perspective pour discerner ce qui, sous l'écume des changements apparents, doit perdurer et ce qui, ayant profondément changé, doit être pensé autrement. A l'opposé de quelqu'adaptation bricolée à l'humeur supposée du temps, il s'agit de prendre parti sur le sens des mutations de la famille, telles que nous pouvons aujourd'hui les comprendre et sur les orientations qui en découlent pour l'Etat, dans son rôle de garant des principes fondateurs, d'animateur des politiques publiques et de partenaire de tous ceux qui concourent à conforter les familles dans leur tâche.
Liberté des choix, égalité des droits, sécurité des liens et continuité des obligations sont à redéfinir et mieux garantir en tenant compte du recentrage de la famille autour de l'axe désormais prééminent de la filiation et du droit de tout enfant à être élevé par ses deux parents, quel que soit le statut juridique ou le devenir de leur couple.
Il en résulte pour moi quatre principes :
réaffirmer le bien-fondé de l'autorité parentale, quelles que soient les formes de la vie familiale (conjugale ou concubine, séparée, monoparentale ou recomposée) ;
définir un droit commun à tous les enfants et mieux assurer, quelles que soient les circonstances de leur naissance, la sécurité du double lien de filiation tout en reconnaissant une place pour le beau-parent ;
égaliser l'exercice partagé de la parentalité, rénover et soutenir la fonction paternelle ;
mieux épauler les familles fragilisées par des situations de précarité sociale qui les exposent à un moindre respect de leurs droits et à plus de difficultés, en cas de séparation, pour maintenir les relations de chaque parent avec ses enfants.
3°) Des constats aujourd'hui convergents
La famille patriarcale, corsetée par le Code Napoléon qui consacrait la toute-puissance maritale et paternelle, a progressivement rendu l'âme au cours du XXème siècle. La famille nucléaire, dans sa version des années 50-60 (père pourvoyeur de ressources, mère au foyer dédiée aux arts ménagers et aux enfants du baby-boom), n'a réellement été modèle dominant que le temps d'une génération. Tendances lourdes et évolutions à bas bruit, au nombre desquelles la scolarisation massive des femmes, ont conjugué leurs effets pour remodeler en profondeur le visage de la famille, des rapports de couple et des relations à l'enfant. On n'en prit pas d'emblée toute la mesure. Les années 70 furent celles de réformes importantes (passage de la puissance paternelle à l'autorité parentale, divorce par consentement mutuel, égalité de filiation entre enfants légitimes et naturels mais à l'exclusion de ceux dits " adultérins "). Réformes novatrices mais conçues davantage comme des aménagements à la marge que comme concernant le cur de la famille ordinaire. Réformes inachevées puisque posant des principes forts sans en tirer toutes les conséquences, tâche qui nous incombe aujourd'hui.
Les années 80 mirent en évidence la modification massive des comportements : nuptialité, fécondité, divortialité, naissances hors mariage tous les indices firent soudain sens pour révéler l'ampleur d'un triple mouvement d'individualisation des références, de privatisation des normes et de pluralisation des modèles. L'individualisation, dans la famille comme dans le reste de la société, a indiscutablement gagné du terrain, pour le meilleur et parfois pour le pire, mais les échanges affectifs ne sont, dans les familles de maintenant, pas moins forts qu'auparavant et peut-être même plus exigeants.
Dans l'univers des relations familiales, la négociation est souvent de mise et la légitimité parentale doit aussi se prouver au jour le jour, dans l'aptitude à poser de justes limites et à en donner les raisons ; la tâche n'est pas toujours facile mais, dans leur majorité, ni les parents ni les enfants ne se plaignent que la parole soit plus libre et les tabous moins nombreux. En ce sens et à condition de ne pas gommer l'asymétrie des places qui caractérise la relation parents-enfants, on pourrait dire la famille plus " démocratique ". Quant à la variété des formes familiales, des engagements graduels aux séquences de vie " en solo ", elle ne signifie pas affrontement de modèles concurrents mais, pour beaucoup, situations successivement vécues, tantôt choisies, tantôt subies, harmonieuses pour les uns, douloureuses pour les autres et, en dépit de ces différences, des idéaux très proches.
Sur ces quelques constats, brièvement évoqués, les avis convergent même si leur interprétation prête naturellement à débat. Une chose est sûre : qu'elle soit celle du " démariage " ou du " libres ensemble ", la famille n'est pas objet de désamour.
4°) Le recentrage sur la filiation
Le changement majeur tient à l'évolution opposée de ce qui, jadis, procédait étroitement l'un de l'autre. Le sens commun résume fort bien cette désimbrication en disant que, de nos jours, le couple n'est jamais à l'abri d'une séparation cependant qu'un enfant, c'est sûr, c'est pour la vie, on n'en divorce pas. Même en l'absence de tout contact, nul ne parle de son " ex-père " ou de son " ex-mère ".
Du côté du couple, le triomphe de l'idéal électif est consommé et signifie, même s'il en est de nombreuses qui durent toute une vie, la fragilisation des unions. Du côté de l'enfant, l'idéal reste celui de l'indissolubilité des liens même si, de fait, nombre d'enfants, après séparation du couple parental, perdent de vue un de leurs parents, le plus souvent le père. Ce n'est donc pas la " faillite de la famille " qui est au rendez-vous mais le déplacement de son centre de gravité de la conjugalité, désormais une option parmi d'autres et pas plus que d'autres à l'abri de la précarité, vers la filiation, seul axe réputé stable mais, à y regarder de près, parfois fort insécurisé.
Fondée sur l'alliance, la famille vacille sur ses bases. Recentrée sur la filiation, elle peut faire mieux que résister : continuer d'inscrire chacun à sa place dans le système symbolique de la parenté, l'ordre généalogique et la chaîne des générations. A nous de départager plus clairement ce qui relève du droit des adultes à mener leur vie comme ils l'entendent et ce qui relève des devoirs qu'en mettant au monde un enfant, ils ont contractés à son égard. Tenir compte, dans le contexte d'aujourd'hui, des familles telles qu'elles sont, avec leurs libertés et leur diversité, mais aussi telles qu'elles doivent être pour assumer au mieux leur mission éducative, c'est accorder la priorité à la sécurisation du double lien de filiation et à la consolidation d'une autorité parentale équitablement partagée.
5°) La famille : contrat ou institution ?
Entre parents et enfants, les relations sont moins formelles, plus attentives à l'épanouissement de chacun, plus accueillantes aux points de vue respectifs, à l'argumentation, à la persuasion, plus vulnérables aussi au doute. Pour le meilleur - l'affirmation d'une nouvelle convivialité familiale - et parfois pour le pire : la difficulté à tenir sa place d'adulte et de parent.
On dit souvent l'époque moderne marquée par une " crise de l'autorité ". Il s'agit en réalité, hors la famille et en son sein, d'une façon différente de faire autorité : moins verticale, moins référée à des instances supérieures, exigeant de chacun qu'il administre au jour le jour la preuve répétée de sa légitimité. Ce " nouvel âge de l'autorité ", loin d'affaiblir la portée de l'autorité parentale, rend encore plus nécessaire l'affirmation d'un principe en l'absence duquel chaque parent serait renvoyé à davantage de solitude éducative, au bricolage de ses repères, aux arbitrages jamais évidents entre l'obligation de poser des limites au risque du " tumulte affectif " et la tentation de n'en rien faire dans l'espoir de gratifications immédiates.
Plus relationnelle, la famille n'est pas pour autant devenue simplement " contractuelle ". Sauf à considérer le lien de filiation comme optionnel et à laisser les obligations qui en résultent à l'appréciation arbitraire de chacun. Sauf à substituer, entre parents et enfants, l'illusoire réciprocité de la transaction à l'impérieuse nécessité de la transmission. Sauf à gommer l'irréductible asymétrie de leurs places respectives qui prend sa source dans l'interdit fondateur de l'inceste mais se décline aussi dans mille situations ordinaires de la vie quotidienne où il s'agit de tenir " la bonne distance ".
Les adolescents, comme en témoignent toutes les enquêtes menées auprès d'eux (et notamment celles de l'INSERM, pilotées par Marie Choquet) ont à la fois, dans leur majorité, une bonne opinion du dialogue intra-familial (naturellement distincte de l'obligation de tout se dire) et le désir que les adultes en général et leurs parents en particulier sachent poser de justes règles, s'y tenir sans se contredire et incarner au quotidien ce qu'il faut de consistance pour qu'ils se structurent dans des repères clairs. Bien des conduites à risques, bien des souffrances et des violences adolescentes disent cette attente d'une réponse qui ne vient pas ou mal, ce besoin d'un cadre qui ne se dérobe pas et permette de s'éprouver, la rage que suscite, comme l'écrit Daniel Sibony, " un tiers qui fuit ou, pire, confisque la place pour n'en rien faire ".
Les prérogatives et les obligations des parents, telles qu'elles sont définies dans notre droit civil et doivent y être plus solidement installées, conjuguent ces trois dimensions constitutives de toute institution : la fondation, l'habilitation et la durée. La responsabilité qui en procède n'est pas facultative. " Répondre de ", se porter garant, s'engager, promettre et tenir : c'est ce qu'on attend des parents, responsables devant la loi en tant qu'elle représente la communauté des autres. " Etre parent, a fort bien écrit Pierre Legendre, c'est faire naître l'enfant à l'humanité, à la société, à la temporalité. Les fonctions parentales, qui dépassent en quelque sorte les individus parents, vont autoriser l'enfant à vivre en lui permettant de se différencier en tant que sujet, de s'identifier, de se structurer ".
Les métamorphoses de la famille contemporaine ne la font ni moins instituée ni moins instituante car plus que jamais garante de l'assignation des places et même obligée d'innover pour faire place à de nouveaux venus : beau-parent assumant une part des tâches éducatives, arrière grands-parents coexistant plus longtemps avec les générations suivantes. La modernité de la famille, ce n'est pas de ne plus être une institution, c'est de fonder différemment sa légitimité sur l'axe de la filiation et de l'autorité parentale, de bâtir un nouvel équilibre entre les droits et les devoirs des parents et des enfants, de faire toute sa place au dialogue intra-familial et de trouver ses marques dans un environnement où, des medias à l'école et des technologies de l'information aux biotechnologies, les conditions de transmission des connaissances et de la vie obligent à suivre le rythme sans perdre le cap.
6°) La filiation : biologie ou biographie ?
La famille est très directement concernée par ce paradoxe des temps modernes : les progrès de la science, en même temps qu'ils affranchissent de la fatalité biologique (recul massif de la mortalité en couches et de la mortalité infantile dans les pays développés, maîtrise de la procréation, Norlevo disponible en milieu scolaire pour la prévention des grossesses précoces, traitement contre la stérilité et procréation médicalement assistée), obligent, du fait de possibilités inédites d'intervention sur le vivant et de preuve génétique, à prêter une grande attention à ce qui prend parfois l'allure d'un retour envahissant du biologique et à préciser en quoi les liens de filiation ainsi que les responsabilités qui en résultent ne sauraient s'y réduire.
Le lien de filiation, fondement de l'autorité parentale, mêle généralement trois dimensions : biologique, domestique (la vie commune, dite juridiquement " possession d'état ") et généalogique (l'inscription dans le système symbolique de la parenté à une place singulière et non permutable). La dimension biologique n'y est pas prééminente : les familles adoptives le prouvent qui ne sont ni moins familles ni moins affiliantes que les autres. Et aussi cette observation très juste des spécialistes de la petite enfance : tout parent, qu'il soit ou non le géniteur de son enfant, doit en réalité " l'adopter ", ce qui est tout l'enjeu du processus de parentification.
Le lien de filiation est un lien institué et vécu, jamais un simple lien de sang.
C'est pourquoi le droit de connaître ses origines ne saurait être confondu avec l'établissement de quelque filiation biologique concurrente. Le projet de loi relatif à la création d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles et l'aménagement de l'accouchement sous X n'affirme pas les droits de la biologie mais ceux de la biographie ; il prend parti pour le droit de ne pas être privé de son histoire et, ce faisant, non seulement ne met pas en cause la pleine légitimité de la filiation adoptive mais permet au contraire qu'elle soit, dans la durée, plus sereinement vécue.
C'est pourquoi aussi la loi adoptée en première lecture le 6 février dernier par l'Assemblée nationale concernant l'égalisation des droits successoraux des enfants dits " adultérins " (" dont le père ou la mère était, au temps de sa conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne "), ne se fonde pas davantage sur des motifs biologiques mais sur le droit de tout enfant à une filiation établie exempte de toute discrimination. Elle élimine une ultime survivance du Code Napoléon (pour lequel les " bâtards " ne pouvaient ni être reconnus ni hériter) et une contradiction interne de notre droit civil (qui posait le principe de l'égalité des filiations mais ne l'avait, par la loi du 3 janvier 1972, réalisée que pour les enfants naturels et légitimes).
C'est également pourquoi, enfin, le lien de filiation ne saurait être inconsidérément fragilisé au nom de la " vérité " biologique et d'un usage immodéré des tests ADN. Pendant longtemps, la maternité biologique n'a soulevé aucune interrogation, l'accouchement faisant foi, et la filiation paternelle a directement résulté de la présomption de paternité dans le cadre obligé du mariage. Tel n'est plus le cas aujourd'hui. La possibilité actuelle d'apporter facilement la preuve scientifique de la paternité génétique aboutit parfois, lorsque les unions se défont et les parents s'affrontent, à des remises en cause de filiations dûment instituées et en particulier de reconnaissances effectuées initialement par des pères. Ces pratiques, dont l'augmentation récente est notable, portent un préjudice grave aux enfants qui en sont l'objet et se sont structurés en référence à une filiation qu'ils tenaient pour certaine. Elles constituent une véritable " violence sans violence ", un déni brutal signifiant à l'enfant qu'il n'est plus rien pour celui qui, un jour, s'est engagé à être son père. Elles appellent une limitation et un encadrement plus stricts à inscrire dans le droit, qui sont prévus au titre de la réforme de l'autorité parentale et de la filiation.
7°) Les droits de l'enfant ne sont pas distincts de ceux de sa famille
L'autorité parentale ne signifie nullement que l'enfant soit la propriété de ses parents ou le jouet de leurs caprices car ils sont comptables devant la loi de leur devoir de protection et d'éducation. Réinstituer plus solidement le lien familial autour de la sécurisation de la double filiation et de l'égale responsabilité des deux parents de sorte que chaque enfant y trouve le cadre structurant qui lui permette de grandir, c'est choisir de ne pas dissocier ou opposer les droits et les devoirs des parents et des enfants ; c'est agir pour leur renforcement conjoint.
Dès son préambule et ses premiers articles, la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France, ne dit pas autre chose : l'enfant a droit à une protection particulière dont les Etats sont garants et les familles doivent être aidées à jouer pleinement leur rôle ; tout enfant a le droit d'être éduqué par ses deux parents.
Pourtant, l'interprétation des droits de l'enfant et, en conséquence, de la portée de l'autorité parentale font aujourd'hui débat. Il faut, là aussi, prendre parti. Je l'ai fait le 20 novembre 2000 lorsque j'ai réuni à Paris les Ministres européens en charge de la famille et de l'enfance, à l'occasion de l'anniversaire de l'adoption de la Convention par l'Assemblée générale des Nations Unies (sans la voix des Etats-Unis qu'elle aurait empêchés de condamner à mort des mineurs) et dans le cadre d'échanges visant à promouvoir ensemble l'Europe de l'Enfance. Je le fais à nouveau avec une réforme du droit de la famille qui tient la clarification des places, des fonctions et des obligations pour préférable sur le fond et plus efficace dans les faits que la multiplication désordonnée de " droits de l'enfant " sans contrepartie.
Il faut à cet égard réaffirmer le bien-fondé et les vertus de l'incapacité civile des mineurs, refuser toute dérive tendant à faire de l'enfant une quasi-partie au procès de divorce de ses parents. Les lois de 1975, 1987 et 1993 prévoient la possibilité qu'il soit entendu ; lorsque la demande émane de lui, le refus susceptible de lui être opposé doit être motivé. Mais il convient de rester attentif à sa nécessaire protection contre toute responsabilité dans les décisions relatives au couple de ses parents et, d'une manière générale, de se tenir à égale distance de ces deux dangers jumeaux : " le Charybe de l'enfant-chose et le Scylla de l'enfant-juge ".
L'intérêt bien compris de l'enfant est qu'on le prenne pour ce qu'il est : une personne en devenir et, comme telle, un sujet de protection. Loin d'atténuer l'asymétrie, protectrice et structurante, de ses rapports avec l'adulte, il faut lui permettre de bénéficier (dans sa famille, à l'école et ailleurs) des repères et des sécurités nécessaires à son développement et à la conquête progressive de sa liberté, dans le même temps le protéger du monde et lui en ménager l'accès.
A l'inverse, certains ténors du " parti de l'enfance " l'assimilent volontiers à une minorité opprimée dont la libération serait à hâter contre sa famille. Certains discours justifiant les passages à l'acte pédophile dès lors qu'ils ne seraient pas effectués sous la contrainte (comme si enfant et adultes étaient dans un rapport d'égalité !) empruntent à cette rhétorique de la célébration de l'enfance victime de l'autorité parentale. Certains partisans d'un abaissement de la majorité pénale ne souhaitent, eux aussi, rien tant que le retrait précoce des mineurs à l'autorité de leurs parents, en lieu et place de l'actuelle responsabilité progressive organisée par l'Ordonnance de 1945. Assimilant, à contre-sens de sa fonction, l'autorité parentale à une protection abusive, les uns comme les autres réduisent les droits de l'enfant au devoir de ne plus en être un. " Affranchi de l'autorité des adultes, notait déjà Hannah Arendt, l'enfant n'est pas libéré mais soumis à une autorité plus tyrannique qui le nie comme individu ".
8°) Affirmer le bien-fondé de l'autorité parentale,
lui donner toute sa force et son sens
" Autorité ", le terme légal fait parfois froncer le sourcil à ceux qui le confondent avec des dérives autoritaristes et des tyrannies domestiques qui nous sont devenues intolérables. Autorité, pourtant, le mot est juste et beau. Il vient du latin, d'un verbe qui signifie " augmenter " et d'un mot qui signifie " auteur ". Etymologiquement et juridiquement, l'autorité est ce par quoi les parents sont reconnus, dans la société, et se reconnaissent eux-mêmes comme " auteurs " de leurs enfants : non pas le fabricant mais l'inspirateur, le véritable fondateur, celui qui institue. Celui qui, ayant hérité, transmet à son tour.
Certains parlent à ce propos d'obligation d'acquitter " la dette généalogique " contractée lorsqu'on était soi-même enfant auprès de ses propres parents car c'est ainsi qu'on la rembourse, dans l'ordre des générations : non à ceux qui en ont fait l'avance mais à ceux, nouveaux venus, dont il s'agit d'ajouter le maillon à la chaîne. Cette dette de vie est un mixte de protection, d'affection et d'interdits structurants qui permet à l'enfant, personne en devenir, de s'humaniser, de s'inscrire dans une histoire et une lignée ; elle est la condition de son autonomie progressive et de la construction ultérieure d'autres liens ; elle est ce qui relie liberté et responsabilité.
Signe que la loi prend l'autorité parentale très au sérieux : un parent ne peut en être dépossédé que par décision du juge et pour motif grave tenant à l'intérêt de l'enfant. Même l'incarcération d'un parent ou le placement d'un enfant n'y met pas nécessairement un terme.
Notre droit a donc fait, à son rythme qui n'est jamais très rapide, d'indéniables progrès pour que le père et la mère soient au clair sur leur rôle et celui-ci reconnu. J'ai cependant constaté que bien des problèmes subsistaient. Il m'a semblé que l'affirmation nécessaire de l'autorité parentale souffrait, dans notre Code Civil, de la dispersion de ses dispositions entre deux chapîtres dont celui consacré au divorce, comme si la rupture d'un couple modifiait la responsabilité du père et de la mère. Tout ce qui a trait à l'autorité parentale, quel que soit le statut juridique de la famille, sera désormais regroupé sous un seul titre, pour plus de force et de clarté.
Certains trouvent désuet l'article inaugural énonçant que " l'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses parents ". D'autres y voient même un abandon de l'enfant aux abus de pouvoir éventuels de ses parents. Tel n'est pas mon point de vue. Je crois au contraire cet article plus que jamais d'actualité à condition de ne pas se tromper sur sa signification profonde. En rappelant le principe universel d'obéissance, il n'orchestre pas la soumission enfantine à la toute-puissance abusive de ses père et mère mais signifie, au contraire, que parents et enfants doivent rester dans une bonne distance et une hiérarchie des places qui sont conformes à l'obligation de protection des uns par les autres et à défaut desquelles nulle autorité juste ne peut advenir. Il me semble donc nécessaire de maintenir cette mention très importante mais aussi de la compléter pour que le lien entre les droits et les devoirs soit plus ferme et pour tenir compte d'une conception de nos jours plus exigeante des droits de l'enfant. Le droit de tout enfant à être éduqué et protégé par ses deux parents doit avoir force de loi de même que le fait, pour ses parents, de l'associer aux décisions qui le concernent, de manière adaptée à son âge et à son degré de maturité.
Fermeté du principe et adaptation aux conditions nouvelles de son exercice, c'est ainsi que j'ai voulu remettre l'autorité parentale au cur de la politique familiale et de la protection de l'enfance. Lui donner aussi sa place dans une approche rénovée de la prévention de violences (faites à l'enfant ou commises par lui, perpétrées par ses parents ou subies par eux) qui, en dépit de leur diversité, ont souvent en commun d'en exprimer les difficultés et les défaillances.
Bien des violences, subies et exercées signalent des dérapages et des impuissances dans la mise en uvre de ce principe fondateur qu'est l'autorité parentale. C'est pourquoi je prends sa pratique très au sérieux et m'attache à l'aider davantage. Les familles le souhaitent ; il serait trop facile de se borner à renvoyer les parents à la responsabilité qui est la leur en se désintéressant de ce qui, dans la vie réelle, y fait parfois obstacle, matériellement et psychologiquement. Les enfants, eux, veulent en face d'eux des adultes en capacité de tenir leur rôle.
J'ai le sentiment, en prenant à bras le corps le problème de l'autorité parentale, de m'attaquer ainsi à la racine de bien des souffrances, adultes et juvéniles, non pour faire aux familles le mauvais procès de leur incompétence ou de leur démission supposée mais au contraire pour les aider, comme la plupart le souhaitent ardemment, à réussir l'éducation de leurs enfants. Et aussi pour aider les enfants et les adolescents à y trouver le cadre sécurisé et structurant dont ils ont besoin et dont ils expriment, parfois de manière violente, la demande pressante. " Dans le cas de l'éducation, disait Hannah Arendt, la responsabilité du monde prend la forme de l'autorité ".
9°) Humaniser le divorce pour encourager la responsabilité
La désunion du couple parental ne doit pas mettre fin à l'exercice partagé de l'autorité dont est investi chaque parent. La situation actuelle est malheureusement trop souvent à l'inverse de cette affirmation de principe. Et si chacun admet qu'on ne divorce pas de ses enfants, force est de constater qu'en cas de séparation, un enfant sur quatre ne voit plus son père et bon nombre d'autres n'ont avec lui que des contacts épisodiques. La façon dont on divorce pèse lourd sur la suite des relations que tout enfant est en droit de maintenir, quelles que soient les vicissitudes du couple de ses parents, avec chacun d'eux.
Sans faire ici le tour de la question, je souhaite indiquer quelques idées qui me tiennent à cur concernant le divorce :
Je ne crois pas que le divorce soit la négation du mariage mais, bien plus, le résultat d'espérances déçues placées en lui. C'est paradoxalement parce que le mariage est, de nos jours, investi d'une grande espérance de bonheur que, lorsque l'amour ne semble plus au rendez-vous ou lorsque des écarts apparaissent contredire la promesse qu'on s'était faite, il en perd son sens, sa substance, sa raison d'être.
Il est, dans la vie d'un couple, des moments de fragilité et de crise qui peuvent, dans certains cas, être surmontés à deux et dans d'autres, aboutir à la dissolution du lien. L'Etat n'a pas à se mêler des relations affectives entre adultes et à faire prévaloir en la matière quelque norme de son cru. Mais la politique familiale doit en revanche se soucier d'apporter à ceux qui le souhaitent une aide susceptible de leur permettre de surmonter une passe difficile. La naissance d'un enfant, parce qu'elle oblige à un remaniement des rôles et des places, est typiquement un moment à l'occasion duquel un couple, jeune ou moins jeune, peut avoir besoin de trouver un appui, un conseil qualifié pour réussir cette transition ou surmonter une crise passagère. C'est tout le rôle d'un suivi efficace de la grossesse, d'une valorisation en amont du rôle du père, de l'intervention des conseillers et conseillères conjugales ainsi que des travailleuses familiales dont je crois les professions plus que jamais d'actualité. Je crois donc nécessaire, en certaines circonstances et s'ils en font la demande, d'épauler ceux dont le mariage peut battre temporairement de l'aile sans que la séparation en soit l'issue obligée. Cela concerne aussi l'éducation à la parentalité dès le collège, comme je l'ai mise en place dans le cadre de l'éducation à la sexualité et à la vie.
S'agissant du divorce, il n'est fort heureusement plus considéré comme une pratique " déviante " mais comme le libre choix d'adultes pour lesquels il arrive que la vie commune n'ait plus lieu d'être. L'instauration, en 1975, du divorce par consentement mutuel a été un grand progrès car, en supprimant l'exclusivité du divorce pour faute, elle prenait acte de la décision souveraine d'adultes capables de décider ensemble de mettre un terme à leur union sans qu'il soit besoin de désigner un " coupable ". Mais tout progrès comporte, si l'on n'y prend garde, ses effets pervers et c'est pourquoi je crois qu'il faut ici se garder de deux idées fausses :
le " couple parental " ne survit pas à la dissolution du couple conjugal. Cette notion est porteuse de confusion et traduit involontairement la nostalgie des unions indissolubles. Elle est de surcroît fort éloignée de bien des réalités vécues. Ce qui doit en revanche survivre, ce n'est pas un couple fictif, fût-il baptisé " parental ", c'est un père et une mère assumant la plénitude de leurs responsabilités et partageant équitablement une autorité parentale dont chacun est pleinement titulaire ;
le divorce, fût-il mûri conjointement et consensuellement décidé, n'est jamais un événement anodin et toujours une souffrance, fût-ce simplement celle de l'échec, du projet qui tourne court et quoique cette issue ne porte pas nécessairement ombrage aux années de bonheur vécues auparavant. Or il y a, de nos jours, comme une tendance à vouloir à tout prix gommer le conflit dont, souvent, le divorce s'accompagne, à tenir pour déplacée la souffrance que, dans bien des cas, ce conflit exprime. Je crois que ce n'est ni juste ni raisonnable. Les conflits n'ont pas à être niés ou évacués à tout prix mais assumés et régulés de telle sorte que les enfants en fassent le moins possible les frais et que le plus faible des parents, s'il en est un, ne soit pas livré sans défense au plus fort. L'idéal d'un divorce " sans cri ni rupture " fait bon marché de la question du deuil à effectuer et ne tient pas compte de l'extrême diversité des vies de couple dont tout divorce porte la marque. S'agissant de l'enfant confronté à la désunion de ses parents, je dirais volontiers avec Marie-Thérèse Meulders-Klein, éminente juriste, : " comment atténuer cette souffrance et la fêlure que porte en lui la parole brisée de ceux qui, à ses yeux, ne pouvaient être qu'un ? ". Le droit est justement là pour indiquer, dans le conflit, le droit et le devoir de chacun.
- C'est pourquoi la médiation peut lui être d'un grand secours : en amont d'une saisine judiciaire, dans le cas où le contentieux familial peut trouver par ce biais une solution apaisée, ou dans le cadre d'une instance judiciaire pour aider, sans occulter le conflit, à restaurer des relations acceptables pour les deux parties et préserver les enfants d'effets dévastateurs. Une proposition de loi parlementaire sera prochainement discutée en ce sens et j'y vois, sur le fond, une excellente chose : la médiation est un droit qui doit être plus largement ouvert à tous en même temps que nous devons rester attentifs à ne pas introduire, par ce biais et au motif de mieux faire, une forme de " paternalisme d'Etat " que rien ne justifie. La médiation est adaptée à certains contextes familiaux, elle n'a pas sa place dans d'autres. Pour creuser cette question et contribuer à éclairer les débats parlementaires dont elle fera l'objet, j'ai confié à Monique Sassier, directrice de l'UNAF, la responsabilité d'un groupe de travail sur ce sujet, qui associe les différents partenaires de la politique familiale ainsi que les associations et organismes directement concernés par la pratique de la médiation familiale, dans les situations de divorce comme dans d'autres situations. J'ai confié à ce groupe la mission de procéder à un état des lieux (bilan quantitatif et qualitatif des services de médiations existants), de définir les conditions d'un développement possible de la médiation en direction de tous les publics et sur tout le territoire, de déterminer les moyens à mettre en uvre pour ce faire. Ses conclusions me seront remises fin mai de sorte qu'elles puissent être prises en compte dans le cadre de la prochaine Conférence de la Famille. Pour moi, les choses sont claires : la médiation est une aide qui doit être plus largement accessible à tous mais en aucun cas une tutelle imposée a priori aux couples et aux familles.
La rupture amiable du mariage, sans chercher à saisir qui est coupable de l'échec, comme le propose la proposition de loi de François Colcombet, afin que l'énergie dépensée à rechercher les fautes soit investie dans l'organisation pacifiée de l'avenir des enfants, c'est une bonne voie, qui pourrait toutefois maintenir un divorce pour griefs graves en cas de violence conjugale par exemple.
Des évolutions de notre législation sur le divorce sont donc possibles afin de mieux tenir compte, au-delà du soutien renforcé qui doit être apporté aux couples dans la difficulté, des modalités actuelles et encore une fois diverses de ce moment de la vie familiale qu'Irène Théry a appelé " le démariage ". Je crois qu'il faut à la fois se garder de trop d'homogénéisation des procédures et savoir distinguer les cas où l'intervention du juge est seule à même de dénouer le conflit des cas où les conjoints trouvent eux-mêmes et d'eux-mêmes des dispositions équitables, en particulier pour les enfants. A la pluralité des formes de vie en couple répond la pluralité des façons de se séparer. Autant je ne crois pas à la possibilité que tous les divorces soient pacifiques et sans ressentiments, autant je crois que nous devons non seulement valoriser les accords pris entre parents mais aussi réfléchir, au-delà à la possibilité d'une forme de divorce s'ajoutant aux autres et prenant pleinement acte de la responsabilité dont, en cas de désunion, certains parents font preuve dès lors que rien, dans les dispositions qu'ils prennent ensemble, ne contrevient à la nécessaire protection des enfants et à leur intérêt. Dans ces cas là, où la maturité et le consensus ne laissent pas de place aux déchirements et aux conflits, je crois qu'on pourrait avantageusement soulager l'institution judiciaire dont tous les magistrats soulignent à juste titre l'encombrement par un certain nombre de procédures formelles, inutilement lourdes et pas toujours justifiées. Revaloriser le rôle des juges en matière familiale, cela me semble indissociable d'une affirmation plus nette de la subsidiarité de la Justice et d'une concentration de ses professionnels sur les contentieux où dire le droit est une nécessité incontournable. Prendre d'un côté la pleine mesure des souffrances du divorce dans nombre des cas, simplifier et alléger, d'un autre côté, la procédure dans ceux où c'est effectivement possible en reconnaissant davantage la responsabilité des ex-conjoints et cependant toujours parents, cela me semble devoir aller de pair. J'ajoute que la modernisation du divorce telle que je l'entends, loin d'amoindrir ou de fragiliser les liens du mariage me paraît au contraire tirer jusqu'au bout les conséquences de ce qui fait aujourd'hui sa force : un choix librement consenti, un engagement souscrit en connaissance de cause, une responsabilité qui, s'agissant des enfants, doit naturellement survivre à la déliaison conjugale.
Le divorce est de nos jours une étape plus fréquemment vécue dans la chaîne complexe des transitions familiales. Notre façon de l'aborder découle à la fois de ce qu'est le mariage dans nos sociétés modernes, un acte d'autant moins anodin qu'il n'est plus imposé par la tradition ou la convention, et de ce que doit clairement être l'autorité durablement protectrice de parents unis ou désunis. Des règles de l'alliance à celles de la désalliance, il s'agit en somme de consolider l'exercice d'une responsabilité qui est, pour moi, la contre-partie obligée des libertés acquises.
10°) Le droit, clef de voûte de la politique familiale
Le droit de la famille est bien autre chose qu'une simple technique de régulation sociale au service d'impératifs gestionnaires : il fait sens, c'est-à-dire, au besoin sanction mais avant tout institution et promotion familiales.
C'est un droit du principe et non du modèle. Un droit qui énonce les règles communes et fixe au bon vouloir de chacun les limites résultant du principe fondamental de l'indisponibilité de l'état des personnes, garant de l'asymétrie des places dans la famille et de l'impossibilité de leur permutation. Un droit qui témoigne que la famille, domaine par excellence des sentiments privés, est aussi une affaire d'Etat : non au sens où il reviendrait aux pouvoirs publics de normaliser les modes de vie, d'empiéter sur les intimités ou d'instrumenter les familles à des fins étrangères à leur mission mais au sens de la solidarité assumée. En définissant un ensemble normatif porteur de repères stables et en mettant en place les moyens qu'elle estime nécessaire à l'exercice des fonctions parentales, la collectivité des adultes assume sa commune responsabilité générationnelle et lui donne force de loi. Ce droit-là est un droit de la bonne distance : ni incertain ni intrusif. Il n'a pas à saisir tout le vif et doit donc s'obliger à une certaine retenue. Trop loquace, il serait envahissant. Trop silencieux, il s'effacerait devant la loi du plus fort et du fait accompli.
C'est en même temps un droit très présent dans la vie quotidienne. En instituant les parents dans l'espace public, il édifie des bases claires pour les fonctionnements privés. A travers lui, une société énonce ses choix. Ceux de la France sont solidaires, visant à épauler toutes les familles et tenant compte des difficultés accrues des plus démunies ; ils sont aussi européens, s'efforçant donc d'harmoniser par le haut notre droit interne avec les textes communautaires et d'inscrire la politique familiale dans la dynamique de l'Europe sociale (comme en témoigne sa prise en compte, à ma demande, dans la Charte des droits sociaux européens).
Le droit civil, qui définit les statuts et les places de chacun, a valeur référentielle. C'est à partir de ses concepts que s'organisent le droit social, plus sensible aux situations concrètes, le droit pénal qui sanctionne les droits fiscaux et administratifs qui régulent les fonctionnements quotidiens. Tous concourent au droit commun de la famille.
Droit fondateur et organisateur dans la durée, le droit de la famille ne saurait être un ensemble de règles à géométrie variant au gré de l'air du temps, une simple chambre d'enregistrement des choses telles qu'elles sont et des murs telles qu'elles vont. Il ne lui appartient ni de coller aux faits ni de prescrire les comportement mais, tenant compte des principes posés, des limites fixées et des situations vécues, il doit veiller à ne pas laisser non plus, de la loi aux murs, trop d'écarts se creuser et de décalages s'installer.
C'est pourquoi le droit de la famille est aujourd'hui l'outil privilégié d'une réinstitution du lien familial clarifiant ses bases imprescriptibles, assumant ses évolutions, corrigeant les contradictions apparues au fil du temps entre certains textes, achevant ce qui avait été amorcé mais pas mené à son terme, prenant en compte les questions inédites qui ont émergé et comblant les vides juridiques qui en résultent afin que les familles d'aujourd'hui puissent se construire, transmettre et éduquer, en étant plus fermement adossées à un édifice juridique modernisé, lisible, opérationnel.
Mieux y enraciner ces objectifs prioritaires que sont la sécurisation de la filiation et le plein exercice par les deux parents de l'autorité parentale oblige à reconnaître que différentes législations coexistent, dotées chacune de sa rationalité propre dont les effets peuvent entrer en contradiction. Ainsi le droit de la charge , en matière de prestations familiales, et le système de l'allocataire unique font-ils, dans certaines circonstances, obstacle aux dispositions du code civil relatives au partage de l'autorité parentale et à la prise en compte équitable des coûts qui en résultent. De même, s'agissant du droit des parents séparés à faire pour leurs enfants le choix de la résidence alternée, le principe du rattachement de ceux-ci à un seul foyer ne va pas dans le sens de l'actualisation voulue de la loi de 1993 sur le partage de l'autorité parentale.
De même, pour garder toute sa force expressive et symbolique, le droit de la famille doit aussi être mieux connu et mieux compris des parents qui tirent de l'autorité que la loi leur reconnaît la source première de leur légitimité. Les parents mais aussi les administrations et les organismes en charge des politiques familiales, les professionnels au contact de l'enfance et des familles méconnaissent nombre de dispositions utiles au respect desquelles ils sont tenus. Des mères pensent, en toute bonne foi, être seules à exercer l'autorité parentale et pouvoir par conséquent prendre sans consulter l'autre parent des décisions importantes concernant leur enfant commun. Des pères se heurtent à des exigences administratives parfois infondées, dont ils ne comprennent pas l'utilité ou qu'ils vivent comme une disqualification de leur compétence parentale (justifier d'une autorisation de la mère pour aller chercher son enfant à la crèche ou à l'école, pour lui faire délivrer une carte d'identité, etc.).
On ne peut à cet égard, comme l'a rappelé Paul Bouchet au nom d'ATD Quart Monde, se contenter de l'adage " nul n'est censé ignorer la loi ". L'accès véritable de chacun à la plénitude de ses droits et de ses devoirs exige que l'on fasse mieux connaître à tous les parents la nature et l'étendue de leurs prérogatives et de leurs obligations. Nombre de dispositions pratiques accompagnant la réforme du droit de la famille et que je prépare à la suite du rapport sur l'autorité parentale partagée vont ainsi dans le sens d'une meilleure information et sensibilisation précoce des deux parents. C'est aussi cela passer d'une égalité formelle à une égalité plus réelle.
La réforme du droit de la famille touche les diverses étapes de la vie familiale et nombre de configurations auxquelles, dans le cours d'une existence, un couple ou un enfant peut être exposé : de l'amont de la naissance aux droits persistants au-delà de la mort (comme ceux du conjoint survivant dont le projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée national renforce les droits successoraux), pour les couples qui s'unissent ou pour ceux qui divorcent (au bénéfice desquels d'autres évolutions peuvent être ouvertes dès lors que l'autorité parentale est bien refondée, la filiation mieux stabilisée, la médiation développée : l'ouverture, à côté des formules existantes, d'une possibilité de divorce déjudiciarisé dans laquelle les adultes assument leurs responsabilités), pour les parents à conforter, les enfants à protéger et les jeunes adultes à épauler dans leur parcours (dont la situation sera, elle aussi, examinée lors de la prochaine Conférence de la famille et pour lesquels l'examen d'une aide à l'autonomie a déjà fait l'objet de propositions, notamment par M. Hubert Brin, président de l'UNAF, dans son rapport au Conseil économique et social).
Les dispositions relatives à l'autorité parentale constituent une étape importante de l'actualisation et de la clarification du droit commun des familles. D'autres étapes suivront car il reste, pour permettre aux familles de réussir pleinement ce qu'Irène Théry a appelé leur " mutation heureuse ", d'autres droits à ouvrir et à faire vivre.


(Source http://www.social.gouv.fr, le 6 avril 2001)