Texte intégral
Je suis particulièrement heureux d'accueillir à Bercy, pour cette première conférence économique, les partenaires sociaux, les représentants du parlement, et le président du Conseil économique et social, ainsi bien sûr que le représentant des entreprises publiques.
Je voudrais vous dire quelques mots de la raison d'être de cette conférence, puis vous indiquer comment j'aborde les sujets que nous avons mis à l'ordre du jour de cette rencontre. Je les prendrai dans l'ordre inverse de celui dans lequel nous allons les traiter ce matin, en commençant par l'international pour aller vers les questions internes.
Informer, débattre et concerter
Cette conférence est une première : même si beaucoup d'entre vous sont familiers de ces lieux, à ma connaissance, les partenaires sociaux ne se sont jamais réunis en tant que tels, à Bercy, dans une perspective de concertation. Sa création témoigne d'une volonté, elle s'inscrit dans un projet.
La volonté, c'est de mieux informer et mieux débattre pour mieux décider : il s'agit de faire dialoguer le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie avec la société civile, au stade de la préparation des décisions. Nul ne le conteste, Bercy est compétent. Mais il n'est pas seul à l'être. Et une décision fondée sur la seule compétence n'est légitime que dans un régime technocratique. Informer sur les enjeux, débattre publiquement ou dans des enceintes spécifiques, concerter avec les acteurs sociaux avant de décider ou de formuler des propositions au parlement, c'est créer les conditions de décisions à la fois mieux préparées et mieux comprises. C'est favoriser une meilleure gestion collective des mutations. C'est ouvrir la voie à de possibles compromis de progrès.
Le projet, c'est de créer concrètement les instruments de ce dialogue. Nous en mettons en place depuis deux ans les éléments, avec une série d'initiatives dont je veux rappeler quelques-unes :
la refonte du Rapport économique, social et financier, pour en faire un vrai instrument de d'information au service d'un débat public de qualité ;
la concertation sur les questions fiscales, en amont du PLF ou, comme cette année, avec la publication d'un " livre blanc " sur le projet d'extension de la TGAP aux consommations d'énergie des entreprises ;
la consultation systématique des organisations syndicales lors des restructurations du secteur public industriel et financier, de la rédaction du cahier des charges aux choix des partenaires stratégiques.
Cette conférence s'inscrit elle aussi dans ce cadre. J'en avais proposé le principe au Premier ministre à l'occasion de la réforme de la Commission des comptes de la nation. Je pense pouvoir dire qu'il s'est félicité de cet enrichissement de la concertation et du dialogue social.
Je crois aussi que cette conférence sera utile au Parlement et je me réjouis de ce que les parlementaires y soient représentés. La concertation avec les partenaires sociaux ne se substitue évidemment pas à la décision des représentants élus du peuple, elle peut en revanche aider à ce que les décisions législatives, en particulier en matière de lois de finances, soient mieux préparées et mieux fondées. Les initiatives que nous avons prises en vue d'améliorer le travail avec le parlement - dialogue plus régulier avec les commissions des finances, réalisation d'études, missions - participent d'ailleurs de la volonté d'information et de débat dont je faisais état.
Je crois enfin que cette conférence, et les travaux qui seront réalisés dans le cadre de sa préparation, pourront enrichir les délibérations du CES - dont je veux saluer ici le nouveau président.
Les enjeux économiques internationaux
J'en viens aux enjeux économiques. Le contexte économique international s'est beaucoup amélioré depuis un an : le G7 auquel je participais il y a quinze jours l'a souligné, et l'INSEE vient d'en prendre acte en relevant à 2,4% sa prévision de croissance pour 1999. Je m'en réjouis évidemment comme chacun d'entre vous - sans aucune autosatisfaction, parce que le mérite en revient d'abord aux entrepreneurs et aux salariés de ce pays. Je crois cependant qu'il ne faut pas se tromper sur l'interprétation de cette évolution :
l'économie mondiale a subi en 1998 une secousse d'une rare violence, qui a eu des conséquences sérieuses pour un certain nombre de pays, et dont les conséquences auraient pu être sensiblement plus graves encore. Que cette crise ait pu se produire est d'autant plus préoccupant qu'elle n'avait pas été prévue, et que plusieurs des pays affectés recevaient les éloges de la communauté internationale. Ceci doit attirer notre attention sur la fragilité de notre économie globalisée et sur les moyens de la réduire ;
le vigoureux rebond que nous avons observé depuis quelques mois n'est pas dû au hasard. Il résulte en fait de décisions de politique économique qui ont été prises à temps : l'apport de fonds publics aux pays émergents en crise a évité une extension des défauts de paiement ; le sauvetage des banques japonaises a prévenu les faillites ; la baisse des taux d'intérêt aux États-Unis et en Europe a relancé la croissance. Je veux souligner ce point parce que la coordination des politiques économiques est souvent vue comme un concept abstrait. Depuis un an, elle a fonctionné ;
l'Europe, et particulièrement la France, s'en tire bien parce que l'euro l'a protégée et que nous avons su mettre en uvre un dosage de politique monétaire et de politiques budgétaires - un policy-mix - adapté, associant détente monétaire et consolidation des finances publiques. Le même choc dans un contexte différent aurait pu déstabiliser nos économies, à la manière de ce que nous avons subi il y a quelques années ; là encore, derrière la chance apparente, il faut savoir lire des réformes et des décisions ;
même si la situation s'est redressée, d'importantes zones de risque subsistent : l'Amérique latine bien sûr, mais aussi le Japon, dont le redressement est incertain. Quant aux Etats-Unis, leur prospérité s'accompagne de déséquilibres préoccupants. C'est pour cela que le projet de budget est fondé sur des hypothèses de croissance prudentes.
Lorsque survient un tremblement de terre, il faut des pompiers efficaces pour sauver des vies. Mais chacun sait bien qu'il faut aussi que les architectes travaillent à ce que les immeubles résistent mieux à la prochaine secousse. Il en va de même en matière financière, et la leçon que je tire de cet épisode est avant tout qu'il nous faut travailler à améliorer le fonctionnement de l'économie mondiale. C'est tout l'enjeu des discussions que je conduis avec mes partenaires au sein du G7, mais aussi au FMI, à l'Euro-11 et à l'ECOFIN, ou encore à l'OMC dont je vous reparlerai dans un instant. Il s'agit, Lionel Jospin a déjà eu l'occasion de le dire, de construire des régulations pour cette économie globalisée afin qu'elle soit plus robuste, plus favorable à la croissance et plus juste.
Pourquoi parler de régulations ? Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. L'économie mondiale d'aujourd'hui ne peut se commander ou s'administrer. D'abord parce qu'elle n'est sous la responsabilité d'aucun gouvernement en particulier. Ensuite parce qu'elle est déjà très largement libéralisée : les trois-quarts des échanges mondiaux de biens et la quasi-totalité des mouvements de capitaux sont aujourd'hui totalement libéralisés ou soumis à des droits de douane négligeables. En revanche, elle a besoin de règles du jeu précises dans les domaines économique, monétaire, financier et commercial pour organiser cette économie ; et d'institutions fortes et légitimes, chargées de faire respecter ces règles du jeu et d'intervenir lorsqu'il le faut pour prévenir des crises et porter assistance aux pays en difficulté.
Cette approche, qui nous distingue des libéraux, correspond très directement aux problèmes d'aujourd'hui. Elle est difficile à contester : lorsque je dis qu'il faut discipliner les paradis bancaires et fiscaux, faire participer les banques créditrices au règlement des crises financières, résister à l'unilatéralisme commercial, ou respecter le principe de précaution, personne ne met sérieusement en doute la validité de notre argumentation. Mais précisément pour cette raison, la résistance des intérêts constitués s'aiguise. Le débat reste donc dur, mais parce que nous touchons au cur des choses.
L'OMC et les enjeux de Seattle
L'OMC et le dialogue macro-économique européen constituent deux points d'application importants de cette approche. Comme l'a rappelé le Premier Ministre à Strasbourg, l'OMC est un instrument de régulation, c'est un premier rempart contre l'unilatéralisme, et on ne peut à la fois se dire pour la régulation et contre l'OMC. D'ailleurs, la décision qu'elle vient de prendre en condamnant les avantages fiscaux accordés aux exportateurs américains, pour des montants considérables, témoigne de ce que l'OMC n'est pas une machine de guerre au service des seuls Etats-Unis, comme on peut parfois l'entendre.
Ces négociations seront particulièrement importantes, car elles devraient concerner un nombre important de domaines qui ont des retombées concrètes sur le mode de vie de nos concitoyens. Je conduirai la délégation française à la conférence de Seattle. J'y développerai le projet d'une OMC régulatrice, respectueuse de l'identité européenne, mieux contrôlée par les citoyens, généreuse, et au service de la croissance.
Une OMC régulatrice. Le commerce international s'est doté de normes qui lui sont propres, et qui visent au bon déroulement des échanges. Ce n'est pas une raison pour ignorer les autres systèmes de normes. Plus l'interdépendance progresse, plus il faut traiter cette question de la coexistence des normes. Concrètement cela signifie que l'OMC puisse mieux prendre en compte l'environnement de manière à ce que les ressources naturelles ne soient pas mises en péril par un développement incontrôlé du commerce, que les engagements internationaux de protection de l'environnement, je pense en particulier à la lutte contre l'effet de serre, sont bien pris en compte dans les règles commerciales. Cela signifie aussi que les Etats puissent appliquer, de manière non protectionniste mais rigoureuse, le principe de précaution quand les effets sur l'environnement ou la santé d'un produit suscitent de réels doutes. L'OMC doit, en collaboration naturellement avec l'OIT, pouvoir apporter sa contribution à un meilleur respect des normes sociales fondamentales au travail. Les Etats qui le souhaitent doivent pouvoir prendre des mesures incitatives au bénéfice des pays qui ne font travailler ni les enfants ni les prisonniers et qui respectent la liberté du travail et la liberté syndicale.
Une OMC respectueuse de l'identité européenne. L'Europe a des objectifs propres. L'OMC doit prendre en compte, dans les disciplines qu'elle va imposer sur l'agriculture, les nouvelles dimensions de la politique agricole européenne qui met l'accent sur la multi-fonctionnalité, au service des attentes des citoyens en matière de l'environnement et d'aménagement du territoire. Dans le domaine culturel et audiovisuel, les règles de l'OMC doivent aussi conduire à ne pas étouffer la diversité culturelle. Dans le domaine de l'investissement, nous souhaitons repartir sur des bases radicalement différentes de l'AMI qui prévoyait une libéralisation généralisée. Nous préférons une approche progressive, respectueuse des équilibres entre pays.
Une OMC plus légitime. Avant 1996, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée et la société civile, et parfois même les Gouvernements, découvraient quelques années après des résultats qu'ils n'avaient pas souhaités. Ce mode de fonctionnement doit disparaître. Un de mes objectifs principaux à Seattle sera d'obtenir de la transparence dans les négociations : Internet est un des moyens d'y parvenir. Mais cela veut dire aussi une meilleure consultation de tous les acteurs de la société. C'est ce que nous avons essayé de conduire depuis 1998. Les différentes réunions qu'a pu tenir le secrétaire d'Etat au commerce extérieur avec certains d'entre vous en sont bien le reflet. Je me félicite enfin de l'excellent travail très complet et très précis que B. Marre vient d'achever sur les futures négociations. Il va servir de base très utile pour, et c'est une première, au débat au parlement que nous aurons avant de lancer les négociations à Seattle. Une OMC plus légitime, cela veut dire aussi que la société civile et en particulier les ONG puissent être consultés régulièrement et puissent faire valoir leur point de vue au cours des négociations. Elles doivent pouvoir soumettre des documents, notamment lors du règlement des différends.
Une OMC plus généreuse. Les vingt dernières années ont malheureusement une diminution de la présence internationale des pays les moins fortunés. Je soutiens sans aucune réserve l'initiative généreuse de l'Union visant à accorder un accès libre pour la quasi totalité des produits issus des PMA. Je crois, en effet, qu'il est dans la responsabilité des pays les plus fortunés de la planète de se mobiliser pour concourir à une meilleure croissance des PMA et un meilleur partage au niveau international des richesses. L'accession à l'OMC de la Chine et de la Russie sera aussi un des moyens de rééquilibrer une organisation qui avait un peu trop l'habitude de travailler essentiellement avec les pays du Nord. Il faudra, soit d'ici Seattle, soit plus tard trouver avec eux les modalités pour une intégration réussie de ces pays à l'OMC.
Une OMC au service de la croissance. L'ouverture internationale, si elle est progressive et maîtrisée, a été et ne peut être que bénéfique pour l'économie française. En effet, avec la construction européenne, la France a pu depuis 30 ans ouvrir progressivement son marché et bénéficier de débouchés supplémentaires. Comme le montre le rapport qui vous a été soumis, l'ouverture internationale a été bénéfique à l'économie française. Elle nous permet de bénéficier de la croissance de la demande extérieure qui est structurellement plus forte que la demande européenne. Elle est aussi un facteur d'accélération de la diffusion des technologies et en particulier des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Elle contribue par là à créer et à entretenir cette nouvelle croissance riche en emplois durables et qualifiés que la France commence à connaître. Enfin, elle assure aux agriculteurs et aux entreprises de notre pays un cadre international stabilisé leur permettant d'investir plus durablement sur les marchés extérieurs.
Je vous ai dit nos objectifs. Dans l'esprit de transparence et de concertation qui est le nôtre pour cette négociation, je tiens tout particulièrement à vous entendre sur ces questions.
Le dialogue macro-économique en Europe
L'Europe a réussi l'euro en dépit de tous les obstacles et de toutes les prévisions catastrophiques. C'est un grand succès, c'est aussi déjà, à l'évidence, un élément de sécurité et donc un facteur de croissance et d'emploi. Je suis absolument convaincu que l'euro va nous permettre d'avoir pendant plusieurs années une croissance soutenue dans la stabilité des prix.
L'euro est une régulation internationale qu'il a fallu un quart de siècle à construire, après la fin du système de Bretton Woods. Il a substitué :
la coordination entre les politiques économiques à la concurrence par les dévaluations compétitives ;
le pouvoir d'une autorité publique, à laquelle la France est partie prenante, au pouvoir des marchés financiers.;
une construction fondée sur le droit et appuyée sur des règles équitables à des rapports de force, générateurs d'hégémonie.
L'euro est donc une victoire de la régulation publique sur les marchés Mais il a aussi besoin de régulations économiques et sociales, qui sont encore en partie à construire. C'est pour cela que nous avons fait l'Euro-11, et mis en place d'autres outils de coordination. C'est pour cela que nous avons collectivement besoin de réussir le dialogue macro-économique. D'abord pour les motifs qui vous sont indiqués dans le document de problématique qui vous a été adressé. Pour le dire simplement, je ne crois pas qu'il soit bon d'avoir une monnaie unique sans aucun processus de dialogue organisé entre les acteurs de la politique monétaire, des politiques budgétaires et de la formation des salaires. Mais aussi pour un motif plus profond : nous ne pourrions pas faire vivre une monnaie commune avec des sociétés qui s'ignorent. Nos amis allemands l'ont souligné de longue date. La raison en est finalement très simple : la monnaie est un lien social, elle ne va pas sans un sentiment d'appartenance et l'intuition d'un destin commun.
Un jour, sans doute, la BCE sera amenée à prendre une décision impopulaire. Je suis heureux qu'elle n'ait pas été obligée de le faire dans ses premiers mois : elle a montré son intelligence avant ses muscles et c'est mieux ainsi. Je souhaite que la qualité du dialogue macro-économique contribue à la rassurer et donc à maintenir des conditions favorables à la croissance et à l'emploi. Mais je ne doute pas qu'elle doive un jour - plus ou moins lointain - montrer ses muscles. Il faut donc construire dans cette perspective. Pour que les débats de demain aient un caractère véritablement européen : qu'ils n'opposent pas Français et Allemands ou Français et Italiens, mais que Français, Allemands et Italiens y participent chacun avec leur point de vue.
A ces considérations s'oppose bien sûr la volonté légitime de maintenir l'autonomie des partenaires sociaux et leur liberté de négociation, en France comme chez nos partenaires, et le refus de tout ce qui pourrait ressembler à une politique européenne des revenus. Je partage évidemment ce souci. Il implique de trouver un bon équilibre entre les inconvénients d'une absence de dialogue et ceux d'une centralisation excessive. Je souhaite vous entendre sur cette question et examiner avec vous de quelle manière nous allons pouvoir travailler ensemble pour créer les conditions d'un dialogue fructueux, et d'une participation efficace des acteurs français à ce processus.
Les perspectives de l'économie française
Après avoir mieux résisté au choc que ses grands partenaires, l'économie française a pris la tête de la reprise. Cela tient sans doute à la fois aux choix de politique économique qui ont été faits par le gouvernement de Lionel Jospin - l'accent mis d'emblée sur la demande intérieure, la consommation des ménages et l'emploi - et à des transformations profondes de notre économie. En particulier, il est clair que la résistance de la croissance au cours des derniers trimestres doit en partie être attribuée à la vigueur maintenue des créations d'emplois. Il ne faut donc pas opposer artificiellement politique conjoncturelle et réformes en profondeur, comme on le croit souvent, mais faire en sorte qu'elles se nourrissent l'une l'autre.
Avec une inflation très faible, des taux d'intérêt historiquement bas et des déficits publics mieux maîtrisés, je suis convaincu que l'Europe est aujourd'hui mieux armée pour croître qu'elle ne l'a jamais été depuis vingt ans : il est à nouveau possible d'envisager une longue phase de croissance et de création d'emplois. L'incrédulité reste grande, surtout chez ceux que la reprise a pour le moment laissé de côté, et la route sera longue. Mais elle commence à se dessiner clairement. Nous nous y engageons avec un objectif : reconquérir le plein emploi.
Lorsque le Premier ministre a fixé cet objectif à La Rochelle, certains y ont vu l'expression d'une ambition politique. C'était avant tout l'expression d'une volonté économique et sociale :
parce que cet objectif est évidemment le seul possible pour nous. C'est le seul qui nous permettra de refonder une société du travail, c'est à dire une société où le travail est le lien social fondamental, et où chacun de ceux qui le peuvent apporte sa contribution à la production. Le mouvement ouvrier comme la gauche sont nés avec ce concept, comme d'ailleurs la grande industrie. D'autres forces politiques pourraient s'accommoder d'une société qui donnerait des fondements différents à l'appartenance. Pas nous : la société du travail fait partie de notre identité ;
parce que nous savons que cet objectif est réaliste. D'autres pays y sont parvenus. Aujourd'hui, parmi les pays industriels, un petit tiers a un taux de chômage inférieur à 5%, un gros tiers est entre 5 et 10%, un troisième tiers est au-dessus de 10%. Nous sommes dans le dernier tiers. Mais au début des années 1980, nous étions à peu près dans la même position pour l'inflation, et maintenant nous sommes dans le premier tiers. Et l'économie française est de nouveau capable de créer des emplois, pourvu que nous sachions en prendre les moyens.
Mais pour reconquérir le plein emploi, il nous faudra beaucoup de ténacité. D'abord pour ne pas dévier de la route et conserver le cap sur l'emploi. Chacun voit bien, à l'occasion du débat que Martine Aubry conduit en ce moment même au parlement, que cette exigence est forte. Ensuite et plus généralement pour mettre toutes les chances de réussite de notre côté. Christian Sautter et moi avons indiqué quatre conditions dans l'avant-propos du Rapport économique, social et financier qui vous a été adressé. Je vous les rappelle :
La première est de maintenir des conditions macro-économiques favorables à une croissance durable. Aucune économie ne peut croître avec des taux d'intérêt punitifs ou des finances publiques en désordre : c'est pourquoi nous avons voulu faire l'euro, c'est pourquoi nous avons réduit les déficits pour enrayer la spirale de la dette publique. En 2000, nous serons enfin parvenus à inverser cette spirale, qui voulait que chaque année les intérêts de la dette absorbent une part croissante des recettes publiques, au détriment des dépenses productives, éducatives ou sociales. L'effort sera poursuivi au delà. Nous en avons pris l'engagement dans le programme de finances publiques à moyen terme, qui donne à la politique budgétaire un cap - le désendettement, la restauration des marges d'action publiques, la baisse des prélèvements obligatoire - et une méthode - la fixation d'objectifs de dépense publique qui ne varient pas au gré de la conjoncture. Ces engagements de moyen terme et cette nouvelle stratégie budgétaire contribueront à garantir une croissance durable, tout en donnant aux finances publiques le moyen de soutenir l'activité en cas d'accident conjoncturel.
La seconde est de miser sur l'innovation et sur l'ouverture. Il ne suffit pas d'une bonne gestion macro-économique pour alimenter l'expansion et développer l'emploi. Et si l'Europe peut se réjouir d'avoir commencé à rompre avec la morosité, elle doit aussi mesurer l'étendue de son retard. L'analyse de l'exemple des Etats-Unis ne livre certes pas de conclusions absolues : on ne sait pas encore si la " nouvelle économie " des technologies de l'information va durablement accroître les progrès de productivité. Mais il est clair, sans pour autant renoncer à un modèle social qui refuse les inégalités américaines, que les Européens doivent prendre part à cette transformation s'ils veulent continuer à s'imaginer un avenir. De même qu'ils ne peuvent tourner le dos à l'ouverture. Au contraire de ce qu'on imagine trop souvent, l'économie française a réussi son insertion internationale et en a tiré bénéfice. Elle doit s'inscrire sans réserves dans cette perspective.
La troisième condition est de faire de la croissance le moteur des réformes qu'il nous faut conduire. La vulgate conservatrice avait fait des " réformes structurelles " la précondition de la croissance. Cette approche a doublement échoué : parce qu'à force de sous-estimer le potentiel de notre économie, elle a bridé la croissance. Et parce qu'à vouloir, sans leur offrir de perspectives, imposer des réformes à des sociétés traumatisées par la stagnation et le chômage, elle n'a fait que renforcer les aspirations au statu quo. A l'opposé, notre approche est de convaincre que le risque du changement vaut la peine d'être pris. Il s'agit de faire de la croissance l'ingrédient de transformations acceptées, parce que ceux dont elle exige des changements perçoivent les bénéfices futurs dont la réforme est porteuse. Les résultats de la politique conduite depuis deux ans montrent qu'appuyée sur une concertation approfondie, cette méthode donne des résultats. De grands chantiers attendent le gouvernement. Je suis convaincu que la France a la capacité d'affronter ces mutations.
La quatrième condition, enfin, est que les bénéfices de la croissance soient répartis de manière solidaire. Les périodes de reprise sont parfois des périodes de tension entre ceux qui bénéficient de la croissance et ceux qu'elle laisse à l'écart : les inégalités deviennent brutalement moins tolérables encore. Dès l'été 1997, le gouvernement a mis l'accent sur l'impératif d'une croissance solidaire, et a pris dans cet esprit un ensemble de mesures fiscales et sociales. D'abord, bien sûr, en mettant l'accent sur l'emploi, et en commençant à remédier à l'inégalité face au chômage, qui frappe d'abord les salariés les moins qualifiés. Ensuite en favorisant une répartition plus équilibrée entre revenus du travail et revenus du capital, et entre les revenus des différentes catégories de ménages. Le Rapport économique et financier qui vous a été adressé montre que l'effet net des mesures prises depuis juin 1997 a été d'alléger la charge des prélèvements sur les ménages ; et que cet allégement a bénéficié en priorité aux neuf déciles inférieurs de la distribution des revenus. Cet effort devra être poursuivi et amplifié au cours des années à venir, dans l'esprit des orientations fixées par le Premier ministre pour la réforme des prélèvements directs. Depuis vingt ans, l'Europe a pris le chemin du chômage, l'Amérique celui des inégalités. Notre tâche est de réunir retour au plein emploi et lutte contre les inégalités.
J'ai tenu à vous indiquer pour commencer dans quel esprit j'abordais cette conférence et quels étaient nos grands objectifs. J'ai tenu à ce que vous disposiez pour cette première rencontre d'éléments de réflexion élaborés. Je vous remercie quant à moi des documents que certains d'entre vous m'ont adressés, que j'ai trouvé très instructifs. Je suis disposé à examiner avec vous s'il peut être utile de vous fournir des éléments d'analyse additionnels, en vue des deux échéances internationales dont nous allons parler et dans la perspective de la prochaine conférence. Celle-ci, si vous en êtes d'accord, se tiendra au printemps 2001, afin que les résultats de la concertation nourrissent suffisamment en amont les choix budgétaires et fiscaux du Gouvernement.
Je souhaite maintenant vous écouter. Et surtout entamer avec vous un processus de dialogue et de travail en commun. Nous sommes ici aujourd'hui pour confronter des points de vue, mais aussi pour réfléchir ensemble à des questions nouvelles, prendre la mesures des défis économiques de demain, et évaluer les réponses qui pourront leur être apportés. Je souhaite que nous le fassions avec la plus grande liberté, avec le souci de travailler ensemble du mieux possible, dans le respect de l'indépendance de chacun des acteurs.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 12 octobre 1999)
Je voudrais vous dire quelques mots de la raison d'être de cette conférence, puis vous indiquer comment j'aborde les sujets que nous avons mis à l'ordre du jour de cette rencontre. Je les prendrai dans l'ordre inverse de celui dans lequel nous allons les traiter ce matin, en commençant par l'international pour aller vers les questions internes.
Informer, débattre et concerter
Cette conférence est une première : même si beaucoup d'entre vous sont familiers de ces lieux, à ma connaissance, les partenaires sociaux ne se sont jamais réunis en tant que tels, à Bercy, dans une perspective de concertation. Sa création témoigne d'une volonté, elle s'inscrit dans un projet.
La volonté, c'est de mieux informer et mieux débattre pour mieux décider : il s'agit de faire dialoguer le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie avec la société civile, au stade de la préparation des décisions. Nul ne le conteste, Bercy est compétent. Mais il n'est pas seul à l'être. Et une décision fondée sur la seule compétence n'est légitime que dans un régime technocratique. Informer sur les enjeux, débattre publiquement ou dans des enceintes spécifiques, concerter avec les acteurs sociaux avant de décider ou de formuler des propositions au parlement, c'est créer les conditions de décisions à la fois mieux préparées et mieux comprises. C'est favoriser une meilleure gestion collective des mutations. C'est ouvrir la voie à de possibles compromis de progrès.
Le projet, c'est de créer concrètement les instruments de ce dialogue. Nous en mettons en place depuis deux ans les éléments, avec une série d'initiatives dont je veux rappeler quelques-unes :
la refonte du Rapport économique, social et financier, pour en faire un vrai instrument de d'information au service d'un débat public de qualité ;
la concertation sur les questions fiscales, en amont du PLF ou, comme cette année, avec la publication d'un " livre blanc " sur le projet d'extension de la TGAP aux consommations d'énergie des entreprises ;
la consultation systématique des organisations syndicales lors des restructurations du secteur public industriel et financier, de la rédaction du cahier des charges aux choix des partenaires stratégiques.
Cette conférence s'inscrit elle aussi dans ce cadre. J'en avais proposé le principe au Premier ministre à l'occasion de la réforme de la Commission des comptes de la nation. Je pense pouvoir dire qu'il s'est félicité de cet enrichissement de la concertation et du dialogue social.
Je crois aussi que cette conférence sera utile au Parlement et je me réjouis de ce que les parlementaires y soient représentés. La concertation avec les partenaires sociaux ne se substitue évidemment pas à la décision des représentants élus du peuple, elle peut en revanche aider à ce que les décisions législatives, en particulier en matière de lois de finances, soient mieux préparées et mieux fondées. Les initiatives que nous avons prises en vue d'améliorer le travail avec le parlement - dialogue plus régulier avec les commissions des finances, réalisation d'études, missions - participent d'ailleurs de la volonté d'information et de débat dont je faisais état.
Je crois enfin que cette conférence, et les travaux qui seront réalisés dans le cadre de sa préparation, pourront enrichir les délibérations du CES - dont je veux saluer ici le nouveau président.
Les enjeux économiques internationaux
J'en viens aux enjeux économiques. Le contexte économique international s'est beaucoup amélioré depuis un an : le G7 auquel je participais il y a quinze jours l'a souligné, et l'INSEE vient d'en prendre acte en relevant à 2,4% sa prévision de croissance pour 1999. Je m'en réjouis évidemment comme chacun d'entre vous - sans aucune autosatisfaction, parce que le mérite en revient d'abord aux entrepreneurs et aux salariés de ce pays. Je crois cependant qu'il ne faut pas se tromper sur l'interprétation de cette évolution :
l'économie mondiale a subi en 1998 une secousse d'une rare violence, qui a eu des conséquences sérieuses pour un certain nombre de pays, et dont les conséquences auraient pu être sensiblement plus graves encore. Que cette crise ait pu se produire est d'autant plus préoccupant qu'elle n'avait pas été prévue, et que plusieurs des pays affectés recevaient les éloges de la communauté internationale. Ceci doit attirer notre attention sur la fragilité de notre économie globalisée et sur les moyens de la réduire ;
le vigoureux rebond que nous avons observé depuis quelques mois n'est pas dû au hasard. Il résulte en fait de décisions de politique économique qui ont été prises à temps : l'apport de fonds publics aux pays émergents en crise a évité une extension des défauts de paiement ; le sauvetage des banques japonaises a prévenu les faillites ; la baisse des taux d'intérêt aux États-Unis et en Europe a relancé la croissance. Je veux souligner ce point parce que la coordination des politiques économiques est souvent vue comme un concept abstrait. Depuis un an, elle a fonctionné ;
l'Europe, et particulièrement la France, s'en tire bien parce que l'euro l'a protégée et que nous avons su mettre en uvre un dosage de politique monétaire et de politiques budgétaires - un policy-mix - adapté, associant détente monétaire et consolidation des finances publiques. Le même choc dans un contexte différent aurait pu déstabiliser nos économies, à la manière de ce que nous avons subi il y a quelques années ; là encore, derrière la chance apparente, il faut savoir lire des réformes et des décisions ;
même si la situation s'est redressée, d'importantes zones de risque subsistent : l'Amérique latine bien sûr, mais aussi le Japon, dont le redressement est incertain. Quant aux Etats-Unis, leur prospérité s'accompagne de déséquilibres préoccupants. C'est pour cela que le projet de budget est fondé sur des hypothèses de croissance prudentes.
Lorsque survient un tremblement de terre, il faut des pompiers efficaces pour sauver des vies. Mais chacun sait bien qu'il faut aussi que les architectes travaillent à ce que les immeubles résistent mieux à la prochaine secousse. Il en va de même en matière financière, et la leçon que je tire de cet épisode est avant tout qu'il nous faut travailler à améliorer le fonctionnement de l'économie mondiale. C'est tout l'enjeu des discussions que je conduis avec mes partenaires au sein du G7, mais aussi au FMI, à l'Euro-11 et à l'ECOFIN, ou encore à l'OMC dont je vous reparlerai dans un instant. Il s'agit, Lionel Jospin a déjà eu l'occasion de le dire, de construire des régulations pour cette économie globalisée afin qu'elle soit plus robuste, plus favorable à la croissance et plus juste.
Pourquoi parler de régulations ? Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. L'économie mondiale d'aujourd'hui ne peut se commander ou s'administrer. D'abord parce qu'elle n'est sous la responsabilité d'aucun gouvernement en particulier. Ensuite parce qu'elle est déjà très largement libéralisée : les trois-quarts des échanges mondiaux de biens et la quasi-totalité des mouvements de capitaux sont aujourd'hui totalement libéralisés ou soumis à des droits de douane négligeables. En revanche, elle a besoin de règles du jeu précises dans les domaines économique, monétaire, financier et commercial pour organiser cette économie ; et d'institutions fortes et légitimes, chargées de faire respecter ces règles du jeu et d'intervenir lorsqu'il le faut pour prévenir des crises et porter assistance aux pays en difficulté.
Cette approche, qui nous distingue des libéraux, correspond très directement aux problèmes d'aujourd'hui. Elle est difficile à contester : lorsque je dis qu'il faut discipliner les paradis bancaires et fiscaux, faire participer les banques créditrices au règlement des crises financières, résister à l'unilatéralisme commercial, ou respecter le principe de précaution, personne ne met sérieusement en doute la validité de notre argumentation. Mais précisément pour cette raison, la résistance des intérêts constitués s'aiguise. Le débat reste donc dur, mais parce que nous touchons au cur des choses.
L'OMC et les enjeux de Seattle
L'OMC et le dialogue macro-économique européen constituent deux points d'application importants de cette approche. Comme l'a rappelé le Premier Ministre à Strasbourg, l'OMC est un instrument de régulation, c'est un premier rempart contre l'unilatéralisme, et on ne peut à la fois se dire pour la régulation et contre l'OMC. D'ailleurs, la décision qu'elle vient de prendre en condamnant les avantages fiscaux accordés aux exportateurs américains, pour des montants considérables, témoigne de ce que l'OMC n'est pas une machine de guerre au service des seuls Etats-Unis, comme on peut parfois l'entendre.
Ces négociations seront particulièrement importantes, car elles devraient concerner un nombre important de domaines qui ont des retombées concrètes sur le mode de vie de nos concitoyens. Je conduirai la délégation française à la conférence de Seattle. J'y développerai le projet d'une OMC régulatrice, respectueuse de l'identité européenne, mieux contrôlée par les citoyens, généreuse, et au service de la croissance.
Une OMC régulatrice. Le commerce international s'est doté de normes qui lui sont propres, et qui visent au bon déroulement des échanges. Ce n'est pas une raison pour ignorer les autres systèmes de normes. Plus l'interdépendance progresse, plus il faut traiter cette question de la coexistence des normes. Concrètement cela signifie que l'OMC puisse mieux prendre en compte l'environnement de manière à ce que les ressources naturelles ne soient pas mises en péril par un développement incontrôlé du commerce, que les engagements internationaux de protection de l'environnement, je pense en particulier à la lutte contre l'effet de serre, sont bien pris en compte dans les règles commerciales. Cela signifie aussi que les Etats puissent appliquer, de manière non protectionniste mais rigoureuse, le principe de précaution quand les effets sur l'environnement ou la santé d'un produit suscitent de réels doutes. L'OMC doit, en collaboration naturellement avec l'OIT, pouvoir apporter sa contribution à un meilleur respect des normes sociales fondamentales au travail. Les Etats qui le souhaitent doivent pouvoir prendre des mesures incitatives au bénéfice des pays qui ne font travailler ni les enfants ni les prisonniers et qui respectent la liberté du travail et la liberté syndicale.
Une OMC respectueuse de l'identité européenne. L'Europe a des objectifs propres. L'OMC doit prendre en compte, dans les disciplines qu'elle va imposer sur l'agriculture, les nouvelles dimensions de la politique agricole européenne qui met l'accent sur la multi-fonctionnalité, au service des attentes des citoyens en matière de l'environnement et d'aménagement du territoire. Dans le domaine culturel et audiovisuel, les règles de l'OMC doivent aussi conduire à ne pas étouffer la diversité culturelle. Dans le domaine de l'investissement, nous souhaitons repartir sur des bases radicalement différentes de l'AMI qui prévoyait une libéralisation généralisée. Nous préférons une approche progressive, respectueuse des équilibres entre pays.
Une OMC plus légitime. Avant 1996, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée et la société civile, et parfois même les Gouvernements, découvraient quelques années après des résultats qu'ils n'avaient pas souhaités. Ce mode de fonctionnement doit disparaître. Un de mes objectifs principaux à Seattle sera d'obtenir de la transparence dans les négociations : Internet est un des moyens d'y parvenir. Mais cela veut dire aussi une meilleure consultation de tous les acteurs de la société. C'est ce que nous avons essayé de conduire depuis 1998. Les différentes réunions qu'a pu tenir le secrétaire d'Etat au commerce extérieur avec certains d'entre vous en sont bien le reflet. Je me félicite enfin de l'excellent travail très complet et très précis que B. Marre vient d'achever sur les futures négociations. Il va servir de base très utile pour, et c'est une première, au débat au parlement que nous aurons avant de lancer les négociations à Seattle. Une OMC plus légitime, cela veut dire aussi que la société civile et en particulier les ONG puissent être consultés régulièrement et puissent faire valoir leur point de vue au cours des négociations. Elles doivent pouvoir soumettre des documents, notamment lors du règlement des différends.
Une OMC plus généreuse. Les vingt dernières années ont malheureusement une diminution de la présence internationale des pays les moins fortunés. Je soutiens sans aucune réserve l'initiative généreuse de l'Union visant à accorder un accès libre pour la quasi totalité des produits issus des PMA. Je crois, en effet, qu'il est dans la responsabilité des pays les plus fortunés de la planète de se mobiliser pour concourir à une meilleure croissance des PMA et un meilleur partage au niveau international des richesses. L'accession à l'OMC de la Chine et de la Russie sera aussi un des moyens de rééquilibrer une organisation qui avait un peu trop l'habitude de travailler essentiellement avec les pays du Nord. Il faudra, soit d'ici Seattle, soit plus tard trouver avec eux les modalités pour une intégration réussie de ces pays à l'OMC.
Une OMC au service de la croissance. L'ouverture internationale, si elle est progressive et maîtrisée, a été et ne peut être que bénéfique pour l'économie française. En effet, avec la construction européenne, la France a pu depuis 30 ans ouvrir progressivement son marché et bénéficier de débouchés supplémentaires. Comme le montre le rapport qui vous a été soumis, l'ouverture internationale a été bénéfique à l'économie française. Elle nous permet de bénéficier de la croissance de la demande extérieure qui est structurellement plus forte que la demande européenne. Elle est aussi un facteur d'accélération de la diffusion des technologies et en particulier des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Elle contribue par là à créer et à entretenir cette nouvelle croissance riche en emplois durables et qualifiés que la France commence à connaître. Enfin, elle assure aux agriculteurs et aux entreprises de notre pays un cadre international stabilisé leur permettant d'investir plus durablement sur les marchés extérieurs.
Je vous ai dit nos objectifs. Dans l'esprit de transparence et de concertation qui est le nôtre pour cette négociation, je tiens tout particulièrement à vous entendre sur ces questions.
Le dialogue macro-économique en Europe
L'Europe a réussi l'euro en dépit de tous les obstacles et de toutes les prévisions catastrophiques. C'est un grand succès, c'est aussi déjà, à l'évidence, un élément de sécurité et donc un facteur de croissance et d'emploi. Je suis absolument convaincu que l'euro va nous permettre d'avoir pendant plusieurs années une croissance soutenue dans la stabilité des prix.
L'euro est une régulation internationale qu'il a fallu un quart de siècle à construire, après la fin du système de Bretton Woods. Il a substitué :
la coordination entre les politiques économiques à la concurrence par les dévaluations compétitives ;
le pouvoir d'une autorité publique, à laquelle la France est partie prenante, au pouvoir des marchés financiers.;
une construction fondée sur le droit et appuyée sur des règles équitables à des rapports de force, générateurs d'hégémonie.
L'euro est donc une victoire de la régulation publique sur les marchés Mais il a aussi besoin de régulations économiques et sociales, qui sont encore en partie à construire. C'est pour cela que nous avons fait l'Euro-11, et mis en place d'autres outils de coordination. C'est pour cela que nous avons collectivement besoin de réussir le dialogue macro-économique. D'abord pour les motifs qui vous sont indiqués dans le document de problématique qui vous a été adressé. Pour le dire simplement, je ne crois pas qu'il soit bon d'avoir une monnaie unique sans aucun processus de dialogue organisé entre les acteurs de la politique monétaire, des politiques budgétaires et de la formation des salaires. Mais aussi pour un motif plus profond : nous ne pourrions pas faire vivre une monnaie commune avec des sociétés qui s'ignorent. Nos amis allemands l'ont souligné de longue date. La raison en est finalement très simple : la monnaie est un lien social, elle ne va pas sans un sentiment d'appartenance et l'intuition d'un destin commun.
Un jour, sans doute, la BCE sera amenée à prendre une décision impopulaire. Je suis heureux qu'elle n'ait pas été obligée de le faire dans ses premiers mois : elle a montré son intelligence avant ses muscles et c'est mieux ainsi. Je souhaite que la qualité du dialogue macro-économique contribue à la rassurer et donc à maintenir des conditions favorables à la croissance et à l'emploi. Mais je ne doute pas qu'elle doive un jour - plus ou moins lointain - montrer ses muscles. Il faut donc construire dans cette perspective. Pour que les débats de demain aient un caractère véritablement européen : qu'ils n'opposent pas Français et Allemands ou Français et Italiens, mais que Français, Allemands et Italiens y participent chacun avec leur point de vue.
A ces considérations s'oppose bien sûr la volonté légitime de maintenir l'autonomie des partenaires sociaux et leur liberté de négociation, en France comme chez nos partenaires, et le refus de tout ce qui pourrait ressembler à une politique européenne des revenus. Je partage évidemment ce souci. Il implique de trouver un bon équilibre entre les inconvénients d'une absence de dialogue et ceux d'une centralisation excessive. Je souhaite vous entendre sur cette question et examiner avec vous de quelle manière nous allons pouvoir travailler ensemble pour créer les conditions d'un dialogue fructueux, et d'une participation efficace des acteurs français à ce processus.
Les perspectives de l'économie française
Après avoir mieux résisté au choc que ses grands partenaires, l'économie française a pris la tête de la reprise. Cela tient sans doute à la fois aux choix de politique économique qui ont été faits par le gouvernement de Lionel Jospin - l'accent mis d'emblée sur la demande intérieure, la consommation des ménages et l'emploi - et à des transformations profondes de notre économie. En particulier, il est clair que la résistance de la croissance au cours des derniers trimestres doit en partie être attribuée à la vigueur maintenue des créations d'emplois. Il ne faut donc pas opposer artificiellement politique conjoncturelle et réformes en profondeur, comme on le croit souvent, mais faire en sorte qu'elles se nourrissent l'une l'autre.
Avec une inflation très faible, des taux d'intérêt historiquement bas et des déficits publics mieux maîtrisés, je suis convaincu que l'Europe est aujourd'hui mieux armée pour croître qu'elle ne l'a jamais été depuis vingt ans : il est à nouveau possible d'envisager une longue phase de croissance et de création d'emplois. L'incrédulité reste grande, surtout chez ceux que la reprise a pour le moment laissé de côté, et la route sera longue. Mais elle commence à se dessiner clairement. Nous nous y engageons avec un objectif : reconquérir le plein emploi.
Lorsque le Premier ministre a fixé cet objectif à La Rochelle, certains y ont vu l'expression d'une ambition politique. C'était avant tout l'expression d'une volonté économique et sociale :
parce que cet objectif est évidemment le seul possible pour nous. C'est le seul qui nous permettra de refonder une société du travail, c'est à dire une société où le travail est le lien social fondamental, et où chacun de ceux qui le peuvent apporte sa contribution à la production. Le mouvement ouvrier comme la gauche sont nés avec ce concept, comme d'ailleurs la grande industrie. D'autres forces politiques pourraient s'accommoder d'une société qui donnerait des fondements différents à l'appartenance. Pas nous : la société du travail fait partie de notre identité ;
parce que nous savons que cet objectif est réaliste. D'autres pays y sont parvenus. Aujourd'hui, parmi les pays industriels, un petit tiers a un taux de chômage inférieur à 5%, un gros tiers est entre 5 et 10%, un troisième tiers est au-dessus de 10%. Nous sommes dans le dernier tiers. Mais au début des années 1980, nous étions à peu près dans la même position pour l'inflation, et maintenant nous sommes dans le premier tiers. Et l'économie française est de nouveau capable de créer des emplois, pourvu que nous sachions en prendre les moyens.
Mais pour reconquérir le plein emploi, il nous faudra beaucoup de ténacité. D'abord pour ne pas dévier de la route et conserver le cap sur l'emploi. Chacun voit bien, à l'occasion du débat que Martine Aubry conduit en ce moment même au parlement, que cette exigence est forte. Ensuite et plus généralement pour mettre toutes les chances de réussite de notre côté. Christian Sautter et moi avons indiqué quatre conditions dans l'avant-propos du Rapport économique, social et financier qui vous a été adressé. Je vous les rappelle :
La première est de maintenir des conditions macro-économiques favorables à une croissance durable. Aucune économie ne peut croître avec des taux d'intérêt punitifs ou des finances publiques en désordre : c'est pourquoi nous avons voulu faire l'euro, c'est pourquoi nous avons réduit les déficits pour enrayer la spirale de la dette publique. En 2000, nous serons enfin parvenus à inverser cette spirale, qui voulait que chaque année les intérêts de la dette absorbent une part croissante des recettes publiques, au détriment des dépenses productives, éducatives ou sociales. L'effort sera poursuivi au delà. Nous en avons pris l'engagement dans le programme de finances publiques à moyen terme, qui donne à la politique budgétaire un cap - le désendettement, la restauration des marges d'action publiques, la baisse des prélèvements obligatoire - et une méthode - la fixation d'objectifs de dépense publique qui ne varient pas au gré de la conjoncture. Ces engagements de moyen terme et cette nouvelle stratégie budgétaire contribueront à garantir une croissance durable, tout en donnant aux finances publiques le moyen de soutenir l'activité en cas d'accident conjoncturel.
La seconde est de miser sur l'innovation et sur l'ouverture. Il ne suffit pas d'une bonne gestion macro-économique pour alimenter l'expansion et développer l'emploi. Et si l'Europe peut se réjouir d'avoir commencé à rompre avec la morosité, elle doit aussi mesurer l'étendue de son retard. L'analyse de l'exemple des Etats-Unis ne livre certes pas de conclusions absolues : on ne sait pas encore si la " nouvelle économie " des technologies de l'information va durablement accroître les progrès de productivité. Mais il est clair, sans pour autant renoncer à un modèle social qui refuse les inégalités américaines, que les Européens doivent prendre part à cette transformation s'ils veulent continuer à s'imaginer un avenir. De même qu'ils ne peuvent tourner le dos à l'ouverture. Au contraire de ce qu'on imagine trop souvent, l'économie française a réussi son insertion internationale et en a tiré bénéfice. Elle doit s'inscrire sans réserves dans cette perspective.
La troisième condition est de faire de la croissance le moteur des réformes qu'il nous faut conduire. La vulgate conservatrice avait fait des " réformes structurelles " la précondition de la croissance. Cette approche a doublement échoué : parce qu'à force de sous-estimer le potentiel de notre économie, elle a bridé la croissance. Et parce qu'à vouloir, sans leur offrir de perspectives, imposer des réformes à des sociétés traumatisées par la stagnation et le chômage, elle n'a fait que renforcer les aspirations au statu quo. A l'opposé, notre approche est de convaincre que le risque du changement vaut la peine d'être pris. Il s'agit de faire de la croissance l'ingrédient de transformations acceptées, parce que ceux dont elle exige des changements perçoivent les bénéfices futurs dont la réforme est porteuse. Les résultats de la politique conduite depuis deux ans montrent qu'appuyée sur une concertation approfondie, cette méthode donne des résultats. De grands chantiers attendent le gouvernement. Je suis convaincu que la France a la capacité d'affronter ces mutations.
La quatrième condition, enfin, est que les bénéfices de la croissance soient répartis de manière solidaire. Les périodes de reprise sont parfois des périodes de tension entre ceux qui bénéficient de la croissance et ceux qu'elle laisse à l'écart : les inégalités deviennent brutalement moins tolérables encore. Dès l'été 1997, le gouvernement a mis l'accent sur l'impératif d'une croissance solidaire, et a pris dans cet esprit un ensemble de mesures fiscales et sociales. D'abord, bien sûr, en mettant l'accent sur l'emploi, et en commençant à remédier à l'inégalité face au chômage, qui frappe d'abord les salariés les moins qualifiés. Ensuite en favorisant une répartition plus équilibrée entre revenus du travail et revenus du capital, et entre les revenus des différentes catégories de ménages. Le Rapport économique et financier qui vous a été adressé montre que l'effet net des mesures prises depuis juin 1997 a été d'alléger la charge des prélèvements sur les ménages ; et que cet allégement a bénéficié en priorité aux neuf déciles inférieurs de la distribution des revenus. Cet effort devra être poursuivi et amplifié au cours des années à venir, dans l'esprit des orientations fixées par le Premier ministre pour la réforme des prélèvements directs. Depuis vingt ans, l'Europe a pris le chemin du chômage, l'Amérique celui des inégalités. Notre tâche est de réunir retour au plein emploi et lutte contre les inégalités.
J'ai tenu à vous indiquer pour commencer dans quel esprit j'abordais cette conférence et quels étaient nos grands objectifs. J'ai tenu à ce que vous disposiez pour cette première rencontre d'éléments de réflexion élaborés. Je vous remercie quant à moi des documents que certains d'entre vous m'ont adressés, que j'ai trouvé très instructifs. Je suis disposé à examiner avec vous s'il peut être utile de vous fournir des éléments d'analyse additionnels, en vue des deux échéances internationales dont nous allons parler et dans la perspective de la prochaine conférence. Celle-ci, si vous en êtes d'accord, se tiendra au printemps 2001, afin que les résultats de la concertation nourrissent suffisamment en amont les choix budgétaires et fiscaux du Gouvernement.
Je souhaite maintenant vous écouter. Et surtout entamer avec vous un processus de dialogue et de travail en commun. Nous sommes ici aujourd'hui pour confronter des points de vue, mais aussi pour réfléchir ensemble à des questions nouvelles, prendre la mesures des défis économiques de demain, et évaluer les réponses qui pourront leur être apportés. Je souhaite que nous le fassions avec la plus grande liberté, avec le souci de travailler ensemble du mieux possible, dans le respect de l'indépendance de chacun des acteurs.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 12 octobre 1999)