Déclaration de M. Christian Poncelet, président du sénat, sur la décentralisation, facteur d'éclosion d'initiatives locales et de développement de la démocratie de proximité et sur le rôle des Etats généraux des élus locaux pour étudier la sécurité juridique de l'action publique locale et la responsabilité pénale des maires, Lille le 9 septembre 1999.

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Circonstance : Ouverture des Etats généraux des élus du Nord - Pas-de-Calais à Lille (Nord) le 9 septembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Sénateur-Maire de Lille et Cher Ami Pierre Mauroy,
Monsieur le Préfet de région,
Madame et Messieurs les parlementaires et chers collègues,
Messieurs les représentants des juridictions,
Mesdames et Messieurs les élus locaux et chers collègues,
Permettez-moi, tout d'abord, de remercier très chaleureusement Pierre Mauroy pour la cordialité de son accueil dans sa bonne et belle ville de Lille qui a vu naître le Général de Gaulle.
Pour le gaulliste que je suis, dont l'engagement politique puise sa source dans l'action syndicale à la CFTC et le gaullisme de gauche, Lille n'est pas une ville comme les autres. Elle occupe une place toute particulière dans mon cur.
Lille c'est aussi la ville qui est administrée par le père, avec le regretté Gaston Defferre, de la décentralisation à la française.
Afin de ne pas altérer la sérénité de notre dialogue, je voudrais, à l'orée de ces Etats Généraux des élus locaux du Nord-Pas-de-Calais, purger notre débat de tout risque de procès d'intention susceptible d'être instruit à l'encontre de la position du Sénat.
Non, le Sénat n'a pas été, comme Saint-Paul sur le chemin de Damas, saisi tardivement par la grâce des vertus de la décentralisation et par la révélation des bienfaits de la gestion de proximité, au plus près des besoins et des aspirations des Françaises et des Français.
Assemblée parlementaire à part entière, le Sénat a toujours été animé par une conception exigeante de son " bonus constitutionnel " de représentant des collectivités territoriales de la République.
C'est ainsi que juste avant l'alternance de 1981, le Sénat s'était consacré, pendant 18 mois, à l'examen approfondi et à l'enrichissement d'un projet de loi sur la décentralisation présenté par MM. Raymond Barre et Christian Bonnet.
Certes, après l'alternance de 1981, le Sénat n'a finalement pas voté le texte qui allait devenir la loi du 2 mars 1982, c'est-à-dire le texte fondateur de la décentralisation, alors même qu'à l'issue des lectures successives, les deux assemblées semblaient sur le point d'aboutir à un accord.
Si le Sénat ne s'est pas résolu à franchir le pas, c'est parce qu'il éprouvait des doutes, des craintes et des inquiétudes sur la place de la région, érigée en collectivité territoriale de plein exercice, dans notre paysage institutionnel, sur l'évolution de la compensation financière des transferts de compétences et sur l'utilité de l'interventionnisme économique des collectivités locales.
Force est de constater que la pratique de la décentralisation a montré que les craintes exprimées par le Sénat n'étaient pas infondées...
Par la suite, le Sénat devait, après les avoir enrichis, adopter les lois relatives aux transferts de compétences et les textes subséquents.
Aujourd'hui, la décentralisation n'est l'apanage d'aucun parti politique. Comme les institutions de la Ve République ou la dissuasion nucléaire, elles aussi contestées à leur début, la décentralisation fait désormais l'objet d'un large consensus comme en témoigne la présidence oecuménique de l'Association des Maires de France par notre ami Jean-Paul Delevoye.
Aujourd'hui, plus personne, à l'exception peut-être de quelques jacobins nostalgiques, n'envisage, un seul instant, de revenir en arrière.
Nous sommes tous convaincus que la décentralisation a été une réforme bénéfique qui a permis une éclosion des initiatives locales, un rapprochement entre l'élu et le citoyen et une amélioration de l'efficacité de l'action publique.
Pour n'en retenir qu'un seul exemple, personne ne conteste sérieusement que pour la construction et l'entretien des collèges et des lycées, les départements et les régions ont fait plus et mieux que l'Etat.
Cessons donc de ressasser le passé et tournons nous résolument vers l'avenir.
Cet avenir sera placé, nous le savons tous, sous le signe de la mondialisation qui constitue, - à moins que nous ne nous replions sur une autarcie frileuse et suicidaire -, un phénomène inéluctable et irréversible.
Pour apprivoiser ce processus, à certains égards inquiétant, nous disposons de deux atouts qui doivent être développés et renforcés.
En premier lieu, l'Europe, mais une Europe plus transparente, plus proche des citoyens et plus respectueuse des traditions culturelles - au sens large du terme - des pays membres.
En second lieu, la démocratie de proximité qui répond notamment au besoin, exacerbé par la mondialisation, d'enracinement dans un terroir et une communauté.
Pour conforter cette nécessaire démocratie de proximité, il apparaît indispensable de relancer la décentralisation qui depuis le début des années 1990 semble être au milieu du gué et à la recherche d'un second souffle.
Tel est le contexte dans lequel s'inscrivent les Etats généraux des élus que je souhaite tenir dans les régions françaises.
Ce tour de France des élus locaux ne constitue pas une croisade politique au sens politicien du terme, mais une démarche réfléchie au service d'un projet politique, au sens noble du terme.
Il s'agit de prendre le pouls des élus locaux, d'entendre leurs doléances et de débattre de leurs propositions et suggestions.
Les Etats généraux ne sont pas non plus une grand'messe républicaine, mais des ateliers de réflexion au service de l'action politique.
Ils sont minutieusement préparés par un questionnaire qui porte sur les différents volets de la décentralisation. Nos débats, loin de constituer un exercice de style, sont destinés à alimenter les réflexions de la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation qui devra formuler des propositions d'ordre législatif susceptibles de recueillir l'assentiment de tous.
Nous avons besoin de vous, car c'est de l'immense armée des élus du terrain que doit remonter cet élan réformateur.
Pour ces Etats généraux de Lille, les deuxièmes du genre après ceux de Strasbourg, nous avons décidé, en accord avec Pierre Mauroy, que je remercie de son précieux concours, et en étroite concertation avec vos éminents sénateurs, qui m'ont apporté une aide efficace, de consacrer nos débats au thème de la sécurité juridique de l'action publique locale.
Cette formulation recouvre, d'une part, le caractère incertain du cadre juridique dans lequel s'inscrit l'action de nos collectivités locales et, d'autre part, la dérive insidieuse et dangereuse vers un engagement tous azimuts de la responsabilité pénale des Maires.
Le choix de ce thème nous a été dicté par les inquiétudes, parfois démotivantes et démobilisatrices, qu'éprouvent nombre d'élus locaux.
C'est ainsi que selon un sondage récent, 51 % des Maires interrogés n'envisagent pas, à l'heure actuelle, de se représenter aux prochaines élections municipales.
Ce pourcentage, certes moins élevé dans votre région, ne pouvait manquer de nous interpeller, pour reprendre une expression à la mode.
Cette crise des vocations municipales est d'autant plus inquiétante pour notre démocratie et nos institutions républicaines qu'elle intervient dans un contexte déjà caractérisé par la montée de l'abstentionnisme.
Dès lors, il n'est pas excessif de redouter qu'au niveau local, notre société ne s'achemine vers une démocratie fantôme, c'est-à-dire une démocratie sans électeurs et sans élus...
Il est donc urgent qu'au-delà de nos différences politiques et dans le respect des valeurs républicaines qui nous unissent, nous élaborions, ensemble, des propositions législatives de nature à redonner aux élus locaux des raisons d'espérer.
Tel est, mes chers collègues élus locaux, l'enjeu de ces Etats généraux.
En définitive, il s'agit, par une démarche consensuelle, seule susceptible d'emporter l'assentiment du Gouvernement, de définir, à l'aube du troisième millénaire, les voies et moyens d'une citoyenneté revivifiée.
(Source http://www.senat.fr. le 21/09/1999)