Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, sur ses propositions pour une réforme de l'Etat et la refondation de l'action politique, Paris le 25 mars 2002.

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Texte intégral

Si je devais résumer cette campagne électorale je dirais que la question principale qui s'y pose est celle de l'impuissance de État, que tous les citoyens ressentent.
On a perdu cette idée simple que lorsque les citoyens décident, le changement s'applique.
Avoir perdu cette idée, cela explique la montée des votes protestataires extrémistes. Parce que ce désespoir civique, cette impression que rien ne changera jamais, renvoie la politique au domaine des paroles verbales et vaines. On a ainsi l'impression que les politiques se disputent pour un pouvoir dont la réalité ne concerne pas les citoyens.
Au centre de ce désespoir civique il y a la crise de l'État. La fonction de État, c'est d'être le bras des citoyens pour agir en leur nom, les défendre, les aider, les garantir et porter leur voix. Il y a longtemps que l'État ne remplit plus ce rôle et plus les jours passent moins il le remplit.
Jamais comme aujourd'hui des zones entières de notre pays ne se sont senties si profondément abandonnées. C'est vrai pour les banlieues pour lesquelles on a osé faire entrer dans le langage commun l'expression " zone de non droit ", qui devrait susciter une révolte de la part de ceux qui l'emploie, c'est vrai pour des quartiers entiers de nos villes et de nos villes-centre. C'est vrai pour le monde rural qui ressent un sentiment d'abandon, de désertion des services publics et de État.
Personne n'y trouve son compte et surtout pas en termes de compétitivité. La France n'apparaît plus comme un territoire attractif pour les entreprises, le mouvement de délocalisation est engagé pour les entreprises, pour les emplois, pour les centres de recherche et les centres de ressources humaines.
Des secteurs entiers de l'action publique clament leur situation de pénurie et d'abandon. C'est le cas de la justice par exemple, ce qui entraîne dans la société française de graves et lourds dysfonctionnements.
En revanche cet État impuissant est par ailleurs tatillon, obsédé de réglementation et de contrôle. Il s'arroge avec arrogance le droit de tout réglementer et le droit d'ignorer ce qui le dérange. Il aura fallu sept semaines de grève aux médecins pour obtenir un rendez-vous avec le ministre soi-disant de la santé. Ce constat est accablant.
Cet État est coûteux et doit appeler des masses de prélèvements obligatoires sans jamais parvenir à équilibrer son budget. Il s'endette d'année en année.
Le débat politique traditionnel en fait porter la responsabilité aux équipes de gouvernants en place. Ce n'est pas toujours faux. Dans l'exemple que je viens de citer on aurait pu imaginer que madame Guigou consente sans difficulté aux médecins français ce que n'importe quel élu local consent à ses concitoyens.
Mais le mal est plus profond. Il ne sera pas guéri par une simple alternance. Il y faut le changement le plus profond qui ait jamais été apporté à l'organisation du pouvoir en France. Sans ce changement, je le crois, j'en suis certain, aucun des maux dont nous souffrons ne trouvera son remède. Il ne s'agit pas seulement d'une réforme de État mais d'une refondation de l'action publique en France.
I - Cette refondation doit être pensée à partir d'un constat : la centralisation rend État sourd, aveugle et impuissant.
La refondation nécessaire de État passe par une redistribution des pouvoirs qui donne aux deux échelons du pouvoir local la plénitude des pouvoirs qu'ils peuvent assumer et les moyens de ces pouvoirs.
J'ai dit aux deux échelons locaux parce que je propose de sortir du labyrinthe où personne ne se reconnaît plus. On doit simplifier pour obtenir l'efficacité.
Pour moi, on doit attribuer aux communes fédérées en intercommunalités, agglomérations ou communautés de communes, la plénitude des pouvoirs de proximité, y compris une autorité en matière de sécurité ; on doit attribuer aux régions qui fédéreront les départements la plénitude des pouvoirs d'aménagement du territoire, d'équipement et de solidarité. A l'État central, l'orientation de la politique du pays, l'évaluation des résultats et l'expression des grands choix. A l'État central et à l'Europe les pouvoirs régaliens et la défense des valeurs qui fondent notre communauté nationale et notre civilisation.
Il s'agit-là d'un changement essentiel et radical qui tournera la page sur un modèle jacobin peut-être adapté à la France rurale d'hier mais aujourd'hui dépassé et condamné par ses insuffisances.
Si je suis élu je mettrai immédiatement en chantier cette refondation. Les décisions prises devront être solennisées par une réforme de la constitution qui garantira aux pouvoirs locaux l'autonomie des moyens notamment l'autonomie fiscale.
Je propose que soit redéfini le domaine de la loi pour que la loi ne concerne que l'essentiel, qu'elle soit davantage du domaine de la loi cadre, que les régions pourront préciser par les règlements. Je propose que le droit à l'expérimentation, reconnu dans la constitution, permette de mettre des réformes à l'essai.
Je propose en tout état de cause que l'État s'interdise la complexité ridicule et tatillonne (exemple circulaire de 160 pages sur la RTT) qui oblige les agents de État (par exemple les inspecteurs du travail) à faire appel à des cabinets extérieurs pour comprendre ce que État lui-même a écrit.
En revanche, l'État devra assumer une mission de redistribution pour équilibrer les ressources des régions.
II - Mais la refondation de l'action publique, de l'État, ne se limite pas aux collectivités locales.
C'est le même mouvement et les mêmes causes profondes qui rendent si difficiles les relations de État et des pouvoirs locaux et qui l'amènent à ignorer ou à mépriser tous les corps intermédiaires et tous les citoyens sauf quand ceux ci sont amenés par désespoir à engager avec l'État une épreuve de force. La France jacobine, c'est une France du mépris. Je veux que l'on sorte de la société du mépris pour entrer dans une société de partenaires.
J'ai proposé des droits nouveaux pour que les professions, les syndicats, les entreprises soient considérés comme de véritables acteurs et respectés en tant que tels. Par exemple j'ai proposé que soit reconnu un droit à l'ouverture d'une négociation dès l'instant qu'une profession ou un groupe de Français le demanderaient à la majorité de leurs membres. Négocier, discuter, faire entendre leur point de vue, ce n'est pas une faveur, c'est un droit.
De la même manière, j'ai proposé que chaque fois qu'une législation concernerait des professionnels ou des acteurs de terrain, leur voix doive nécessairement être entendue dans le débat parlementaire. Au moment du dépôt d'un texte sur le bureau des assemblées, deux rapporteurs, un de la majorité, un de l'opposition, devraient être désignés pour une consultation de plusieurs mois dont il serait fait obligatoirement rapport à l'ouverture du débat parlementaire proprement dit.
Ainsi serait corrigé un manque de la vie démocratique en France. Il n'y a pas de sentiment plus répandu parmi les Français que celui du manque de reconnaissance à leur égard de la part du pouvoir lointain, inaccessible et indifférent. Les médecins, les infirmières, les policiers, les gendarmes, les militaires, les agriculteurs, les éleveurs, le monde rural, les banlieues, le ressentent et le clament. Et cette liste est loin d'être exhaustive.
III - Il y a une deuxième question de la réforme de l'État, c'est sa capacité interne à se changer. C'est ainsi que dans la plupart des domaines de son activité tout changement se révèle impossible.
Pourquoi ? Parce que l'on n'a pas suivi la bonne méthode et on ne s'est pas doté des moyens de l'action. De quoi manque-t-on ?
On manque d'information. Pour l'action de l'Etat aujourd'hui, il n'y a aucun indicateur fiable, pas de moyens d'évaluation reconnus, un archaïsme comique des systèmes d'évaluation comptables et financiers, une sphère publique totalement opaque, qui ne connaît même pas le nombre de fonctionnaires ! Comment entraîner les agents publics à faire mieux alors qu'ils ne savent pas ce qu'ils font réellement.
On ne peut pas balayer et ranger la maison si l'on n'allume pas la lumière qui permet d'y voir clair. La décision nécessaire qui conditionne tout le reste c'est d'allumer la lumière pour donner les informations nécessaires aux acteurs du système, aux décideurs et aux citoyens qui doivent être au bout du compte les patrons.
Il faut doter l'État d'un système d'information comptable et financière fiable. Il faut une comptabilité analytique et une connaissance du patrimoine de l'État. Il faut un bilan annuel. Il faut impliquer totalement le parlement dans ses missions de contrôle de l'action du gouvernement et des administrations publiques. Je propose que le parlement puisse disposer des services de la cour des comptes et d'organismes indépendants d'audit et de contrôle. Je propose que la tricherie et le mensonge budgétaires soit bannis et qu'en cas de manquement fassent l'objet de graves sanctions. A mon avis, un ministre, un homme politique qui présenterait à la nation un budget truqué devrait devenir inéligible. Parce qu'un budget sincère c'est le commencement de la bonne gestion.
J'ai proposé pour l'information du citoyen qu'une autorité indépendante donne chaque année l'évolution objective des grands sujets prioritaires de l'action publique (sécurité, éducation, santé, environnement).
Si l'on fait la lumière, alors la réforme devient possible. Et j'ai la certitude que les fonctionnaires eux-mêmes en seront les agents et les défenseurs. Je n'attaque jamais les fonctionnaires. Au contraire je les défends parce que je connais leur conscience et leur sens des valeurs républicaines. Mais si la lumière n'est pas faite, personne n'est appelé à l'effort de changer sa manière de travailler ou l'organisation de ce travail.
Dans la société de partenaires que je veux bâtir, les fonctionnaires doivent désormais être regardés comme les premiers partenaires de État.
Ce sera notamment le cas lorsqu'il s'agira d'adapter les effectifs de la fonction publique au moment où près de la moitié des fonctionnaires français vont partir à la retraite, dans 10 ans.
JE voudrais faire deux observations complémentaires. Les allers-retours entre la fonction publique et la politique ne sont pas sains. Beaucoup de Français en sont choqués. Ils ont le sentiment que les fonctionnaires sont fortement avantagés lorsqu'il s'agit d'occuper une fonction élective. Je propose qu'après un premier mandat parlementaire, un fonctionnaire qui choisirait de se représenter soit obligé d'abandonner la fonction publique. Je propose d'ailleurs, pour une parfaite égalité des chances, que tous les parlementaires quelle que soit leur origine - fonction publique ou secteur privé - se voient apporter des garanties de réinsertion lorsque leur mandat parlementaire prendra fin.
Deuxième réflexion complémentaire, sur les services publics. Je pense que les services publics peuvent être assumés aussi bien par les entreprises privées que par l'État. C'est l'avenir et cet avenir est souhaitable. Il y a en France des services publics qui sont assumés par le monopole de l'Etat et il y a des services publics qui sont assumés par des entreprises privées. Mais à la condition que l'Etat s'engage à ce qu'il y ait des cahiers des charges exigeants qui garantissent qu'il n'y aura pas de citoyens et de zones abandonnés. C'est donc dans le cahier des charges que se situe le rôle de l'Etat en matière de services publics et non pas dans l'exercice d'un monopole direct dans la plupart des cas.
Voilà les observations que je voulais faire sur cette refondation de l'action publique en France qui, comme vous le voyez, est un changement profond, une nouvelle philosophie de État et de l'action publique, assumées désormais par les pouvoirs locaux aussi bien que par État national et l'Europe. Les citoyens y sont reconnus comme de véritables partenaires et c'est le seul moyen pour la France du 21e siècle de résoudre les " problèmes orphelins ", ceux que l'on ne règle jamais, depuis si longtemps, et qui empêchent la France d'être elle même.
(source http://www.bayrou.net, le 25 mars 2002)