Interview de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, à "Europe 1" le 6 janvier 2003, sur la croissance économique retenue pour 2003 et les gels de crédits envisagés.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Même si les temps sont difficiles, avez-vous assez pour combattre et indemniser toutes les communes et les villes côtières frappées par cette infâme pollution noire ?
- "Nous avons naturellement assez pour assumer toutes les responsabilités de l'Etat, et précisément, l'indemnisation de tous ceux qui sont victimes de l'ensemble de ces catastrophes naturelles qui se produisent. Et donc, vous pouvez être assuré que tous ceux qui sont aujourd'hui à la peine, dans le souci, doivent savoir que l'Etat sera de leur côté."
On peut donc vous solliciter, comme ça, sans fin ?
- "Nous sommes à la disposition de ceux qui sont en difficulté parce que nous faisons des économies là où nous pouvons en faire."
Par exemple, où ?
- "Mais nous faisons attention à bien gérer l'argent des Français et vous pouvez compter sur moi pour le faire."
Oui, on va justement le voir... Mais d'abord, quelle est la croissance retenue pour l'économie français en 2003 ?
- "Vous savez que le budget a été fondé sur un taux de croissance de 2,5 % qui était celui de la croissance potentielle. Des débats se sont tenus sur le sujet, pour savoir s'il était trop élevé, trop optimiste ou s'il était complètement adapté."
L'année 2002 se termine à combien de croissance ?
- "L. Fabius avait prévu 2,5 pour 2002, nous avons constaté 1 %. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que 2003 sera bien meilleure que 2002."
Pourquoi nous dites-vous que 2003 sera une meilleure année que 2002 ? Parce qu'il y a 1 % de croissance et qu'avec 1,2 ça suffirait à faire une meilleure année ?
- "Je ne sais pas. Même si nous faisions 2 - je ne vous dis pas que 2, c'est mon pronostic -, mais si nous faisions 2, c'est le double de 1. Enfin, je pense que tous les Français qui nous suivent n'auront pas de difficulté de ce point de vue."
Mais [quelle est] votre évaluation, au moment où l'année commence, tout en sachant que cela dépend de toutes les forces économiques du pays, de tous les agents économiques ? Que dites-vous pour 2003 : on pourrait faire combien, ou entre combien et combien ?
- "Nous ne ferons pas la même chose au premier trimestre 2003 et au dernier trimestre 2003, puisque nous voyons bien que l'année 2003 ira en progressant de ce point de vue-là. Donc, lorsque nous parlons d'un taux annuel, nous parlons d'un taux moyen naturellement. Mon idée, c'est que nous sommes aujourd'hui entre 2 et 2,5. Mais n'oublions jamais que nous, les humains, nous obéissons à deux émotions principales : la peur et l'espoir. Et dans la peur, on n'avance plus, on ne progresse plus, il n'y a plus de croissance. Et dans l'espoir, nous pouvons nous armer pour aboutir, réussir dans nos objectifs. Je pense qu'il est capital que les Français, comme agents économiques, sachent qu'une partie de la réussite de leur pays dépend d'eux."
On n'oublie pas qu'il y a l'incertitude liée au terrorisme, à ce qui se passe en Irak, et qu'elle affaiblit la croissance je suppose ?
- "Oui, parce qu'elle alimente la peur et qu'elle est par nature à affaiblir la confiance qui est le premier fondement de la réussite économique."
Le Gouvernement envisageait le gel de certains crédits. Est-ce que ce "gel" comme on dit, aura lieu ou est-ce que vous y renoncez ?
- "Non, nous allons faire une régulation. Cela consiste tout simplement, à mettre au début de l'année, en réserve, des crédits pour faire face, le cas échéant, à un dérapage des dépenses. Les dépenses sont autorisées chaque année par le Parlement et nous ne devons pas, naturellement, aller au-delà de ce qui a été autorisé par le Parlement. Donc, au début de l'année, pour que tous les crédits ne se consomment pas pendant le premier semestre, par exemple, nous mettons en réserve une partie des crédits, et ces crédits se trouvent libérés tout au long de l'année en fonction de l'évolution."
Vous dégelez si ça va bien ?
- "C'est ce que nous avons d'ailleurs fait en 2002, puisqu'il avait été pratiqué par le précédent gouvernement, ce que nous avons appelé "un gel républicain", et sur ce "gel républicain" qui était d'ailleurs entre 3 et 4 milliards d'euros, nous avons dégelé environ 1 milliard d'euros."
Il faut que je vous rappelle que le Conseil constitutionnel qui avait été consulté par les socialistes n'a pas remis en cause votre budget, mais qu'il vous a mis en garde sur certaines évaluations et sur la nécessité de vos prochaines corrections budgétaires, monsieur Lambert.
- "Le Conseil constitutionnel nous a donné une très bonne note. D'abord, je crois que c'est la première fois depuis bien longtemps qu'il n'a sanctionné aucune mesure proposée par le Gouvernement. Notez bien que les mesures qui ont été annulées par le Conseil constitutionnel étaient toutes d'origine parlementaire. S'agissant de la régulation, il a rappelé qu'elle devait être portée à la connaissance du Parlement, ce que nous avons toujours fait depuis que nous sommes dans nos fonctions."
Quels sont les crédits qui vont être concernés par cette régulation ?
- "Naturellement, les crédits qui ne sont pas concernés sont les crédits de rémunération des personnels, ce ne sont pas les crédits qui visent à payer les intérêts de la dette puisqu'ils sont dus. Ce sont les crédits qui ne sont pas toujours nécessaires à l'accomplissement des missions de l'Etat. Je prenais tout à l'heure un exemple en aparté : vous avez, par exemple, des services de communication dans tous les ministères - ce serait d'ailleurs intéressant de savoir combien ils coûtent ces services - dont on voit bien qu'ils ne sont pas de première nécessité pour les Français. Donc, je prends un exemple : ce sont des crédits qui peuvent, pour partie, être mis en réserve."
On ne va pas faire croire aux Français que s'il y a des dépenses et des gaspillages, ils portent simplement sur des directions de la communication dans tel ou tel ministère ! Est-ce qu'il faudra, comme le dit ce matin G. Carrez, qui est UMP, rapporteur du Budget, diminuer les effectifs de la fonction publique, il faudra voir dans l'Education, dans la Santé, peut-être dans la Défense ?
- "S'agissant de la fonction publique, je me suis exprimé tant de fois sur le sujet, et encore une fois, d'une manière on ne peut plus sincère : nous allons connaître de très nombreux départs à la retraite. Ce sera l'occasion de ne pas remplacer les postes qui ne sont plus nécessaires pour le service des Français. Cela n'aboutit à aucun licenciement puisqu'il s'agit de ne pas remplacer des départs à la retraite. Ceci permettra de réaliser une certain nombre d'économies et cela va se faire sans drame. Mais je veux vous dire, sur ces sujets, qu'en France nous avons le génie pour poser des problèmes qui, dans la réalité, ne se posent pas."
Sur quels montants vont porter vos régulations ?
- "C'est une décision qui sera arbitrée par le Premier ministre. Pour prendre une fourchette large, c'est entre 3 et 6 milliards d'euros. Je dois vous dire que le gel républicain qui a été pratiqué par le précédent gouvernement devait être entre 3 et 4 milliards d'euros. J'allais dire que l'essentiel, c'est que le gel soit d'un montant qui corresponde au risque de dérive des dépenses."
Avec la croissance que vous indiquiez tout à l'heure pour 2003 - et vous voulez rendre le budget sincère, je l'entends - est-ce qu'il faudra augmenter les impôts ?
- "C'est le contraire qu'il faut faire. Il faut rendre aux Français des prélèvements qui sont effectués sur le fruit de leur travail et qu'ils préféreraient consommer pour acheter des biens et des services dont ils ont besoin."
Mais la promesse avait été faite, à un moment de forte croissance, de beau temps. La croissance étant plutôt faible ou médiocre en 2003, est-ce qu'il faut l'adapter ou est-ce que vous dites "on baissera les impôts en 2003, quelle que soit la croissance" ?
- "D'abord, les Français ont souvent entendu beaucoup de promesses en matière de baisses d'impôts et puis, ils ne les voyaient pas. Là, sur leur feuille d'impôt 2002, ils ont pu constater cette baisse. Donc, ils savent que le Gouvernement tient ses promesses. Le président de la République a rappelé notre détermination à baisser les impôts ; nous les baisserons. Mon travail à moi, c'est de faire en sorte que nos dépenses soient les moins élevées possible afin que nous puissions réduire nos prélèvements."
Je reviens sur la baisse d'impôts : elle sera en proportion de la croissance ou elle sera fixée quelle que soit la croissance ?
- "Elle ne peut pas être linéaire dès lors que les recettes de l'Etat ne sont pas linéaires. Vous avez des années où la croissance vous offre des ressources supplémentaires ; cela peut être l'occasion pour faire un effort supplémentaire en matière de baisse d'impôts."
Est-ce qu'il faut s'attendre à une augmentation du chômage avec une croissance qui n'est pas forte ?
- "On peut naturellement le craindre, en effet. Mais c'est l'occasion pour moi de dire qu'il n'y a pas que les questions d'impôts qui comptent en la matière. Je crois que ce qu'il faut, c'est libérer les entreprises. Il faut vraiment essayer de lever tous les handicaps administratifs qui s'abattent sur celui qui crée un emploi. Et j'allais lancer un appel aux Français pour leur dire : simplifions tous ensemble, écrivez-nous pour nous dire tout ce que vous constatez dans votre vie quotidienne lorsque vous voulez créer un emploi. C'est notre travail, à nous, de forcer nos administrations, de nous forcer nous-mêmes à être plus simples dans l'ensemble du processus administratif."
Justement, vous réclamiez il y a quelque temps, à chaque ministre des réformes, des redéploiements parce que quelques-uns ont de l'argent, ou ils l'ignorent ou ils ne l'utilisent pas. Est-ce que vous renoncez aux contrôles que vous promettiez, si je me rappelle bien, pour janvier 2003 ?
- "D'ailleurs, les dates sont fixées : c'est à compter de la dernière semaine de janvier que je vais avoir la chance de recevoir chacun de mes collègues qui viendra me présenter des réformes qu'il envisage dans son ministère. Et ces réformes, pour chaque ministère, feront d'ailleurs, comme le président de la République l'a rappelé, l'objet d'un examen par le Parlement avant la fin de l'année."
Des réformes, c'est-à-dire des restrictions, éviter des gaspillages, faire des économies, c'est ça ?
- "Vous dites "réforme-restrictions", c'est réforme-progrès ; une réforme, c'est pour que ça aille mieux. C'est d'arriver à faire aussi bien avec moins."
Dernière remarque : pour F. Hollande dans Le Parisien, et L. Fabius hier sur Europe 1, le Gouvernement prépare un plan de rigueur. C'est vrai ?
- "Quand on a gouverné la France pendant cinq ans et que le Premier ministre n'est même pas qualifié pour le deuxième tour de l'élection présidentielle, on n'a pas de leçon à donner."
Vous êtes dur !
- "Non, je dis la vérité."
Le procès du Crédit Lyonnais s'ouvre aujourd'hui. A Bercy, est-ce que vous dites "cela ne pourra plus jamais se produire" ?
"Cela ne doit plus jamais se produire. La transparence doit être le mode de fonctionnement d'un gouvernement.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 janvier 2003)