Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à RTL le 13 février 2003, sur l'utilisation de l'article 49-3 pour faire passer le projet de loi sur la réforme du mode de scrutin pour les élections régionales et européennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. Vous devez être un peu triste ce matin ? Parce que, pour un président de l'Assemblée, avoir un Premier ministre qui utilise le 49-3, c'est-à-dire l'engagement de responsabilité, c'est un peu faire du Parlement une chambre d'enregistrement ?
- "C'est appliquer la Constitution. Et la Constitution prévoit que l'exécutif peut, lorsqu'il a une réforme à laquelle il tient..."
On parle, bien sûr, de la réforme des modes de scrutin régionaux et européens.
- "Cela ne m'a pas échappé, j'aurais préféré qu'on parle de l'Irak et des vrais sujets..."
Vous aussi, apparemment, parce que les députés eux aussi auraient peut-être préféré qu'on en parle.
- "Je pense que le Parlement a son rôle, je pense que la réforme qui nous est proposée est importante, mais qu'il y a aussi, des sujets qui méritent que le Parlement s'y penche, et notamment, le problème de l'Irak. Pour en revenir aux modes de scrutin, je ne suis pas surpris, parce qu'en réalité s'affrontent deux philosophies différentes, et quand on reprend l'histoire politique de notre pays, ces philosophies se sont déjà affrontées par le passé. Quelle est la finalité d'un mode de scrutin ? Certains disent qu'un mode de scrutin est là pour donner une photographie de l'opinion politique et donc inciter les uns et les autres à se présenter pour donner l'image de la diversité française."
C'est un reflet d'une démocratie, vivante, avec sa diversité.
- "Après, on peut parler des différents types de démocratie. Donc, certains disent que le mode de scrutin est là pour représenter, dans un hémicycle, dans une Assemblée, toutes les diversités des tendances françaises. L'autre philosophie consiste à dire que le mode de scrutin est de permettre la constitution de majorités. Je prends des exemples : pendant la IVème République, on avait utilisé la proportionnelle pour l'Assemblée nationale, parce que la philosophie était que cet hémicycle représentait différentes tendances."
On sait que ça a changé avec la Vème, pour avoir des majorités...
- "Pour les régionales, nous sommes dans la même optique - je termine. Il s'agit, à partir du moment où on fait la décentralisation, le Premier ministre souhaite donner plus de responsabilités aux régions, il faut que celles-ci s'appuient sur des exécutifs qui ont la réalité du pouvoir et qui peuvent mener à leur terme les engagements pris devant les électeurs."
Apparemment, les différents partis ne sont pas contre le fait d'avoir des majorités stables et claires. Simplement, le seuil qui a été fixé, exclut carrément la représentation de petits partis comme les Verts, comme l'UDF.
- "Non..."
Mais je reviens d'abord au 49-3, parce qu'il y a deux choses : il y a ce mode de scrutin et puis il y a aussi l'utilisation de la méthode forte. Est-ce que c'est vraiment fidèle au style d'un Gouvernement qui se veut proche du terrain, qui voudrait être un peu plus authentique ?
- "Il n'y a rien de nouveau. Le 49-3 a été utilisé à de nombreuses reprises
sous la Vème République. Il y a un moment..."
Il paraît que vous avez dit : "On ne peut pas décider si un débat est bon s'il y a moins de 5 000 amendements, ou s'il devient mauvais s'il y en a plus de 5 000".
- "C'est autre chose. Le droit d'amendement est un droit reconnu par la Constitution, et est l'élément fondamental de la démocratie parlementaire. Par conséquent, je ne parle pas du nombre d'amendements. Donc, le droit d'amendement est un droit. Par contre, la paralysie du travail des parlementaires, n'est pas un objectif que l'on doit appuyer.'
Vous avez été dans l'opposition, ça existe de tous les côtés, ça a déjà existé, ce n'est pas nouveau !
- "Vous m'avez interrompu avant que je termine. Il y a d'une part le droit d'amendement, d'autre part, la paralysie du travail parlementaire, qui n'est pas un objectif quand on aime le Parlement, quand on croit au Parlement. Il faut donc trouver un équilibre entre ce droit d'amendement et cette nécessité pour le Parlement, d'accomplir sa fonction, à la fois, législative et de contrôle. Nous sommes à la veille d'un examen d'un texte important. Il va y avoir d'autres échéances importantes pour le Parlement, et notamment concernant le débat sur l'Irak, qui concerne la Nation."
Il aura lieu quand ?
- "Je ne sais pas, ça dépend des événements."
La semaine prochaine ?
- "Je le souhaite. Je pense que plus ce sera rapide, mieux ce sera pour le Parlement. Mais c'est le Gouvernement qui a la maîtrise de l'ordre du jour. Et le Gouvernement a pris l'engagement qu'il y aurait un débat. Il y a déjà eu un débat mais je crois qu'il est bon..."
Avec un vote ?
- "Je souhaite qu'il y ait un vote mais le problème n'est pas là pour l'instant.
Le problème est que nous avons un projet de loi et il faut l'examiner sans paralyser indéfiniment le Parlement. Donc, je crois qu'il faut trouver un équilibre. Et comme il est de tradition sous la Vème République, pour une question qui l'intéresse et qui intéresse la politique du Gouvernement, le Premier ministre peut décider. Et à ce moment-là, et c'est l'honneur du Parlement, chaque député se détermine en son âme et conscience."
Donc, a priori, avec 350 députés UMP, il n'y a pas beaucoup de risques pour un gouvernement quand même, et chaque député se déterminera en son âme et conscience, mais votera, en tout cas ceux de la majorité, pour le Gouvernement.
- "C'est très important ! C'est très important et on a dit un peu n'importe quoi sur ce projet de loi ! Je crois que ce projet de loi, pour les régionales, va supprimer le droit de destruction ou de paralysie."
Il a aussi un parfum de règlement de comptes personnels ce projet de loi !
- "Non, c'est vous qui..."
On a l'impression que chacun s'en arrange, qu'on veut éliminer F. Bayrou, que les uns et les autres regardent leurs intérêts privés, personnels et locaux !
- "Non, je ne crois pas. Je crois que ce projet de loi est d'abord l'expression d'une philosophie - je viens de vous le rappeler - qui consiste à donner des majorités et non à donner des photographies. Premièrement. Deuxièmement, par le second tour et par la possibilité qu'ont les listes de fusionner au second tour, il fait disparaître la possibilité de destruction ou de paralysie et il cherche à construire et à renforcer des majorités régionales. C'est bon pour la politique régionale."
Voilà un président de l'Assemblée nationale très fidèle et très loyal à son Premier ministre. Merci beaucoup J.-L. Debré.
- "Non, je ne suis pas fidèle et loyal, je vois l'intérêt général."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 février 2003)