Texte intégral
P. Poivre d'Arvor : Commençons par le mouvement des chômeurs. Vous en avez déjà entendu beaucoup depuis plus de six semaines. Voici, ce soir, deux de leurs attentes.
P. Secq (38 ans, chômeur depuis un an) : Je pensais que, suite aux élections, la première chose qui aurait été faite c'est de s'attaquer au problème principal des Français qui est le chômage. Aujourd'hui, cela fait huit mois qu'il y a eu des élections, on n'a rien eu. Il a fallu qu'il y ait ce mouvement-là pour que l'on parle vraiment du fond du problème. Mais sinon, pour l'instant, on n'a rien vu. Les vrais problèmes des Français aujourd'hui, c'est d'avoir du travail, un salaire et puis de pouvoir en vivre. C'est le seul moyen que l'on ait aujourd'hui pour avoir la paix sociale. S'il dit, voilà 1 500 francs pour relever les minima sociaux, il ne va rien régler ! Il faut bien qu'il se rentre cela dans le crâne. Il ne va rien régler, rien ! C'est bien, si, ce soir, il dit : voilà, relèvement de 1 500 francs des minimaux sociaux. Mais il ne va rien régler. Il faut faire une refonte complète des Assedic. Des Assedic ont été créées pour 200 000, ce n'est pas la même chose que pour gérer des millions de gens ! Et puis, on remet tout à plat, on essaye de refaire quelque chose de concret. Parce que cela vient du surréalisme ! J'ai vu des gens qui touchent 2, 34 francs par jour et qui ne peuvent pas toucher le RMI parce qu'ils sont encore aux Assedic !
J.-M. Sevré (50 ans, chômeurs de longue durée) : "La cinquantaine, ce n'est pas quelque chose qui est très favorable pour retrouver un emploi. On me l'a dit bien avant que je n'aie la cinquantaine. Je l'ai perçu avant. Malheureusement, les choses sont faites de telle façon que lorsque l'on voit des offres, des annonces dans les entreprises, il y a des créneaux d'âge qui sont définis, et cela tourne autour de 25, 30, 40 ans. Mais il n'y a jamais personne qui recherche des gens qui ont la cinquantaine. Les Assedic nous donnent 3 000 francs par mois."
Question : Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
J.-M. Sevré : "C'est une indemnité. Je pense que c'est le terme qui convient. Ce n'est pas quelque chose qui permette de vivre. C'est dérisoire. Demain, on nous avait déjà promis des demains pour hier, et puis, est-ce que c'est demain ou après-demain ? A vrai dire je ne sais plus trop pour l'instant, moi."
P. Poivre d'Arvor : Voici deux réactions. Il pourrait y en avoir bien d'autres. Quand on est Premier ministre, et qui plus est de gauche, s'entendre ainsi interpeller sur un sujet aussi douloureux, est-ce que ce n'est pas, au fond, la situation la plus difficile, la plus redoutée ?
- "Comment ne serais-je pas interpellé à partir du moment où il y a cette situation de chômage, cette situation de détresse qui se sont accumulées à travers le temps ? Et en même temps, comment ne dirais-je pas qu'étant, c'est vrai, un homme de gauche quand je plonge dans mes racines, ma famille, l'engagement de toute ma vie, ce Gouvernement est aux côtés des chômeurs. En tout cas, c'est un Gouvernement qui travaille pour les chômeurs."
Est-ce que vous l'avez senti monter, ce mouvement, qui a commencé un peu avant Noël, il y a un mois et demi ?. Autour de vous des gens disaient qu'ils n'étaient pas très nombreux, manipulés, politisés.
- "Jamais, je n'ai employé ces termes. Vous le savez. Le mouvement est resté à peu près constant à la fois dans sa quantité et dans ses composantes. Mais est-ce l'importance ? Ce qui est important n'est-ce pas ce qui le révèle, quelles que soient les formes de l'action ou l'importance de l'action ? A savoir la situation de chômage. Moi, je dis face à ces chômeurs ou face à d'autres chômeurs, on ne dit pas : non. On dit tout n'est pas possible tout de suite, mais on dit, en même temps, on va avancer. C'est une question de respect pour eux. C'est une question de dignité qu'ils méritent de voir reconnue. Hier, simplement, j'ai dit à l'Assemblée nationale qu'il fallait maintenir le cap qui était le nôtre ; parce que, justement, le cap qui est le nôtre, c'est de mettre centralement la politique économique du Gouvernement sur l'emploi contre le chômage."
Mais les gens ne voient pas descendre le chômage pour l'instant. Donc, ils disent le cap peut-être, mais il n'est pas bon !
- "D'abord, depuis plusieurs mois, le chômage est stabilisé. Je pense que nous allons de faire reculer. Pourquoi nous allons le faire reculer ? Parce qu'il y a la croissance, qu'elle va être plus forte en 1998, que cela créera des emplois ; parce que nous avons décidé immédiatement de mener une politique volontariste de créations d'emplois. Les 40 000 emplois-jeunes qui ont été installés en quelques mois dans l'Education nationale, dans les tâches de sécurité ou dans d'autres tâches, c'est 40 000 jeunes qui viennent d'échapper à une situation possible de chômage. Et sur l'année 1998, nous arriverons au chiffre de 150 000 parce que nous avons décidé d'utiliser, d'explorer la piste de la diminution du temps de travail. Il y a trois études qui viennent de sortir - une de la Banque de France, une d'un institut économique parmi les plus reconnus, l'OFCE, une de la direction de la prévision du ministère de l'Economie et des Finances - qui disent que la réduction du temps de travail peut créer des emplois, va créer des emplois. En outre, on se bat en Europe pour infléchir les priorités de l'Europe, et donc, on va faire reculer le chômage. C'est en faisant reculer le chômage qu'on va faire reculer l'exclusion, qu'on va faire reculer la détresse. Cela doit être l'axe essentiel. Cela doit être le cap."
Avant d'explorer le cap et les pistes que vous proposez, quand même deux doigts de politique. Pour vous, il n'y a pas de manipulation, ni du PCF, ni de la CGT derrière tout cela ? Ce sont des partenaires loyaux dans cette affaire ?
- "Je ne m'occupe pas de cela. Si vous voulez on pourra parler de la majorité plus tard. Ce qui est important surtout, c'est de prendre en compte la situation telle qu'elle est créée actuellement et c'est d'y apporter des réponses. J'ai dit que nous devions maintenir le cap qui était le nôtre : à savoir la recherche de la croissance qui était la plus forte, en utilisant les outils dont j'ai parlé sur lesquels nous reviendrons ; et en même temps, il faut réagir en urgence. Il n'y a pas une logique de la détresse et une logique de l'économie. Moi, je pense que les deux doivent être absolument conciliées. La politique économique que l'on doit mener, et que l'on mène, doit être faite pour faire reculer le chômage et donc, faire reculer l'exclusion et la détresse."
Je vais vous poser la question différemment. Je ne vais pas vous parler de votre majorité plurielle. Mais est-ce que vous ne trouvez pas, à deux ou trois petits exemples - comme le fait qu'une fondatrice historique d'Action directe qui, hier, entre avec une centaine de chômeurs dans un restaurant de luxe, ou les déclarations de D. Cohn-Bendit qui se rappelle un peu aux Français, hier soir - vous ne trouvez pas qu'il y a un petit parfum pré-Mai 68 ou pré-révolutionnaire ? Vous ne pensez pas qu'il y a là quelque chose qui paraît représenter quelque chose d'infiniment plus grave que ces dizaines de milliers de gens au maximum ?
- "P. Poivre d'Arvor, c'est aux observateurs, c'est aux journalistes de dire la réalité telle qu'ils la voient, de décrire le mouvement tel qu'ils le sentent. Moi, je ne peux pas me laisser placer sur ce terrain, parce que ce sera un terrain qui sera ressenti immédiatement comme politicien, et je ne veux pas me situer sur ce plan. Donc, essayons de parler de la façon dont on peut répondre à ces questions. Et puis, pour le reste, que les observateurs fassent leur travail, mais qu'ils le fassent de façon aiguë et objective."
A. Bocquet disait : entre zéro franc et 1500 francs, il y a une marge. Est-ce que vous allez lui donner du grain à moudre, ou est-ce que, surtout, vous allez donner l'espoir à ceux qui nous écoutent actuellement, en proposant un relèvement de l'un de ces minima sociaux ?
- "C'est vrai qu'il y a une situation qui implique que l'on réponde au problème. J'ai dit hier, à l'Assemblée nationale, qu'on ne pouvait pas augmenter l'ensemble des minima sociaux, qui concernent 3 400 000 personnes, de 1 500 francs ; parce qu'on arriverait à une enveloppe qui dépasserait, je crois, 70 milliards ; qu'il faudrait, soit accepter un déficit supplémentaire des dépenses publiques, du budget, de 70 milliards ; or nous ne sommes pas à l'équilibre, nous avons déjà un déficit de 247 ou 248 milliards. Ou bien alors, si on ne voulait pas de déficit, il faudrait prélever 70 milliards de plus d'impôts sur les Français. Un certain nombre, parfois de chômeurs, plus souvent de petits groupes, m'interpellent, moi, en disant : "Jospin tu es sourd", "Jospin pourquoi tu refuses de donner des milliards ?" Comme si ces milliards étaient à moi, comme s'il s'agissait de mon argent..."
Mais vous ne jouez pas les Français contre les chômeurs ?
- "Non. Les chômeurs sont des Français, ils font partie de cette collectivité. Ce que je veux dire tout simplement, c'est que : pourquoi refuserais-je de donner un argent qui n'est pas le mien ? Ces milliards de francs dont on parle, ils sont le produit du travail national, de la richesse nationale, des impôts des Français. Donc le problème n'est pas une interpellation qui vient vers moi. J'ai un devoir de vérité, de responsabilité. Et la tâche du Gouvernement est de faire des choix par rapport aux ressources publiques disponibles. Et le choix principal que je fais, c'est de mettre l'argent sur l'emploi, et non pas de mettre l'argent sur l'assistance - même si on doit faire un effort de solidarité."
Donc pas d'augmentation du RMI, par exemple, mais en ce qui concerne l'ASS, pourriez-vous faire un effort ?
- "D'abord on a réagi immédiatement. Ce Gouvernement n'est pas resté indifférent ou autiste face à ce mouvement. Il a immédiatement noué des contacts et des dialogues qui ont eu lieu au niveau du ministère de Madame M. Aubry. J'ai reçu - pour la première fois un Premier ministre dans ce pays - des associations de chômeurs."
Donc vous les légitimez d'une certaine façon ?
- "Mon problème n'est pas de les légitimer. A partir du moment où il y a un mouvement, et quoi que représentent ces associations dans ce mouvement, et quoi que représente ce mouvement par rapport au chômage de masse - parce qu'il n'y a pas eu un mouvement de masse mais il y a un chômage de masse - je dois marquer le geste qui est celui d'une reconnaissance. Et effectivement, j'ai reçu des associations de chômeurs alors que des organisations représentatives, syndicales trouvaient que c'était un problème. Je l'ai fait parce qu'il fallait le faire. Nous avons dégagé immédiatement un fonds d'urgence d'un milliard de franc et mis en place des missions d'urgence. Et j'ai demandé à Madame Join-Lambert de faire un travail qui est d'une double nature. D'abord, voir comment ce fonds est utilisé, mis en place par les préfets et les collectivités sur le terrain ; ensuite veiller à impulser en quelque sorte ces missions d'urgence. Et puis elle a une deuxième mission qui est de faire l'examen de ces minima sociaux, du rapport entre l'assurance-chômage - dont parlait un chômeur tout à l'heure - qui indemnise les chômeurs sur la base de cotisations qui sont venues des entreprises ou des salariés eux-mêmes, mais dont les allocations, allocations uniques dégressives, s'arrêtent au bout d'un certain moment ; d'abord dégrèvent rapidement et à un certain moment s'arrêtent. Et c'est là, à mon sens, que se situe le lieu de la rupture : on passe d'un système où on reçoit des allocations de chômage, relativement correctes si l'on peut dire, cela dépend aussi des revenus, à un système..."
A un système zéro.
- "Pas zéro. A ce moment là, c'est l'Etat, c'est le Gouvernement qui reprend, en quelque sorte dans un filet, ceux qui sont là, mais avec une allocation spécifique de solidarité qui est beaucoup plus faible. Et ce moment de la rupture, il va falloir l'examiner. J'ai demandé à Madame Join-Lambert de travailler sur l'examen de ce qui ne fonctionne pas dans notre système de solidarité, et notamment des rapports entre le système d'assurance-chômage et le système de solidarité assuré par l'Etat, c'est-à-dire au fond par la solidarité des Français ; et d'autre part, de proposer des réformes pour mieux aider ceux, et notamment les chômeurs de longue durée, qui sont dans des situations difficiles, et qui vont de situation de détresse en situation de détresse. Madame Join-Lambert doit me rendre les conclusions de son travail et elle a rencontré des associations de chômeurs pour les écouter au mois de mars. Dans cette perspective, moi, je prends cinq engagements. Le premier c'est que je ne laisserai pas les minima sociaux dériver. Il n'est pas normal qu'un certain nombre de minima sociaux, et en tout cas l'allocation spécifique de solidarité pour les chômeurs en fin de droits, n'aient pas suivi le rythme de la hausse des prix. Il faudra que ces minima sociaux soient indexés sur le cours de la vie."
Un peu comme pour le Smic ?
- "Oui par exemple. Deuxième engagement : je ferai en sorte que le rattrapage de l'ASS, qui n'avait pas été revalorisée par le précédent gouvernement depuis 1994, que nous avons amorcé, se fasse intégralement."
Donc rétroactivement.
- "Et donc aussi, rétroactivement. D'ailleurs les premières mesures que nous avons prises sont rétroactives. Je ferai en sorte aussi qu'au-delà de ce rattrapage, un effort supplémentaire soit fait en faveur des chômeurs de longue durée qui sont dans les situations les plus difficiles, ou éventuellement des jeunes. C'est-à-dire qu'il va falloir que, grâce au travail de Madame Join-Lambert et au travail avec les associations, nous ciblions bien les situations les plus difficiles. Et pour ces cas-là, il faudra faire un effort supplémentaire au-delà du rattrapage, c'est-à-dire un accroissement. Il faut, quatrième engagement, favoriser le passage des situations d'assistance et d'allocations vers l'emploi. Il faut, et Madame Aubry a commencé, que le nombre des CES réservés aux chômeurs de longue durée soit accru. Et il faut en outre que, lorsque des hommes ou des femmes qui sont en situation d'allocation, trouvent un travail notamment des CES mais éventuellement d'autre travail, puissent garder - ces personnes - transitoirement un certain nombre des avantages liés aux allocations anciennes de façon à ce que le passage de la situation d'assisté ou d'aides... bien que les chômeurs ne demandent pas à être assistés mais ils demandent des droits et du travail et c'est l'essentiel de l'action que nous pouvons conduire. Eh bien je ne veux pas du tout opposer ceux qui sont dans une situation d'assistance ou de solidarité et ceux qui travaillent, je veux les aider à aller vers le travail. Parce que, fondamentalement, je veux une société du travail et pas une société d'assistance. Et enfin, dernier engagement, le projet de loi contre les exclusions que nous allons présenter au Parlement dans les mois qui viennent..."
Dans les mois ou les semaines ?
- "Il y a les 35 heures. Dans les mois qui viennent, une fois que le travail aura été terminé, ce projet de loi contre les exclusions sera doté des moyens nécessaires pour que sa mise en oeuvre soit efficace et effective, que cela concerne le droit au logement, le droit à la santé, aux soins pour tous, que ça concerne l'égalité devant l'école et tout ce qui entoure notamment l'école - vous savez le travail qu'on a fait sur les cantines pour ceux qui ne pouvaient pas s'y nourrir ! - ou que ça concerne aussi le droit à la culture parce que ces personnes ont le droit aussi à l'accès à la culture. Voilà les engagements que je prends, le cap est fixé, je l'ai redit. Car casser la croissance qui reprend, casser la dynamique et la confiance que nous sommes en train de créer, serait quelque chose de contre-productif qui se retournerait contre l'aspiration des chômeurs. Mais en même temps, il y a des ouvertures que je fais ; et ce travail, nous allons l'accomplir dans les semaines qui viennent."
Vous avez chiffré ce que sera l'enveloppe globale ?
- "Laissons Madame Join-Lambert faire son diagnostic, faire son travail, le faire avec ceux qui sont concernés ; et à ce moment-là, le Gouvernement prendra ses responsabilités et fera ses annonces."
Est-ce que vous pensez que tout cela va quand même donner envie aux gens de travailler, même à bas prix - le Smic est à peu près de l'ordre de 5 240 francs net - et notamment à ceux qui se retrouvent avec des demi-Smic, c'est-à-dire des temps partiels ? Là, on se retrouve pratiquement dans des situations qui sont très équivalentes.
- "Mais c'est pourquoi j'ai dit notamment que l'on ne pouvait pas monter les minima sociaux. Cela n'est pas un problème par rapport à une personne - un homme ou une femme en particulier : face à un homme ou une femme qui a 2 300 francs d'allocation. A la limite, cela ne se discute même pas, on dit : mais oui, il faudrait augmenter massivement. Mais si les masses concernées, le nombre d'hommes et de femmes concernés fait un coût de 70 milliards qui bouleverse notre politique économique, qui casse l'élan dans lequel nous sommes entrés, tout cela se retournera. Donc nous disons : il faut faire un effort, il faut répondre aux situations d'urgence. On l'a fait : la question des coupures d'électricité, la question des coupures de gaz, d'eau, la question des expulsions de logement - lorsqu'on sortira de la période de l'hiver pendant laquelle on ne peut pas l'expulser -, nous avons décidé de l'aborder avec une vision qui n'est pas simplement une vision comptable, d'ordre public, mais une vision de prévention et une vision sociale... Mais effectivement, si les minima sociaux - indépendamment du coût budgétaire impossible à supporter - augmentaient trop fortement, c'est effectivement toutes les relations sociales et les relations salariales et les relations au travail qui seraient bouleversées. Nous ne pouvons pas le faire.
Et donc l'axe essentiel, je le redis, c'est l'emploi : 150 000 emplois-jeunes créés en 1998 ; la durée du travail. Et là, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Le Gouvernement prend ses responsabilités, mais cet effort de solidarité doit être fait par tous. Il doit être fait par les entreprises, par exemple. Moi, mon rôle, dans le pays, n'est pas de charger tel ou tel organisme ou tel ou tel secteur. Les entreprises, elles doivent se battre dans la bataille économique - je le sais -, et nous essayons d'ailleurs de les aider, par exemple en réduisant les formalités administratives, en aidant les PMI-PME, en aidant au développement de la recherche, et des nouvelles technologies. Mais en même temps, les entreprises ont des responsabilités, et les chefs d'entreprise ont des responsabilités. Cette crise révèle que tout le monde doit assumer ses responsabilités. Alors, on ne peut pas dire d'un côté que ce sont les entreprises qui créent des emplois, et de l'autre côté, dire que c'est l'Etat qui, lui, doit avoir la responsabilité des chômeurs. Donc j'espère que le débat sur les 35 heures sera abordé par les chefs d'entreprise - d'ailleurs, beaucoup de chefs d'entreprise sont conscients de cela -, mais disons, par le patronat officiel, d'une façon quand même un peu différente compte tenu...
Mais pour l'instant, le patronat freine des quatre fers. Il n'a pas du tout l'air de vouloir accepter même de discuter avec vous des modalités.
- "Oui, mais cette situation à laquelle nous sommes confrontée, elle interpelle tout le monde. Et si l'on ne retrouve pas un certain chemin d'harmonie, si l'on ne retrouve pas une volonté de dynamisme... Parce que la croissance augmente : les chiffres, hier, de l'augmentation de la production industrielle sont les plus élevés depuis 20 ans. La consommation repart, les investissements dans toute une série de secteurs repartent, les perspectives de la croissance - si on met à part les problèmes de l'Asie du sud-est, on en parlera si vous..."
Cela va faire perdre combien de points de croissance ?
- "Jusqu'à maintenant, on dit un demi-point de croissance."
Et à peu près 2,5 % pour 1998 ?
- "Non, parce que nous constatons, au contraire, que la croissance est plus forte aux Etats-Unis et en Europe ; et c'est surtout que la croissance intérieure en France n'est pas sur une ligne de 3 % mais sur une ligne de 3,5 %. Donc le relais intérieur va être pris. Entre parenthèses d'ailleurs, constatez une chose : avec cette crise financière et économique dans les pays d'Asie du sud-est, c'est que ces fameux dragons qu'on nous donnait en exemple, comme si l'on devait s'en inspirer..."
Ils étaient en papier ?
- "Non, mais ils avaient eux-aussi leurs éléments de fragilité. Et l'Europe peut redevenir de ce point de vue là - comparativement - une zone économique."
Revenons sur vos 35 heures. Je vais d'abord vous demander d'arbitrer entre deux de vos ministres - D. Strauss-Kahn et M. Aubry - parce que l'un a dit que les 35 heures vont créer à peu près 300 à 350 000 emplois, et l'autre dit entre 400 et 1 million d'emplois. Qui est le plus près ?
- "D'abord, n'arbitrons pas entre les ministres."
Mais, entre les perspectives, parce que d'autres études - trois études vous l'avez dit - disent 700 000, pour la Banque de France ; 450 000 autour de l'an 2000 pour l'OFCE.
- "Je crois que ce que disent les ministres - et en l'occurrence les deux ministres - s'inscrit exactement dans la fourchette qui est évoquée par ces trois grands instituts dont je parlais tout à l'heure, entre 300 000 et 700 000 emplois. Ce qu'ils disent c'est que cela peut créer des emplois ; ce qu'ils disent c'est que si les entreprises savent négocier, discutent avec leurs salariés, anticipent sur le moment où nous passerons à la durée légale de 35 heures, sont capables de faire tourner mieux les équipements, notamment avec plus de souplesse, en tenant compte des plans de charges sur l'année, cela peut se faire avec des coûts qui ne sont pas élevés pour les entreprises. Ca n'aura pas non plus de coût pour les dépenses publiques. Donc on est en train de constater que, dans le débat qui s'est engagé, le choix fait par le Gouvernement n'est pas un choix idéologique, il est un choix rationnel, il est un choix intelligent."
Qu'est-ce qui est négociable à partir de lundi avec les députés, et plus tard avec les entreprises ? La date butoir ? Le seuil limite de 20 salariés ? Le contrôle obligatoire ? La diminution de salaire éventuellement ? Y a-t-il des choses sur lesquelles vous pourriez discuter ?
- "Je respecte bien sûr le droit du Parlement, mais je crois que le Gouvernement et l'Assemblée - en tout cas la majorité à l'Assemblée - trouveront tout à fait une approche consensuelle sur cette question."
Et le projet alternatif de l'opposition de fortes baisses des charges vous intéresse ?
- "Honnêtement mon propos, vous l'avez constaté ce soir, n'est pas polémique. Il n'a pas à l'être, mais enfin on n'entend pas beaucoup l'opposition sur ces sujets."
Elle vient de se réunir pour dire qu'elle ferait une proposition s'inspirant de ce qui se passe dans le textile.
- "Dans le textile nous sommes obligés de corriger les erreurs faites par le gouvernement précédent, puisqu'il a adopté un dispositif qui a été condamné par Bruxelles. Si nous ne changeons pas le dispositif - ce que nous faisons d'ailleurs avec les entreprises, avec les patrons du textile - eh bien nous serions tout simplement condamnés. C'est-à-dire que ce dispositif serait en l'air et, d'une part, nous devrions payer des pénalités à Bruxelles parce que ce système est illégal. Ca ne me paraît pas être un bon exemple. Mais disons qu'en gros l'approche de l'opposition c'est la baisse des charges. Ce qui est très intéressant c'est de voir que, dans le passé, ça n'a pas été efficace ; ça a coûté beaucoup aux contribuables, parce que si on baisse les charges des entreprises, si on baisse les cotisations, c'est le contribuable qui le paie et ça n'a pas été efficace. Ce que montrent ces études dont nous parlons c'est que l'approche de la diminution de la durée du travail est beaucoup plus créatrice d'emplois que ne l'est l'approche de la baisse des charges que privilégie systématiquement l'opposition."
Ce qui me paraît quand même très efficace quand on regarde les chiffres, c'est ce qui se passe notamment aux Etats-Unis où ce n'est pas simplement une baisse des charges, c'est une baisse de la fiscalité pour les individus, on arrive quand même à des chiffres qui doivent vous impressionner ou vous faire envie : un taux de chômage de 4,7 % actuellement aux Etats-Unis, de 5 % en Angleterre, c'est-à-dire 1,5 million de chômeurs de moins qu'en 92, et pour le 22ème mois consécutif une baisse du chômage. Ne pensez-vous pas que ce sont ces pays qui ont pris la bonne direction ? en disant : on baisse massivement les impôts et donc on relance la consommation.
- "Je ne propose pas d'augmenter les impôts justement, je viens d'argumenter sur ce terrain, vous le savez. Pour la Grande-Bretagne, moi je suis un esprit simple, j'ai du mal à comprendre pourquoi cette politique mirifique qu'on nous propose, avec ces chiffres du chômage - sur lesquels je dirai un mot - a été balayée comme jamais un gouvernement conservateur ne l'avait été en Grande-Bretagne depuis 150 ans."
Mais en même temps T. Blair rend hommage à M. Thatcher.
- "Oui, mais il a quand même été élu pour mener une autre politique me semble-t-il. Et je crois qu'il mènera une autre politique. Il faut savoir que la situation en Grande-Bretagne est extrêmement différente de la nôtre du point de vue de la comptabilisation des chômeurs. C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre d'hommes, de femmes et de jeunes en Grande-Bretagne qui ne sont pas considérés comme chômeurs tout simplement parce qu'ils sont découragés de venir sur le marché du travail. Ils ne viennent plus sur le marché du travail. Et des chiffres récents qui ont été sortis sur la Grande-Bretagne disent : officiellement il y a moins de chômeurs, mais dans la réalité des revenus et des situations de détresse, la situation est beaucoup plus grave en Grande-Bretagne qu'elle ne l'est en France. Quant aux Etats-Unis, ils ont aussi le dynamisme de la première puissance mondiale. Ce qui est valable pour la première puissance mondiale n'est pas forcément tout à fait transposable pour un pays important comme la France, mais qui n'a pas quand même la même puissance et la même densité."
Avec peut-être plus de flexibilité dans la législation ? Peut-être que la nôtre est trop contraignante, même si ça part d'une bonne intention ?
- "Moi je ne suis pas contre une certaine souplesse dans la législation à condition que ça fasse l'objet de discussions contractuelles entre les patrons et les syndicats, et que chacun y trouve son compte. Si c'est simplement pour faire de la régression sociale, que ça ne provoque pas d'emplois, que ça ne provoque pas de progrès, je comprends que les syndicats soient réticents. Donc je ne crois pas que ce soit dans cette voie qu'il faille chercher, et en tout cas ce n'est pas le message que nous adressent les chômeurs."
Il y a une autre solution, celle que préconise aujourd'hui la Confédération syndicale des familles qui dit : pourquoi ne pas lancer un grand emprunt de solidarité pour les 60 milliards que vous cherchez ? Il y a bien eu un emprunt Balladur sur toute autre chose, pourquoi il n'y aurait pas un emprunt Jospin sur ce sujet-là ?
- "A terme, nous verrons. A tel ou tel moment, rien ne peut être exclu, rien n'est impossible. Simplement, ce que je voudrais vous dire c'est que la dette de l'Etat aujourd'hui, en raison des déficits budgétaires accumulés - parce quand on a un déficit budgétaire de plus de 3 % - ce qui était le cas : nous l'avons ramené à peu près à 3 % - et que cela s'accumule chaque année - cela veut dire que, pour payer ce déficit, puisqu'il y moins de recettes que de dépenses, il faut emprunter, il faut s'endetter. La dette actuelle de l'Etat, le service de la dette représente actuellement près de 15 % du total des recettes de l'Etat, près de 15 %. Le budget de la défense est à 15 %, le budget de l'Education nationale et de la recherche est à 23 %. C'est-à-dire que si on ne contrôle pas notre déficit budgétaire - et j'en ai parlé justement à propos de ces 70 milliards que représenterait l'augmentation de 1 500 francs pour tous des minima sociaux - si on ne contrôle pas ce déficit budgétaire, on fait plus de dettes. Si on fait plus de dettes, cela veut dire qu'ensuite les moyens de l'Etat ne peuvent plus être concentrés sur l'éducation, sur le social, sur le logement, sur la recherche, sur les routes, mais simplement sur le remboursement de la dette.
Ce n'est pas du tout parce que nous voulons faire la construction européenne et que nous voulons faire l'euro que nous menons la politique d'aujourd'hui, c'est simplement parce que nous ne pouvons pas dépasser un certain niveau d'endettement. Au-delà de 3 % de déficit budgétaire, on crée de la dette supplémentaire. Nous avons la chance que les taux d'intérêt aient baissé ; nous avons la chance qu'il y ait une reprise économique en France et en Europe, c'est sur ce terrain qu'il faut aller. Moi, je n'oppose pas l'Europe à la lutte pour l'emploi puisqu'au contraire, je me suis battu, depuis que je suis à la tête du Gouvernement, pour infléchir l'Europe. J'ai obtenu qu'on fasse désormais chaque année un Sommet pour l'emploi ou on va examiner les politiques d'emploi des pays de l'Europe. J'ai obtenu que l'on mène des politiques de concertation économique et notamment un Conseil de l'euro pour encadrer ce qui se fait sur le plan monétaire par la coordination des politiques économiques des Etats. J'ai obtenu que l'Espagne et l'Italie - que l'on voulait tenir aux portes de l'euro - soient dans l'euro, ce qui assure un euro qui sera un euro compétitif par rapport au dollar."
Pas question de repousser la date ou l'échéance...
- "L'engagement européen... Regardez un pays comme l'Italie, pays que nous admirons pour sa culture, sa création artistique, l'intelligence de ses habitants - ce sont des frères et soeurs un peu pour nous - mais dont on critique, un peu parfois, l'indolence, un certain laxisme économique, l'impossibilité d'accepter des efforts ; mais regardez ! avec qui d'ailleurs ? au coeur de la coalition de gauche, la coalition de l'Olivier, aujourd'hui, l'ancien Parti communiste italien qui accomplit pleinement sa mutation ! Au coeur de cette coalition, ils font un effort formidable pour être dans l'euro. Si les Italiens veulent être dans l'euro, c'est qu'ils comprennent que c'est leur intérêt et que c'est le nôtre."
C'est ce que vous dites à vos amis communistes aussi puisque...
- "Vous l'avez compris comme cela ? Eh bien, c'est peut-être comme cela qu'il fallait le comprendre."
Il y avait une autre solution possible, celle que préconisait P. Mazeaud dans Public, dimanche dernier : c'était de laisser un peu filer l'inflation. Cela vous paraît tout à fait mauvais pour pouvoir relancer la consommation et donc diminuer le chômage ?
- "L'inflation est très faible en ce moment. Elle est à 1 %. Nous l'avons vaincue, c'est aussi pour cela que nos entreprises sont compétitives à l'exportation. Parmi les indices favorables que j'indiquais tout à l'heure et qui devrait nous donner confiance, il y a aussi cet excédent commercial formidable qui témoigne que nos entreprises sont compétitives, agressives à l'exportation et qu'elles ont redressé leur productivité, et donc aussi d'une certaine façon leurs marges et qu'elles ont donc des possibilités. Cette bataille, nous devons la mener, et je pense que si la croissance est plus élevée, il y aura forcément une hausse des prix légère. Mais je ne crois pas que l'on doive jouer la hausse des prix. Je n'en vois pas l'intérêt. Je ne vois pas en quoi provoquer artificiellement des prix aiderait aux facteurs productifs. Il faut simplement faire en sorte que les hommes et les femmes s'orientent massivement vers le travail - et c'est la politique que conduit le Gouvernement. Et en même temps, à partir du moment où il est resté fidèle à ses engagements - et vous pouvez viser ce que j'ai dit dans la campagne, vous pouvez regarder ce que j'ai dit dans ma déclaration de politique générale, à aucun moment, je ne suis en démenti par rapport à cela - ce Gouvernement a besoin, y compris d'avoir un minimum de durée pour réussir."
Vous avez quatre ans devant vous. Si Dieu le veut, si le Président de la République le veut bien, vous avez quatre ans.
- "Je n'en sais rien. Ce que je veux dire de toute façon, c'est que par rapport aux problèmes qui sont posés à des millions de chômeurs ou à des millions de salariés petits et moyens, je ne pense pas honnêtement qu'ils trouveront des solutions du côté de l'opposition conservatrice. Je ne le pense pas. Ils ne l'ont d'ailleurs pas pensé le 1er juin. Donc, il faut qu'ils nous aident à réussir la politique que nous sommes en train de conduire. Il ne faut pas que, d'une certaine façon, ils contribuent à casser un peu ce dynamisme et cette espérance qui est en train de se remettre en marche. Cela me paraît tout à fait important et c'est pourquoi j'ai dit qu'il fallait réaffirmer ce cap. Et ce mouvement, quand même, il pose une question fondamentale, une autre question qui, cette fois-ci, est une question politique : dans une démocratie, dans un pays comme la France, qui est légitime pour fixer la politique du pays, et notamment fixer sa politique économique ?"
Vous dites : le chef du Gouvernement...
- "Non, le peuple. Le peuple, c'est qui ? Ce sont les électeurs au moment des élections. Et ils nous ont donné un mandat. Sur la base de ces décisions, du vote du peuple, il y a une Assemblée nationale, un Sénat, mais notamment une Assemblée nationale, puisqu'au Sénat la majorité ne change jamais. En France, on a toujours un Sénat conservateur."
On pourrait !
- "En changeant le mode de scrutin, un jour, oui. Sinon, je ne vois vraiment pas comment. A aucun moment d'alternance on a vu le Sénat pouvoir passer à gauche. Enfin, je laisse ce problème sur le côté pour ne pas effrayer R. Monory. En tout cas, on a effectivement, ensuite, à l'Assemblée, une majorité qui se dégage et qui prend ses décisions avec le Gouvernement ; qui vote un budget, par exemple. Et puis, qui est légitime pour agir ? Après ce vote des électeurs, dans le cadre des décisions de la majorité, c'est effectivement le Gouvernement. Alors qu'il y ait des expressions, qu'il y ait des mouvements, qu'il y ait des revendications, qu'il y ait des sections, des fractions du peuple qui s'expriment, c'est légitime, là aussi, dans une démocratie. La démocratie n'est pas que politique, elle est aussi sociale. On peut discuter de l'ampleur de ces mouvements, on peut discuter des méthodes qu'utilisent certains - quelques-uns seulement - mais certains. Moi, je trouve légitime les mouvements qui s'expriment, pour autant que leurs méthodes soient aussi respectueuses de nos lois. Et donc je ne critique pas cela. Mais cela ne peut pas être ces personnes qui changent, déterminent ou font la politique d'un grand pays comme la France. Sinon, on s'écarte de ce qu'est la loi, la règle, et le sens même de la démocratie. Ca aussi je voulais le rappeler."
C'est ce que vous allez dire à R. Hue quand vous allez le rencontrer...
- "Non, je ne pense pas que R. Hue... Il me semblait que je l'inscrivais dans la majorité qui agit et travaille au Parlement."
Mais cette majorité plurielle, elle n'est pas un peu cacophonique en ce moment. On entend un jour D. Voynet - ou en tout cas ses amis Verts -, un autre jour les communistes qui vraiment vous trouvent un peu juste sur ce sujet, et qui font le grand écart pour essayer de dire : on le soutient, mais en même temps, on est du côté des chômeurs. Donc vous devez avoir un petit peu de mal...
- "Si cette tentation se poursuivait, je pense qu'elle ne serait pas profitable à ceux qui la conduisent, parce que les Français sont cohérents - les hommes et les femmes qui ont voté pour une majorité de gauche sont cohérents - et souhaitent qu'elle réussisse. Qu'il y ait une diversité d'expressions, non seulement cela ne les choque pas mais même, d'une certaine façon, ils se retrouvent ; parce qu'eux-mêmes, sans doute, étaient divers dans leurs votes. En même temps, ils savent bien qu'un parti principal a défini des orientations qui ont reçu l'onction populaire de la façon la plus nette - et oh combien ! plus nette - qu'il y a un groupe très important, qui est un groupe socialiste à l'Assemblée nationale, et ils sont conscients qu'il ne peut pas y avoir deux orientations dans un gouvernement, mais seulement une orientation. Alors, la "majorité plurielle", a-t-on dit. Oui ! Dans "majorité plurielle", il y a "plurielle". Mais il y a aussi "majorité". Alors peut-être qu'aujourd'hui, il faut insister plus sur "majorité".
On évoquait tout à l'heure Maastricht qui est devenu Amsterdam, après coup. Il va y avoir une ratification de ce Traité d'Amsterdam. Est-ce que vous allez proposer la ratification par la voie parlementaire ou, par la voie du référendum, c'est-à-dire par le peuple ?
- "Maastricht n'est pas devenu Amsterdam."
Je simplifie...
- " Je le dis, parce qu'il ne faudrait pas croire que l'on recommence ! Par le Traité de Maastricht a été notamment décidé le passage à l'euro. Ce passage se fait automatiquement. C'est-à-dire qu'à un moment, les experts de la Commission regardent quels sont les pays qui peuvent être qualifiés pour l'euro."
Cela va être dans quelques mois, d'ailleurs.
- "Cela va être incessamment, au mois de mai. Et il faut déjà s'y préparer. Il n'y a plus de décision à prendre. Le peuple français a déjà tranché, et en plus par référendum, sur cette question. Il faut simplement préparer le passage à l'euro. Et de ce point de vue, je voudrais insister sur un point : on dit parfois : "c'est à cause de l'euro, du critère des 3 %, du déficit public. Il faudrait qu'on ne se donnerait pas les marges que l'on pourrait se donner". Je crois que cela n'est pas juste. Regardez : la Grande-Bretagne ne va pas faire l'euro tout de suite, le Danemark non plus, la Suède non plus. Vous regardez leurs déficits publics : ils les maintiennent à l'intérieur, et même en dessous des 3 %."
Vous n'avez pas répondu à ma question sur Amsterdam.
- "Je réponds sur des questions tout à fait importantes. Sur Amsterdam, c'est une autre question. Amsterdam, c'est quoi ? en dehors de ce que nous y avons apporté, nous : un Conseil de l'euro, permettant de coordonner les politiques économiques à partir du moment où l'on aura une monnaie unique. Les sommets sur l'Emploi et la réorientation de l'Europe dans le sens de la croissance et de l'emploi, qui est l'apport spécifique des socialistes. Mais je précise que c'est ensemble que le Président de la République - chef de la délégation dans les sommets, les conseils européens - et le Premier ministre que je suis, et les ministres, avons présenté ces dossiers français et les avons fait accepter à Amsterdam. Sinon, pour le reste, Amsterdam, c'est quoi ? C'était une tentative imparfaitement réussie, il faut bien le dire, mais une tentative - négociée par le précédent gouvernement, dont j'ai hérité dans les derniers jours, au moment où tout était fait, quelques jours après le 1er juin - de réformer les institutions de l'Union européenne avant de passer à l'élargissement."
Vous êtes le Premier ministre de la France.
- "Oui, mais le Président de la République et moi-même pensons, je ne veux pas parler en son nom, mais nous avons dit nous-mêmes qu'il faudrait revoir le mécanisme de décision de l'Europe, réformer les institutions européennes, avant de passer d'une Europe à quinze à une Europe à vingt, vingt-deux ou vingt-cinq. Ca veut dire qu'il y a un travail à faire."
Pour la ratification, plutôt le Parlement ou plutôt le peuple ?
- "La question de savoir si, pour la ratification, l'on recourt au référendum ou on recourt au Congrès - c'est-à-dire la réunion des deux chambres, Sénat, Assemblée nationale qui doivent voter cette ratification à une majorité des trois-cinquièmes. Cette décision appartient exclusivement au Président de la République, je ne vais donc pas m'arroger ses prérogatives."
Sur proposition du Premier ministre ?
- Non."
C'est ce que dit l'article 89 de la Constitution.
- "Non. Je voudrais pas vous prendre en flagrant délit de lecture un peu inexacte de l'article 89 de la Constitution. Vous m'avez interrogé sur la deuxième partie de cet article, sur le second alinéa qui est de savoir si on recourt au référendum - ce qui est la voie normale - ou bien si on préfère demander aux deux assemblées de se prononcer. Cette décision-là relève exclusivement du Président de la République, il n'a pas besoin d'une proposition du Premier ministre. Ce qui nécessite une proposition du Premier ministre c'est ce qu'on appelle le droit d'initiative du Président - que les parlementaires peuvent prendre aussi - qui décide de proposer un projet de loi de ratification devant l'Assemblée ou devant le Sénat. Donc, si le Président de la République, quand le Président de la République - je ne dis pas "si", je sais que ce sera "quand" - me dira qu'il veut prendre cette initiative je lui ferai la proposition nécessaire."
Vous avez un avis quand même sur la chose, d'ores et déjà, mais vous ne nous le livrerez pas maintenant, vous lui direz à lui ?
- "Je pense que nous aurons à ratifier le Traité d'Amsterdam. Mais dès que nous l'aurons ratifié je pense qu'il y aura un sérieux travail à faire pour un nouveau traité qui donnera un vrai dispositif décisionnel à l'Union européenne avant l'élargissement. Heureusement l'élargissement ne va pas se faire tout de suite. Les pays de l'Est de l'Europe ou du centre de l'Europe ne vont pas nous rejoindre avant plusieurs années, donc on a le temps. Mais ce travail, il faudra le faire."
Ca se passe bien entre vous et lui ?
- "Vous le savez !"
Ecoutez-vous ses avis, puisqu'il ne se prive pas de les donner. De temps en temps suivez-vous quelques uns de ses avis ?
- "Il donne des avis, et moi je n'ai pas à en donner sur son action, ni à faire de commentaires. Je travaille en entendant ses avis."
Est-ce que vous avez l'impression d'avoir abandonné les illusions passées ? Est-ce que vous rêvez de passer ce cap de l'an 2000 avec un nouveau projet ? "Rebondir" comme disait tout à l'heure le directeur du Monde ? Avez-vous envie de vous atteler à un rêve ? Peut-être que vous pourriez proposer un grand projet pour la France ?
- "Je crois que nous sommes en marche si nous sommes capables de faire reculer le chômage qui frappe nos sociétés comme une malédiction depuis 20 ans. Est-ce que ce n'est pas un gigantesque projet pour la France ? Si nous sommes capables de faire passer la France, tout en gardant sa culture, sa spécificité, son identité, dans le monde ouvert de la modernisation des techniques - regardez l'effort que fait le Gouvernement - il n'est pas le seul - pour la société de l'information, pour les nouvelles technologies, pour Internet. Regardez l'effort que fait le ministre C. Allègre, D. Strauss-Kahn sur les problèmes de la recherche et de l'innovation - , si nous sommes capables de réduire les tensions dans notre pays, de faire comprendre que l'efficacité économique ne s'oppose pas à la justice sociale, qu'on peut rapprocher, que certains doivent faire plus d'efforts que d'autres ; par exemple, dans le budget de 1998 nous avons rééquilibré ce que payaient les détenteurs de capitaux et ce que payaient les salariés. Le basculement des cotisations sociales maladie sur la CSG fait que pour la première fois les détenteurs de capitaux ont payé la CSG. Nous avons rééquilibré 25 milliards de cette façon, c'est-à-dire plus du double de ce que rapporte l'impôt sur la fortune."
Vous parlez en comptable, là. Je vous posais la question d'un idéal.
- "Je n'oppose pas la raison et le coeur. Je n'oppose pas la détresse et les chiffres, parce que certains chiffres sont porteurs de détresse ou d'espoir. S'il y a 50 000 chômeurs de plus, cela s'appelle une comptabilité et ça signifie 50 000 hommes, femmes ou jeunes, qui plongent dans le désespoir, ou en tout cas, dans l'insécurité. Si je crée 40 000 emplois-jeunes, comme ça vient d'être créé, si nous en créons 150 000 en tout d'ici 1998, c'est une comptabilité, et en même temps, elle signifie insertion, espoir, dignité retrouvée, dynamisme, confiance pour la jeunesse."
L'insécurité est un sujet qui passionne les Français, donc nos téléspectateurs. Le Président de la République a réuni une table ronde la semaine dernière avec 12 maires de villes sensibles. Votre ministre de l'Intérieur a fait de même en début de semaine. Avez-vous l'impression que les gens se sentent vraiment suffisamment pris en compte dans ces petites agressions qu'on appelle la violence urbaine mais qui finissent par pourrir la vie ? S'occupe-t-on suffisamment d'eux ?
- "L'insécurité doit être combattue. La sécurité, la sûreté, c'est un droit essentiel. C'est même peut-être le premier droit de l'homme, le premier droit du citoyen. C'est au coeur de notre action. Vous vous souvenez de ce colloque que nous avons fait à Villepinte à l'initiative du ministre de l'Intérieur, J.-P. Chevènement ? Il vient de réunir avec E. Guigou plusieurs ministres, J.-C. Gayssot, C. Allègre et S. Royal, à la fois des préfets, des procureurs, des responsables administratifs de différents secteurs. Cette insécurité, nous l'abordons sous l'angle policier. C'est normal : il faut de la prévention, de la sécurisation des quartiers. Il faut aussi de la répression. Il faut rappeler qu'il y a des lois, qu'il y a des règles, des normes, qu'elles doivent être respectées, même si des situations de malaise social, même si des situations de crise urbaine peuvent naturellement créer des tensions ou des tentations individuelles."
Faut-il des sanctions-réparations ?
- "Oui, mais c'est une démarche que l'on doit particulièrement utiliser pour ce qu'on appelle la délinquance juvénile qui est un problème dont la gravité s'est accrue. Ce qui est important dans la démarche du Gouvernement, c'est que, certes, il a une démarche sécuritaire - je veux dire, menée par les forces de sécurité et par le ministre de l'Intérieur. Mais le ministre des Transports J.-C. Gayssot, le ministre de la Jeunesse et des Sports M.-G. Buffet, le ministre de l'Education nationale et sa ministre déléguée C. Allègre et S. Royal, le ministre de la Justice et Garde des Sceaux E. Guigou, M. Aubry ministre de l'Emploi et de la Solidarité, tous conjuguent leurs efforts pour que sur tous les plans où l'on aborde les problèmes de la sécurité - au collège, au lycée, dans le quartier, dans le bus, dans le métro - cette concentration d'efforts nous permettra d'avancer."
Dans les sanctions possibles à destination des parents, est-ce que la mise sous tutelle des allocations familiales, ça vous paraît une bonne chose ?
- "Je ne veux pas improviser sur ce sujet. Honnêtement, ce que je pense c'est que de toute façon, on doit opérer une responsabilisation des parents. Les jeunes enfants doivent être sous l'autorité, sous le contrôle des parents, et je pense qu'il faudra progressivement insister sur cette responsabilisation. Mais moi, ce qui me paraît important, c'est plusieurs choses, d'abord concentrer les moyens des différentes administrations et des différents services de l'Etat. Deuxièmement, travailler avec les collectivités locales. C'est pourquoi J.-P. Chevènement a proposé des contrats locaux de sécurité. Troisièmement, concentrer les moyens sur les départements ou les zones urbaines qui sont les plus difficiles et les plus soumises à la violence urbaine. C'est ce que nous sommes en train de faire. Il y a une mission qui a été confiée à un parlementaire de l'opposition et à un parlementaire de la majorité - vous voyez comme nous essayons d'aborder ces problèmes de façon non partisane - qui doivent faire des propositions pour la réorientation d'une partie des effectifs de la gendarmerie et de la police nationale vers ces quartiers en difficulté. Et, il faut par ailleurs concentrer les nouveaux emplois parce qu'il y a des emplois-jeunes qui sont des adjoints de sécurité. Ils seront mis dans ces quartiers particuliers. Je pense que cet effet de concentration là aussi sera utile.
Et puis, moi je discute sur le terrain parce que, un élu national mais aussi local, est aussi confronté au problème du chômage que ne le sont certaines associations de chômeurs, même si je respecte tout à fait leur engagement et leur action. Et il est constamment confronté à ces problèmes de sécurité ou d'insécurité. Moi je discute avec notamment ces responsables à Toulouse. Je suis convaincu que dans les quartiers, si on est capable d'approcher ça de façon humaine, mais en même temps de façon ferme, en essayant d'identifier pourquoi il y a des problèmes, quels sont à tel ou tel endroit les dix, vingt, trente parfois, garçons ou filles - plus souvent garçons, il faut bien le dire - qui posent problème, si on cible sur ces problèmes, si on essaye de leur apporter des réponses, mais si on leur rappelle aussi la fermeté de la loi, je suis convaincu qu'on peut faire reculer l'insécurité. Nous allons faire reculer l'insécurité dans ce pays."
Puisqu'on parle d'élus, d'abord sur le statut d'élus et surtout le cumul des mandats, finalement, quand est-ce que ça va venir ? C'est votre cheval de bataille, mais visiblement ça renâcle beaucoup.
- "Il est possible que ça renâcle un peu. Mais moi je reste attaché à ce projet. Je devais en parler cette semaine, pourquoi je ne l'ai pas fait ? Parce que, aborder les problèmes de la réduction du cumul des mandats, même si c'est une question politique et un problème de démocratie et d'efficacité tout à fait important..."
Ca paraît un peu politicien.
- "Exactement - j'allais employer le terme - ça paraîtrait aujourd'hui comme politicien. J'en parlerai un peu plus tard, mais ma volonté reste entière."
A combien de présidences de région gagnées considérerez-vous que vous avez progressé ou gagné les régionales ?
- "Nous en avons une en métropole, deux si on considère la majorité plurielle, je crois qu'il faut progresser de plusieurs unités. Ces élections vont venir. Elles sont importantes. Mais aujourd'hui, moi comme chef du Gouvernement - d'autant que je ne suis pas candidat ; et j'ai, au contraire, démissionné du Conseil régional pour ne garder qu'un mandat d'élu local parce que je veux être au contact du terrain et de mes concitoyens et de mes concitoyennes - vous savez, je suis concentré sur les problèmes de la bataille pour l'emploi. Je pense que si cette crise larvée qui se poursuit avec des occupations - c'est vrai relativement réduites ; il faut bien le dire : chômage de masse mais pas mouvement de masse..."
...Mais très populaire, un véritable écho dans l'opinion.
- "Mais comment cela ne ferait-il pas un écho dans l'opinion alors que ça renvoie à une situation de chômage qui touche plus de trois millions de personnes et à des situations de détresse qui vont même au-delà ? C'est absolument normal ! Dans toute famille il y a ces situations, y compris d'ailleurs dans la mienne. Donc personne ne peut ignorer ces situations de chômage. Mais je dis : si cette crise secoue chacun dans le pays, tous ceux qui ont des responsabilités - je n'ai pas parlé des partenaires sociaux mais il y a tout le problème quand même de l'assurance-chômage et de l'Unedic qui assurent bien..."
Cogérés par les partenaires sociaux.
- "Gérés par les partenaires sociaux - mais je ne veux pas me mêler de leur gestion - qui assurent bien, mais un nombre décroissant quand même de chômeurs. Et c'est pourquoi on a l'allocation spécifique de solidarité et cette chute dans une relative précarité. Si donc cette crise secoue chacun, et nous fait prendre plus en compte les chômeurs dans chacune de nos décisions, y compris pour les citoyens, alors je pense que cette crise sera salutaire. Si au contraire, la France se contentait de contempler avec fascination, avec inquiétude et avec culpabilité, ces chômeurs en paralysant son dynamisme, sa volonté d'avancer, au moment où la chance est en train de revenir pour nous, alors je pense que ce serait un moment négatif pour la France. Mais c'est indiscutablement la première hypothèse que je favorise. En tout cas, c'est de cette façon que je continuerai, pas simplement à parler aux Français quand vous m'inviterez, mais à agir. Parce que le fondement même de mon rôle, c'est l'action. Moi, je sais que je ne fais que passer. Je sais que je suis un citoyen issu du peuple, dont c'est la légitimité, qui est venu aux responsabilités, qui les assume l'esprit tranquille, en accord avec lui-même. Les palais nationaux, pour moi, ça n'a pas d'importance, j'en sortirai. Simplement, ce que je veux, dans l'intervalle, c'est faire avancer mon pays."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 janvier 2002)
P. Secq (38 ans, chômeur depuis un an) : Je pensais que, suite aux élections, la première chose qui aurait été faite c'est de s'attaquer au problème principal des Français qui est le chômage. Aujourd'hui, cela fait huit mois qu'il y a eu des élections, on n'a rien eu. Il a fallu qu'il y ait ce mouvement-là pour que l'on parle vraiment du fond du problème. Mais sinon, pour l'instant, on n'a rien vu. Les vrais problèmes des Français aujourd'hui, c'est d'avoir du travail, un salaire et puis de pouvoir en vivre. C'est le seul moyen que l'on ait aujourd'hui pour avoir la paix sociale. S'il dit, voilà 1 500 francs pour relever les minima sociaux, il ne va rien régler ! Il faut bien qu'il se rentre cela dans le crâne. Il ne va rien régler, rien ! C'est bien, si, ce soir, il dit : voilà, relèvement de 1 500 francs des minimaux sociaux. Mais il ne va rien régler. Il faut faire une refonte complète des Assedic. Des Assedic ont été créées pour 200 000, ce n'est pas la même chose que pour gérer des millions de gens ! Et puis, on remet tout à plat, on essaye de refaire quelque chose de concret. Parce que cela vient du surréalisme ! J'ai vu des gens qui touchent 2, 34 francs par jour et qui ne peuvent pas toucher le RMI parce qu'ils sont encore aux Assedic !
J.-M. Sevré (50 ans, chômeurs de longue durée) : "La cinquantaine, ce n'est pas quelque chose qui est très favorable pour retrouver un emploi. On me l'a dit bien avant que je n'aie la cinquantaine. Je l'ai perçu avant. Malheureusement, les choses sont faites de telle façon que lorsque l'on voit des offres, des annonces dans les entreprises, il y a des créneaux d'âge qui sont définis, et cela tourne autour de 25, 30, 40 ans. Mais il n'y a jamais personne qui recherche des gens qui ont la cinquantaine. Les Assedic nous donnent 3 000 francs par mois."
Question : Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
J.-M. Sevré : "C'est une indemnité. Je pense que c'est le terme qui convient. Ce n'est pas quelque chose qui permette de vivre. C'est dérisoire. Demain, on nous avait déjà promis des demains pour hier, et puis, est-ce que c'est demain ou après-demain ? A vrai dire je ne sais plus trop pour l'instant, moi."
P. Poivre d'Arvor : Voici deux réactions. Il pourrait y en avoir bien d'autres. Quand on est Premier ministre, et qui plus est de gauche, s'entendre ainsi interpeller sur un sujet aussi douloureux, est-ce que ce n'est pas, au fond, la situation la plus difficile, la plus redoutée ?
- "Comment ne serais-je pas interpellé à partir du moment où il y a cette situation de chômage, cette situation de détresse qui se sont accumulées à travers le temps ? Et en même temps, comment ne dirais-je pas qu'étant, c'est vrai, un homme de gauche quand je plonge dans mes racines, ma famille, l'engagement de toute ma vie, ce Gouvernement est aux côtés des chômeurs. En tout cas, c'est un Gouvernement qui travaille pour les chômeurs."
Est-ce que vous l'avez senti monter, ce mouvement, qui a commencé un peu avant Noël, il y a un mois et demi ?. Autour de vous des gens disaient qu'ils n'étaient pas très nombreux, manipulés, politisés.
- "Jamais, je n'ai employé ces termes. Vous le savez. Le mouvement est resté à peu près constant à la fois dans sa quantité et dans ses composantes. Mais est-ce l'importance ? Ce qui est important n'est-ce pas ce qui le révèle, quelles que soient les formes de l'action ou l'importance de l'action ? A savoir la situation de chômage. Moi, je dis face à ces chômeurs ou face à d'autres chômeurs, on ne dit pas : non. On dit tout n'est pas possible tout de suite, mais on dit, en même temps, on va avancer. C'est une question de respect pour eux. C'est une question de dignité qu'ils méritent de voir reconnue. Hier, simplement, j'ai dit à l'Assemblée nationale qu'il fallait maintenir le cap qui était le nôtre ; parce que, justement, le cap qui est le nôtre, c'est de mettre centralement la politique économique du Gouvernement sur l'emploi contre le chômage."
Mais les gens ne voient pas descendre le chômage pour l'instant. Donc, ils disent le cap peut-être, mais il n'est pas bon !
- "D'abord, depuis plusieurs mois, le chômage est stabilisé. Je pense que nous allons de faire reculer. Pourquoi nous allons le faire reculer ? Parce qu'il y a la croissance, qu'elle va être plus forte en 1998, que cela créera des emplois ; parce que nous avons décidé immédiatement de mener une politique volontariste de créations d'emplois. Les 40 000 emplois-jeunes qui ont été installés en quelques mois dans l'Education nationale, dans les tâches de sécurité ou dans d'autres tâches, c'est 40 000 jeunes qui viennent d'échapper à une situation possible de chômage. Et sur l'année 1998, nous arriverons au chiffre de 150 000 parce que nous avons décidé d'utiliser, d'explorer la piste de la diminution du temps de travail. Il y a trois études qui viennent de sortir - une de la Banque de France, une d'un institut économique parmi les plus reconnus, l'OFCE, une de la direction de la prévision du ministère de l'Economie et des Finances - qui disent que la réduction du temps de travail peut créer des emplois, va créer des emplois. En outre, on se bat en Europe pour infléchir les priorités de l'Europe, et donc, on va faire reculer le chômage. C'est en faisant reculer le chômage qu'on va faire reculer l'exclusion, qu'on va faire reculer la détresse. Cela doit être l'axe essentiel. Cela doit être le cap."
Avant d'explorer le cap et les pistes que vous proposez, quand même deux doigts de politique. Pour vous, il n'y a pas de manipulation, ni du PCF, ni de la CGT derrière tout cela ? Ce sont des partenaires loyaux dans cette affaire ?
- "Je ne m'occupe pas de cela. Si vous voulez on pourra parler de la majorité plus tard. Ce qui est important surtout, c'est de prendre en compte la situation telle qu'elle est créée actuellement et c'est d'y apporter des réponses. J'ai dit que nous devions maintenir le cap qui était le nôtre : à savoir la recherche de la croissance qui était la plus forte, en utilisant les outils dont j'ai parlé sur lesquels nous reviendrons ; et en même temps, il faut réagir en urgence. Il n'y a pas une logique de la détresse et une logique de l'économie. Moi, je pense que les deux doivent être absolument conciliées. La politique économique que l'on doit mener, et que l'on mène, doit être faite pour faire reculer le chômage et donc, faire reculer l'exclusion et la détresse."
Je vais vous poser la question différemment. Je ne vais pas vous parler de votre majorité plurielle. Mais est-ce que vous ne trouvez pas, à deux ou trois petits exemples - comme le fait qu'une fondatrice historique d'Action directe qui, hier, entre avec une centaine de chômeurs dans un restaurant de luxe, ou les déclarations de D. Cohn-Bendit qui se rappelle un peu aux Français, hier soir - vous ne trouvez pas qu'il y a un petit parfum pré-Mai 68 ou pré-révolutionnaire ? Vous ne pensez pas qu'il y a là quelque chose qui paraît représenter quelque chose d'infiniment plus grave que ces dizaines de milliers de gens au maximum ?
- "P. Poivre d'Arvor, c'est aux observateurs, c'est aux journalistes de dire la réalité telle qu'ils la voient, de décrire le mouvement tel qu'ils le sentent. Moi, je ne peux pas me laisser placer sur ce terrain, parce que ce sera un terrain qui sera ressenti immédiatement comme politicien, et je ne veux pas me situer sur ce plan. Donc, essayons de parler de la façon dont on peut répondre à ces questions. Et puis, pour le reste, que les observateurs fassent leur travail, mais qu'ils le fassent de façon aiguë et objective."
A. Bocquet disait : entre zéro franc et 1500 francs, il y a une marge. Est-ce que vous allez lui donner du grain à moudre, ou est-ce que, surtout, vous allez donner l'espoir à ceux qui nous écoutent actuellement, en proposant un relèvement de l'un de ces minima sociaux ?
- "C'est vrai qu'il y a une situation qui implique que l'on réponde au problème. J'ai dit hier, à l'Assemblée nationale, qu'on ne pouvait pas augmenter l'ensemble des minima sociaux, qui concernent 3 400 000 personnes, de 1 500 francs ; parce qu'on arriverait à une enveloppe qui dépasserait, je crois, 70 milliards ; qu'il faudrait, soit accepter un déficit supplémentaire des dépenses publiques, du budget, de 70 milliards ; or nous ne sommes pas à l'équilibre, nous avons déjà un déficit de 247 ou 248 milliards. Ou bien alors, si on ne voulait pas de déficit, il faudrait prélever 70 milliards de plus d'impôts sur les Français. Un certain nombre, parfois de chômeurs, plus souvent de petits groupes, m'interpellent, moi, en disant : "Jospin tu es sourd", "Jospin pourquoi tu refuses de donner des milliards ?" Comme si ces milliards étaient à moi, comme s'il s'agissait de mon argent..."
Mais vous ne jouez pas les Français contre les chômeurs ?
- "Non. Les chômeurs sont des Français, ils font partie de cette collectivité. Ce que je veux dire tout simplement, c'est que : pourquoi refuserais-je de donner un argent qui n'est pas le mien ? Ces milliards de francs dont on parle, ils sont le produit du travail national, de la richesse nationale, des impôts des Français. Donc le problème n'est pas une interpellation qui vient vers moi. J'ai un devoir de vérité, de responsabilité. Et la tâche du Gouvernement est de faire des choix par rapport aux ressources publiques disponibles. Et le choix principal que je fais, c'est de mettre l'argent sur l'emploi, et non pas de mettre l'argent sur l'assistance - même si on doit faire un effort de solidarité."
Donc pas d'augmentation du RMI, par exemple, mais en ce qui concerne l'ASS, pourriez-vous faire un effort ?
- "D'abord on a réagi immédiatement. Ce Gouvernement n'est pas resté indifférent ou autiste face à ce mouvement. Il a immédiatement noué des contacts et des dialogues qui ont eu lieu au niveau du ministère de Madame M. Aubry. J'ai reçu - pour la première fois un Premier ministre dans ce pays - des associations de chômeurs."
Donc vous les légitimez d'une certaine façon ?
- "Mon problème n'est pas de les légitimer. A partir du moment où il y a un mouvement, et quoi que représentent ces associations dans ce mouvement, et quoi que représente ce mouvement par rapport au chômage de masse - parce qu'il n'y a pas eu un mouvement de masse mais il y a un chômage de masse - je dois marquer le geste qui est celui d'une reconnaissance. Et effectivement, j'ai reçu des associations de chômeurs alors que des organisations représentatives, syndicales trouvaient que c'était un problème. Je l'ai fait parce qu'il fallait le faire. Nous avons dégagé immédiatement un fonds d'urgence d'un milliard de franc et mis en place des missions d'urgence. Et j'ai demandé à Madame Join-Lambert de faire un travail qui est d'une double nature. D'abord, voir comment ce fonds est utilisé, mis en place par les préfets et les collectivités sur le terrain ; ensuite veiller à impulser en quelque sorte ces missions d'urgence. Et puis elle a une deuxième mission qui est de faire l'examen de ces minima sociaux, du rapport entre l'assurance-chômage - dont parlait un chômeur tout à l'heure - qui indemnise les chômeurs sur la base de cotisations qui sont venues des entreprises ou des salariés eux-mêmes, mais dont les allocations, allocations uniques dégressives, s'arrêtent au bout d'un certain moment ; d'abord dégrèvent rapidement et à un certain moment s'arrêtent. Et c'est là, à mon sens, que se situe le lieu de la rupture : on passe d'un système où on reçoit des allocations de chômage, relativement correctes si l'on peut dire, cela dépend aussi des revenus, à un système..."
A un système zéro.
- "Pas zéro. A ce moment là, c'est l'Etat, c'est le Gouvernement qui reprend, en quelque sorte dans un filet, ceux qui sont là, mais avec une allocation spécifique de solidarité qui est beaucoup plus faible. Et ce moment de la rupture, il va falloir l'examiner. J'ai demandé à Madame Join-Lambert de travailler sur l'examen de ce qui ne fonctionne pas dans notre système de solidarité, et notamment des rapports entre le système d'assurance-chômage et le système de solidarité assuré par l'Etat, c'est-à-dire au fond par la solidarité des Français ; et d'autre part, de proposer des réformes pour mieux aider ceux, et notamment les chômeurs de longue durée, qui sont dans des situations difficiles, et qui vont de situation de détresse en situation de détresse. Madame Join-Lambert doit me rendre les conclusions de son travail et elle a rencontré des associations de chômeurs pour les écouter au mois de mars. Dans cette perspective, moi, je prends cinq engagements. Le premier c'est que je ne laisserai pas les minima sociaux dériver. Il n'est pas normal qu'un certain nombre de minima sociaux, et en tout cas l'allocation spécifique de solidarité pour les chômeurs en fin de droits, n'aient pas suivi le rythme de la hausse des prix. Il faudra que ces minima sociaux soient indexés sur le cours de la vie."
Un peu comme pour le Smic ?
- "Oui par exemple. Deuxième engagement : je ferai en sorte que le rattrapage de l'ASS, qui n'avait pas été revalorisée par le précédent gouvernement depuis 1994, que nous avons amorcé, se fasse intégralement."
Donc rétroactivement.
- "Et donc aussi, rétroactivement. D'ailleurs les premières mesures que nous avons prises sont rétroactives. Je ferai en sorte aussi qu'au-delà de ce rattrapage, un effort supplémentaire soit fait en faveur des chômeurs de longue durée qui sont dans les situations les plus difficiles, ou éventuellement des jeunes. C'est-à-dire qu'il va falloir que, grâce au travail de Madame Join-Lambert et au travail avec les associations, nous ciblions bien les situations les plus difficiles. Et pour ces cas-là, il faudra faire un effort supplémentaire au-delà du rattrapage, c'est-à-dire un accroissement. Il faut, quatrième engagement, favoriser le passage des situations d'assistance et d'allocations vers l'emploi. Il faut, et Madame Aubry a commencé, que le nombre des CES réservés aux chômeurs de longue durée soit accru. Et il faut en outre que, lorsque des hommes ou des femmes qui sont en situation d'allocation, trouvent un travail notamment des CES mais éventuellement d'autre travail, puissent garder - ces personnes - transitoirement un certain nombre des avantages liés aux allocations anciennes de façon à ce que le passage de la situation d'assisté ou d'aides... bien que les chômeurs ne demandent pas à être assistés mais ils demandent des droits et du travail et c'est l'essentiel de l'action que nous pouvons conduire. Eh bien je ne veux pas du tout opposer ceux qui sont dans une situation d'assistance ou de solidarité et ceux qui travaillent, je veux les aider à aller vers le travail. Parce que, fondamentalement, je veux une société du travail et pas une société d'assistance. Et enfin, dernier engagement, le projet de loi contre les exclusions que nous allons présenter au Parlement dans les mois qui viennent..."
Dans les mois ou les semaines ?
- "Il y a les 35 heures. Dans les mois qui viennent, une fois que le travail aura été terminé, ce projet de loi contre les exclusions sera doté des moyens nécessaires pour que sa mise en oeuvre soit efficace et effective, que cela concerne le droit au logement, le droit à la santé, aux soins pour tous, que ça concerne l'égalité devant l'école et tout ce qui entoure notamment l'école - vous savez le travail qu'on a fait sur les cantines pour ceux qui ne pouvaient pas s'y nourrir ! - ou que ça concerne aussi le droit à la culture parce que ces personnes ont le droit aussi à l'accès à la culture. Voilà les engagements que je prends, le cap est fixé, je l'ai redit. Car casser la croissance qui reprend, casser la dynamique et la confiance que nous sommes en train de créer, serait quelque chose de contre-productif qui se retournerait contre l'aspiration des chômeurs. Mais en même temps, il y a des ouvertures que je fais ; et ce travail, nous allons l'accomplir dans les semaines qui viennent."
Vous avez chiffré ce que sera l'enveloppe globale ?
- "Laissons Madame Join-Lambert faire son diagnostic, faire son travail, le faire avec ceux qui sont concernés ; et à ce moment-là, le Gouvernement prendra ses responsabilités et fera ses annonces."
Est-ce que vous pensez que tout cela va quand même donner envie aux gens de travailler, même à bas prix - le Smic est à peu près de l'ordre de 5 240 francs net - et notamment à ceux qui se retrouvent avec des demi-Smic, c'est-à-dire des temps partiels ? Là, on se retrouve pratiquement dans des situations qui sont très équivalentes.
- "Mais c'est pourquoi j'ai dit notamment que l'on ne pouvait pas monter les minima sociaux. Cela n'est pas un problème par rapport à une personne - un homme ou une femme en particulier : face à un homme ou une femme qui a 2 300 francs d'allocation. A la limite, cela ne se discute même pas, on dit : mais oui, il faudrait augmenter massivement. Mais si les masses concernées, le nombre d'hommes et de femmes concernés fait un coût de 70 milliards qui bouleverse notre politique économique, qui casse l'élan dans lequel nous sommes entrés, tout cela se retournera. Donc nous disons : il faut faire un effort, il faut répondre aux situations d'urgence. On l'a fait : la question des coupures d'électricité, la question des coupures de gaz, d'eau, la question des expulsions de logement - lorsqu'on sortira de la période de l'hiver pendant laquelle on ne peut pas l'expulser -, nous avons décidé de l'aborder avec une vision qui n'est pas simplement une vision comptable, d'ordre public, mais une vision de prévention et une vision sociale... Mais effectivement, si les minima sociaux - indépendamment du coût budgétaire impossible à supporter - augmentaient trop fortement, c'est effectivement toutes les relations sociales et les relations salariales et les relations au travail qui seraient bouleversées. Nous ne pouvons pas le faire.
Et donc l'axe essentiel, je le redis, c'est l'emploi : 150 000 emplois-jeunes créés en 1998 ; la durée du travail. Et là, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Le Gouvernement prend ses responsabilités, mais cet effort de solidarité doit être fait par tous. Il doit être fait par les entreprises, par exemple. Moi, mon rôle, dans le pays, n'est pas de charger tel ou tel organisme ou tel ou tel secteur. Les entreprises, elles doivent se battre dans la bataille économique - je le sais -, et nous essayons d'ailleurs de les aider, par exemple en réduisant les formalités administratives, en aidant les PMI-PME, en aidant au développement de la recherche, et des nouvelles technologies. Mais en même temps, les entreprises ont des responsabilités, et les chefs d'entreprise ont des responsabilités. Cette crise révèle que tout le monde doit assumer ses responsabilités. Alors, on ne peut pas dire d'un côté que ce sont les entreprises qui créent des emplois, et de l'autre côté, dire que c'est l'Etat qui, lui, doit avoir la responsabilité des chômeurs. Donc j'espère que le débat sur les 35 heures sera abordé par les chefs d'entreprise - d'ailleurs, beaucoup de chefs d'entreprise sont conscients de cela -, mais disons, par le patronat officiel, d'une façon quand même un peu différente compte tenu...
Mais pour l'instant, le patronat freine des quatre fers. Il n'a pas du tout l'air de vouloir accepter même de discuter avec vous des modalités.
- "Oui, mais cette situation à laquelle nous sommes confrontée, elle interpelle tout le monde. Et si l'on ne retrouve pas un certain chemin d'harmonie, si l'on ne retrouve pas une volonté de dynamisme... Parce que la croissance augmente : les chiffres, hier, de l'augmentation de la production industrielle sont les plus élevés depuis 20 ans. La consommation repart, les investissements dans toute une série de secteurs repartent, les perspectives de la croissance - si on met à part les problèmes de l'Asie du sud-est, on en parlera si vous..."
Cela va faire perdre combien de points de croissance ?
- "Jusqu'à maintenant, on dit un demi-point de croissance."
Et à peu près 2,5 % pour 1998 ?
- "Non, parce que nous constatons, au contraire, que la croissance est plus forte aux Etats-Unis et en Europe ; et c'est surtout que la croissance intérieure en France n'est pas sur une ligne de 3 % mais sur une ligne de 3,5 %. Donc le relais intérieur va être pris. Entre parenthèses d'ailleurs, constatez une chose : avec cette crise financière et économique dans les pays d'Asie du sud-est, c'est que ces fameux dragons qu'on nous donnait en exemple, comme si l'on devait s'en inspirer..."
Ils étaient en papier ?
- "Non, mais ils avaient eux-aussi leurs éléments de fragilité. Et l'Europe peut redevenir de ce point de vue là - comparativement - une zone économique."
Revenons sur vos 35 heures. Je vais d'abord vous demander d'arbitrer entre deux de vos ministres - D. Strauss-Kahn et M. Aubry - parce que l'un a dit que les 35 heures vont créer à peu près 300 à 350 000 emplois, et l'autre dit entre 400 et 1 million d'emplois. Qui est le plus près ?
- "D'abord, n'arbitrons pas entre les ministres."
Mais, entre les perspectives, parce que d'autres études - trois études vous l'avez dit - disent 700 000, pour la Banque de France ; 450 000 autour de l'an 2000 pour l'OFCE.
- "Je crois que ce que disent les ministres - et en l'occurrence les deux ministres - s'inscrit exactement dans la fourchette qui est évoquée par ces trois grands instituts dont je parlais tout à l'heure, entre 300 000 et 700 000 emplois. Ce qu'ils disent c'est que cela peut créer des emplois ; ce qu'ils disent c'est que si les entreprises savent négocier, discutent avec leurs salariés, anticipent sur le moment où nous passerons à la durée légale de 35 heures, sont capables de faire tourner mieux les équipements, notamment avec plus de souplesse, en tenant compte des plans de charges sur l'année, cela peut se faire avec des coûts qui ne sont pas élevés pour les entreprises. Ca n'aura pas non plus de coût pour les dépenses publiques. Donc on est en train de constater que, dans le débat qui s'est engagé, le choix fait par le Gouvernement n'est pas un choix idéologique, il est un choix rationnel, il est un choix intelligent."
Qu'est-ce qui est négociable à partir de lundi avec les députés, et plus tard avec les entreprises ? La date butoir ? Le seuil limite de 20 salariés ? Le contrôle obligatoire ? La diminution de salaire éventuellement ? Y a-t-il des choses sur lesquelles vous pourriez discuter ?
- "Je respecte bien sûr le droit du Parlement, mais je crois que le Gouvernement et l'Assemblée - en tout cas la majorité à l'Assemblée - trouveront tout à fait une approche consensuelle sur cette question."
Et le projet alternatif de l'opposition de fortes baisses des charges vous intéresse ?
- "Honnêtement mon propos, vous l'avez constaté ce soir, n'est pas polémique. Il n'a pas à l'être, mais enfin on n'entend pas beaucoup l'opposition sur ces sujets."
Elle vient de se réunir pour dire qu'elle ferait une proposition s'inspirant de ce qui se passe dans le textile.
- "Dans le textile nous sommes obligés de corriger les erreurs faites par le gouvernement précédent, puisqu'il a adopté un dispositif qui a été condamné par Bruxelles. Si nous ne changeons pas le dispositif - ce que nous faisons d'ailleurs avec les entreprises, avec les patrons du textile - eh bien nous serions tout simplement condamnés. C'est-à-dire que ce dispositif serait en l'air et, d'une part, nous devrions payer des pénalités à Bruxelles parce que ce système est illégal. Ca ne me paraît pas être un bon exemple. Mais disons qu'en gros l'approche de l'opposition c'est la baisse des charges. Ce qui est très intéressant c'est de voir que, dans le passé, ça n'a pas été efficace ; ça a coûté beaucoup aux contribuables, parce que si on baisse les charges des entreprises, si on baisse les cotisations, c'est le contribuable qui le paie et ça n'a pas été efficace. Ce que montrent ces études dont nous parlons c'est que l'approche de la diminution de la durée du travail est beaucoup plus créatrice d'emplois que ne l'est l'approche de la baisse des charges que privilégie systématiquement l'opposition."
Ce qui me paraît quand même très efficace quand on regarde les chiffres, c'est ce qui se passe notamment aux Etats-Unis où ce n'est pas simplement une baisse des charges, c'est une baisse de la fiscalité pour les individus, on arrive quand même à des chiffres qui doivent vous impressionner ou vous faire envie : un taux de chômage de 4,7 % actuellement aux Etats-Unis, de 5 % en Angleterre, c'est-à-dire 1,5 million de chômeurs de moins qu'en 92, et pour le 22ème mois consécutif une baisse du chômage. Ne pensez-vous pas que ce sont ces pays qui ont pris la bonne direction ? en disant : on baisse massivement les impôts et donc on relance la consommation.
- "Je ne propose pas d'augmenter les impôts justement, je viens d'argumenter sur ce terrain, vous le savez. Pour la Grande-Bretagne, moi je suis un esprit simple, j'ai du mal à comprendre pourquoi cette politique mirifique qu'on nous propose, avec ces chiffres du chômage - sur lesquels je dirai un mot - a été balayée comme jamais un gouvernement conservateur ne l'avait été en Grande-Bretagne depuis 150 ans."
Mais en même temps T. Blair rend hommage à M. Thatcher.
- "Oui, mais il a quand même été élu pour mener une autre politique me semble-t-il. Et je crois qu'il mènera une autre politique. Il faut savoir que la situation en Grande-Bretagne est extrêmement différente de la nôtre du point de vue de la comptabilisation des chômeurs. C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre d'hommes, de femmes et de jeunes en Grande-Bretagne qui ne sont pas considérés comme chômeurs tout simplement parce qu'ils sont découragés de venir sur le marché du travail. Ils ne viennent plus sur le marché du travail. Et des chiffres récents qui ont été sortis sur la Grande-Bretagne disent : officiellement il y a moins de chômeurs, mais dans la réalité des revenus et des situations de détresse, la situation est beaucoup plus grave en Grande-Bretagne qu'elle ne l'est en France. Quant aux Etats-Unis, ils ont aussi le dynamisme de la première puissance mondiale. Ce qui est valable pour la première puissance mondiale n'est pas forcément tout à fait transposable pour un pays important comme la France, mais qui n'a pas quand même la même puissance et la même densité."
Avec peut-être plus de flexibilité dans la législation ? Peut-être que la nôtre est trop contraignante, même si ça part d'une bonne intention ?
- "Moi je ne suis pas contre une certaine souplesse dans la législation à condition que ça fasse l'objet de discussions contractuelles entre les patrons et les syndicats, et que chacun y trouve son compte. Si c'est simplement pour faire de la régression sociale, que ça ne provoque pas d'emplois, que ça ne provoque pas de progrès, je comprends que les syndicats soient réticents. Donc je ne crois pas que ce soit dans cette voie qu'il faille chercher, et en tout cas ce n'est pas le message que nous adressent les chômeurs."
Il y a une autre solution, celle que préconise aujourd'hui la Confédération syndicale des familles qui dit : pourquoi ne pas lancer un grand emprunt de solidarité pour les 60 milliards que vous cherchez ? Il y a bien eu un emprunt Balladur sur toute autre chose, pourquoi il n'y aurait pas un emprunt Jospin sur ce sujet-là ?
- "A terme, nous verrons. A tel ou tel moment, rien ne peut être exclu, rien n'est impossible. Simplement, ce que je voudrais vous dire c'est que la dette de l'Etat aujourd'hui, en raison des déficits budgétaires accumulés - parce quand on a un déficit budgétaire de plus de 3 % - ce qui était le cas : nous l'avons ramené à peu près à 3 % - et que cela s'accumule chaque année - cela veut dire que, pour payer ce déficit, puisqu'il y moins de recettes que de dépenses, il faut emprunter, il faut s'endetter. La dette actuelle de l'Etat, le service de la dette représente actuellement près de 15 % du total des recettes de l'Etat, près de 15 %. Le budget de la défense est à 15 %, le budget de l'Education nationale et de la recherche est à 23 %. C'est-à-dire que si on ne contrôle pas notre déficit budgétaire - et j'en ai parlé justement à propos de ces 70 milliards que représenterait l'augmentation de 1 500 francs pour tous des minima sociaux - si on ne contrôle pas ce déficit budgétaire, on fait plus de dettes. Si on fait plus de dettes, cela veut dire qu'ensuite les moyens de l'Etat ne peuvent plus être concentrés sur l'éducation, sur le social, sur le logement, sur la recherche, sur les routes, mais simplement sur le remboursement de la dette.
Ce n'est pas du tout parce que nous voulons faire la construction européenne et que nous voulons faire l'euro que nous menons la politique d'aujourd'hui, c'est simplement parce que nous ne pouvons pas dépasser un certain niveau d'endettement. Au-delà de 3 % de déficit budgétaire, on crée de la dette supplémentaire. Nous avons la chance que les taux d'intérêt aient baissé ; nous avons la chance qu'il y ait une reprise économique en France et en Europe, c'est sur ce terrain qu'il faut aller. Moi, je n'oppose pas l'Europe à la lutte pour l'emploi puisqu'au contraire, je me suis battu, depuis que je suis à la tête du Gouvernement, pour infléchir l'Europe. J'ai obtenu qu'on fasse désormais chaque année un Sommet pour l'emploi ou on va examiner les politiques d'emploi des pays de l'Europe. J'ai obtenu que l'on mène des politiques de concertation économique et notamment un Conseil de l'euro pour encadrer ce qui se fait sur le plan monétaire par la coordination des politiques économiques des Etats. J'ai obtenu que l'Espagne et l'Italie - que l'on voulait tenir aux portes de l'euro - soient dans l'euro, ce qui assure un euro qui sera un euro compétitif par rapport au dollar."
Pas question de repousser la date ou l'échéance...
- "L'engagement européen... Regardez un pays comme l'Italie, pays que nous admirons pour sa culture, sa création artistique, l'intelligence de ses habitants - ce sont des frères et soeurs un peu pour nous - mais dont on critique, un peu parfois, l'indolence, un certain laxisme économique, l'impossibilité d'accepter des efforts ; mais regardez ! avec qui d'ailleurs ? au coeur de la coalition de gauche, la coalition de l'Olivier, aujourd'hui, l'ancien Parti communiste italien qui accomplit pleinement sa mutation ! Au coeur de cette coalition, ils font un effort formidable pour être dans l'euro. Si les Italiens veulent être dans l'euro, c'est qu'ils comprennent que c'est leur intérêt et que c'est le nôtre."
C'est ce que vous dites à vos amis communistes aussi puisque...
- "Vous l'avez compris comme cela ? Eh bien, c'est peut-être comme cela qu'il fallait le comprendre."
Il y avait une autre solution possible, celle que préconisait P. Mazeaud dans Public, dimanche dernier : c'était de laisser un peu filer l'inflation. Cela vous paraît tout à fait mauvais pour pouvoir relancer la consommation et donc diminuer le chômage ?
- "L'inflation est très faible en ce moment. Elle est à 1 %. Nous l'avons vaincue, c'est aussi pour cela que nos entreprises sont compétitives à l'exportation. Parmi les indices favorables que j'indiquais tout à l'heure et qui devrait nous donner confiance, il y a aussi cet excédent commercial formidable qui témoigne que nos entreprises sont compétitives, agressives à l'exportation et qu'elles ont redressé leur productivité, et donc aussi d'une certaine façon leurs marges et qu'elles ont donc des possibilités. Cette bataille, nous devons la mener, et je pense que si la croissance est plus élevée, il y aura forcément une hausse des prix légère. Mais je ne crois pas que l'on doive jouer la hausse des prix. Je n'en vois pas l'intérêt. Je ne vois pas en quoi provoquer artificiellement des prix aiderait aux facteurs productifs. Il faut simplement faire en sorte que les hommes et les femmes s'orientent massivement vers le travail - et c'est la politique que conduit le Gouvernement. Et en même temps, à partir du moment où il est resté fidèle à ses engagements - et vous pouvez viser ce que j'ai dit dans la campagne, vous pouvez regarder ce que j'ai dit dans ma déclaration de politique générale, à aucun moment, je ne suis en démenti par rapport à cela - ce Gouvernement a besoin, y compris d'avoir un minimum de durée pour réussir."
Vous avez quatre ans devant vous. Si Dieu le veut, si le Président de la République le veut bien, vous avez quatre ans.
- "Je n'en sais rien. Ce que je veux dire de toute façon, c'est que par rapport aux problèmes qui sont posés à des millions de chômeurs ou à des millions de salariés petits et moyens, je ne pense pas honnêtement qu'ils trouveront des solutions du côté de l'opposition conservatrice. Je ne le pense pas. Ils ne l'ont d'ailleurs pas pensé le 1er juin. Donc, il faut qu'ils nous aident à réussir la politique que nous sommes en train de conduire. Il ne faut pas que, d'une certaine façon, ils contribuent à casser un peu ce dynamisme et cette espérance qui est en train de se remettre en marche. Cela me paraît tout à fait important et c'est pourquoi j'ai dit qu'il fallait réaffirmer ce cap. Et ce mouvement, quand même, il pose une question fondamentale, une autre question qui, cette fois-ci, est une question politique : dans une démocratie, dans un pays comme la France, qui est légitime pour fixer la politique du pays, et notamment fixer sa politique économique ?"
Vous dites : le chef du Gouvernement...
- "Non, le peuple. Le peuple, c'est qui ? Ce sont les électeurs au moment des élections. Et ils nous ont donné un mandat. Sur la base de ces décisions, du vote du peuple, il y a une Assemblée nationale, un Sénat, mais notamment une Assemblée nationale, puisqu'au Sénat la majorité ne change jamais. En France, on a toujours un Sénat conservateur."
On pourrait !
- "En changeant le mode de scrutin, un jour, oui. Sinon, je ne vois vraiment pas comment. A aucun moment d'alternance on a vu le Sénat pouvoir passer à gauche. Enfin, je laisse ce problème sur le côté pour ne pas effrayer R. Monory. En tout cas, on a effectivement, ensuite, à l'Assemblée, une majorité qui se dégage et qui prend ses décisions avec le Gouvernement ; qui vote un budget, par exemple. Et puis, qui est légitime pour agir ? Après ce vote des électeurs, dans le cadre des décisions de la majorité, c'est effectivement le Gouvernement. Alors qu'il y ait des expressions, qu'il y ait des mouvements, qu'il y ait des revendications, qu'il y ait des sections, des fractions du peuple qui s'expriment, c'est légitime, là aussi, dans une démocratie. La démocratie n'est pas que politique, elle est aussi sociale. On peut discuter de l'ampleur de ces mouvements, on peut discuter des méthodes qu'utilisent certains - quelques-uns seulement - mais certains. Moi, je trouve légitime les mouvements qui s'expriment, pour autant que leurs méthodes soient aussi respectueuses de nos lois. Et donc je ne critique pas cela. Mais cela ne peut pas être ces personnes qui changent, déterminent ou font la politique d'un grand pays comme la France. Sinon, on s'écarte de ce qu'est la loi, la règle, et le sens même de la démocratie. Ca aussi je voulais le rappeler."
C'est ce que vous allez dire à R. Hue quand vous allez le rencontrer...
- "Non, je ne pense pas que R. Hue... Il me semblait que je l'inscrivais dans la majorité qui agit et travaille au Parlement."
Mais cette majorité plurielle, elle n'est pas un peu cacophonique en ce moment. On entend un jour D. Voynet - ou en tout cas ses amis Verts -, un autre jour les communistes qui vraiment vous trouvent un peu juste sur ce sujet, et qui font le grand écart pour essayer de dire : on le soutient, mais en même temps, on est du côté des chômeurs. Donc vous devez avoir un petit peu de mal...
- "Si cette tentation se poursuivait, je pense qu'elle ne serait pas profitable à ceux qui la conduisent, parce que les Français sont cohérents - les hommes et les femmes qui ont voté pour une majorité de gauche sont cohérents - et souhaitent qu'elle réussisse. Qu'il y ait une diversité d'expressions, non seulement cela ne les choque pas mais même, d'une certaine façon, ils se retrouvent ; parce qu'eux-mêmes, sans doute, étaient divers dans leurs votes. En même temps, ils savent bien qu'un parti principal a défini des orientations qui ont reçu l'onction populaire de la façon la plus nette - et oh combien ! plus nette - qu'il y a un groupe très important, qui est un groupe socialiste à l'Assemblée nationale, et ils sont conscients qu'il ne peut pas y avoir deux orientations dans un gouvernement, mais seulement une orientation. Alors, la "majorité plurielle", a-t-on dit. Oui ! Dans "majorité plurielle", il y a "plurielle". Mais il y a aussi "majorité". Alors peut-être qu'aujourd'hui, il faut insister plus sur "majorité".
On évoquait tout à l'heure Maastricht qui est devenu Amsterdam, après coup. Il va y avoir une ratification de ce Traité d'Amsterdam. Est-ce que vous allez proposer la ratification par la voie parlementaire ou, par la voie du référendum, c'est-à-dire par le peuple ?
- "Maastricht n'est pas devenu Amsterdam."
Je simplifie...
- " Je le dis, parce qu'il ne faudrait pas croire que l'on recommence ! Par le Traité de Maastricht a été notamment décidé le passage à l'euro. Ce passage se fait automatiquement. C'est-à-dire qu'à un moment, les experts de la Commission regardent quels sont les pays qui peuvent être qualifiés pour l'euro."
Cela va être dans quelques mois, d'ailleurs.
- "Cela va être incessamment, au mois de mai. Et il faut déjà s'y préparer. Il n'y a plus de décision à prendre. Le peuple français a déjà tranché, et en plus par référendum, sur cette question. Il faut simplement préparer le passage à l'euro. Et de ce point de vue, je voudrais insister sur un point : on dit parfois : "c'est à cause de l'euro, du critère des 3 %, du déficit public. Il faudrait qu'on ne se donnerait pas les marges que l'on pourrait se donner". Je crois que cela n'est pas juste. Regardez : la Grande-Bretagne ne va pas faire l'euro tout de suite, le Danemark non plus, la Suède non plus. Vous regardez leurs déficits publics : ils les maintiennent à l'intérieur, et même en dessous des 3 %."
Vous n'avez pas répondu à ma question sur Amsterdam.
- "Je réponds sur des questions tout à fait importantes. Sur Amsterdam, c'est une autre question. Amsterdam, c'est quoi ? en dehors de ce que nous y avons apporté, nous : un Conseil de l'euro, permettant de coordonner les politiques économiques à partir du moment où l'on aura une monnaie unique. Les sommets sur l'Emploi et la réorientation de l'Europe dans le sens de la croissance et de l'emploi, qui est l'apport spécifique des socialistes. Mais je précise que c'est ensemble que le Président de la République - chef de la délégation dans les sommets, les conseils européens - et le Premier ministre que je suis, et les ministres, avons présenté ces dossiers français et les avons fait accepter à Amsterdam. Sinon, pour le reste, Amsterdam, c'est quoi ? C'était une tentative imparfaitement réussie, il faut bien le dire, mais une tentative - négociée par le précédent gouvernement, dont j'ai hérité dans les derniers jours, au moment où tout était fait, quelques jours après le 1er juin - de réformer les institutions de l'Union européenne avant de passer à l'élargissement."
Vous êtes le Premier ministre de la France.
- "Oui, mais le Président de la République et moi-même pensons, je ne veux pas parler en son nom, mais nous avons dit nous-mêmes qu'il faudrait revoir le mécanisme de décision de l'Europe, réformer les institutions européennes, avant de passer d'une Europe à quinze à une Europe à vingt, vingt-deux ou vingt-cinq. Ca veut dire qu'il y a un travail à faire."
Pour la ratification, plutôt le Parlement ou plutôt le peuple ?
- "La question de savoir si, pour la ratification, l'on recourt au référendum ou on recourt au Congrès - c'est-à-dire la réunion des deux chambres, Sénat, Assemblée nationale qui doivent voter cette ratification à une majorité des trois-cinquièmes. Cette décision appartient exclusivement au Président de la République, je ne vais donc pas m'arroger ses prérogatives."
Sur proposition du Premier ministre ?
- Non."
C'est ce que dit l'article 89 de la Constitution.
- "Non. Je voudrais pas vous prendre en flagrant délit de lecture un peu inexacte de l'article 89 de la Constitution. Vous m'avez interrogé sur la deuxième partie de cet article, sur le second alinéa qui est de savoir si on recourt au référendum - ce qui est la voie normale - ou bien si on préfère demander aux deux assemblées de se prononcer. Cette décision-là relève exclusivement du Président de la République, il n'a pas besoin d'une proposition du Premier ministre. Ce qui nécessite une proposition du Premier ministre c'est ce qu'on appelle le droit d'initiative du Président - que les parlementaires peuvent prendre aussi - qui décide de proposer un projet de loi de ratification devant l'Assemblée ou devant le Sénat. Donc, si le Président de la République, quand le Président de la République - je ne dis pas "si", je sais que ce sera "quand" - me dira qu'il veut prendre cette initiative je lui ferai la proposition nécessaire."
Vous avez un avis quand même sur la chose, d'ores et déjà, mais vous ne nous le livrerez pas maintenant, vous lui direz à lui ?
- "Je pense que nous aurons à ratifier le Traité d'Amsterdam. Mais dès que nous l'aurons ratifié je pense qu'il y aura un sérieux travail à faire pour un nouveau traité qui donnera un vrai dispositif décisionnel à l'Union européenne avant l'élargissement. Heureusement l'élargissement ne va pas se faire tout de suite. Les pays de l'Est de l'Europe ou du centre de l'Europe ne vont pas nous rejoindre avant plusieurs années, donc on a le temps. Mais ce travail, il faudra le faire."
Ca se passe bien entre vous et lui ?
- "Vous le savez !"
Ecoutez-vous ses avis, puisqu'il ne se prive pas de les donner. De temps en temps suivez-vous quelques uns de ses avis ?
- "Il donne des avis, et moi je n'ai pas à en donner sur son action, ni à faire de commentaires. Je travaille en entendant ses avis."
Est-ce que vous avez l'impression d'avoir abandonné les illusions passées ? Est-ce que vous rêvez de passer ce cap de l'an 2000 avec un nouveau projet ? "Rebondir" comme disait tout à l'heure le directeur du Monde ? Avez-vous envie de vous atteler à un rêve ? Peut-être que vous pourriez proposer un grand projet pour la France ?
- "Je crois que nous sommes en marche si nous sommes capables de faire reculer le chômage qui frappe nos sociétés comme une malédiction depuis 20 ans. Est-ce que ce n'est pas un gigantesque projet pour la France ? Si nous sommes capables de faire passer la France, tout en gardant sa culture, sa spécificité, son identité, dans le monde ouvert de la modernisation des techniques - regardez l'effort que fait le Gouvernement - il n'est pas le seul - pour la société de l'information, pour les nouvelles technologies, pour Internet. Regardez l'effort que fait le ministre C. Allègre, D. Strauss-Kahn sur les problèmes de la recherche et de l'innovation - , si nous sommes capables de réduire les tensions dans notre pays, de faire comprendre que l'efficacité économique ne s'oppose pas à la justice sociale, qu'on peut rapprocher, que certains doivent faire plus d'efforts que d'autres ; par exemple, dans le budget de 1998 nous avons rééquilibré ce que payaient les détenteurs de capitaux et ce que payaient les salariés. Le basculement des cotisations sociales maladie sur la CSG fait que pour la première fois les détenteurs de capitaux ont payé la CSG. Nous avons rééquilibré 25 milliards de cette façon, c'est-à-dire plus du double de ce que rapporte l'impôt sur la fortune."
Vous parlez en comptable, là. Je vous posais la question d'un idéal.
- "Je n'oppose pas la raison et le coeur. Je n'oppose pas la détresse et les chiffres, parce que certains chiffres sont porteurs de détresse ou d'espoir. S'il y a 50 000 chômeurs de plus, cela s'appelle une comptabilité et ça signifie 50 000 hommes, femmes ou jeunes, qui plongent dans le désespoir, ou en tout cas, dans l'insécurité. Si je crée 40 000 emplois-jeunes, comme ça vient d'être créé, si nous en créons 150 000 en tout d'ici 1998, c'est une comptabilité, et en même temps, elle signifie insertion, espoir, dignité retrouvée, dynamisme, confiance pour la jeunesse."
L'insécurité est un sujet qui passionne les Français, donc nos téléspectateurs. Le Président de la République a réuni une table ronde la semaine dernière avec 12 maires de villes sensibles. Votre ministre de l'Intérieur a fait de même en début de semaine. Avez-vous l'impression que les gens se sentent vraiment suffisamment pris en compte dans ces petites agressions qu'on appelle la violence urbaine mais qui finissent par pourrir la vie ? S'occupe-t-on suffisamment d'eux ?
- "L'insécurité doit être combattue. La sécurité, la sûreté, c'est un droit essentiel. C'est même peut-être le premier droit de l'homme, le premier droit du citoyen. C'est au coeur de notre action. Vous vous souvenez de ce colloque que nous avons fait à Villepinte à l'initiative du ministre de l'Intérieur, J.-P. Chevènement ? Il vient de réunir avec E. Guigou plusieurs ministres, J.-C. Gayssot, C. Allègre et S. Royal, à la fois des préfets, des procureurs, des responsables administratifs de différents secteurs. Cette insécurité, nous l'abordons sous l'angle policier. C'est normal : il faut de la prévention, de la sécurisation des quartiers. Il faut aussi de la répression. Il faut rappeler qu'il y a des lois, qu'il y a des règles, des normes, qu'elles doivent être respectées, même si des situations de malaise social, même si des situations de crise urbaine peuvent naturellement créer des tensions ou des tentations individuelles."
Faut-il des sanctions-réparations ?
- "Oui, mais c'est une démarche que l'on doit particulièrement utiliser pour ce qu'on appelle la délinquance juvénile qui est un problème dont la gravité s'est accrue. Ce qui est important dans la démarche du Gouvernement, c'est que, certes, il a une démarche sécuritaire - je veux dire, menée par les forces de sécurité et par le ministre de l'Intérieur. Mais le ministre des Transports J.-C. Gayssot, le ministre de la Jeunesse et des Sports M.-G. Buffet, le ministre de l'Education nationale et sa ministre déléguée C. Allègre et S. Royal, le ministre de la Justice et Garde des Sceaux E. Guigou, M. Aubry ministre de l'Emploi et de la Solidarité, tous conjuguent leurs efforts pour que sur tous les plans où l'on aborde les problèmes de la sécurité - au collège, au lycée, dans le quartier, dans le bus, dans le métro - cette concentration d'efforts nous permettra d'avancer."
Dans les sanctions possibles à destination des parents, est-ce que la mise sous tutelle des allocations familiales, ça vous paraît une bonne chose ?
- "Je ne veux pas improviser sur ce sujet. Honnêtement, ce que je pense c'est que de toute façon, on doit opérer une responsabilisation des parents. Les jeunes enfants doivent être sous l'autorité, sous le contrôle des parents, et je pense qu'il faudra progressivement insister sur cette responsabilisation. Mais moi, ce qui me paraît important, c'est plusieurs choses, d'abord concentrer les moyens des différentes administrations et des différents services de l'Etat. Deuxièmement, travailler avec les collectivités locales. C'est pourquoi J.-P. Chevènement a proposé des contrats locaux de sécurité. Troisièmement, concentrer les moyens sur les départements ou les zones urbaines qui sont les plus difficiles et les plus soumises à la violence urbaine. C'est ce que nous sommes en train de faire. Il y a une mission qui a été confiée à un parlementaire de l'opposition et à un parlementaire de la majorité - vous voyez comme nous essayons d'aborder ces problèmes de façon non partisane - qui doivent faire des propositions pour la réorientation d'une partie des effectifs de la gendarmerie et de la police nationale vers ces quartiers en difficulté. Et, il faut par ailleurs concentrer les nouveaux emplois parce qu'il y a des emplois-jeunes qui sont des adjoints de sécurité. Ils seront mis dans ces quartiers particuliers. Je pense que cet effet de concentration là aussi sera utile.
Et puis, moi je discute sur le terrain parce que, un élu national mais aussi local, est aussi confronté au problème du chômage que ne le sont certaines associations de chômeurs, même si je respecte tout à fait leur engagement et leur action. Et il est constamment confronté à ces problèmes de sécurité ou d'insécurité. Moi je discute avec notamment ces responsables à Toulouse. Je suis convaincu que dans les quartiers, si on est capable d'approcher ça de façon humaine, mais en même temps de façon ferme, en essayant d'identifier pourquoi il y a des problèmes, quels sont à tel ou tel endroit les dix, vingt, trente parfois, garçons ou filles - plus souvent garçons, il faut bien le dire - qui posent problème, si on cible sur ces problèmes, si on essaye de leur apporter des réponses, mais si on leur rappelle aussi la fermeté de la loi, je suis convaincu qu'on peut faire reculer l'insécurité. Nous allons faire reculer l'insécurité dans ce pays."
Puisqu'on parle d'élus, d'abord sur le statut d'élus et surtout le cumul des mandats, finalement, quand est-ce que ça va venir ? C'est votre cheval de bataille, mais visiblement ça renâcle beaucoup.
- "Il est possible que ça renâcle un peu. Mais moi je reste attaché à ce projet. Je devais en parler cette semaine, pourquoi je ne l'ai pas fait ? Parce que, aborder les problèmes de la réduction du cumul des mandats, même si c'est une question politique et un problème de démocratie et d'efficacité tout à fait important..."
Ca paraît un peu politicien.
- "Exactement - j'allais employer le terme - ça paraîtrait aujourd'hui comme politicien. J'en parlerai un peu plus tard, mais ma volonté reste entière."
A combien de présidences de région gagnées considérerez-vous que vous avez progressé ou gagné les régionales ?
- "Nous en avons une en métropole, deux si on considère la majorité plurielle, je crois qu'il faut progresser de plusieurs unités. Ces élections vont venir. Elles sont importantes. Mais aujourd'hui, moi comme chef du Gouvernement - d'autant que je ne suis pas candidat ; et j'ai, au contraire, démissionné du Conseil régional pour ne garder qu'un mandat d'élu local parce que je veux être au contact du terrain et de mes concitoyens et de mes concitoyennes - vous savez, je suis concentré sur les problèmes de la bataille pour l'emploi. Je pense que si cette crise larvée qui se poursuit avec des occupations - c'est vrai relativement réduites ; il faut bien le dire : chômage de masse mais pas mouvement de masse..."
...Mais très populaire, un véritable écho dans l'opinion.
- "Mais comment cela ne ferait-il pas un écho dans l'opinion alors que ça renvoie à une situation de chômage qui touche plus de trois millions de personnes et à des situations de détresse qui vont même au-delà ? C'est absolument normal ! Dans toute famille il y a ces situations, y compris d'ailleurs dans la mienne. Donc personne ne peut ignorer ces situations de chômage. Mais je dis : si cette crise secoue chacun dans le pays, tous ceux qui ont des responsabilités - je n'ai pas parlé des partenaires sociaux mais il y a tout le problème quand même de l'assurance-chômage et de l'Unedic qui assurent bien..."
Cogérés par les partenaires sociaux.
- "Gérés par les partenaires sociaux - mais je ne veux pas me mêler de leur gestion - qui assurent bien, mais un nombre décroissant quand même de chômeurs. Et c'est pourquoi on a l'allocation spécifique de solidarité et cette chute dans une relative précarité. Si donc cette crise secoue chacun, et nous fait prendre plus en compte les chômeurs dans chacune de nos décisions, y compris pour les citoyens, alors je pense que cette crise sera salutaire. Si au contraire, la France se contentait de contempler avec fascination, avec inquiétude et avec culpabilité, ces chômeurs en paralysant son dynamisme, sa volonté d'avancer, au moment où la chance est en train de revenir pour nous, alors je pense que ce serait un moment négatif pour la France. Mais c'est indiscutablement la première hypothèse que je favorise. En tout cas, c'est de cette façon que je continuerai, pas simplement à parler aux Français quand vous m'inviterez, mais à agir. Parce que le fondement même de mon rôle, c'est l'action. Moi, je sais que je ne fais que passer. Je sais que je suis un citoyen issu du peuple, dont c'est la légitimité, qui est venu aux responsabilités, qui les assume l'esprit tranquille, en accord avec lui-même. Les palais nationaux, pour moi, ça n'a pas d'importance, j'en sortirai. Simplement, ce que je veux, dans l'intervalle, c'est faire avancer mon pays."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 janvier 2002)