Tribune de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, dans "Les Echos" le 14 février 2003, sur les propositions du gouvernement français concernant l'organisation du transport pétrolier maritime, notamment pour assurer une meilleure prévention, réformer le droit de la mer, étendre les responsabilités, améliorer l'indemnisation, équiper de moyens de dépollution plus performants, intitulée "Halte aux voyous des mers".

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Prestations au rabais, responsabilités diluées, navires hors d'âge et dangereux, le transport maritime est trop souvent le maillon faible de la chaîne pétrolière. Je n'aurai garde de mettre les armements pétroliers français, ou la plupart des armements communautaires, au nombre des délinquants des mers : je connais leurs efforts pour moderniser leur flotte et former leurs équipages. Mais il existe, sous pavillon de complaisance, un système opaque, déresponsabilisant et cynique qui doit être combattu avec détermination. Face à la complexité organisée du transport pétrolier maritime, le gouvernement défend quelques idées simples.
- Prévenir. La France a pris en décembre et en urgence la décision unilatérale d'éloigner de ses côtes les navires à risque. Notre marine applique depuis trois mois cette politique sans faiblesse, et trente bateaux ont ainsi été repoussés au grand large. A quai, il s'agit de multiplier contrôles et inspections préventifs, et d'interdire l'appareillage aux bateaux dérogeant à des critères de sécurité désormais plus exigeants. En mer, un dispositif de "boîtes noires", de repérage par satellite et de documentation de bord doit nous permettre de suivre à tout moment toute unité navale et de déceler si oui ou non ce navire a eu recours à un dégazage sauvage depuis sa dernière inspection.
L'Agence européenne pour la sécurité maritime, que la France a voulue, sera bientôt pleinement opérationnelle. Nous en attendons beaucoup, notamment pour imposer un réseau de zones et de ports refuges destinés à abriter les navires en détresse, avant l'accident. La France est prête à y tenir toute sa place, et à l'accueillir, comme le président de la République l'a proposé dès 2002.
- Légiférer. Eaux territoriales, zone économique exclusive, zone de protection écologique, haute mer, régime des détroits... le transport maritime se caractérise par la multiplicité des droits applicables, ce qui débouche trop souvent sur une impunité de fait. Une réforme du droit de la mer est plus que jamais urgente, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale. L'Europe élargie ne peut se satisfaire de voir le non-droit défier à ce point le droit, et doit imaginer un tronc commun de règles minimales pour ramener l'exercice des activités maritimes dans un cadre réglementaire digne du XXIème siècle. Le président de la République vient de proposer par écrit à la présidence grecque, avec les chefs de gouvernement espagnol et portugais, la création d'une zone maritime protégée, dotée d'un régime juridique dérogatoire, dans les eaux communautaires les plus fréquentées.
- Responsabiliser. La France s'est dotée d'une organisation judiciaire complète, autour du Tribunal de grande instance de Paris et de trois juridictions maritimes spécialisées (une par littoral). Mais les sanctions pécuniaires et judiciaires ne sont pas assez dissuasives, et certains types de responsabilité ne sont jamais mis en cause. Je propose donc que nous puissions très rapidement atteindre toutes les parties prenantes: capitaine, affréteur, armateur, certificateur, chantier naval, etc. Je souhaite également revoir les seuils et les exceptions qui limitent actuellement la portée des dispositions en vigueur. Je considère enfin qu'il est indispensable que nous puissions rechercher plus largement les responsabilités en cas de pollution de nos côtes : responsabilité économique de la chaîne du transport, responsabilité politique de l'état du pavillon, responsabilité écologique.
Sans renoncer à des pratiques maritimes de liberté, nous pouvons adopter une approche plus volontariste et mettre en place une véritable "spirale vertueuse" : niveau d'assurance très élevé, par conséquent contrôle très exigeant du navire à assurer, et donc élimination de fait des navires dangereux et des intervenants douteux des eaux communautaires.
- Indemniser. Nos mécanismes d'indemnisation existent (assurances privées, Fipol...), mais ils sont perfectibles. En outre, leurs moyens financiers sont insuffisants et les délais de règlement des sinistres trop longs. Je soutiens donc avec résolution le système à trois étages en cours de discussion au sein de l'UE et de l'OMI, et j'en souhaite la mise en place accélérée.
Ainsi, le littoral communautaire, dont la France détient une très grande part, serait couvert par un dispositif d'indemnisation performant.
- Dépolluer. Le Premier ministre a donné instruction de doter des matériels les plus performants en quantité suffisante les différents intervenants amenés à traiter les pollutions, dans le cadre des plans Polmar mer et Polmar terre. Moyens d'observation aériens, navires dépollueurs, chaluts de récupération en mer, barrages flottants, engins de ramassage adaptés à tous les types de littoral, techniques de stockage innovantes, tenues protectrices, moyens de décontamination... Rien ne sera oublié, faisant des entreprises françaises des centres d'excellence en matière de dépollution.
Nous ne tolérerons plus, comme dans le cas du "Prestige", l'évaporation des responsabilités dans le labyrinthe des paradis fiscaux, des sociétés écrans, des boîtes aux lettres sans visage et des hommes de paille. Nous souhaitons que la France, trop silencieuse ces dernières années, soit l'élément moteur de la reconquête du terrain perdu devant les tenants aveugles du "moins-disant maritime". C'est cela aussi le développement durable.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 février 2003)