Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "RMC" le 5 février 2003, sur l'aide de l'Etat aux localités des Landes et de la Côte basque touchées par la marée noire, sur le budget 2003 du ministère de l'équipement, sur les négociations concernant la reprise de la compagnie aérienne Air Lib, et sur la privatisation partielle d'Air France.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Avant de parler d'Air Lib et de la privatisation d'Air France, je voudrais vous poser deux ou trois questions sur l'actualité. D'abord, les rivages souillés des Landes et de la Côte basque. J'entends les maires qui nous disent : "on a besoin d'argent", qui nous disent qu'il faut de l'aide parce que la situation devient vraiment sérieuse.
- "Cette fois-ci, vous avez vu combien le Gouvernement avait pris les choses en avance : il y a eu une reconnaissance du terrain, de la mer. Au fur et à mesure que les boulettes arrivaient et maintenant, les plaques, il faut dire qu'il y a une formidable mobilisation. Je crois qu'au niveau de l'effort public, public de l'Etat central, je crois qu'il n'y a vraiment rien à nous reprocher. Au contraire, on est à l'heure. Mais c'est vrai que cela nécessite une attention, une veille de tous les jours, et que le drame de cette affaire c'est que ça va durer et que ça risque de durer pendant des semaines, peut-être des mois, et peut-être des années... Donc, il ne faut surtout pas que les gens désespèrent. Il faut qu'ils se mettent dans l'idée qu'un effort continu, continuel et pérenne doit être fait."
Allez-vous envoyer des militaires en plus grand nombre sur place ?
- "La décision appartiendra, bien sûr, à la ministre de la Défense, M. Alliot-Marie, le temps venu. Mais si véritablement cela prend des proportions importantes, j'imagine qu'elle sera sollicitée et j'imagine aisément qu'elle répondra présente."
Bercy a annoncé le report à des temps meilleurs de près de 1 % des dépenses inscrites au budget 2003. Tous les ministères sont concernés sauf l'Intérieur, la Justice et la Défense ; c'est vrai pour vous aussi : votre budget va être rogné.
- "Oui, c'est normal, pas rogné."
Pas rogné ?
- "Simplement, on fait une épargne de précaution. Cela veut dire qu'on ne dépense pas tout au premier semestre quand il y a un deuxième semestre qui va arriver et dont on ne connaît pas la conjoncture et les recettes prévisibles au milliard d'euros près. Par conséquent, on dépense le moins possible au premier semestre pour se réserver des sommes importantes au deuxième semestre qu'on pourra dépenser et investir si la conjoncture est bonne. Ou bien qu'on essaiera de ne pas dépenser si la conjoncture est moins bonne."
Aucun projet ne sera reporté ?
- "Des projets peuvent être, le cas échéant, étalés, laissés dans le temps s'il n'y a pas l'argent. Mais on gère cela en bon père de famille, comme n'importe quelle famille en début du mois, on fait une épargne de précaution pour passer la deuxième quinzaine."
La Côte d'Ivoire maintenant : la France ne prend pas en charge le rapatriement des français de Côte d'Ivoire. Est-ce normal ?
- "Je pense que c'est normal. Chacun..."
Pourquoi pas des billets gratuits sur Air France, par exemple ?
- "Pourquoi pas des billets gratuits ?! Et pourquoi est-ce que ce serait gratuit ? Expliquez-moi pourquoi ce serait gratuit ? Je veux bien qu'on fasse cadeau de tout à tout le monde, mais c'est jamais cadeau, c'est toujours de l'argent public. Et donc dites-moi quelle est la raison profonde d'un rapatriement gratuit ? Et pourquoi est-ce qu'on n'amènerait pas aussi les gens en vacances gratuitement, pourquoi on ne les ramènerait pas de vacances gratuitement ? En Côte d'Ivoire, aujourd'hui, on ne demande pas une évacuation d'ensemble et précipitée. Les gens peuvent prendre un peu de temps. Et j'imagine que s'il y a des cas désespérés ou dramatiques, on doit pouvoir trouver des solutions. Mais ramener 10, 12 ou 14 000 personnes gratuitement, vous imaginez un peu les sommes que cela représente ! Est-ce que la situation est suffisamment dramatique pour qu'il y ait cette évacuation précipitée et gratuite ?"
Ce soir, les avions d'Air Lib pourront-ils continuer à voler ?
- "On le saura ce soir."
Vous le saurez ce soir, et pourquoi ? La licence d'exploitation a été prolongée jusqu'à ce soir...
- "Parce que ce soir, il peut se passer, d'ici ce soir, un certain nombre d'événements. Aujourd'hui, on peut dire que le Gouvernement a fait son devoir. Le Gouvernement a tout fait, surtout dans une période où l'opposition dit au Gouvernement "vous ne faites rien quand il y a des plans sociaux", on aura tout fait ! Le Gouvernement, dans son ensemble, sous l'autorité du Premier ministre, aura tout fait pour sauver cette entreprise. C'est un sauvetage en trois manches si je puis dire. La première manche, c'est : comment réaliser un bon accord pour le remboursement des dettes par un repreneur qui s'est manifesté à partir de novembre ? Là, sur le plan juridique, fiscal, financier, budgétaire tout le monde est au carré, on est prêts à signer cet accord-là, on est tous d'accord. Donc, c'est une chance pour l'Etat le cas échéant, de voir sa créance remboursée. C'est la première manche. Deuxième manche : avec les représentants du personnel, la société Imca, le repreneur, a eu des contacts parfois assez rudes d'ailleurs, pour essayer d'obtenir des gains de productivité. Il semble qu'un accord ait été trouvé. La troisième manche ne dépend pas de l'Etat français, ni du Gouvernement, c'est Imca qui veut des avions qui sont plus compétitifs..."
Vingt-neuf A 319, des Airbus...
- "Vingt-neuf A319, parce qu'il coûtent moins cher à l'heure de vol, meilleure capacité, donc cela fait aussi gagner des points de productivité et cela rend la société nouvelle ou Air Lib plus compétitive. A ce moment-là, c'est une négociation entre une entreprise privée qui s'appelle Airbus, et un repreneur privé qui s'appelle Air Lib. Dans cette négociation, l'Etat n'a pas à intervenir."
Vous n'interviendrez pas auprès d'Airbus ?!
- "Mais l'Etat ne peut pas fixer le prix des Airbus, en disant à son président ou à son équipe dirigeante : "vous allez vendre des Airbus à tel prix plutôt qu'à tel autre". Ce serait une véritable ingérence dans le monde économique, et les actionnaires d'Airbus pourraient, à la limite, faire un recours contre l'Etat, qui aurait pesé sur un éventuel manque à gagner de cette société."
Et où en est-on de cette négociation entre Airbus et Imca ? Vous avez des informations ?
- "Je sais qu'elles durent depuis déjà de nombreux jours."
Cela s'arrangera avant ce soir ?
- "...Qu'il y a des hauts et des bas, et que c'est à l'une des deux parties sinon aux deux à vous répondre."
Il faut que la décision soit prise avant ce soir ?
- "Ils savent que la décision doit être prise le plus vite possible."
La privatisation d'Air France maintenant : il y a des grèves depuis plusieurs jours, on en parle peu mais il y a des grèves : les pilotes sont en grève, pour des questions salariales. Est-ce raisonnable ?
- "Demandez-leur !..."
Non, mais je vous le demande, vous êtes leur ministre !
- "D'abord, je ne suis pas le ministre des pilotes ! Je suis le ministre de tutelle de l'ensemble du transport, et je ne me mêle jamais des conflits internes, à la SNCF, à la RATP, à Air France. Ce n'est pas parce que nous sommes l'actionnaire majoritaire d'Air France encore pour quelques mois, que je vais m'immiscer dans une négociation entre un excellent président et des partenaires sociaux qui sont des partenaires responsables. Si vous demandez si c'est raisonnable ou pas, je remarque qu'ils sont raisonnables puisque la grève n'a pas d'effets sur le trafic aérien. Peu d'effets, 10 ou 1%."
Plus, disent des pilotes...
- "Mettons 15 %, si vous voulez, on va faire la moyenne entre 10 et 15, ce qui fait 12,5. Donc, cela n'a pas d'effet sur le trafic aérien, cela n'a pratiquement pas d'effets sur le compte d'exploitation d'Air France, cela reste raisonnable. C'est un signal que les pilotes veulent envoyer mais ils restent responsables et raisonnables. Par conséquent, ils n'ont qu'à faire leur travail, et de pilotes et de délégués syndicaux, pour discuter et négocier le cas échéant avec la direction."
L'ouverture du capital d'Air France...
- "La semaine prochaine, au Parlement. Donc, la première lecture aura lieu mercredi prochain. Cela va peut-être demander un jour ou deux. Et donc, l'ouverture du capital n'est pas la privatisation totale puisqu'aujourd'hui l'Etat français a 53,5 % des actions."
Et la semaine prochaine et demain ?
- "Et quand on mettra ces actions sur le marché, on pense qu'on cédera environ 35 %, à 2 ou 4 % près, 30 à 35 % des actions actuelles, et que le personnel, je dis bien le personnel, pourra bénéficier une fois encore d'actions à des conditions pour partie avantageuses."
Pourquoi cette privatisation ?
- "Pour permettre à Air France de se développer. Aujourd'hui Air France fait partie d'un très grand accord, d'un groupement qui s'appelle Sky Team, avec plusieurs entreprises qui étaient concurrentes, qui le sont toujours, mais qui acceptent avec Air France de faire un effet de réseau dans le monde entier. Le fait qu'Air France soit une société contrôlée par un Etat, freine le développement de ce réseau, Sky Team" ou d'autres. C'est très difficile lorsque vous êtes entreprise privée de vouloir passer des accords avec une entreprise à majorité de capital étatique. Parce qu'on se dit : mais quelle va être la politique réelle de cette entreprise, Air France, si c'est toujours l'Etat qui est majoritaire ?"
Vous pensez à un accord avec KLM ?
- "Par exemple, un accord avec KLM. Et donc pour permettre des accords avec d'autres compagnies qui étendent le réseau d'Air France dans le monde entier, avec des correspondances de plus en plus pertinentes, avec des temps d'attente, avec des dessertes plus nombreuses donc du développement du chiffre d'affaires, de l'emploi et si possible des bénéfices, il faut permettre justement à Air France d'être une compagnie comme les autres. Mais la France, l'Etat français veut garder une participation significative qui sera de l'ordre de 15 à 20 %."
Qu'est-ce que cela peut changer pour le personnel la privatisation ?
- "Pas grand chose. Le personnel aura deux ans pour négocier un nouveau statut, tranquillement, et puis, si ça change quelque chose, le personnel se verra devenir propriétaire d'une partie d'Air France."
Pas de suppressions de postes ?
- "Si on fait cela pour assurer le développement d'Air France ou pour encourager le développement d'Air France, quand on encourage le développement et que l'entreprise se développe, c'est plutôt des créations de postes à terme. Donc, aujourd'hui, le personnel a tout simplement à se réjouir de devenir un peu plus propriétaire d'Air France lorsque les actions seront mises sur le marché."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 février 2003)