Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec RTL le 28 mai 2000, sur la construction européenne.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

Texte intégral

Q - L'Europe maintenant. Cette semaine, on a beaucoup entendu parler de la déclaration de Jean-Pierre Chevènement. Mais au-delà de la querelle qui peut intervenir il y a quand même une vraie divergence de conception sur l'Europe entre Jean-Pierre Chevènement et vous par exemple, donc, la majorité du gouvernement. Comment la France peut-elle aborder la présidence européenne avec, d'un côté un gouvernement qui veut aller de l'avant dans l'Europe, peut-être modérément on en parlera tout à l'heure, mais qui veut aller de l'avant, et puis Jean-Pierre Chevènement qui, de son côté, dit : " l'Allemagne, c'est bien gentil mais l'Allemagne a une conception de la Nation qui est fondée sur son caractère ethnique. Nous voulons une nation citoyenne. L'Allemagne veut une Europe des régions, nous nous voulons une Europe des Nations, bref comment peut-on articuler cette avancée européenne ?
R - Je reviens une seconde sur " l'affaire Chevènement ", comme on a dit, qui me paraît d'ailleurs largement dépassée. Certains m'ont dit après ...
Q - Pas sur le fond ?
R - Pas sur le fond. Mais certains éléments de fond doivent être rappelés, certains m'ont dit : " je ne te comprends pas, toi tu es aux Affaires européennes, pourquoi est-ce que tu as été sympathique, indulgent avec Jean-Pierre Chevènement ? Parce qu'il y a quand même deux ou trois choses que je sais de lui : la première chose, c'est que c'est un homme qui connaît bien l'Allemagne, mieux que d'autres, qui est passionné par ce pays et qui l'apprécie. Aussi parce que derrière tout cela, il y a une histoire, je ne dirais pas que je partage du tout sa conception, ce n'est pas le cas mais une histoire qui est importante. J'ai trouvé un texte de Gerhard Schröder du 30 novembre 1999 à Paris, il disait : " quand je regarde par la fenêtre de mon bureau à la Chancellerie, mon regard se porte sur un résumé de l'histoire du 20ème siècle. Dans la façade de la Chancellerie se trouve encore le balcon d'où la première démocratie allemande a été proclamée mais surtout on y voit les traces sanglantes que nous a laissées le national-socialisme, la plus grande catastrophe de ce siècle, je vous la place sur laquelle a eu lieu l'autodafé ". Il est vrai qu'il y a là une trace qui existe et nous avons fait l'Europe pour cela. Nous avons fait l'Europe pour la paix. Souvenons-nous quand même de cela que nous avons en commun.
Q - Quand, nous Français, nous comptons sur l'accord avec l'Allemagne, est-il habile de leur rappeler constamment l'histoire du nazisme ?
R - Là, je citais Schröder.
Q - Oui, oui.
R - C'est quand même une question importante, pour le reste il y a eu des mises au point, elles ont été faites. Je me prononçais sur le fond.
Q - Alors sur le fond justement, sur le raisonnement.
R - Et j'ajoute une chose quand même parce que je souhaite passer à autre chose qu'à cette affaire. Je voulais juste rappeler pourquoi je n'avais pas été sévère et pourquoi je continue ...
Q - Mais sur le fond ?
R - Deux choses. La première chose, c'est que les désaccords sont connus entre Jean-Pierre Chevènement et d'autres dans le gouvernement et que nous avons trouvé un moyen de les résoudre qui était justement un accord entre nous en 1997 qui portait sur ce fameux concept de fédération d'Etats-nations qui était aussi au c ...ur de la liste de François Hollande avec le Mouvement des citoyens ...
Q - Chevènement l'avait oublié alors.
R - Je crois que résumer le concept de fédération d'Etats-Nations c'est à la fois accepter qu'il y ait en Europe des éléments fédéraux et j'y reviendrais et aussi que les Nations aient de l'importance, c'est-à-dire oublier la vieille supranationalité mais oublier aussi le vieux nationalisme. C'est vers cela que nous devons aller. La deuxième chose, c'est que les Allemands savent aussi avec qui ils discutent et qu'à Rambouillet il y a maintenant une dizaine de jours, il y avait le président de la République et le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, moi-même, avec nos homologues et que cela s'est extrêmement bien passé. Il n'y a pas eu d'incident Chevènement avec ces Allemands parce que justement nous savons où nous en sommes les uns et les autres quand aux chefs d'Etat et de gouvernement et quant à notre diplomatie.
Q - Précisément, sur le fond pour bien comprendre le raisonnement : si on a compris le raisonnement de Jean-Pierre Chevènement, indépendamment de la polémique qu'il a suscitée : il disait qu'en raison de la difficulté que l'Allemagne a à enterrer son passé, elle fuit et il pensait à Fischer et à son projet dans un fédéralisme exacerbé, je résume. Comment est-ce que vous réagissez par rapport à ce raisonnement et du même coup comment vous réagissez par rapport aux propositions de Joschka Fischer ?
R - Je veux surtout réagir par rapport aux déclarations de Joschka Fischer qui, honnêtement, me paraissent plus importantes que ce raisonnement. Il y a eu un discours qui a été fait par lui à Humboldt. C'est un grand discours, un discours important, non pas qu'il soit d'une originalité phénoménale. Ce qu'il a dit, d'autres l'avaient dit auparavant, Jacques Delors l'avait dit avec son concept de fédération d'Etats-Nations, qu'il a inventé dès les années 1995. Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing l'avaient dit à leur façon en proposant qu'il y ait des regroupements autour de l'euro, d'autres le disaient ou le pensaient, moi-même, plus modestement, je l'avais dit. Mais c'est un ministre allemand et donc il a permis de réaffirmer l'engagement de l'Allemagne dans la construction européenne, dont on pouvait douter à certains moments, après la réunification ou après l'élection de Gerhard Schröder. C'est un ministre en exercice qui parle d'un très grand pays juste avant la présidence française et il pose un débat qui est fondamental : le défi qui nous attend, c'est l'élargissement de l'Union européenne. On n'en parle pas assez mais c'est ce qui est important. Dans dix ans, nous ne serons plus quinze nations qui étaient unies par la guerre froide dans le bloc occidental, nous serons trente, et cette Europe à trente, comment peut-elle fonctionner, quels projets a-t-elle en commun ? Quelles valeurs a-t-elle en commun ? Et donc il a eu l'immense mérite de poser ce débat ...
Q - Et d'y proposer des solutions.
R - Il y proposait des solutions qui sont des solutions pragmatiques et progressives et de ce point de vue-là, je salue aussi le cheminement qu'il a proposé. Il dit : commençons par réussir la Conférence intergouvernementale qui est la première échéance de la présidence française, la principale, donc réformons d'abord nos institutions ...
Q - Echéance pour décembre ...
R - Echéance pour décembre. Deuxièmement, dans cette Conférence intergouvernementale, dégageons ce qu'on appelle des coopérations renforcées, c'est-à-dire la capacité que quelques pays entre eux ont à avancer sur des sujets qui peuvent être des sujets nouveaux ou des sujets traditionnels. Les sujets traditionnels, ce sont l'Union économique et monétaire ou la défense ou encore les transports, la culture, l'éducation, peut-être la justice, bref tous les sujets sur lesquels on peut à quelques-uns avancer et constituer pragmatiquement de façon variable cette avant garde qu'on cherche ...
Q - Mais ça c'est les coopérations renforcées à géométrie variable, on est bien d'accord.
R - A géométrie variable. Ensuite, il y a cette troisième étape qui est la fédération et là c'est le débat sur les finalités qu'on peut partager ou ne pas partager. J'ai une réponse à cela. Ma réponse est la suivante : la Banque centrale européenne, qui peut nier que c'est une institution fédérale ? La Commission à sa manière, c'est une institution fédérale ; la Cour de justice des communautés européennes, c'est une institution fédérale. Quand on décide au conseil des ministres à la majorité, c'est du fédéralisme. Mais ce fédéralisme est diffus, il est mal organisé et moi je suis tout simplement pour une Europe de projets, ce qui compte, c'est que dans une Europe à trente qui sera nécessairement plus hétérogène, certains puissent ensemble développer de grands projets. Donc, oui je suis pour la géométrie variable pour ma part, mais je crois que ce n'est pas incompatible avec le terme de fédération d'Etats-Nations parce qu'au fond, c'est ce qu'on est sûrement en train de faire.
Q - Dans le projet de Joschka Fischer, êtes-vous d'accord avec ce qu'il propose de l'articulation à la fois d'une souveraineté européenne et des souverainetés nationales ? Cela vous semble-t-il la bonne dialectique ?
R - Ce n'est pas une mauvaise dialectique, parce que c'est justement ce que nous sommes en train de faire. Nous avons transféré les souverainetés. Qui peut le nier ? L'exemple le plus fameux étant bien sûr la monnaie qui est un abandon de souveraineté, un transfert de souveraineté à une autorité supérieure qui est l'Europe. Nous le faisons tous les jours, sur tous les sujets dont nous parlerons, sur la chasse, sur les OGM, sur la sécurité alimentaire. Nous essayons d'avancer vers en tout cas des partages de souveraineté et en même temps, cette Europe d'aujourd'hui n'est plus une Europe qui a une idéologie supranationale, elle tient compte des Nations, des réalités nationales. On peut être tout à fait français et européens, européens et français.
Q - Alors à partir de ce que vous venez de dire, faut-il que, - je reprends une expression que vous avez utilisée -, la France pour sa présidence qui à six mois d'ici au Conseil européen de Nice au mois de décembre se contente d'être modeste, c'est-à-dire qu'elle tâche de résoudre les problèmes techniques des trois réformes des institutions ou bien faut-il qu'elle aille plus loin et inscrive dans le Sommet de Nice ce projet européen, comme le souhaitent certains, comme le demandait quelqu'un comme Daniel Cohn-Bendit qui est un grand ami de Joschka Fischer ?
R - C'est un bon ami à moi aussi. Mais ce serait quand même une erreur. Je crois qu'il ne faut pas faire se télescoper les débats et les échéances. Si on posait tout de suite le problème d'une fédération alors qu'il est un débat de long terme.
Q - J'ai dit : " comme horizon ".
R - Oui, mais si on posait tout de suite le problème de la constitution éventuelle de l'Europe à laquelle certains croient et certains ne croient pas, alors on compromettrait nos chances de résoudre la question à court terme qui est la nôtre : comment faire fonctionner l'Europe à Quinze pour qu'elle puisse continuer à fonctionner à trente ? Et donc, je crois que la priorité c'est de réussir la Conférence intergouvernementale mais avec ambition. C'est pour cela que pour moi il n'y a p lus trois questions, comme on disait à un moment donné, c'est-à-dire la réforme de la Commission, le vote à la majorité qualifiée, la pondération des voix au Conseil, mais quatre et je noterais dans cette quatrième, les coopérations renforcées parce qu'elles sont à la fois un élément pour faire mieux fonctionner l'Europe d'aujourd'hui et une passerelle pour l'Europe de l'avenir dont nous parlons.
Q - Vous dites ambition, mais tout à l'heure vous nous disiez : oui je suis d'accord pour la géométrie variable, donc coopération renforcée. Cela veut dire en fait que dans certains secteurs la défense, par exemple, on peut trouver les Britanniques qu'on ne va pas trouver dans d'autres domaines d'activité, par exemple la monnaie très bien, mais Daniel Cohn-Bendit dit au contraire lui que c'est le moment maintenait si on veut continuer à avancer où il faut mettre tout le monde au pied du mur, ceux qui veulent vraiment faire en sorte que l'Europe soit une puissance existe, et pas seulement un marché permettant aux marchandises de circuler librement. C'est le moment pour chacun de dire sa vérité. Avec ces coopérations renforcées, n'êtes-vous pas en train finalement de baisser le pied, à chaque fois de perdre un peu de terrain, finalement d'organiser une Europe un peu diluée, informe qu'on retrouvera par-ci par-là, mais qui n'aura pas de voie d'expression sur la planète terre en tant que telle ?
R - Il arrive des moments ou on n'est pas obligé toujours de se définir par rapport aux autres, ni par rapport à Jean-Pierre Chevènement, ni par rapport à Daniel Cohn-Bendit, ni par rapport à Joschka Fischer. Nous sommes aux responsabilités, nous avons nos responsabilités, donc je vais m'exprimer pour moi-même tout simplement.
Je ne crois pas à la finalité proposée par Joschka Fischer, je crois au chemin, je crois à la vision. Je pense que nous ne devons pas fuir cela mais je ne crois pas à la finalité, et je ne crois pas davantage d'ailleurs au projet exact de Jacques Delors pour une raison très simple. Si on avait d'une part une grande Europe à trente avec une Commission, avec un parlement de 700 membres, avec un Conseil des ministres et puis à l'intérieur, une petite Europe de six, huit, dix, d'ailleurs, comme ferons-nous pour évacuer les uns ou les autres ? Il y aurait un deuxième parlement, il y aurait une deuxième Commission, il y aurait un deuxième Conseil et comment pourrait-on rendre cela lisible à nos concitoyens, donc, je ne suis pas pour le grand saut institutionnel. Je ne suis pas pour ... et c'est pour cela que j'en viens à la géométrie variable, la géométrie variable permet d'avoir ...
Q - Comment maintenez-vous la puissance politique de l'Europe si chacun fait ce qu'il veut à l'intérieur ... ?
R - Géométrie variable, cela ne veut pas dire qu'on renonce à un projet intégrateur, pas du tout. Vous savez ce qu'on appelle le noyau dur ou l'avant-garde il se fera, je crois simplement ...
Q - Comment ? Par l'opération du Saint-Esprit ?
R - Mais c'est déjà fait. Je veux dire l'euro 11, bientôt l'euro12, avec la Grèce c'est une forme d'avant-garde.
Q - Mais elle n'a pas d'existence politique.
R - Il faut raisonner autrement et dire on arrête l'élargissement ou alors la Grande Europe, cela devient une sorte de Conseil de l'Europe ou une confédération et rien de plus et la vraie Europe c'est le contraire. Donc moi, je crois qu'il faut poursuivre l'aventure européenne, il faut réussir l'élargissement, mais à l'intérieur il faut être capable de constituer une avant-garde ou des avant-gardes, je souhaite que les Britanniques y soient, ce serait une perte de force s'ils n'y étaient pas et en même temps, c'est qu'ils ne seront pas dans le projet central qui est l'économie.
Q - La question tourne autour de celle d'Olivier Mazerolle tout à l'heure, de l'identité politique de l'Europe. Or il a été dit, ces dernières semaines, alors que l'euro a perdu depuis son lancement près d'un quart de sa valeur, qu'une des raisons de cette décote c'était précisément que c'était une monnaie qui ne correspondait pas à une identité politique. Or, ce que l'on voit se profiler pour la présidence française, ce n'est pas un progrès vers la constitution ou le renforcement d'une identité politique de l'Europe.
R - Je devrais peut-être revenir à des éléments de base. Premièrement, nous sommes en train de penser à l'Europe élargie et c'est un projet politique fort, conscient, historique, nous allons réunifier l'Europe qui a été divisée par 50 ans de guerre froide et tout de même, cette réforme institutionnelle répond à cet impératif-là, donc ne faisons pas comme si la CIG ce n'était rien et comme s'il y avait, par ailleurs, un grand projet politique. L'élargissement est en soi un grand projet politique et c'est pour cela que le traité de Nice est un projet très important. D'ailleurs, chacune des questions que l'on n'a pas traitées à Amsterdam sont des questions importantes pour l'avenir. Deuxième chose, il est clair que lorsqu'on est dans une Europe à trente, alors à ce moment-là, il faut envisager une structure, un fonctionnement différent parce qu'on sait très bien que les Trente ne pourront pas suivre ensemble, d'où la question de l'identité politique. C'est pour cela que, et c'est mon troisième élément, nous soutenons la question des coopérations renforcées. Qu'est-ce qu'une coopération renforcée ? Cela veut dire que dans le cadre des traités qui sont signés à 15, 20, 22 ? 27, 30, dans le cadre des traités un petit nombre d'Etats - il reste à en fixer le nombre, 5, 8, 10, on verra bien - sont capables de provoquer entre-eux un mécanisme de coopération pour mener une politique un projet. C'est cela une coopération renforcée.
Q - Oui, mais avec à chaque fois des géométries variables.
R - Attendez que cela se fasse sans avoir de possibilités de veto et qu'à l'intérieur de cela on ait la possibilité d'organiser un fonctionnement. C'est pour cela que l'exemple de l'euro est un très bon exemple, je ne crois pas pour ma part qu'on puisse dire que l'euro suffit à notre identité politique. Mais l'euro a besoin d'identité politique et donc c'est à l'intérieur du Conseil de l'euro qu'il faut donner un pouvoir politique. C'est pour cela qu'il y a des questions qui sont pendantes depuis un certain temps ...
Q - Attendez quelle est la représentation extérieure de l'euro ... ? C'est le patron de la BCE ou peut-on imaginer un président du Conseil de l'euro ?
R - Absolument. C'est une question à laquelle nous allons essayer de répondre sous notre présidence mais quand on dit le président du Conseil de l'euro, ce n'est pas le président de l'Europe, et c'est pour cela que moi je continue de penser effectivement qu'il y aura un président du Conseil de l'euro, qu'il peut y avoir des institutions qui concernent la défense, qu'il peut y avoir des actions sur les transports, bref que, dans chacun de ces projets, il faut être capable de les structurer politiquement parce que ...
Q - Juste une incise sur ce Conseil de l'euro, sans entrer dans l'affaire de l'euro mais croyez-vous que ce Conseil de l'euro aura jamais une identité politique aussi longtemps par exemple que la Grande-Bretagne ne sera pas dans l'euro ? Ce qui pose toute la question des coopérations à géométrie variable.
R - Il y en aura une. Ce sera l'identité qu'a l'euro lui-même, évidemment ce serait mieux si la Grande-Bretagne y est mais cela donne plutôt de l'eau à mon moulin, vous savez, parce que si on voit que la Grande-Bretagne reste durablement, - je ne crois pas, je pense qu'elle viendra dans quelques années -, en dehors de l'euro, est-ce que pour autant la Grande-Bretagne n'est pas un acteur majeur de l'avant-garde ? Non, elle doit y être. Et c'est pour cela que sur d'autres projets par exemple la défense, on a besoin de la Grande-Bretagne, d'où ma conception plutôt que géométrie variable, voilà la formule que je propose. C'est " Europe de projets ". Et dans ce contexte-là, si vous dites on crée une identité politique unique, c'est-à-dire on arrête la géométrie variable, on fixe. Alors à ce moment-là, comment est-ce que vous faites pour dire aux Suédois, aux Danois, je ne parle pas des Autrichiens qui sont dans la même situation, vous êtes gentils, vous êtes venus chez nous ...
Et pourquoi pas les Anglais.
Q - Deux questions tout de même : d'abord, les Anglais justement, toutes les décisions économiques concernant l'Europe ne sont pas prises au sein du Conseil de l'euro où les 11 pays qui sont membres de l'euro se rassemblent mais elles sont prises par les Quinze dans lesquels se trouvent les Anglais qui n'aiment pas l'euro. Par conséquent, on vous dira les Anglais font tout pour saboter l'euro et les décisions ne sont pas prises en t out cas en fonction des intérêts européens, donc la coopération renforcée ne mène pas à grand chose.
R - Encore une fois, cela va dans le sens de ma thèse parce que lorsque nous avons créé le Conseil de l'euro en 1997 à Luxembourg - à l'initiative pour beaucoup de Dominique Strauss-Kahn qui avait été un des premiers à parler de ce gouvernement économique - nous avions souligné qu'il y avait une ambiguïté. Il y avait d'ailleurs une bataille, bataille politique entre Lionel Jospin et Tony Blair, Tony Blair disant que toutes les décisions doivent être prises dans ce qu'on appelle le Conseil Ecofin.
Q - A quinze.
R - C'est-à-dire à quinze. Et puis Lionel Jospin disant : il faut que les décisions soient prises dans le Conseil de l'euro. On a trouvé une cote ... Cela prouve bien le débat d'aujourd'hui : c'est le conseil de l'euro qu'il faut renforcer. Et donc y compris sans les Britanniques. Et autant sur la défense européenne que nous voulons faire avancer que sur des affaires comme le Kosovo, nous ne soyons pas sans arrêt à la remorque des Américains. Il faut que les Anglais y soient, d'où l'Europe de projets.
Q - Deuxièmement comment allez-vous vous y prendre sur toutes les questions dont on a parlé : coopération renforcée mais aussi composition de la Commission, les voix des différentes nations qui composent l'Europe etc. Chaque pays peut mettre son veto, donc comment allez-vous à Nice arriver avec une besace pleine qui vous permettra de dire : voilà le nouveau Traité européen ?
R - Nous allons à Nice avec des idées assez claires. Première idée, il faut que ce traité de Nice soit un traité ambitieux parce que- je le répète - ce n'est pas une petite affaire que de préparer l'élargissement et de mieux faire fonctionner l'Europe. Donc nous n'accepterons pas un traité de Nice au rabais.
Q - Oui mais enfin, vous pouvez dire non. Mais si les autres disent le contraire ?
R - On verra bien. C'est ma première idée : cela veut dire que nous préférons pas de traité de Nice du tout qu'un mauvais traité de Nice. Si c'est pour se retrouver avec exactement les mêmes questions que nous avions laissées de côté à Amsterdam, non résolues, cela ne vaut pas la peine. Nous dirons : " on ne le fait pas ". Et puis la deuxième chose, c'est que s'il n'y a pas de traité à Nice, on se trouve quand même dans une situation sérieuse pour l'Europe. Souvenez-vous que nous avions dit qu'il était nécessaire de réformer les institutions avant l'élargissement. Nous le pensons toujours.
Q - Mais si on n'aboutit pas à Nice, on dit attention on pourrait choisir la solution Fischer.
R - Absolument c'est bien ce que je veux dire. Si on n'aboutit pas à Nice, alors à ce moment-là, peut-être, sera-t-il nécessaire de repenser la question de l'avenir de l'Europe
Q - Avec un noyau dur, l'avant-garde.
R - C'est pour cela que je refuse, pour ma part, à mélanger les deux débats parce que, pour moi, ils viennent l'un après l'autre. Si à Nice on a un bon traité avec des coopérations renforcées souples, pragmatiques, avec des modalités de fonctionnement alors nous irons dans le mouvement vers cette Europe de projets que j'évoquais. Si à Nice on n'a pas un bon traité donc pas de traité, alors, à ce moment-là, il faudra se poser la question de l'avenir de l'Europe en étant peut-être plus.. .
Q - Les Allemands sont d'accord avec vous sur cet élément, sur cette alternative ?
R - Vous savez, nous avons eu à Rambouillet, il y a dix jours, une rencontre discrète dont je ne vais pas trahir le contenu exact, mais juste en indiquer l'esprit. Les Français et les Allemands sont décidés à la fois à fonctionner ensemble sur la CIG et donc, nous avons des rencontres pratiques, Hubert Védrine dînait hier avec Joschka Fischer. Je verrai mon homologue M. Zöeppel mardi. Nous aurons de longues séances de travail. L'idée c'est que nous avons des positions communes dans la CIG complètement communes. Je crois que c'est comme un élément de force de cette idée. Puis, la deuxième chose, c'est que nous allons réfléchir ensemble, à l'avenir de l'Europe, non pas avec pour unique référence ce texte de Joschka Fischer, mais nous avons vraiment une approche politique, qui, aujourd'hui, est extrêmement proche de ces problèmes et nous pèserons ensemble. Ce n'est pas les Français d'un côté, les Allemands de l'autre, on a beaucoup dit que le moteur franco-allemand était en panne, que cette relation était tiède, mais je crois qu'elle est en train de connaître un nouveau souffle et on le verra dans les semaines qui viennent avec le Sommet franco-allemand à Mayence le 9 juin ou avec la visite du président de la République à Berlin les 26 et 27 juin.
Q - Mais sans vouloir entrer trop dans le détail de la CIG les trois questions qui sont en suspens, c'est-à-dire l'extension du vote à la majorité qualifiée, la pondération des voix entre les Etats et la composition de la Commission, le nombre de commissaires, sans trahir de secret, est-ce qu'aujourd'hui on est d'accord sur ces trois points avec les Allemands ?
R - Nous sommes en train de se mettre d'accord. Nous sommes vraiment très proches d'un accord.
Q - A Mayence, on sera d'accord ?
R - Je l'espère très sincèrement. En tout cas quand nous commencerons notre présidence le 1er juillet, nous allons relancer la CIG au niveau politique, notamment je présiderais un groupe de négociateurs à un niveau politique et nous aurons des positions communes, j'en suis absolument sûr. Nous avons aussi non seulement des positions communes mais des conceptions communes qui sont celles que je viens de dire : oui à un traité fort, non à un traité au rabais et puis réfléchissons ensemble à l'avenir et en même temps, ne prédéterminons pas l'avenir parce que l'avenir ne sera pas le même si on réussit la CIG ou si on ne la réussit pas.
Q - Est-ce qu'entre la France et l'Allemagne la question de l'Autriche a cessé de faire problème. L'approche, on le sentait bien au-delà du discours ce n'est pas tout à fait la même entre les Français qui étaient sur une position plutôt de sanction vis-à-vis d'un gouvernement autrichien qui avait admis dans ses rangs des ministres d'extrême-droite et des Allemands qui considéraient que la question ne devait pas être posée au niveau européen.
R - De cela aussi nous avons parlé à Rambouillet. C'est vrai que le peuple allemand n'a pas la même attitude que les Français par rapport à ce que le gouvernement autrichien pour des raisons évidentes de proximité et aussi du fait que l'attitude de la CDU et notamment de la CSU bavaroise de M. Stoiber qui est, je dirais assez indulgente à l'égard de cette alliance. Donc si on interroge les Allemands, on voit qu'ils sont effectivement favorables à moins de sanctions, mais les gouvernements ont toujours été parfaitement en phase et jamais le chancelier Schoeder ou M. Fischer n'ont faibli. Donc, notre attitude aujourd'hui est commune : rien n'a changé en Autriche, contrairement à ce qu'on a pu dire à un moment donné, la nature du parti de M. Haider, ce parti populiste.
Q - Xénophobe ..., le fait qu'il en ait démissionné.
R - N'a pas changé ... Le fait qu'il en ait démissionné ne change pas. Cela n'empêche pas la nouvelle présidence d'avoir des déclarations aussi ambiguës. Cela ne l'empêche pas d'aller voir M. Khaddafi. Cela ne l'empêche pas de multiplier les provocations sévères. Donc, rien n'a changé. A partir de ce moment-là, il faut continuer sur la politique de sanctions, mais, sans en rajouter c'est-à-dire que nous allons appliquer intégralement les sanctions bilatérales, c'est-à-dire que nous allons appliquer intégralement les sanctions bilatérales, c'est-à-dire entre chaque Etat et l'Autriche. En même temps, l'Autriche sera dans l'Union européenne ...
Q - Oui mais comment on contourne le pouvoir de veto dont dispose l'Autriche comme tous les membres de l'Union européenne ?
R - Vous savez dans cette affaire, je pense que c'est au gouvernement autrichien de faire en quelque sorte ses preuves. S'il a envie de bloquer l'Union européenne, il créera à ce moment là un rapport de forces qui ne sera pas contre la France mais qui sera contre la totalité de l'Europe. Et ce sera une contradiction absolue par rapport à ce que dit le chancelier autrichien M. Schüssel ou sa ministre des Affaires étrangères. Donc je pense que l'Autriche justement si elle veut préparer une sortie se doit au contraire d'être la meilleure élève de la classe.
Q - Justement la ministre aux Affaires étrangères autrichienne Mme Ferrero-Waldner va venir bientôt à Paris. Elle ne vous verra pas ?
R - Je ne crois pas, elle ne m'a pas demandé rendez-vous.
Q - Le gouvernement français n'a pas l'intention de la recevoir ?
R - Mais je vous signale que les sanctions à l'égard de l'Autriche, c'est justement cela : pas de rencontre bilatérale au niveau des ministres.
Q - Donc elle viendra à Paris sans voir les membres du gouvernement.
R - Elle viendra à Paris sans voir les membres du gouvernement.
Q - Est-ce qu'au cours de vos contacts avec les Allemands vous avez parlé de l'hypothèse à venir ...
R - Je ne lui ai pas reparlé depuis.
Q - Vous ne lui avez pas reparlé depuis quand ?
R - Depuis la formation du nouveau gouvernement. Pas parler, pas dit bonjour.
Q - Pas dit bonjour ?
R - Pas dit bonjour.
Q - Est-ce que vous avez évoqué au cours de ces discussions sur l'Autriche ce qu'il adviendrait si d'aventure ... ?
R - Mais je lui dirais bonjour pendant la présidence française.
Q - On sera bien obligés.
R - On sera obligés, parce que c'est le fonctionnement de l'Union européenne.
Q - Avez-vous évoqué avec M. Schröder ce qu'il adviendrait et qu'elles seraient vos positions si d'aventure Silvio Berlusconi arrivait au pouvoir en Italie. Même situation que pour l'Autriche, mêmes sanctions ?
R - Non, nous n'avons pas parlé de cela.
Q - Mais je vous en parle. Le ministre des Affaires européennes, que répond-il si Silvio Berlusconi arrive et est demain au pouvoir ?
R - Pas de politique fiction non plus.
Q - Non attendez ...
R - Ecoutez, Silvio Berlusconi en soi il a déjà été président du Conseil. Il dirige un parti de droite classique. Ce n'est pas ma tasse de thé mais ce sont des choses qui arrivent.
Q - Franchement, il arriverait avec d'autres alliés, vous le savez bien.
R - Cela dépend de la nature de ses alliés et là, on peut entrer dans toute une série de déclinaisons : il y a M. Fini, qui est un ex-fasciste mais qui contrairement à ce qu'a fait M. Haider a changé son parti de nature. Cela ne le rend pas sympathique du tout lui pour le coup mais c'est un parti - j'allais dire - aujourd'hui normalisé. Il y a M. Bossi qui est le président de la Ligue, qui, lui, est plus nationaliste et puis il y avait aussi lors des dernières élections régionales non pas les anciens fascistes mais les post-fascistes. Et là, on est carrément en train de déraper, on verra. On verra mais ce que je veux dire par-là, c'est qu'il s'agit de l'affirmation des valeurs de l'Union européenne. Et d'ailleurs, sous notre présidence, il n'y a pas que la CIG, il y a aussi l'adoption d'une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui doit être un référentiel de valeurs qui doit dire qu'elles sont des valeurs que nous partageons, valeurs de l'Union, valeurs du citoyens et droits des citoyens et aussi droits économiques et sociaux. C'est un texte toit à fait important, certains y voient même le préambule d'une Constitution européenne ou souhaitent qu'il soit contraignant, ce qui n'est pas exactement mon cas. Donc, nous sommes dans cette logique d'affirmation des valeurs et les valeurs ne valent pas pour les uns et pas pour les autres : elles valent pour tous. Je suis persuadé que M. Berlusconi, quand il choisira ses alliés pour les prochaines élections, aura cela en tête. C'est dans ce sens que je préfère penser.
Q - Mais alors que répondez-vous à Romano Prodi quand il dit demain dans l'Europe à 25 ou à 30, il y aura toujours un gouvernement dont on pourra dire qu'il n'est pas tout à fait dans les normes souhaitées ?
R - Je lui réponds sans intention polémique du tout bien, au contraire que c'est précisément ce que nous avons fait, nous n'avons pas exclu l'Autriche de l'Union européenne. Nous ne faisons pas de sanctions contre le peuple autrichien et je n'approuve pas pour le coup les sanctions qui touchent les élèves, des hommes et des femmes, les milieux culturels, je n'approuve pas cela du tout. Nous avons pris des sanctions bilatérales, c'est-à-dire que nous signifions à ce gouvernement que ce gouvernement n'est pas un gouvernement tout à fait comme les autres, qu'il est dans l'Union européenne mais, en même temps, nous n'approuvons pas son comportement. Je crois que cela vaudra pour ce gouvernement comme pour d'autres.
Q - Puisqu'on parlait de M. Prodi qui est le président de la Commission européenne que lui répondez-vous quand il dit à un hebdomadaire britannique économique : " oui c'est tout à fait possible qu'un pays quitte l'euro " ?
R - Il me semblait que c'était compliqué, pas prévu par les traités, mais c'est lui le gardien des traités, le président de la Commission. Donc, sérieusement ce n'est pas mon sentiment.
Q - C'est une absence de sa part.
R - Non.
Q - Une erreur.
R - C'était un raisonnement.
Q - Oui mais enfin qui contribue encore à affaiblir l'euro parce que ...
R - L'euro va plutôt mieux vous savez.
Q - Oui, il a un peu progressé d'ailleurs. On a noté qu'il a progressé au moment où la Bundesbank a dit que cela commencera à devenir inquiétant. Tant que la Banque de France le disait tout le monde s'en fichait, mais alors là la Bundesbank le dit et l'euro remonte.
R - Cela prouve qu'il y a encore de vieux éléments culturels. Non, mais sérieusement l'euro est une construction qui me paraît indissoluble et moi je veux affirmer avec beaucoup de tranquillité et de force, ma confiance en l'euro, ma conviction qu'il conserve comme on dit dans le jargon, dans la langue de bois un fort potentiel d'appréciation, l'idée qu'il faut effectivement mieux structurer tout cela, lui permettre d'avoir une voix à l'extérieur, engager aussi un dialogue comme l'a dit le Premier ministre Lionel Jospin entre les grandes puissances monétaires de la planète, puissances asiatiques avec le dollar et aussi le fait qu'il faut être conscient que maintenant c'est irréversible, totalement irréversible. Nous avons fait ce choix en 1998 à Bruxelles définitivement et personne ne peut en sortir. Je n'ai pas dit entrer mais personne ne peut en sortir.
Q - Simplement une précision sur Romano Prodi. Quand il dit précisément que c'est réversible, donc vous venez de dire c'est un raisonnement, mais est-ce que ...
R - Oui parce que ses déclarations sont compliquées.
Q - J'entends bien, mais est-ce que ne se multiplient pas les raisonnements de Romano Prodi que vous pourriez qualifier précisément de raisonnement et qui pourrait vous inquiéter dans la gestion de la Commission ?
R - Non, M. Prodi n'est pas un technocrate à la française, c'est un homme politique à l'italienne.
Q - Un poète ?
R - Non, c'est un professeur, un intellectuel, c'est un homme qui sait aussi avoir les raisonnements spéculatifs et les raisonnements spéculatifs ne sont pas toujours d'un cartésianisme total mais le cartésianisme est parfois triste. Donc, M. Prodi aura toutes qualités pour faire un bon président de Commission.
Q - Quelquefois quand on entend, vous par exemple ou d'autres dirigeants français dire à quel point ils sont européens, à quel point ils sont engagés dans l'Europe et dans la construction de l'Europe et puis prendre par ailleurs des décisions qui ne sont pas tout à fait, ou qui sont même carrément en contradiction avec des décisions européennes, on l'a vu pour l'importation de boeufs britanniques, à propos de la vache folle, on voit que sur les OGM entre les positions votées par le Parlement européen, puis celles du gouvernement français, il y a des différences et même opposition. Donc est-ce qu'il n'y a pas une Europe, au fond, une Europe des discours et puis une souveraineté nationale réaffirmée dans la pratique ?
R - Deux choses là-dessus : d'abord quand il est question de la santé des Français, de la sécurité alimentaire des Français, c'est une question d'intérêt national, c'est une question d'intérêt vital. Je me souviens pour y avoir participé, des débats internes au gouvernement quand il s'est agit de l'embargo sur le boeuf britannique, une décision extrêmement difficile à prendre. Nous l'avons prise à la veille d'un Sommet franco-britannique et je me souviens d'une ambiance un peu fraîche, en tout cas qu'il a fallu gérer avec habileté, au risque de provoquer des réactions mais nous avons eu le souci de la sécurité de la santé des Français et nous voulons une société de sécurité. Vous parlez de ce que nous devions inventer dans les années qui viennent, pour moi ...
Q - Je trouve cela un peu paradoxal de dire que l'Europe c'est formidable et dès que la sécurité et la santé sont en jeu, on se replie sur la Nation.
R - Quand vous parlez du colza, nous avons fait exactement le contraire, c'est-à-dire que nous avons pris une mesure d'ordre publique en demandant l'arrachage de ces champs de colza, de ces 600 hectares justement en application du fait qu'au niveau européen a été décidé un moratoire sur les OGM. Alors, d'autres ont une interprétation plus laxiste de ce moratoire ...
Q - Les Anglais.
R - Notamment, mais plusieurs pays parce qu'ils disent que le taux d'OGM est extrêmement faible, d'où la proposition de Jean Glavany faite ce matin de revoir un peu les textes en la matière, pour être plus précis, pour savoir jusqu'à quel seuil les choses sont dangereuses ou pas. On en a sans doute besoin. Mais la France en l'occurrence a appliqué de façon très précise les moratoires pris par l'Union européenne. Je crois que cela permet peut-être de dire un mot sur ce qui sera aussi au coeur de la présidence française de l'Union européenne, c'est-à-dire les priorités citoyennes. Nous avons la charge, c'est fondamental, de réformer les institutions européennes, de préparer l'Europe du futur. Nous avons aussi la charge de rendre l'Europe plus proche du citoyen et je sais que vous y êtes attachés, de faire en sorte qu'elle résolve un certain nombre de problèmes concrets. C'est pour cela que nous allons proposer, je donne un seul exemple, une agence de sécurité sanitaire des aliments pour éviter que puissent, par exemple, se poser à nouveau des problèmes comme la vache folle ou en tout cas comme des interprétations différentes entre les Européens, qui peut avoir une tâche d'évaluation du risque sanitaire. M. Prodi en avait fait le projet et nous allons essayer de le lancer sous notre présidence comme nous allons par exemple dans un autre domaine essayer de prendre des mesures en matière de sécurité maritime pour éviter que ne puissent se reproduire des phénomènes de dérégulation comme ceux qui ont entraîné l'Erika.
Q - Tout de même, bien souvent l'Europe sert d'alibi quand il s'agit de la vie quotidienne ou des éléments extrêmement concrets sur des sujets extrêmement divers, Patrick Jarreau vous le disait tout à l'heure sur la chasse, vous dites : il y a une directive européenne. Sur les marchés financiers, sur les marchés dans les petites communes : il y a de nouvelles règles. C'est l'Europe qui le veut. Sid Ahmed Rezala qu'on a du mal à faire revenir en France pour qu'il y soit jugé, là il n'y a pas d'Europe. Alors est-ce que l'Europe c'est un moteur, est-ce que c'est quelque chose qui est positif ou bien ça sert d'alibi au gouvernement à prendre les mesures qu'il n'a pas envie de prendre ou alors qu'il a du mal à faire passer dans son opinion publique?
R - En toute hypothèse, ce n'est pas cela. Par exemple, sur la chasse, ce que je rappelais simplement c'est qu'une directive, c'est un texte que nous avons adopté à l'unanimité, ce n'est pas la Commission qui prend des mesures toute seule, cette espèce de monstre bureaucratique, qu'elle n'est d'ailleurs pas, et on le voit quotidiennement, ce sont bien les Etats membres qui ont voté à l'unanimité un texte en 1979. C'est donc devenu notre loi commune. Et quand je parle de l'Europe en la matière je dis simplement appliquons la loi commune. Alors cette loi commune comme toutes les lois elle peut être bonne ou elle peut être moins bonne. J'avoue que je suis élu local, je suis même en campagne électorale, enfin en pré campagne électorale parce que cela viendra plus tard et la directive sur les marchés, j'ai constaté qu'elle ne faisait pas l'unanimité absolument partout. Mais il y a aussi d'autres cas de figure quand, par exemple, vous évoquez l'affaire Rezala, ce qui est en cause ce n'est pas le trop d'Europe, c'est l'insuffisance d'Europe. C'est une affaire extrêmement délicate parce que non seulement c'est une affaire judiciaire mais c'est aussi une affaire entre des Etats, que de négocier une extradition. Il faudra sans doute aller vers plus d'harmonisation en matière judiciaire et cela aussi fait partie des priorités de la présidence française et il y a des niveaux, on va y travailler. Il faudra tout de même que ce genre de situation puisse ne pas se reproduire même si les choses sont extrêmement compliquées parce que quand on parle d'harmonisation il faut savoir sur quoi on harmonise, sur le plus favorable ou sur le moins favorable, sur le plus sévère ou sur le plus laxiste, ce n'est pas un hasard si M. Rezala s'est rendu au Portugal et ce n'est pas un hasard non plus si pour obtenir son extradition, le débat a porté sur la durée de peine maximale qui existe au Portugal, les Portugais disant : " on ne peut pas vous l'extrader s'il peut être condamné à une peine de plus de trente ans ". Ces choses-là font justement partie des domaines où nos concitoyens sentent qu'il y a un besoin d'Europe, il y a une demande d'Europe. On a besoin d'une Europe qui soit un facteur d'organisation de résistance à certains points de vue dans la mondialisation, d'une Europe qui soit une ambition pragmatique, et d'une Europe qui réponde aux problèmes concrets qui sont ceux de cet espace graphique, historique, politique que nous partageons.
Q - Permettez-moi de prendre un autre exemple qui illustre non pas l'Europe alibi mais l'Europe handicap, votre collègue Jean Glavany a proposé, a soumis à Bruxelles un plan de développement rural national dans lequel se trouvent notamment les fameux CTE, les contrats territoriaux d'exploitation, pour les agriculteurs qui sont très chers aux socialistes et apparemment la Commission a "retoqué "" si je puis dire sa copie, alors qu'est-ce qui va se passer concrètement : il va falloir refaire, recopier, recommencer ou bien les CTE sont-ils contestés ?
R - Je fais partie de ceux qui pensent que les CTE sont parfaitement eurocompatibles. Quand nous avons envisagé la réforme de l'agriculture, nous avions à articuler au fond trois éléments, d'abord l'élément national, c'était la loi d'orientation agricole de Jean Glavany avec en son coeur le contrat territorial d'exploitation, puis la réforme de la politique agricole commune, c'était l'Agenda 2000 que nous sommes parvenus à signer de façon assez laborieuse en mars 1999. Puis, il y a aussi l'Organisation mondiale du commerce et nous voulons maintenir une agriculture européenne. Dans ce contexte, il existe des discussions entre la Commission et les Etats, je suis persuadé qu'on va parvenir à des solutions.
Q - Et vous trouvez la Commission trop sourcilleuse ou trop pointilleuse en l'occurrence ?
R - Cela, il lui arrive de l'être.
Q - Elle l'est en l'occurrence ?
R - Il lui arrive de l'être notamment quand ils parlent concurrence etc ....
Q - C'est un vieux débat.
R - C'est un vieux débat mais qui va se continuer./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)