Texte intégral
La politique agricole fait l'objet d'une profonde remise en cause. Par les agriculteurs eux-mêmes car, si elle a permis d'importants progrès, elle a également provoqué la concentration des exploitations et des déséquilibres entre les territoires et les productions qui paraissent aujourd'hui insupportables à un grand nombre d'entre eux. Ils attendent des responsables politiques qu'ils tracent le chemin d'une politique agricole plus équitable, qui permette un développement harmonieux de toutes les productions et de toutes les régions.
La politique agricole est remise en cause aussi par nos concitoyens.
Ceux-ci contestent les excès de ce qu'il est convenu d'appeler le " productivisme ".
Les agriculteurs, considérés autrefois comme les gardiens de la nature, apparaissent aujourd'hui trop souvent comme responsable de sa dégradation.
Et puis, on ne peut pas empêcher nos concitoyens de s'interroger sur le coût de la politique agricole en regard des avantages qu'elle procure.
Au sein de l'Europe elle-même, le consensus autour de la politique agricole commune est de plus en plus menacé.
Les pays du Sud de l'Europe remettent en cause une politique qu'ils jugent exagérément favorable aux grandes productions des pays du Nord.
Certains pays du Nord de l'Europe, d'inspiration libérale, prônent de plus en plus ouvertement l'abandon de la politique agricole commune, et le libre jeu du marché dans ce secteur comme dans les autres.
Enfin, la politique agricole de l'union européenne est contestée par les partenaires de l'Europe au sein de l'OMC.
Nous aurons à affronter demain dans le cadre de l'OMC des attaques aussi fortes que celles d'hier contre notre politique agricole.
Il nous faut adapter notre politique agricole à la situation nouvelle dans laquelle elle doit se développer.
La question d'un nouveau contrat entre l'agriculture et la société est posée.
Vous avez souhaitez, Monsieur le Président, en 1995 une Loi d'Orientation Agricole. Un projet fut préparé par mon prédécesseur qui n'alla pas au-delà du stade du Conseil d'Etat.
Le Premier ministre, en Juin dernier, dans sa déclaration de politique générale, fit de la préparation de cette loi d'orientation, une de ses priorités.
Le projet que je vous présente aujourd'hui a fait, depuis lors, l'objet d'un intense travail de concertation et de préparation. Il repose sur trois idées principales :
- la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'agriculture,
- la nécessité d'agir en faveur de l'équilibre territorial et social,
- la contractualisation de la politique agricole.
1/ La multifonctionnalité de l'agriculture
Une agriculture bien conduite remplit trois fonctions : une fonction économique, une fonction environnementale, une fonction sociale.
J'ai la conviction que la politique agricole ne sera légitime et durable que si elle contribue pleinement à l'accomplissement de ces trois fonctions, sans faire prévaloir l'une sur l'autre.
2/ L'équilibre territorial et social :
Il est impératif d'aller vers plus d'équilibre dans la répartition de l'activité agricole sur le territoire, et plus d'équité dans la distribution des concours publics entre les agriculteurs.
Les aides à l'agriculture " suivent " actuellement la production. Il n'est donc pas étonnant qu'elles soient concentrées sur les régions les plus productives et les mieux dotées agronomiquement, laissant les autres de côté, et contribuant par là même à l'accentuation des déséquilibres résultant du jeu de l'économie. Continuer dans cette voie serait condamner à termes plus ou moins rapprochés toute intervention publique en faveur des agriculteurs.
Vous le savez, la publication des résultats des revenus agricoles pour 1997 laisse apparaître une progression du revenu mais un maintien très lourd des inégalités :
- tandis que le Limousin est à l'indice 40, la région Champagne-Ardennes est à l'indice 193;
- la Haute-Vienne est à l'indice 35 tandis que l'Aube est à l'indice 247, ou la Côte d'Or à l'indice 271.
3/ La contractualisation de la politique agricole.
A la redéfinition des objectifs de la politique agricole doit correspondre une modernisation des moyens de sa gestion.
La politique agricole est aujourd'hui administrée de façon aveugle, puisque les aides publiques versées aux agriculteurs sont, pour l'essentiel, proportionnelles à la taille des exploitations et au volume de leur production, sans que soient prise en compte les situations particulières des exploitations.
Je propose de passer progressivement de ce système administré, à une gestion contractuelle de la politique agricole.
Dans ce cadre, les pouvoirs publics devront définir les objectifs collectifs qu'ils poursuivent et dont la réalisation justifie un accompagnement de leur part. Ils répartiront les aides publiques en prenant en compte les engagements pris par les agriculteurs dans les contrats territoriaux d'exploitation pour contribuer à la réalisation de ces objectifs, et non plus simplement la taille de l'exploitation.
Ainsi, la politique agricole pourra-t-elle encourager l'innovation plus que l'intensification ou l'agrandissement des exploitations, l'agriculture créatrice d'emplois plutôt que celle qui n'en crée pas, prendre en compte les déséquilibres territoriaux pour en limiter l'impact négatif, rémunérer les services rendus par les agriculteurs pour le compte de tous les citoyens lorsqu'ils entretiennent et produisent des paysages dans le respect de certaines contraintes fixées par l'autorité publique.
Les principales dispositions contenues dans ce texte.
a) Au titre de la production agricole.
Les contrats territoriaux d'exploitation encourageront les projets de diversification de l'activité des exploitations agricoles, et les initiatives permettant d'accroître la valeur ajoutée produite par les exploitations.
La politique d'identification et de valorisation de la qualité des produits alimentaires sera rendue plus cohérente. Pour cela, la gestion de la protection des identifications géographiques de provenance sera confiée à l'INAO, d'ors et déjà compétent pour les AOC. La place des agriculteurs dans la mise en oeuvre de cette politique sera confortée, notamment grâce à la possibilité de constituer des interprofessions spécifiques à un signe de qualité déterminé.
L'organisation économique des agriculteurs sera renforcée par l'élargissement de la composition et des pouvoirs d'organisation des marchés des interprofessions. Le dynamisme du mouvement coopératif agricole sera encouragé par la constitution d'un conseil supérieur de la coopération présidé par le ministre chargé de l'agriculture.
b) Au titre de la fonction sociale de l'agriculture.
La politique agricole fera de l'emploi l'une de ses priorités. Pour cela elle privilégiera l'installation de jeunes agriculteurs, la viabilité des exploitations existantes, ainsi que leur transmission dans les meilleures conditions possibles.
C'est pourquoi le projet comprend un important volet consacré aux moyens permettant de contrôler l'agrandissement de la taille des exploitations agricoles. Le contrôle des structures agricoles qui portait jusque-là sur les seules personnes physiques sera étendu aux sociétés.
Pour contribuer au développement de l'emploi salarié, les formalités d'embauche à remplir par les employeurs seront allégées grâce à l'extension des possibilités d'utilisation du titre d'emploi simplifié en agriculture.
Les conditions de vie des salariés seront améliorées grâce à la mise en place de services sociaux départementaux par voie conventionnelle. Les conditions de leur représentation sont améliorées ou renforcées.
Le statut des conjoints d'exploitants travaillant sur l'exploitation sans avoir le statut d'associé ou de co-exploitant sera amélioré. Ils pourront notamment se constituer des droits à la retraite complémentaire dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui.
c) Au titre de la contribution de l'agriculture à la protection de l'environnement et à l'occupation du territoire.
La contribution de l'activité des agriculteurs à la préservation et au renouvellement des ressources naturelles, ainsi qu'à l'occupation du territoire, sera reconnue par les contrats territoriaux d'exploitation. Dans ce cadre, les engagements pris par les agriculteurs concourant à donner à leur activité un impact positif sur l'environnement, ainsi que les services collectifs qu'ils fourniront seront rémunérés. C'est ainsi que la loi d'orientation agricole permettra une répartition plus équitable des aides publiques sur l'ensemble du territoire.
Des zones agricoles protégées pourront être délimitées dans des zones périurbaines.
Les missions et l'organisation de l'enseignement agricole et de la recherche agricole sont redéfinies afin de les mettre en mesure d'accompagner la nouvelle orientation donnée à la politique agricole.
Le conseil économique et social a été consulté sur ce texte. Il a adopté un avis favorable à l'orientation que je viens de vous présenter.
Au cours des trois dernières décennies, les agriculteurs et les entreprises agro-alimentaires ont largement contribué par leur dynamisme au développement de notre économie ainsi qu'à notre excédent commercial, faisant de la France le premier exportateur mondial de produits agricoles transformés.
Cette loi d'orientation agricole constituera l'affirmation des ambitions de la France pour l'agriculture de demain, ambition qu'elle pourra faire valoir dans les négociations communautaires et multilatérales à venir.
Cette ambition, c'est celle d'une agriculture diversifiée, créatrice de richesse et de valeur ajoutée, dans laquelle les agriculteurs occuperont toute leur place dans un dialogue équilibré avec leurs partenaires, et prenant mieux en compte les préoccupations de l'ensemble des citoyens.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 septembre 2001)