Texte intégral
M. de Villepin - Permettez-moi d'abord de vous remercier, en mon nom propre et au nom de Noëlle Lenoir parce que, sur ces affaires européennes, nous travaillons très étroitement ensemble. Et vous savez à quel point, vous l'avez constaté au cours de ces journées, les défis sont importants. Il est essentiel d'en débattre en permanence et c'est notre chance au Quai d'Orsay que de pouvoir le faire ensemble.
Il y a une première constatation qui me vient à l'esprit en vous écoutant, c'est que le débat européen, dans les dernières années, a profondément changé de nature. Pendant des années, on se préoccupait de savoir si l'Europe devait relever d'une logique fédérale ou d'une logique intergouvernementale. On voit bien aujourd'hui, et c'est quelque chose qui est facile à ressentir lorsque l'on participe aux travaux de la Convention, que les choses se présentent très différemment. Aujourd'hui, je pense qu'il y a une unanimité pour constater à la fois le besoin de plus d'Europe et, en même temps, le besoin de plus d'Etats-nations. Le besoin qui nous guide, nous, Français et Allemands, dans cette grande ambition, c'est bien celui d'une fédération d'Etats-nations. C'est-à-dire que cette Europe doit marcher sur deux pieds : l'un serait la nation, le renforcement de la Nation, de l'identité de chacun des peuples, la conviction que chacun de ces peuples a quelque chose à dire dans le monde et dans l'Europe ; et le second pied, c'est, bien évidemment, cette fédération qui unit, qui fédère les énergies et les ambitions.
Il y a un second élément qui a profondément changé et dont nous ne pouvons pas faire abstraction, ce qui explique que lundi, je ne serai malheureusement pas à la Convention mais à New York, avec les quinze ministres des Affaires étrangères du Conseil de sécurité, dans le cadre d'une initiative française que nous avons prise, qui est de réunir le Conseil de sécurité sur les questions de terrorisme. Nous aborderons les questions liées à la prolifération et aux crises. Je serai à la Convention mardi.
L'enjeu du monde on le voit - et c'est en quelque sorte peut-être plus simple de partir de là pour répondre à la question de l'avenir de l'Europe -, l'enjeu du monde aujourd'hui, c'est la guerre et la paix. Lorsque l'on pense aux institutions, il faut penser en permanence aux enjeux du monde, nous sommes dans un monde qui, tous les jours, se pose la question de la guerre et de la paix. Et qui plus est, dans un très grand désordre où l'on voit s'additionner tous les problèmes, ceux du terrorisme, ceux de la prolifération, ceux des crises, ceux de l'état de droit et des réseaux mafieux. Tout cela, nous devons le faire et c'est pour cela qu'il faut penser l'Europe à la fois de façon plus efficace, plus démocratique et plus transparente. J'insiste sur le mot efficace car on peut tout concevoir et vous imaginez qu'au cours des dernières semaines avec nos amis allemands, nous avons tout imaginé y compris la proposition que vous faites aujourd'hui. Nous avons tout imaginé parce que, lorsque j'en ai parlé, jour après jour, avec Joschka Fischer, il y avait quelque chose qui nous réunissait : c'est que tous les deux, nous sommes convaincus que le monde a besoin de plus d'Europe. Si nous voulons plus de stabilité dans le monde, il faut plus d'Europe. Les Etats-Unis seuls ne peuvent pas apporter la réponse aux crises du monde. Il faut l'Europe comme grand pôle de stabilité, comme respiration originale, comme modèle original, comme construction originale et pour cela, il faut évidemment prévoir et adapter ses structures.
Dans ce contexte, nous avons secoué "l'arbre des idées" pour imaginer les différentes solutions possibles. Mais nous nous heurtons en permanence à un problème majeur qui est celui de l'efficacité : comment être à la fois légitime, efficace et transparent ? C'est un peu le triangle magique sur lequel il faut réfléchir lorsque l'on pense à l'Europe et il faut essayer d'aboutir sur ces trois piliers centraux.
Poser la question de la présidence dans ce contexte, d'une présidence unique, c'est évidemment une idée tentante, celle du modèle réduit à sa plus simple expression, avec une tête claire qui détient l'ensemble des pouvoirs, qui peut coordonner l'action de l'Europe, qui a un visage pour le monde extérieur.
Lorsque l'on entre dans le détail, la vraie question est : une même personne peut-elle concentrer autant de pouvoirs ? La main droite et la main gauche peuvent-elle agir avec la même efficacité si elles sont liées l'une à l'autre ? Demain, ne serait-ce pas plus aisé à deux, de la même façon que deux yeux vous donnent le relief en plus ? Cela donne la possibilité de faire parfois une chose, parfois une autre, parfois avec les deux mains.
Il y a donc une démultiplication de l'action de l'Europe qui lui permet d'être plus riche. Mais je veux insister sur ce point : deux mains, deux têtes, ce n'est pas forcément moins d'Europe et je dirais même que, dans notre esprit, c'est vraisemblablement la possibilité d'une garantie de plus d'Europe, même si le schéma peut apparaître au départ un peu plus compliqué. Au sujet de cette dyarchie, beaucoup l'ont souligné, évoquant la question d'une cohabitation possible ou d'un problème de collaboration entre les deux : constatons d'abord qu'au cours des dernières décennies, nous n'avons pas eu de problèmes particuliers de tensions ni de cohabitation.
Mais il y a bien deux fonctions dans cette Europe et il y a bien deux inspirations, deux objectifs particuliers avec un champ d'initiatives, de décisions bien distinctes, avec une exigence de gestion d'impulsion. Tout ceci participe de deux logiques qu'il est peut-être plus simple et peut-être plus démocratique de soigneusement séparer.
D'où, par rapport à la proposition que vous faites, une évolution de notre part pour constater qu'avoir à la fois un président de la Commission plus fort et un président du Conseil européen plus fort, c'est peut-être plus efficace, peut-être plus démocratique aussi que de n'avoir qu'un seul président et, derrière, un brouillard.
Cette logique est d'abord respectueuse de l'héritage européen mais elle permet de franchir un cap. Un cap démocratique d'abord, parce que l'on renforce l'exigence démocratique en ce qui concerne la Commission en prévoyant son élection par le Parlement européen. Et l'on renforce le pilier du Conseil européen, dont il est nécessaire de renforcer la légitimité et l'efficacité, avec un président permanent.
Comme praticien de l'Europe depuis quelques mois, il y a quelque chose qui me frappe et à quoi je voudrais vous sensibiliser.
Lorsque l'on se retrouve à la table du Conseil Affaires générales et du Conseil Relations extérieures, la première chose qui frappe, c'est qu'il y a autour de la table, des hommes et des femmes qui, chacun, représentent leur pays, qui, chacun, sont européens et qui, chacun, sont désireux de bien faire. Et lorsqu'ils se parlent, ils sont à peu près d'accord sur l'essentiel. Lorsqu'ils se séparent, chacun à leur tour pour faire leur conférence de presse au terme de ces conseils, ils communiquent sur la base de ce qui les sépare de la décision qui vient d'être prise ou de l'itinéraire qui a été choisi. Ce qui veut dire que la communication de l'Europe se fait, pour l'essentiel, à partir de ce qui nous divise beaucoup plus qu'à partir de ce qui nous rassemble. Et on le voit dans un dossier comme l'Iraq, il est difficile d'appréhender l'unité de l'Europe. Peut-on imaginer régler ce problème avec une structure seule, un président seul permettant de réaliser une homogénéité comme par miracle ? Je crains que non. Et pour une raison simple, c'est qu'il faut de la volonté, au-delà des procédures, au-delà des structures. Et vous savez qu'en France, nous sommes bien placés pour le dire puisque notre expérience constitutionnelle est riche et que nous avons l'habitude de changer de constitution régulièrement, à la première difficulté, parce que les temps changent, les choses bougent. Le vrai problème de l'Europe aujourd'hui donc, c'est un problème de volonté. Or, je ne connais aucune structure qui donne de la volonté à un corps. Lorsque vous êtes apathique, vous l'êtes, on peut vous "botter le train", cela ne donne pas forcément une capacité plus grande à agir ou à penser. Ce n'est pas parce que l'on vous secoue que vous serez forcément plus capable de trouver des idées, de choisir et de trancher.
Le vrai problème de l'Europe, c'est celui-là : comment passe-t-on de quinze maintenant, vingt-cinq bientôt, à une position unique, à une décision unique sur un certain nombre de sujets ? Pour cela, il faut un laboratoire, et ma conviction est qu'il faut le laboratoire de la Commission plus celui du Conseil européen, dès lors que cette volonté s'affine et qu'elle est rendue plus nécessaire au fil des années et du temps. De ce point de vue, constatons tous ensemble, c'est une évidence, que l'urgence mondiale est une formidable incitation pour les dirigeants de l'Europe à travailler davantage ensemble.
Nous allons avoir ce problème très concrètement avec nos partenaires européens. Nous sommes quatre au Conseil de sécurité, c'est une chance exceptionnelle en ce début d'année : il y a deux membres permanents, le Royaume-Uni et la France, plus deux autres membres non permanents aujourd'hui l'Allemagne et l'Espagne. Et nous allons être confrontés à la nécessité d'essayer d'avancer, en particulier, par exemple, sur la crise iraquienne. C'est un formidable défi. Cela implique une volonté, des choix, du courage et je crois que le processus institutionnel de la Commission et le processus institutionnel du Conseil européen, chacun avec leur légitimité propre, permettent d'instruire mieux, de créer plus de volonté, plus de légitimité qu'un processus qui aurait l'avantage d'être simplificateur avec une tête unique, mais qui aurait peut-être moins l'avantage, moins la capacité de drainer de l'énergie, de rassembler des capacités, tout simplement parce qu'il y aurait une déperdition en ligne et qu'au bout du compte, il y aurait fort à craindre que beaucoup de tentatives, beaucoup d'énergies soient dissipées, gaspillées et non transformées en capacité politique à agir.
Cette question institutionnelle est donc très importante. Il est vrai qu'à Marseille, dans un discours, j'avais émis l'idée que le fait de doter l'Europe d'une seule structure, d'une seule présidence était tentante. C'est vrai que c'est plus simple à comprendre pour les peuples, que l'on peut imaginer que ce soit aussi plus efficace. Je crois qu'il faut constamment se souvenir de cette vérité première, c'est que l'Europe est une construction totalement originale et qu'il ne faut pas chercher à calquer le modèle institutionnel européen sur un modèle institutionnel national. Cette richesse, et vous l'avez analysée et touchée du doigt en évoquant la Charte des droits européens, nous amène à élaborer une construction originale pour ne rien perdre de e qui fait la substance, l'énergie de l'Europe.
A partir de là, la question reste ouverte - les conventionnels en débattront longuement lundi et mardi -, quel est le meilleur modèle pour l'Europe ? Est-ce une présidence unique ? Est-ce deux présidences renforcées ? Ce qui permet à mon sens, peut-être d'être plus efficace et plus démocratique.
Bien sûr, le débat reste ouvert mais ne perdons pas de vue le fait que tout cela vise à répondre à des questions nouvelles, à des questions anciennes liées au marché communautaire mais aussi à des questions nouvelles liées à la politique étrangère, à la politique de défense, au domaine de la justice et des affaires intérieures. Sur toutes ces questions, je crois que la vraie objection qui est faite aux deux présidences, c'est l'idée qu'elles pourraient, éventuellement, ne pas poursuivre le même objectif.
Je crois que deux présidences poursuivant le même objectif - et je ne vois pas pourquoi elles ne seraient pas animées par le même souffle, par la même ambition européenne - ont plus de capacité à rassembler : le Conseil européen d'une part, la Commission de l'autre, avec tout ce que cela suppose de logiques administratives, d'investissements administratifs, de temps, ne l'oublions pas ce facteur temps. Un seul président pour l'Europe qui devrait à la fois gérer l'Europe, donner une impulsion politique, voyager dans 25 pays, c'est humainement absolument impensable, sauf à imaginer, ce qui est aussi une possibilité, que l'Europe évolue vers une simple zone de libre échange. Je le dis tout de suite, ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de l'Europe. Nous sommes soucieux que l'Europe, non seulement relève les défis d'hier et d'aujourd'hui, mais aussi qu'elle s'attaque à répondre aux défis qu'elle ne satisfait pas encore mais auxquels elle doit répondre, qui sont les défis d'une Europe s'affirmant comme une véritable puissance internationale, une Europe s'affirmant dans le jeu international, la coopération, le développement, vous avez évoqué certains thèmes, la défense. Si nous voulons plus d'Europe, il est clair qu'une seule personne aura énormément de mal à couvrir le champ de ce qu'est l'ambition européenne maintenant, et de ce que sera l'ambition européenne demain.
Voilà sur la présidence, je dis juste un mot et je passe la parole à Noëlle Lenoir sur la Charte et sur la politique étrangère et la politique de développement.
Concernant la Charte, je crois qu'effectivement l'idée de l'inclure dans le cadre d'une constitution européenne, nous y souscrivons, est excellente. Il est très important, dans cette construction originale qu'est l'Europe, de reconnaître à quel point ces valeurs sont centrales, essentielles dans la définition de l'Europe. La vraie question que vous posez et à laquelle la réponse est malheureusement difficile, c'est : aujourd'hui, faut-il élargir le contenu de cette charte ? Faut-il en modifier le contenu ? Et là, je serai preneur de solutions. La vraie question, c'est que si nous rouvrons le dossier de la Charte, vous vous souvenez qu'il y a deux ans, lorsque cela a été fait, ce fut une tâche extraordinairement difficile, si nous voulons rouvrir le contenu de cette Charte sur les droits sociaux, sur le problème de l'héritage spirituel européen, nous ne savons pas comment et quand nous refermerons le dossier. C'est un dossier qui divise profondément les Européens. Prenez la simple question religieuse : faut-il mentionner, comme c'est le cas aujourd'hui, l'héritage spirituel, faut-il parler d'un héritage religieux, chrétien ? Vous imaginez vers quoi l'on s'avance. Il y a là des débats extraordinairement complexes et qui risquent de compliquer solidement la tâche.
De la même façon, pour les droits sociaux, il est évident que l'Europe doit avoir un milieu social et c'est dans ce sens que nous avons beaucoup poussé à la Convention pour une réflexion dans ce domaine. Mais réfléchir sur l'intégration dans la Charte des références à ces questions, c'est ouvrir un débat entre plusieurs orientations, plusieurs philosophies, qui sont sous-jacentes à l'action de chacun de chacun des Etats, une aspiration plus libérale pour certains, d'autres qui sont au contraire plus soucieux de solidarité. Je pense qu'il faut avancer vers un modèle européen et la France se bat pour cela depuis des années. D'ores et déjà, vouloir figer les choses dans un texte, une fois pour toutes, est-ce une bonne idée, au risque que les divisions ne nous amènent soit à faire du "sur place", soit à régresser ? C'est un pari, c'est une question en tout cas qu'il faut se poser très soigneusement.
Ma conviction est que les textes ne sont pas tout et que de ce point de vue, les Anglo-saxons ont raison d'introduire un paramètre pragmatique d'évolution constante. Les textes sont faits pour évoluer. Alors, soit on trouve le moyen d'évoluer au fil des années, soit, tout simplement, nos institutions, nos réflexions nous conduisent à évoluer sans que l'on éprouve le besoin, systématiquement, par la sacralité d'un texte, de figer les choses dans le marbre.
Un mot encore sur les questions de politique étrangère et de développement.
Il y a là des orientations importantes, intéressantes sur lesquelles vous avez travaillé. L'idée de centraliser l'ensemble des moyens du développement en Europe dans le cadre d'une agence, dans une seule main est intéressante, serait-ce une avancée ou ne prenons-nous pas le risque d'un appauvrissement ?
En effet, ne l'oublions jamais, l'Europe est riche de la capacité de chacun des Etats à agir en fonction de traditions qui leur sont propres, en fonction de capacités. Ce que le Royaume-Uni peut faire par sa diplomatie, d'autres Etats ne peuvent pas forcément le faire et ce n'est pas forcément transmissible. Ce que la France peut faire par sa propre tradition, par sa propre crédibilité diplomatique, ce n'est pas forcément transférable, et peut-être surtout pas à une agence.
Que l'idée de rationaliser, de simplifier, de rassembler, dans le cadre de structures mieux organisées, soit une bonne idée, c'est certain. Faut-il pour autant déposséder chacun des Etats de sa capacité à faire de son côté ? Cela mérite une soigneuse réflexion et cela mérite aussi une réflexion pour une raison très pratique. Chacun voit, dans le monde qui est le nôtre, la tendance à la rationalisation. Chacun voit bien aussi l'exigence d'expérimentation, d'adaptation et de remise en cause. La réflexion sur le développement nous conduit, en permanence, à évaluer le travail qui est fait, l'évaluer parce que l'on constate que les rêves parfois ne sont pas marqués en retour par les résultats que l'on peut espérer au départ, parce qu'il faut donc constamment s'adapter, réévaluer, juger et sanctionner des projets de développement.
L'idée de tout mettre entre les mains d'une agence qui, de ce fait, n'aurait qu'une seule philosophie pour agir, c'est peut-être se couper aussi d'une capacité de remise en cause qui est indispensable dans le domaine du développement.
Il y a là une question ouverte : est-on plus efficace au travers de nombreux réseaux, quitte à mettre en commun une partie d'entre eux, ou est-on moins efficace au contraire ?
Sur la question de la conditionnalité, une coopération doit-elle introduire une vraie conditionnalité, notamment par rapport à des valeurs ? Ce sont des questions que nous nous sommes posées très concrètement, par exemple, à Séville, concernant l'immigration. Devions-nous sanctionner un pays qui ne jouait pas le jeu dans le domaine de l'immigration ?
L'approche française, de ce point de vue est une approche plus incitative que de sanction. Nous pensons que, notamment vis-à-vis d'Etats parfois en difficultés, il est important d'essayer d'avancer en incitant plus qu'en sanctionnant. C'est là un parti pris, une philosophie, à l'usage, je crois que cela marche mieux, d'autant qu'un Etat qui voit des programmes avancer, qui voit que l'on est capable de faire quelque chose avec lui a tendance, naturellement à s'ouvrir et le fait au contraire de mettre sur la place publique un débat sur une conditionnalité de valeur, parfois fige et bloque les choses.
Mme Lenoir - Je vais tenter de respecter les instructions qui me sont données en étant brève. Je n'ai pas grand chose à ajouter sauf à dire, et vos assises en témoignent, que pour la première fois, on a un débat citoyen sur la démocratie européenne. A cause précisément de cet élargissement qui nous oblige à maîtriser cette extension de l'Europe qui est sans précédent, pour la première fois, il y a vraiment un grand débat citoyen. Tout ceux qui sont réunis ici le sont en tant que citoyens européens, ce que nous sommes tous ici depuis des années, mais l'on sent bien que c'est aujourd'hui que l'on se demande : qu'est-ce qu'être européen veut dire ? Pourquoi faut-il étendre le champ géographique de l'Europe jusqu'à telle et telle frontière ? Quelles sont les frontières de l'Europe et également quelles sont nos valeurs et quel est le système démocratique, politique et social dans lequel nous souhaitons nous inscrire pour les décennies à venir ?
Trois points : premièrement la Charte, si vous me permettez de retenir cet ordre, ensuite le président, c'est-à-dire l'organisation des pouvoirs publics européens et enfin, très brièvement l'aide au développement, problématique qui intéresse d'ailleurs autant les Etats eux-mêmes que l'Europe toute entière.
La Charte : c'est vraiment l'acte fondateur qui a été établi, élaboré et approuvé sous présidence française en décembre 2000 et que l'on proposait déjà de modifier avant même qu'elle ne revête une force juridique nouvelle en devenant une norme obligatoire. Cela me fait un tout petit peu penser, comme l'indiquait M. de Villepin, à la "bougeotte" constitutionnelle propre à notre pays. Avant d'appliquer un texte, nous sommes bien souvent très impatients de le modifier. Ce n'est pas une bonne idée de le modifier pour deux raisons, d'abord pour une raison tactique si je puis dire, ce texte a été très difficile à faire approuver et, ne l'ignorez pas, il sera aussi très difficile à faire intégrer dans la Charte, bien que nous Français, avec nos amis allemands et bien d'autres pays, y soyons très favorables. Certains autres pays comme nos amis britanniques ne le sont pas car ils ne connaissent pas la notion de droits sociaux constitutionnels. Ce sera donc un pas considérable vers l'affirmation d'une communauté de valeurs et vers l'affirmation d'un modèle social européen qui est sans équivalent dans le monde, notamment par rapport au système américain . Cette Charte comporte des innovations sans équivalent, comme l'interdiction du clonage reproductif, comme celle de hisser au niveau constitutionnel des droits nouveaux comme le droit du citoyen face aux technologies informatiques, la protection des données, il y a même des dispositions - cela pourrait faire l'objet d'exercices dans le cadre de cours de droit - qui paraissent aller un peu plus loin que ce que certains pays ont d'ores et déjà adopté, je pense au droit à l'éligibilité pour les ressortissants communautaires en Europe.
Appliquons la Charte et surtout laissons cette Charte devenir du droit vivant et c'est ainsi que la citoyenneté européenne va s'ancrer dans toute l'Europe. Finalement, ce sont les juges qui vont accorder à cette Charte un droit à la parole et en particulier, les juges nationaux puisque les juges de droit commun, au plan communautaire, sont les juges nationaux qui ont à appliquer les textes communautaires et à les faire prévaloir, même sur des législations nationales.
Vous allez voir que cette richesse culturelle de l'Europe se reflétera dans des jurisprudences nationales et que c'est par ce biais, par ce droit vivant que la communauté de valeurs qui justifie le projet européen pourra s'exprimer et s'illustrer.
Ce n'est pas du tout pour diminuer la valeur de cette Charte mais au contraire pour lui donner sa chance que je pense qu'il faut se borner, et ce sera déjà presque un miracle, à l'intégrer telle quelle dans le traité.
Le second point : le président de l'Union. Pour ma part, je pense que c'est une fausse bonne idée, je dis pour ma part, en réalité, pour notre part puisque nous l'avons retenu dans une contribution franco-allemande élaborée par M. de Villepin et M. Fischer, c'est une fausse bonne idée en l'état actuel de la construction européenne. Il ne faut pas avoir peur de dire que l'Union européenne est une entreprise tout à fait originale qui n'a jamais été menée jusqu'alors au même titre d'ailleurs que lorsque les Etats-Unis d'Amérique ont déclaré leur indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Lorsque la Révolution française a jeté les bases de la démocratie libérale à travers la déclaration des Droits de l'Homme, ce type de démocratie libérale était absolument unique au monde. Aujourd'hui, nous construisons autre chose.
En admettant que nous options pour un président, puisque, effectivement, c'est très séduisant, parlant, et cela donne un visage et au travers des médias, on aime beaucoup la personnalisation du pouvoir, imaginons un instant que l'Europe se dote d'un président qui serait à la tête d'une communauté de 450 millions d'habitants, qui battrait monnaie, qui aurait à terme une armée, qui mènerait la politique étrangère. Il faudrait alors des partis politiques européens pour que les forces politiques européennes, à la dimension de cette communauté de presque 500 millions d'habitants puissent s'exprimer. Il faudrait trouver de nouveaux contrepoids à l'Europe. Les Etats-Unis ont inventé le système fédéral qui, si vous vous reportez aux "federalist paper" qui est ce document collectif et anonyme en réalité rédigé par les pères fondateurs de la Constitution américaine, vous voyez que le fédéralisme est une modalité tout à fait originale à l'époque, même révolutionnaire qui visait à limiter le pouvoir.
Je crains qu'avec un président de l'Europe, pour limiter ce pouvoir, pour garantir la démocratie, on ne soit obligé de diminuer les compétences du pouvoir central européen. Engageons-nous donc dans une voie constructive, ne considérons pas qu'il y a deux présidents de l'Europe, il y a déjà deux présidents de l'Europe, un président du Conseil et un président de la Commission, articulons les pouvoirs suivant ce mode tout à fait particulier spécifique et original de la construction européenne. Allons plus loin et ayons surtout l'ambition, ce qui est le principal objectif des contributions faites entre les Français et les Allemands que l'Europe ait un visage pour le monde extérieur, qu'elle existe comme entité politique, comme communauté de valeurs qui pèse sur les affaires du monde parce que, justement, elle est porteuse de ces valeurs qui s'inscrivent dans des relations privilégiées avec d'autres pays, tout particulièrement la relation transatlantique.
Sur l'aide au développement, je n'ai rien à ajouter sauf de dire que la solidarité est certainement l'un des grands sujets d'aujourd'hui. Les Etats démocratiques sont des espaces de solidarité, l'Union européenne entend s'affirmer comme un espace de solidarité, notamment au moment de l'élargissement entre nos pays qui ont connu un certain niveau de développement et les pays amis qui vont nous rejoindre. Il faut que cette solidarité soit beaucoup plus ancrée au niveau mondial mais tout a été dit par le ministre, ce sera un des grands sujets européens de la nouvelle Europe.
Q - Sur la double présidence et les risques de conflits de compétences ; sur la visibilité de l'Europe ; sur les Droits de l'Homme.
R - M. de Villepin - Concernant les conflits de compétence, j'avoue que je suis un peu surpris de voir fleurir cette sempiternelle question, alors même que je n'ai pas observé, au cours des dernières années, que l'on ait de conflits de compétences particuliers entre la Commission et le Conseil. Je veux bien croire que tout va subitement changer et qu'immédiatement le président du Conseil et de la Commission vont s'écharper, mais je ne suis pas sûr que ce soit une véritable question. A partir du moment où nous renforçons les pouvoirs des uns et des autres et où chacun agit dans le domaine qui est le sien, le problème du conflit de compétences, à mon avis ne se pose pas. Il peut y avoir des difficultés dans chacun des secteurs, il n'est pas interdit d'ailleurs de se parler, ce que ces différentes institutions font régulièrement. Il y a des noyaux durs, bien sûr, et nous en parlons entre Etats, je ne vois pas pourquoi, il y aurait subitement entre la Commission et le Conseil des arbitrages particulièrement difficiles qui échapperaient à la capacité des deux présidents. Très honnêtement, sauf à ce que l'on me présente des exemples concrets qui puissent tout à coup poser un problème, je crois que, lorsque l'on descend dans le détail des choses, il n'y a pas de raison spécifique qu'il y ait de problèmes d'arbitrage. Et en tout état de cause, les problèmes qui se posent se poseraient de la même façon à un président unique. Mais une fois de plus, dans une calendrier, dans un emploi du temps qui paraît absolument démentiel, compte tenu de l'idée que l'on se fait de l'Europe, ce que je crains, c'est qu'une présidence unique aujourd'hui jouerait contre l'Europe. Ceci pour une raison simple : la capacité qu'aurait ce président à répondre aux problèmes de l'Europe, du fait du temps qui lui est imparti, serait moins grande que la double capacité qu'auraient aujourd'hui deux présidents à plein temps. N'oubliez jamais que dans le schéma franco-allemand que nous proposons, nous envisageons un président du Conseil permanent pour deux années et demie, ou cinq années. La capacité à durer règle, à mon sens, les problèmes de compétences qui pourraient éventuellement se poser par la définition d'un dialogue quotidien avec la commission et en même temps, donne l'expérience, le recul, la légitimité à ce nouveau président du Conseil qui ne ferait que cela, pour s'emparer, investir des champs de l'Europe qui, aujourd'hui, malheureusement ne sont traités par personne.
Plutôt que de s'obséder par ce qui pourrait constituer le champ des querelles, voyons tout ce que l'Europe pourrait faire si elle était plus ambitieuse, plus volontaire, plus déterminée, et c'est bien cela le choix aujourd'hui de l'Europe : soit on considère qu'il s'agit de se répartir entre une ou plusieurs institutions d'ailleurs, ce qui est actuellement le cas et qui me paraît personnellement notablement insuffisant, soit on imagine que le champ à défricher est aujourd'hui le vrai défi de l'Europe, le champ à couvrir, l'espace d'imagination, l'espace d'autorité et de volonté pour cette nouvelle Europe dans un monde en désordre, et alors, je crois qu'il ne suffira pas des bonnes volontés du président du Conseil et de la Commission, il faudra que, de surcroît, les peuples s'en mêlent. C'est, à mon avis, un élément très important dans l'enjeu démocratique européen et il est essentiel que les citoyens soient plus demandeurs, plus investis d'une capacité à agir et à proposer pour que cette Europe vive.
Le vrai défi de l'Europe c'est l'espace non couvert par l'Europe aujourd'hui et non pas le reste.
Concernant la visibilité de l'Europe, c'est aussi une question de capacité et d'emploi du temps. Un président qui doit se partager en vingt-cinq et qui doit diviser son agenda en fonction du nombre de problèmes est peut-être moins visible somme toute, même s'il est mieux connu. Distinguons la notoriété de la capacité de légitimité et d'efficacité. Je crois en la capacité qu'auraient deux présidents permanents à agir, chacun dans leur domaine, surtout s'ils agissent en harmonie, et je ne vois pas au nom de quoi ces deux présidents se battraient et ne s'entendraient pas. C'est un pari qu'il faut être capables de relever, nous avons besoin d'un formidable président de la Commission et d'un formidable président du Conseil. Espérons que l'Europe sera capable de concevoir deux personnalités d'exception pour diriger ces institutions.
Sur les Droits de l'Homme, il y a là un enjeu essentiel et lorsque l'on parle de la spécificité et de l'originalité de l'Europe, il est évident qu'il y a là une dimension que l'Europe veut traiter en propre.
Ce n'est pas un ensemble cynique, ce n'est pas un ensemble sceptique, ce n'est pas un ensemble timoré et les Droits de l'Homme doivent faire partie du langage de l'Europe vers l'extérieur, d'une exigence de l'Europe vis-à-vis du monde. Constatons quand même que nous sommes, là encore aussi, plus forts quand cette exigence européenne n'est pas uniquement saisie, traitée par le champ de l'Europe mais relayée par les Etats. Lorsque l'on se déplace dans un certain nombre de régions du monde et que l'on peut, à titre national, évoquer un certain nombre de questions, sans forcément mettre cela sur la place publique, mais en évoquant en détail telle et telle situation pour souhaiter que les choses avancent, nous arrivons à être aussi efficaces et de façon certaine.
Je crois que la conjugaison de l'Etat-nation et de l'échelon fédération européen sur les Droits de l'Homme est aussi un élément important. Ne nions pas ce qui existe et qui montre peut-être que ce n'est pas uniquement un problème institutionnel. Il y a aujourd'hui un commissaire chargé des Droits de l'Homme et qui fait ce qu'il peut dans ce domaine. Le problème est d'être plus efficace et de savoir traiter de cette question avec à la fois l'énergie, la volonté et l'imagination qui permettent d'aller plus loin. C'est là qu'il faut, je crois, mieux conjuguer, mieux faire valoir ce problème des Droits de l'Homme. Nous buttons sur cette question depuis de très nombreuses années et la question sanctions-incitation reste une des grandes problématiques du monde vis-à-vis de pays qui sont amenés à bafouer ces Droits de l'Homme.
Il faut être à la fois exigeants, ambitieux, pragmatiques, mais surtout - et ne l'oublions jamais, parce qu'une Europe qui serait seulement un empire donneur de leçons, n'aurait pas beaucoup de crédibilité sur la scène internationale -, nous ne sommes jamais aussi efficaces sur les Droits de l'Homme que lorsque l'on est en initiative, que l'on fait mieux que les autres, que l'on est capable d'inventer des mécanismes, d'inventer des politiques exemplaires dans ces domaines. A la vigilance doit s'ajouter l'exemple, soyons meilleurs que les autres, faisons de l'Europe une zone d'exemplarité et nous verrons alors d'autres pays du monde chercher à imiter ce que fait l'Europe. Je pense que la capacité à agir, la capacité d'entraînement et d'efficacité de l'action est parfois plus grande que la capacité à s'ériger en donneur de conseils ou de leçons, de façon parfois un peu arrogante.
Q - Sur les délimitations de compétences.
R - Mme Lenoir - Permettez-moi de redéfinir la question : que mettra-t-on à l'intérieur de ces structures institutionnelles refondées, la nouvelle architecture européenne, va-t-on, c'est ce que vous indiquez me semble-t-il, beaucoup plus en avant de la problématique prédominante jusqu'alors, celle du marché et de l'harmonisation du marché ?
Le premier point est que vous vous êtes inscrit en faux contre une liste rigide des compétences, c'est exactement la position française et franco-allemande puisque, contrairement à ce qui a été proposé par un groupe de travail à la Convention, nous avons considéré que la dynamique européenne avait une valeur irremplaçable et qu'il ne fallait pas bloquer une évolution qui pouvait conduire à des extensions de compétences au fur et à mesure de l'expression des besoins des citoyens européens.
Nous sommes donc tout à fait en phase avec votre point de vue.
Sur le second point, je voudrais simplement insister sur le fait que la France considère que le moment est venu, précisément parce que l'adhésion citoyenne à l'Europe commence à prendre une forme beaucoup plus concrète et beaucoup plus globale, la France considère qu'il faut donner un contenu à l'Europe sociale. Nous avons fait des propositions extrêmement précises pour enrichir les compétences européennes dans ce domaine, en étendant autant que possible le champ de la majorité qualifiée, par exemple pour l'harmonisation des règles en matière sociale, voire même pour appliquer cette règle afin de lutter contre les discriminations de toute sorte, ce qui est un peu l'image de marque de l'Union européenne.
Nous souhaitons aussi que, dans le domaine de la santé, de la prévention des maladies, des risques sanitaires, peut-être également des risques de bio-terrorisme, l'Union européenne puisse avoir de véritables compétences et ne pas traiter des questions de santé uniquement de façon diagonale au travers du marché, comme c'est le cas concernant toute la réglementation relative au marché des médicaments. Nous sommes à cet égard en faveur d'une extension des compétences de l'Europe pour consolider le modèle social auquel nous tenons et qui, il faut le dire, est unique au monde.
Q - Sur l'aide au développement ; sur l'Europe gendarme du monde ; sur le nouveau partenariat pour l'Afrique.
R - M. de Villepin - Sur l'aide au développement et l'objectif de 0,7 %, vous savez que, malheureusement, c'est un objectif qui, depuis de très nombreuses années, a été fixé par la communauté internationale et on a vu que cet objectif tardait à être satisfait.
La France, en ce qui la concerne, a marqué clairement son engagement à atteindre 0,5 % dans les cinq années, c'est-à-dire près d'un doublement de l'APD et s'engage résolument vers cet objectif. C'est le cas aussi pour la plupart de nos partenaires européens. Faut-il aller jusqu'à rendre obligatoire cet objectif ? Vous le voyez tous les jours, avec les difficultés financières des différents Etats de l'Europe, je ne suis pas sûr que la contrainte soit le meilleur moyen de porter cette exigence d'ouverture et d'aide en faveur des pays les plus pauvres. D'autant qu'il y a plusieurs moyens, au-delà des moyens quantitatifs qui permettraient de sérieuses avancées, y compris un effort de rationalisation, de disponibilité de l'aide. On voit parfois les lenteurs avec lesquelles l'aide est acheminée, je pense en particulier à la réflexion que nous avons menée pour faire en sorte que le FED devienne plus efficace, plus capable de répondre dans des délais courts aux demandes qui sont faites. Je crois que, certes, il faut garder, de façon forte, une ambition quantitative, la rendre obligatoire, je ne suis pas sûr qu'au bout du compte, cela modifierait les choses substantiellement. Il faut convaincre chacun des Etats, convaincre chacune des sociétés que cet effort est à faire mais parallèlement, se poser en permanence la question de l'efficacité de l'aide et des meilleurs moyens d'aider ces pays en voie de développement. Il y a d'autres façons, une fois de plus, que l'aide au développement, la mobilisation pour les forces de paix, la mobilisation pour accompagner les élections, dans le domaine des Droits de l'Homme, dans le cadre du NEPAD. Le seuil quantitatif, même s'il est très important, n'est pas le seul. On le voit dans d'autres domaines, comme la lutte contre le sida, il y a un nid matériel, une disponibilité des capacités de coopération et vous savez que dans les propositions que la France et l'Allemagne feront, il y a la volonté de proposer, au niveau d'un volontariat ouvert aux jeunesses des deux pays, la possibilité de servir dans un certain nombre de domaine privilégiés, les hautes technologies, l'enseignement, le domaine médical. Je crois qu'il y a d'autres façons que le seuil quantitatif même si c'est important de répondre à nos obligations dans ce domaine.
Concernant la question sur l'Europe gendarme du monde, nous en sommes très loin et je crois qu'il n'y a pas péril en la demeure concernant la capacité de l'Europe à devenir le gendarme de quoi que ce soit. L'Europe doit avoir pour vocation d'aider et de contribuer à la sécurité du monde. Il y a là une forte exigence et donc elle doit être capable de prendre ses responsabilités et de répondre à ses missions. C'est pour cela que nous avons, là encore, fait des propositions franco-allemandes pour une Union européenne de sécurité et de défense avec une clause de sécurité qui permettrait véritablement de changer d'âge et de permettre à chacun des pays européens de sentir sa solidarité. Nous le voyons depuis maintenant plusieurs années, l'OTAN se pose des questions sur sa mission et dans le nouveau monde dans lequel nous vivons, la perspective de la sécurité dans le cadre de l'OTAN se pose dans un autre contexte. Il est important que les Européens soient capables de traiter ces questions de sécurité entre eux avec détermination et volonté et de se doter des outils, cela veut dire une agence de l'armement, une capacité de projection de forces, vous savez que l'on réfléchit à la façon de se doter de 60 000 hommes qui permettraient à l'Europe de se prendre en main.
Nous sommes dans un monde où il est important de constater, au-delà de la logique des blocs qui, pendant longtemps, a permis d'imaginer vivre avec les parapluies d'autres, il est important de se prendre en main et d'assumer pleinement cette sécurité et de contribuer à la sécurité des autres. Nous évoquions il y a quelques instants la question de l'Afrique, je crois que là aussi, il y a des missions, des missions de paix, des missions pour geler des situations et permettre justement au dialogue politique d'être restauré.
C'est ce que nous faisons en Côte d'Ivoire où nous sécurisons un cessez-le-feu le temps de permettre à l'ensemble des forces politiques du pays de trouver les solutions. Et nous ne le faisons pas de façon unilatérale, nous le faisons en liaison avec le pays concerné et en liaison avec tous les Etats de la région, avec le souci que, très rapidement, les forces africaines, celles de l'ECOMOG voire d'autres forces internationales, puissent prendre le relais de la présence française.
Il y a un âge de responsabilité pour l'Europe qui est très important et qui fait que face au terrorisme, face à la prolifération, face aux crises, cette dimension de paix et de sécurité est pleinement intégrée dans la capacité à agir de l'Europe.
Sur la question plus large du NEPAD, il est évident que l'Europe a vocation à accompagner de façon privilégiée cette formidable entreprise des pays africains. Accompagner l'exigence d'ouverture de ces pays, sur le plan des infrastructures, accompagner les ambitions de l'Afrique, sur le plan juridique, également, en faisant en sorte que l'Afrique ne soit pas, à aucun moment, le champ de rivalités et d'ambitions. Et de ce point de vue, la France veut renforcer sa législation sur les mercenaires pour faire en sorte qu'on puisse être pénalement sanctionné, c'est une exigence essentielle. Associer mieux les sociétés civiles, c'est aussi une ambition en Côte d'Ivoire comme ailleurs. Il n'est pas nécessairement facile de formaliser cette capacité que nous avons à dialoguer avec les sociétés civiles, et la table ronde dont nous avons pris l'initiative à Paris en liaison avec la CEDEAO avec l'Union Africaine et avec les Nations unies, c'est bien la volonté de faire asseoir tout le monde autour de la table, de réunir toutes les forces, tous ceux qui ont une capacité à penser et à peser sur le destin de la Côte d'Ivoire pour trouver des solutions à des questions qui ont une trace et qui ont une portée dans la mémoire de tous les Ivoiriens depuis de nombreuses années, je pense en particulier à cette question si dramatique de l'ivoirité.
L'ambition de l'Europe est forte, chacun des Etats qui a une capacité, une tradition, une passion pour l'Afrique a vocation à travailler, c'est ce que nous faisons avec nos partenaires européens les plus concernés par les questions africaines, c'est ce que nous faisons dans le cadre des organisations régionales et internationales.
Q - Sur la double présidence et le clivage grands/petits Etats ; sur l'immigration ; sur l'idée d'un référendum sur la Constitution.
R - Concernant la première question et ce qui la sous-tend, c'est-à-dire le clivage entre les petits et les grands Etats, j'ai la faiblesse de penser que cette question a pu être au coeur de l'histoire européenne pendant longtemps, je ne crois pas qu'aujourd'hui, ce clivage soit fondé, même si, bien évidemment, je comprends qu'il y ait une inquiétude, voire une suspicion qui puisse se pérenniser sur cette question. La vraie question aujourd'hui, c'est : de quelle Europe veut-on parler ?
Je comprends que l'on puisse se poser la question de savoir si cette Europe sera française, anglaise, allemande, je crois que l'ambition de tous, c'est que l'Europe compte plus dans la vie internationale. Ce besoin d'Europe est partagé aujourd'hui par l'ensemble des Etats européens, les petits et les grands. Une fois de plus, il ne faut pas être grands clercs pour regarder au-delà de nos fenêtres respectives et constater que si nous ne nous mobilisons pas ensemble, nous ne pourrons contribuer ni à régler les problèmes que nous avons en commun, ni à régler les problèmes du monde. Il faut donc évidemment plus d'énergie et plus d'audace.
Dans le cadre de la réflexion institutionnelle, je constate d'ailleurs que les cartes sont très largement brouillées, parce que lorsque la France et l'Allemagne font une proposition visant à renforcer la Commission, il n'y a pas là de quoi effaroucher les petits Etats, au contraire, ils ont toutes les raisons de penser que ce renforcement servira l'ambition européenne. De la même façon, lorsque l'on imagine se doter d'une présidence pérenne du Conseil européen, il y a, à la fois le temps, la capacité et la légitimité pour agir dans la durée, pour servir les intérêts européens. Il n'y a pas là non plus, de quoi, pour les grands Etats, imaginer qu'ils auront d'une quelconque façon, l'avantage sur les autres.
Le vrai défi n'est pas là. Comment fait-on pour faire fonctionner une Europe qui ne marche pas bien à quinze, pour la faire fonctionner à vingt-cinq et demain à vingt-sept ? Croyez-moi, ne soyons pas en retard d'un train concernant les questions que nous nous posons. L'angoisse des dirigeants de l'Europe aujourd'hui, c'est d'être certain que l'Europe va marcher, ce n'est pas d'infernales querelles théologiques dans lesquelles l'Europe s'est trop souvent engluée, pour savoir si l'Europe doit marcher sur la tête ou sur les pieds. Il est bien évident qu'elle doit marcher et que l'on doit trouver les mécanismes qui lui permettent de s'ajuster. Mais, la vraie question, c'est : comment être efficace, comment être le plus efficace, et si nous ligotions l'Europe, en nous enfermant dans quelques belles idées mais n'ayant pas la capacité, les procédures pour agir, les mécanismes institutionnels pour décider, cela ne servirait de rien. Je vous donnerai un exemple : l'Europe est sans doute l'ensemble géographique qui est le plus présent au Proche-Orient. Nous avons près d'un milliard 400 000 euros d'aide donnés à cette région. Quelle est la visibilité politique de l'Europe au Proche-Orient ? Je vous le demande un peu. C'est cela les problèmes de l'Europe aujourd'hui, c'est d'exister à la mesure de nos capacités, à la mesure de nos moyens, de nos ambitions, faire en sorte que nous soyons capables d'exprimer une volonté. Et pour ce faire, il faut des institutions claires, régies par des lois claires, dans lesquelles on ne soit pas en permanence en train de se préoccuper de savoir qui gagne et qui perd. Il est bien évident que tout le monde, dans cette nouvelle Europe, doit s'ajuster, tout le monde doit avancer et, dans un schéma où l'on veut plus d'Europe, il faut que chacun consente des sacrifices pour le bien commun européen. C'est cela l'ambition de la France dans l'Europe d'aujourd'hui, et pas un sempiternel calcul que l'on voudrait prêter à notre diplomatie.
Lorsque l'on regarde les Français, ils sont exactement à ce diapason, ils veulent une Europe efficace, comme ils veulent un gouvernement efficace. Ils veulent que l'on réponde aux questions qu'ils se posent, ils veulent que l'on réforme ce qui ne va pas bien. Comment fait-on pour se doter, justement, des moyens de répondre à toutes ces questions de façon claire, convaincante et rapide ?
C'est là, je crois, la question que se posent tous les conventionnels et beaucoup moins des réponses et des questions philosophiques qui ont fait leur temps mais dont on a vu qu'elles n'étaient pas toujours en phase avec la vérité européenne.
Sur la question de l'immigration, je crois que c'est une vraie question : quel doit être aujourd'hui, dans le cadre de l'Europe, l'équilibre entre l'exigence de réglementation et l'image généreuse de doit avoir cette Europe, parce qu'elle est fondée sur un idéal de générosité et de solidarité ? Il faut trouver un équilibre et pour cela, il faut se fonder sur des règles de droit très strictes, très précises, respectées. Il est bien évident que ceux qui, en Europe, viennent travailler d'un certain nombre d'horizons, pays voisins ou autres, ont le droit d'être présents et doivent partager les mêmes droits que tout ceux qui travaillent en Europe. Au contraire, ceux qui viennent par des voies clandestines doivent voir aussi la règle appliquée en ce qui les concerne. Le problème de l'Europe, c'est la crédibilité dans ce domaine, il faut qu'elle ait une politique d'immigration et que cette politique soit suffisamment claire pour être respectée sans que nous nous retrouvions en permanence dans la situation des gérer un espace hémorragique que nous ne maîtrisons pas. Je crois que c'est la clarté, la règle de droit qui doit être précisée, la règle en liaison avec les pays d'immigration. Pour cela, nous devons perfectionner notre politique de développement et faire en sorte que les pays qui, traditionnellement, sont des pays de passage ou d'immigration n'aient pas tant de raisons de venir et de nourrir le flux migratoire chez nous.
Je ne crois donc pas du tout que l'Europe ait vocation à se recroqueviller, à se replier sur elle-même, ce n'est ni l'intérêt de l'Europe, ni l'idée qu'elle se fait d'elle-même. Mais elle doit appliquer des règles claires et en commun, faire en sorte que nous puissions avoir les moyens juridiques de le faire respecter.
Sur l'idée du référendum, je crois personnellement que c'est une excellente idée parce qu'elle permettrait de faire fi d'un certain nombre d'habitudes européennes qui font qu'aujourd'hui, nous n'avons pas la solennité, nous n'avons pas l'acte fondateur qui, entre Européens, crée la conscience européenne. Nous voyons bien que c'est l'un des grands enjeux de l'Europe que nous voulons créer pour que, dans dix ou quinze ans, on ne pose pas à mon successeur la question de savoir si l'Europe sera française ou allemande. Il est important que cette conscience européenne avance, et vous en êtes le symbole, vous, aujourd'hui de ce phénomène avec des universités qui travaillent ensemble, avec des jeunesses qui se côtoient, qui se connaissent mieux, avec des langues partagées et comprises dans les uns et les autres pays. Il est donc important que ce référendum puisse être une pratique européenne commune. Certaines constitutions nationales, je pense à la constitution allemande, ne connaissent pas cette pratique référendaire, certains pays votent le dimanche, d'autres pendant la semaine, il est important que nous puissions avoir un acte solennel, un acte fondateur qui fasse que tous les peuples européens se réunissent un même jour, à un moment donné, pour, d'un même élan, consacrer leur volonté d'avancer sur le chemin de cette Europe.
Je crois qu'il y a là de quoi nourrir beaucoup d'ambition et, en tout cas, il y a là, effectivement, à justifier le travail qui a été le vôtre. Cette ambition, je veux que vous soyez tous convaincus qu'elle mobilise la diplomatie française, qu'elle nous met, Noëlle Lenoir et moi-même, à l'écoute des préoccupations des uns et des autres et toujours preneurs des bonnes idées lorsqu'elles peuvent contribuer à faire avancer les choses.
Je vous remercie donc infiniment de vos travaux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 janvier 2003)
Il y a une première constatation qui me vient à l'esprit en vous écoutant, c'est que le débat européen, dans les dernières années, a profondément changé de nature. Pendant des années, on se préoccupait de savoir si l'Europe devait relever d'une logique fédérale ou d'une logique intergouvernementale. On voit bien aujourd'hui, et c'est quelque chose qui est facile à ressentir lorsque l'on participe aux travaux de la Convention, que les choses se présentent très différemment. Aujourd'hui, je pense qu'il y a une unanimité pour constater à la fois le besoin de plus d'Europe et, en même temps, le besoin de plus d'Etats-nations. Le besoin qui nous guide, nous, Français et Allemands, dans cette grande ambition, c'est bien celui d'une fédération d'Etats-nations. C'est-à-dire que cette Europe doit marcher sur deux pieds : l'un serait la nation, le renforcement de la Nation, de l'identité de chacun des peuples, la conviction que chacun de ces peuples a quelque chose à dire dans le monde et dans l'Europe ; et le second pied, c'est, bien évidemment, cette fédération qui unit, qui fédère les énergies et les ambitions.
Il y a un second élément qui a profondément changé et dont nous ne pouvons pas faire abstraction, ce qui explique que lundi, je ne serai malheureusement pas à la Convention mais à New York, avec les quinze ministres des Affaires étrangères du Conseil de sécurité, dans le cadre d'une initiative française que nous avons prise, qui est de réunir le Conseil de sécurité sur les questions de terrorisme. Nous aborderons les questions liées à la prolifération et aux crises. Je serai à la Convention mardi.
L'enjeu du monde on le voit - et c'est en quelque sorte peut-être plus simple de partir de là pour répondre à la question de l'avenir de l'Europe -, l'enjeu du monde aujourd'hui, c'est la guerre et la paix. Lorsque l'on pense aux institutions, il faut penser en permanence aux enjeux du monde, nous sommes dans un monde qui, tous les jours, se pose la question de la guerre et de la paix. Et qui plus est, dans un très grand désordre où l'on voit s'additionner tous les problèmes, ceux du terrorisme, ceux de la prolifération, ceux des crises, ceux de l'état de droit et des réseaux mafieux. Tout cela, nous devons le faire et c'est pour cela qu'il faut penser l'Europe à la fois de façon plus efficace, plus démocratique et plus transparente. J'insiste sur le mot efficace car on peut tout concevoir et vous imaginez qu'au cours des dernières semaines avec nos amis allemands, nous avons tout imaginé y compris la proposition que vous faites aujourd'hui. Nous avons tout imaginé parce que, lorsque j'en ai parlé, jour après jour, avec Joschka Fischer, il y avait quelque chose qui nous réunissait : c'est que tous les deux, nous sommes convaincus que le monde a besoin de plus d'Europe. Si nous voulons plus de stabilité dans le monde, il faut plus d'Europe. Les Etats-Unis seuls ne peuvent pas apporter la réponse aux crises du monde. Il faut l'Europe comme grand pôle de stabilité, comme respiration originale, comme modèle original, comme construction originale et pour cela, il faut évidemment prévoir et adapter ses structures.
Dans ce contexte, nous avons secoué "l'arbre des idées" pour imaginer les différentes solutions possibles. Mais nous nous heurtons en permanence à un problème majeur qui est celui de l'efficacité : comment être à la fois légitime, efficace et transparent ? C'est un peu le triangle magique sur lequel il faut réfléchir lorsque l'on pense à l'Europe et il faut essayer d'aboutir sur ces trois piliers centraux.
Poser la question de la présidence dans ce contexte, d'une présidence unique, c'est évidemment une idée tentante, celle du modèle réduit à sa plus simple expression, avec une tête claire qui détient l'ensemble des pouvoirs, qui peut coordonner l'action de l'Europe, qui a un visage pour le monde extérieur.
Lorsque l'on entre dans le détail, la vraie question est : une même personne peut-elle concentrer autant de pouvoirs ? La main droite et la main gauche peuvent-elle agir avec la même efficacité si elles sont liées l'une à l'autre ? Demain, ne serait-ce pas plus aisé à deux, de la même façon que deux yeux vous donnent le relief en plus ? Cela donne la possibilité de faire parfois une chose, parfois une autre, parfois avec les deux mains.
Il y a donc une démultiplication de l'action de l'Europe qui lui permet d'être plus riche. Mais je veux insister sur ce point : deux mains, deux têtes, ce n'est pas forcément moins d'Europe et je dirais même que, dans notre esprit, c'est vraisemblablement la possibilité d'une garantie de plus d'Europe, même si le schéma peut apparaître au départ un peu plus compliqué. Au sujet de cette dyarchie, beaucoup l'ont souligné, évoquant la question d'une cohabitation possible ou d'un problème de collaboration entre les deux : constatons d'abord qu'au cours des dernières décennies, nous n'avons pas eu de problèmes particuliers de tensions ni de cohabitation.
Mais il y a bien deux fonctions dans cette Europe et il y a bien deux inspirations, deux objectifs particuliers avec un champ d'initiatives, de décisions bien distinctes, avec une exigence de gestion d'impulsion. Tout ceci participe de deux logiques qu'il est peut-être plus simple et peut-être plus démocratique de soigneusement séparer.
D'où, par rapport à la proposition que vous faites, une évolution de notre part pour constater qu'avoir à la fois un président de la Commission plus fort et un président du Conseil européen plus fort, c'est peut-être plus efficace, peut-être plus démocratique aussi que de n'avoir qu'un seul président et, derrière, un brouillard.
Cette logique est d'abord respectueuse de l'héritage européen mais elle permet de franchir un cap. Un cap démocratique d'abord, parce que l'on renforce l'exigence démocratique en ce qui concerne la Commission en prévoyant son élection par le Parlement européen. Et l'on renforce le pilier du Conseil européen, dont il est nécessaire de renforcer la légitimité et l'efficacité, avec un président permanent.
Comme praticien de l'Europe depuis quelques mois, il y a quelque chose qui me frappe et à quoi je voudrais vous sensibiliser.
Lorsque l'on se retrouve à la table du Conseil Affaires générales et du Conseil Relations extérieures, la première chose qui frappe, c'est qu'il y a autour de la table, des hommes et des femmes qui, chacun, représentent leur pays, qui, chacun, sont européens et qui, chacun, sont désireux de bien faire. Et lorsqu'ils se parlent, ils sont à peu près d'accord sur l'essentiel. Lorsqu'ils se séparent, chacun à leur tour pour faire leur conférence de presse au terme de ces conseils, ils communiquent sur la base de ce qui les sépare de la décision qui vient d'être prise ou de l'itinéraire qui a été choisi. Ce qui veut dire que la communication de l'Europe se fait, pour l'essentiel, à partir de ce qui nous divise beaucoup plus qu'à partir de ce qui nous rassemble. Et on le voit dans un dossier comme l'Iraq, il est difficile d'appréhender l'unité de l'Europe. Peut-on imaginer régler ce problème avec une structure seule, un président seul permettant de réaliser une homogénéité comme par miracle ? Je crains que non. Et pour une raison simple, c'est qu'il faut de la volonté, au-delà des procédures, au-delà des structures. Et vous savez qu'en France, nous sommes bien placés pour le dire puisque notre expérience constitutionnelle est riche et que nous avons l'habitude de changer de constitution régulièrement, à la première difficulté, parce que les temps changent, les choses bougent. Le vrai problème de l'Europe aujourd'hui donc, c'est un problème de volonté. Or, je ne connais aucune structure qui donne de la volonté à un corps. Lorsque vous êtes apathique, vous l'êtes, on peut vous "botter le train", cela ne donne pas forcément une capacité plus grande à agir ou à penser. Ce n'est pas parce que l'on vous secoue que vous serez forcément plus capable de trouver des idées, de choisir et de trancher.
Le vrai problème de l'Europe, c'est celui-là : comment passe-t-on de quinze maintenant, vingt-cinq bientôt, à une position unique, à une décision unique sur un certain nombre de sujets ? Pour cela, il faut un laboratoire, et ma conviction est qu'il faut le laboratoire de la Commission plus celui du Conseil européen, dès lors que cette volonté s'affine et qu'elle est rendue plus nécessaire au fil des années et du temps. De ce point de vue, constatons tous ensemble, c'est une évidence, que l'urgence mondiale est une formidable incitation pour les dirigeants de l'Europe à travailler davantage ensemble.
Nous allons avoir ce problème très concrètement avec nos partenaires européens. Nous sommes quatre au Conseil de sécurité, c'est une chance exceptionnelle en ce début d'année : il y a deux membres permanents, le Royaume-Uni et la France, plus deux autres membres non permanents aujourd'hui l'Allemagne et l'Espagne. Et nous allons être confrontés à la nécessité d'essayer d'avancer, en particulier, par exemple, sur la crise iraquienne. C'est un formidable défi. Cela implique une volonté, des choix, du courage et je crois que le processus institutionnel de la Commission et le processus institutionnel du Conseil européen, chacun avec leur légitimité propre, permettent d'instruire mieux, de créer plus de volonté, plus de légitimité qu'un processus qui aurait l'avantage d'être simplificateur avec une tête unique, mais qui aurait peut-être moins l'avantage, moins la capacité de drainer de l'énergie, de rassembler des capacités, tout simplement parce qu'il y aurait une déperdition en ligne et qu'au bout du compte, il y aurait fort à craindre que beaucoup de tentatives, beaucoup d'énergies soient dissipées, gaspillées et non transformées en capacité politique à agir.
Cette question institutionnelle est donc très importante. Il est vrai qu'à Marseille, dans un discours, j'avais émis l'idée que le fait de doter l'Europe d'une seule structure, d'une seule présidence était tentante. C'est vrai que c'est plus simple à comprendre pour les peuples, que l'on peut imaginer que ce soit aussi plus efficace. Je crois qu'il faut constamment se souvenir de cette vérité première, c'est que l'Europe est une construction totalement originale et qu'il ne faut pas chercher à calquer le modèle institutionnel européen sur un modèle institutionnel national. Cette richesse, et vous l'avez analysée et touchée du doigt en évoquant la Charte des droits européens, nous amène à élaborer une construction originale pour ne rien perdre de e qui fait la substance, l'énergie de l'Europe.
A partir de là, la question reste ouverte - les conventionnels en débattront longuement lundi et mardi -, quel est le meilleur modèle pour l'Europe ? Est-ce une présidence unique ? Est-ce deux présidences renforcées ? Ce qui permet à mon sens, peut-être d'être plus efficace et plus démocratique.
Bien sûr, le débat reste ouvert mais ne perdons pas de vue le fait que tout cela vise à répondre à des questions nouvelles, à des questions anciennes liées au marché communautaire mais aussi à des questions nouvelles liées à la politique étrangère, à la politique de défense, au domaine de la justice et des affaires intérieures. Sur toutes ces questions, je crois que la vraie objection qui est faite aux deux présidences, c'est l'idée qu'elles pourraient, éventuellement, ne pas poursuivre le même objectif.
Je crois que deux présidences poursuivant le même objectif - et je ne vois pas pourquoi elles ne seraient pas animées par le même souffle, par la même ambition européenne - ont plus de capacité à rassembler : le Conseil européen d'une part, la Commission de l'autre, avec tout ce que cela suppose de logiques administratives, d'investissements administratifs, de temps, ne l'oublions pas ce facteur temps. Un seul président pour l'Europe qui devrait à la fois gérer l'Europe, donner une impulsion politique, voyager dans 25 pays, c'est humainement absolument impensable, sauf à imaginer, ce qui est aussi une possibilité, que l'Europe évolue vers une simple zone de libre échange. Je le dis tout de suite, ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de l'Europe. Nous sommes soucieux que l'Europe, non seulement relève les défis d'hier et d'aujourd'hui, mais aussi qu'elle s'attaque à répondre aux défis qu'elle ne satisfait pas encore mais auxquels elle doit répondre, qui sont les défis d'une Europe s'affirmant comme une véritable puissance internationale, une Europe s'affirmant dans le jeu international, la coopération, le développement, vous avez évoqué certains thèmes, la défense. Si nous voulons plus d'Europe, il est clair qu'une seule personne aura énormément de mal à couvrir le champ de ce qu'est l'ambition européenne maintenant, et de ce que sera l'ambition européenne demain.
Voilà sur la présidence, je dis juste un mot et je passe la parole à Noëlle Lenoir sur la Charte et sur la politique étrangère et la politique de développement.
Concernant la Charte, je crois qu'effectivement l'idée de l'inclure dans le cadre d'une constitution européenne, nous y souscrivons, est excellente. Il est très important, dans cette construction originale qu'est l'Europe, de reconnaître à quel point ces valeurs sont centrales, essentielles dans la définition de l'Europe. La vraie question que vous posez et à laquelle la réponse est malheureusement difficile, c'est : aujourd'hui, faut-il élargir le contenu de cette charte ? Faut-il en modifier le contenu ? Et là, je serai preneur de solutions. La vraie question, c'est que si nous rouvrons le dossier de la Charte, vous vous souvenez qu'il y a deux ans, lorsque cela a été fait, ce fut une tâche extraordinairement difficile, si nous voulons rouvrir le contenu de cette Charte sur les droits sociaux, sur le problème de l'héritage spirituel européen, nous ne savons pas comment et quand nous refermerons le dossier. C'est un dossier qui divise profondément les Européens. Prenez la simple question religieuse : faut-il mentionner, comme c'est le cas aujourd'hui, l'héritage spirituel, faut-il parler d'un héritage religieux, chrétien ? Vous imaginez vers quoi l'on s'avance. Il y a là des débats extraordinairement complexes et qui risquent de compliquer solidement la tâche.
De la même façon, pour les droits sociaux, il est évident que l'Europe doit avoir un milieu social et c'est dans ce sens que nous avons beaucoup poussé à la Convention pour une réflexion dans ce domaine. Mais réfléchir sur l'intégration dans la Charte des références à ces questions, c'est ouvrir un débat entre plusieurs orientations, plusieurs philosophies, qui sont sous-jacentes à l'action de chacun de chacun des Etats, une aspiration plus libérale pour certains, d'autres qui sont au contraire plus soucieux de solidarité. Je pense qu'il faut avancer vers un modèle européen et la France se bat pour cela depuis des années. D'ores et déjà, vouloir figer les choses dans un texte, une fois pour toutes, est-ce une bonne idée, au risque que les divisions ne nous amènent soit à faire du "sur place", soit à régresser ? C'est un pari, c'est une question en tout cas qu'il faut se poser très soigneusement.
Ma conviction est que les textes ne sont pas tout et que de ce point de vue, les Anglo-saxons ont raison d'introduire un paramètre pragmatique d'évolution constante. Les textes sont faits pour évoluer. Alors, soit on trouve le moyen d'évoluer au fil des années, soit, tout simplement, nos institutions, nos réflexions nous conduisent à évoluer sans que l'on éprouve le besoin, systématiquement, par la sacralité d'un texte, de figer les choses dans le marbre.
Un mot encore sur les questions de politique étrangère et de développement.
Il y a là des orientations importantes, intéressantes sur lesquelles vous avez travaillé. L'idée de centraliser l'ensemble des moyens du développement en Europe dans le cadre d'une agence, dans une seule main est intéressante, serait-ce une avancée ou ne prenons-nous pas le risque d'un appauvrissement ?
En effet, ne l'oublions jamais, l'Europe est riche de la capacité de chacun des Etats à agir en fonction de traditions qui leur sont propres, en fonction de capacités. Ce que le Royaume-Uni peut faire par sa diplomatie, d'autres Etats ne peuvent pas forcément le faire et ce n'est pas forcément transmissible. Ce que la France peut faire par sa propre tradition, par sa propre crédibilité diplomatique, ce n'est pas forcément transférable, et peut-être surtout pas à une agence.
Que l'idée de rationaliser, de simplifier, de rassembler, dans le cadre de structures mieux organisées, soit une bonne idée, c'est certain. Faut-il pour autant déposséder chacun des Etats de sa capacité à faire de son côté ? Cela mérite une soigneuse réflexion et cela mérite aussi une réflexion pour une raison très pratique. Chacun voit, dans le monde qui est le nôtre, la tendance à la rationalisation. Chacun voit bien aussi l'exigence d'expérimentation, d'adaptation et de remise en cause. La réflexion sur le développement nous conduit, en permanence, à évaluer le travail qui est fait, l'évaluer parce que l'on constate que les rêves parfois ne sont pas marqués en retour par les résultats que l'on peut espérer au départ, parce qu'il faut donc constamment s'adapter, réévaluer, juger et sanctionner des projets de développement.
L'idée de tout mettre entre les mains d'une agence qui, de ce fait, n'aurait qu'une seule philosophie pour agir, c'est peut-être se couper aussi d'une capacité de remise en cause qui est indispensable dans le domaine du développement.
Il y a là une question ouverte : est-on plus efficace au travers de nombreux réseaux, quitte à mettre en commun une partie d'entre eux, ou est-on moins efficace au contraire ?
Sur la question de la conditionnalité, une coopération doit-elle introduire une vraie conditionnalité, notamment par rapport à des valeurs ? Ce sont des questions que nous nous sommes posées très concrètement, par exemple, à Séville, concernant l'immigration. Devions-nous sanctionner un pays qui ne jouait pas le jeu dans le domaine de l'immigration ?
L'approche française, de ce point de vue est une approche plus incitative que de sanction. Nous pensons que, notamment vis-à-vis d'Etats parfois en difficultés, il est important d'essayer d'avancer en incitant plus qu'en sanctionnant. C'est là un parti pris, une philosophie, à l'usage, je crois que cela marche mieux, d'autant qu'un Etat qui voit des programmes avancer, qui voit que l'on est capable de faire quelque chose avec lui a tendance, naturellement à s'ouvrir et le fait au contraire de mettre sur la place publique un débat sur une conditionnalité de valeur, parfois fige et bloque les choses.
Mme Lenoir - Je vais tenter de respecter les instructions qui me sont données en étant brève. Je n'ai pas grand chose à ajouter sauf à dire, et vos assises en témoignent, que pour la première fois, on a un débat citoyen sur la démocratie européenne. A cause précisément de cet élargissement qui nous oblige à maîtriser cette extension de l'Europe qui est sans précédent, pour la première fois, il y a vraiment un grand débat citoyen. Tout ceux qui sont réunis ici le sont en tant que citoyens européens, ce que nous sommes tous ici depuis des années, mais l'on sent bien que c'est aujourd'hui que l'on se demande : qu'est-ce qu'être européen veut dire ? Pourquoi faut-il étendre le champ géographique de l'Europe jusqu'à telle et telle frontière ? Quelles sont les frontières de l'Europe et également quelles sont nos valeurs et quel est le système démocratique, politique et social dans lequel nous souhaitons nous inscrire pour les décennies à venir ?
Trois points : premièrement la Charte, si vous me permettez de retenir cet ordre, ensuite le président, c'est-à-dire l'organisation des pouvoirs publics européens et enfin, très brièvement l'aide au développement, problématique qui intéresse d'ailleurs autant les Etats eux-mêmes que l'Europe toute entière.
La Charte : c'est vraiment l'acte fondateur qui a été établi, élaboré et approuvé sous présidence française en décembre 2000 et que l'on proposait déjà de modifier avant même qu'elle ne revête une force juridique nouvelle en devenant une norme obligatoire. Cela me fait un tout petit peu penser, comme l'indiquait M. de Villepin, à la "bougeotte" constitutionnelle propre à notre pays. Avant d'appliquer un texte, nous sommes bien souvent très impatients de le modifier. Ce n'est pas une bonne idée de le modifier pour deux raisons, d'abord pour une raison tactique si je puis dire, ce texte a été très difficile à faire approuver et, ne l'ignorez pas, il sera aussi très difficile à faire intégrer dans la Charte, bien que nous Français, avec nos amis allemands et bien d'autres pays, y soyons très favorables. Certains autres pays comme nos amis britanniques ne le sont pas car ils ne connaissent pas la notion de droits sociaux constitutionnels. Ce sera donc un pas considérable vers l'affirmation d'une communauté de valeurs et vers l'affirmation d'un modèle social européen qui est sans équivalent dans le monde, notamment par rapport au système américain . Cette Charte comporte des innovations sans équivalent, comme l'interdiction du clonage reproductif, comme celle de hisser au niveau constitutionnel des droits nouveaux comme le droit du citoyen face aux technologies informatiques, la protection des données, il y a même des dispositions - cela pourrait faire l'objet d'exercices dans le cadre de cours de droit - qui paraissent aller un peu plus loin que ce que certains pays ont d'ores et déjà adopté, je pense au droit à l'éligibilité pour les ressortissants communautaires en Europe.
Appliquons la Charte et surtout laissons cette Charte devenir du droit vivant et c'est ainsi que la citoyenneté européenne va s'ancrer dans toute l'Europe. Finalement, ce sont les juges qui vont accorder à cette Charte un droit à la parole et en particulier, les juges nationaux puisque les juges de droit commun, au plan communautaire, sont les juges nationaux qui ont à appliquer les textes communautaires et à les faire prévaloir, même sur des législations nationales.
Vous allez voir que cette richesse culturelle de l'Europe se reflétera dans des jurisprudences nationales et que c'est par ce biais, par ce droit vivant que la communauté de valeurs qui justifie le projet européen pourra s'exprimer et s'illustrer.
Ce n'est pas du tout pour diminuer la valeur de cette Charte mais au contraire pour lui donner sa chance que je pense qu'il faut se borner, et ce sera déjà presque un miracle, à l'intégrer telle quelle dans le traité.
Le second point : le président de l'Union. Pour ma part, je pense que c'est une fausse bonne idée, je dis pour ma part, en réalité, pour notre part puisque nous l'avons retenu dans une contribution franco-allemande élaborée par M. de Villepin et M. Fischer, c'est une fausse bonne idée en l'état actuel de la construction européenne. Il ne faut pas avoir peur de dire que l'Union européenne est une entreprise tout à fait originale qui n'a jamais été menée jusqu'alors au même titre d'ailleurs que lorsque les Etats-Unis d'Amérique ont déclaré leur indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Lorsque la Révolution française a jeté les bases de la démocratie libérale à travers la déclaration des Droits de l'Homme, ce type de démocratie libérale était absolument unique au monde. Aujourd'hui, nous construisons autre chose.
En admettant que nous options pour un président, puisque, effectivement, c'est très séduisant, parlant, et cela donne un visage et au travers des médias, on aime beaucoup la personnalisation du pouvoir, imaginons un instant que l'Europe se dote d'un président qui serait à la tête d'une communauté de 450 millions d'habitants, qui battrait monnaie, qui aurait à terme une armée, qui mènerait la politique étrangère. Il faudrait alors des partis politiques européens pour que les forces politiques européennes, à la dimension de cette communauté de presque 500 millions d'habitants puissent s'exprimer. Il faudrait trouver de nouveaux contrepoids à l'Europe. Les Etats-Unis ont inventé le système fédéral qui, si vous vous reportez aux "federalist paper" qui est ce document collectif et anonyme en réalité rédigé par les pères fondateurs de la Constitution américaine, vous voyez que le fédéralisme est une modalité tout à fait originale à l'époque, même révolutionnaire qui visait à limiter le pouvoir.
Je crains qu'avec un président de l'Europe, pour limiter ce pouvoir, pour garantir la démocratie, on ne soit obligé de diminuer les compétences du pouvoir central européen. Engageons-nous donc dans une voie constructive, ne considérons pas qu'il y a deux présidents de l'Europe, il y a déjà deux présidents de l'Europe, un président du Conseil et un président de la Commission, articulons les pouvoirs suivant ce mode tout à fait particulier spécifique et original de la construction européenne. Allons plus loin et ayons surtout l'ambition, ce qui est le principal objectif des contributions faites entre les Français et les Allemands que l'Europe ait un visage pour le monde extérieur, qu'elle existe comme entité politique, comme communauté de valeurs qui pèse sur les affaires du monde parce que, justement, elle est porteuse de ces valeurs qui s'inscrivent dans des relations privilégiées avec d'autres pays, tout particulièrement la relation transatlantique.
Sur l'aide au développement, je n'ai rien à ajouter sauf de dire que la solidarité est certainement l'un des grands sujets d'aujourd'hui. Les Etats démocratiques sont des espaces de solidarité, l'Union européenne entend s'affirmer comme un espace de solidarité, notamment au moment de l'élargissement entre nos pays qui ont connu un certain niveau de développement et les pays amis qui vont nous rejoindre. Il faut que cette solidarité soit beaucoup plus ancrée au niveau mondial mais tout a été dit par le ministre, ce sera un des grands sujets européens de la nouvelle Europe.
Q - Sur la double présidence et les risques de conflits de compétences ; sur la visibilité de l'Europe ; sur les Droits de l'Homme.
R - M. de Villepin - Concernant les conflits de compétence, j'avoue que je suis un peu surpris de voir fleurir cette sempiternelle question, alors même que je n'ai pas observé, au cours des dernières années, que l'on ait de conflits de compétences particuliers entre la Commission et le Conseil. Je veux bien croire que tout va subitement changer et qu'immédiatement le président du Conseil et de la Commission vont s'écharper, mais je ne suis pas sûr que ce soit une véritable question. A partir du moment où nous renforçons les pouvoirs des uns et des autres et où chacun agit dans le domaine qui est le sien, le problème du conflit de compétences, à mon avis ne se pose pas. Il peut y avoir des difficultés dans chacun des secteurs, il n'est pas interdit d'ailleurs de se parler, ce que ces différentes institutions font régulièrement. Il y a des noyaux durs, bien sûr, et nous en parlons entre Etats, je ne vois pas pourquoi, il y aurait subitement entre la Commission et le Conseil des arbitrages particulièrement difficiles qui échapperaient à la capacité des deux présidents. Très honnêtement, sauf à ce que l'on me présente des exemples concrets qui puissent tout à coup poser un problème, je crois que, lorsque l'on descend dans le détail des choses, il n'y a pas de raison spécifique qu'il y ait de problèmes d'arbitrage. Et en tout état de cause, les problèmes qui se posent se poseraient de la même façon à un président unique. Mais une fois de plus, dans une calendrier, dans un emploi du temps qui paraît absolument démentiel, compte tenu de l'idée que l'on se fait de l'Europe, ce que je crains, c'est qu'une présidence unique aujourd'hui jouerait contre l'Europe. Ceci pour une raison simple : la capacité qu'aurait ce président à répondre aux problèmes de l'Europe, du fait du temps qui lui est imparti, serait moins grande que la double capacité qu'auraient aujourd'hui deux présidents à plein temps. N'oubliez jamais que dans le schéma franco-allemand que nous proposons, nous envisageons un président du Conseil permanent pour deux années et demie, ou cinq années. La capacité à durer règle, à mon sens, les problèmes de compétences qui pourraient éventuellement se poser par la définition d'un dialogue quotidien avec la commission et en même temps, donne l'expérience, le recul, la légitimité à ce nouveau président du Conseil qui ne ferait que cela, pour s'emparer, investir des champs de l'Europe qui, aujourd'hui, malheureusement ne sont traités par personne.
Plutôt que de s'obséder par ce qui pourrait constituer le champ des querelles, voyons tout ce que l'Europe pourrait faire si elle était plus ambitieuse, plus volontaire, plus déterminée, et c'est bien cela le choix aujourd'hui de l'Europe : soit on considère qu'il s'agit de se répartir entre une ou plusieurs institutions d'ailleurs, ce qui est actuellement le cas et qui me paraît personnellement notablement insuffisant, soit on imagine que le champ à défricher est aujourd'hui le vrai défi de l'Europe, le champ à couvrir, l'espace d'imagination, l'espace d'autorité et de volonté pour cette nouvelle Europe dans un monde en désordre, et alors, je crois qu'il ne suffira pas des bonnes volontés du président du Conseil et de la Commission, il faudra que, de surcroît, les peuples s'en mêlent. C'est, à mon avis, un élément très important dans l'enjeu démocratique européen et il est essentiel que les citoyens soient plus demandeurs, plus investis d'une capacité à agir et à proposer pour que cette Europe vive.
Le vrai défi de l'Europe c'est l'espace non couvert par l'Europe aujourd'hui et non pas le reste.
Concernant la visibilité de l'Europe, c'est aussi une question de capacité et d'emploi du temps. Un président qui doit se partager en vingt-cinq et qui doit diviser son agenda en fonction du nombre de problèmes est peut-être moins visible somme toute, même s'il est mieux connu. Distinguons la notoriété de la capacité de légitimité et d'efficacité. Je crois en la capacité qu'auraient deux présidents permanents à agir, chacun dans leur domaine, surtout s'ils agissent en harmonie, et je ne vois pas au nom de quoi ces deux présidents se battraient et ne s'entendraient pas. C'est un pari qu'il faut être capables de relever, nous avons besoin d'un formidable président de la Commission et d'un formidable président du Conseil. Espérons que l'Europe sera capable de concevoir deux personnalités d'exception pour diriger ces institutions.
Sur les Droits de l'Homme, il y a là un enjeu essentiel et lorsque l'on parle de la spécificité et de l'originalité de l'Europe, il est évident qu'il y a là une dimension que l'Europe veut traiter en propre.
Ce n'est pas un ensemble cynique, ce n'est pas un ensemble sceptique, ce n'est pas un ensemble timoré et les Droits de l'Homme doivent faire partie du langage de l'Europe vers l'extérieur, d'une exigence de l'Europe vis-à-vis du monde. Constatons quand même que nous sommes, là encore aussi, plus forts quand cette exigence européenne n'est pas uniquement saisie, traitée par le champ de l'Europe mais relayée par les Etats. Lorsque l'on se déplace dans un certain nombre de régions du monde et que l'on peut, à titre national, évoquer un certain nombre de questions, sans forcément mettre cela sur la place publique, mais en évoquant en détail telle et telle situation pour souhaiter que les choses avancent, nous arrivons à être aussi efficaces et de façon certaine.
Je crois que la conjugaison de l'Etat-nation et de l'échelon fédération européen sur les Droits de l'Homme est aussi un élément important. Ne nions pas ce qui existe et qui montre peut-être que ce n'est pas uniquement un problème institutionnel. Il y a aujourd'hui un commissaire chargé des Droits de l'Homme et qui fait ce qu'il peut dans ce domaine. Le problème est d'être plus efficace et de savoir traiter de cette question avec à la fois l'énergie, la volonté et l'imagination qui permettent d'aller plus loin. C'est là qu'il faut, je crois, mieux conjuguer, mieux faire valoir ce problème des Droits de l'Homme. Nous buttons sur cette question depuis de très nombreuses années et la question sanctions-incitation reste une des grandes problématiques du monde vis-à-vis de pays qui sont amenés à bafouer ces Droits de l'Homme.
Il faut être à la fois exigeants, ambitieux, pragmatiques, mais surtout - et ne l'oublions jamais, parce qu'une Europe qui serait seulement un empire donneur de leçons, n'aurait pas beaucoup de crédibilité sur la scène internationale -, nous ne sommes jamais aussi efficaces sur les Droits de l'Homme que lorsque l'on est en initiative, que l'on fait mieux que les autres, que l'on est capable d'inventer des mécanismes, d'inventer des politiques exemplaires dans ces domaines. A la vigilance doit s'ajouter l'exemple, soyons meilleurs que les autres, faisons de l'Europe une zone d'exemplarité et nous verrons alors d'autres pays du monde chercher à imiter ce que fait l'Europe. Je pense que la capacité à agir, la capacité d'entraînement et d'efficacité de l'action est parfois plus grande que la capacité à s'ériger en donneur de conseils ou de leçons, de façon parfois un peu arrogante.
Q - Sur les délimitations de compétences.
R - Mme Lenoir - Permettez-moi de redéfinir la question : que mettra-t-on à l'intérieur de ces structures institutionnelles refondées, la nouvelle architecture européenne, va-t-on, c'est ce que vous indiquez me semble-t-il, beaucoup plus en avant de la problématique prédominante jusqu'alors, celle du marché et de l'harmonisation du marché ?
Le premier point est que vous vous êtes inscrit en faux contre une liste rigide des compétences, c'est exactement la position française et franco-allemande puisque, contrairement à ce qui a été proposé par un groupe de travail à la Convention, nous avons considéré que la dynamique européenne avait une valeur irremplaçable et qu'il ne fallait pas bloquer une évolution qui pouvait conduire à des extensions de compétences au fur et à mesure de l'expression des besoins des citoyens européens.
Nous sommes donc tout à fait en phase avec votre point de vue.
Sur le second point, je voudrais simplement insister sur le fait que la France considère que le moment est venu, précisément parce que l'adhésion citoyenne à l'Europe commence à prendre une forme beaucoup plus concrète et beaucoup plus globale, la France considère qu'il faut donner un contenu à l'Europe sociale. Nous avons fait des propositions extrêmement précises pour enrichir les compétences européennes dans ce domaine, en étendant autant que possible le champ de la majorité qualifiée, par exemple pour l'harmonisation des règles en matière sociale, voire même pour appliquer cette règle afin de lutter contre les discriminations de toute sorte, ce qui est un peu l'image de marque de l'Union européenne.
Nous souhaitons aussi que, dans le domaine de la santé, de la prévention des maladies, des risques sanitaires, peut-être également des risques de bio-terrorisme, l'Union européenne puisse avoir de véritables compétences et ne pas traiter des questions de santé uniquement de façon diagonale au travers du marché, comme c'est le cas concernant toute la réglementation relative au marché des médicaments. Nous sommes à cet égard en faveur d'une extension des compétences de l'Europe pour consolider le modèle social auquel nous tenons et qui, il faut le dire, est unique au monde.
Q - Sur l'aide au développement ; sur l'Europe gendarme du monde ; sur le nouveau partenariat pour l'Afrique.
R - M. de Villepin - Sur l'aide au développement et l'objectif de 0,7 %, vous savez que, malheureusement, c'est un objectif qui, depuis de très nombreuses années, a été fixé par la communauté internationale et on a vu que cet objectif tardait à être satisfait.
La France, en ce qui la concerne, a marqué clairement son engagement à atteindre 0,5 % dans les cinq années, c'est-à-dire près d'un doublement de l'APD et s'engage résolument vers cet objectif. C'est le cas aussi pour la plupart de nos partenaires européens. Faut-il aller jusqu'à rendre obligatoire cet objectif ? Vous le voyez tous les jours, avec les difficultés financières des différents Etats de l'Europe, je ne suis pas sûr que la contrainte soit le meilleur moyen de porter cette exigence d'ouverture et d'aide en faveur des pays les plus pauvres. D'autant qu'il y a plusieurs moyens, au-delà des moyens quantitatifs qui permettraient de sérieuses avancées, y compris un effort de rationalisation, de disponibilité de l'aide. On voit parfois les lenteurs avec lesquelles l'aide est acheminée, je pense en particulier à la réflexion que nous avons menée pour faire en sorte que le FED devienne plus efficace, plus capable de répondre dans des délais courts aux demandes qui sont faites. Je crois que, certes, il faut garder, de façon forte, une ambition quantitative, la rendre obligatoire, je ne suis pas sûr qu'au bout du compte, cela modifierait les choses substantiellement. Il faut convaincre chacun des Etats, convaincre chacune des sociétés que cet effort est à faire mais parallèlement, se poser en permanence la question de l'efficacité de l'aide et des meilleurs moyens d'aider ces pays en voie de développement. Il y a d'autres façons, une fois de plus, que l'aide au développement, la mobilisation pour les forces de paix, la mobilisation pour accompagner les élections, dans le domaine des Droits de l'Homme, dans le cadre du NEPAD. Le seuil quantitatif, même s'il est très important, n'est pas le seul. On le voit dans d'autres domaines, comme la lutte contre le sida, il y a un nid matériel, une disponibilité des capacités de coopération et vous savez que dans les propositions que la France et l'Allemagne feront, il y a la volonté de proposer, au niveau d'un volontariat ouvert aux jeunesses des deux pays, la possibilité de servir dans un certain nombre de domaine privilégiés, les hautes technologies, l'enseignement, le domaine médical. Je crois qu'il y a d'autres façons que le seuil quantitatif même si c'est important de répondre à nos obligations dans ce domaine.
Concernant la question sur l'Europe gendarme du monde, nous en sommes très loin et je crois qu'il n'y a pas péril en la demeure concernant la capacité de l'Europe à devenir le gendarme de quoi que ce soit. L'Europe doit avoir pour vocation d'aider et de contribuer à la sécurité du monde. Il y a là une forte exigence et donc elle doit être capable de prendre ses responsabilités et de répondre à ses missions. C'est pour cela que nous avons, là encore, fait des propositions franco-allemandes pour une Union européenne de sécurité et de défense avec une clause de sécurité qui permettrait véritablement de changer d'âge et de permettre à chacun des pays européens de sentir sa solidarité. Nous le voyons depuis maintenant plusieurs années, l'OTAN se pose des questions sur sa mission et dans le nouveau monde dans lequel nous vivons, la perspective de la sécurité dans le cadre de l'OTAN se pose dans un autre contexte. Il est important que les Européens soient capables de traiter ces questions de sécurité entre eux avec détermination et volonté et de se doter des outils, cela veut dire une agence de l'armement, une capacité de projection de forces, vous savez que l'on réfléchit à la façon de se doter de 60 000 hommes qui permettraient à l'Europe de se prendre en main.
Nous sommes dans un monde où il est important de constater, au-delà de la logique des blocs qui, pendant longtemps, a permis d'imaginer vivre avec les parapluies d'autres, il est important de se prendre en main et d'assumer pleinement cette sécurité et de contribuer à la sécurité des autres. Nous évoquions il y a quelques instants la question de l'Afrique, je crois que là aussi, il y a des missions, des missions de paix, des missions pour geler des situations et permettre justement au dialogue politique d'être restauré.
C'est ce que nous faisons en Côte d'Ivoire où nous sécurisons un cessez-le-feu le temps de permettre à l'ensemble des forces politiques du pays de trouver les solutions. Et nous ne le faisons pas de façon unilatérale, nous le faisons en liaison avec le pays concerné et en liaison avec tous les Etats de la région, avec le souci que, très rapidement, les forces africaines, celles de l'ECOMOG voire d'autres forces internationales, puissent prendre le relais de la présence française.
Il y a un âge de responsabilité pour l'Europe qui est très important et qui fait que face au terrorisme, face à la prolifération, face aux crises, cette dimension de paix et de sécurité est pleinement intégrée dans la capacité à agir de l'Europe.
Sur la question plus large du NEPAD, il est évident que l'Europe a vocation à accompagner de façon privilégiée cette formidable entreprise des pays africains. Accompagner l'exigence d'ouverture de ces pays, sur le plan des infrastructures, accompagner les ambitions de l'Afrique, sur le plan juridique, également, en faisant en sorte que l'Afrique ne soit pas, à aucun moment, le champ de rivalités et d'ambitions. Et de ce point de vue, la France veut renforcer sa législation sur les mercenaires pour faire en sorte qu'on puisse être pénalement sanctionné, c'est une exigence essentielle. Associer mieux les sociétés civiles, c'est aussi une ambition en Côte d'Ivoire comme ailleurs. Il n'est pas nécessairement facile de formaliser cette capacité que nous avons à dialoguer avec les sociétés civiles, et la table ronde dont nous avons pris l'initiative à Paris en liaison avec la CEDEAO avec l'Union Africaine et avec les Nations unies, c'est bien la volonté de faire asseoir tout le monde autour de la table, de réunir toutes les forces, tous ceux qui ont une capacité à penser et à peser sur le destin de la Côte d'Ivoire pour trouver des solutions à des questions qui ont une trace et qui ont une portée dans la mémoire de tous les Ivoiriens depuis de nombreuses années, je pense en particulier à cette question si dramatique de l'ivoirité.
L'ambition de l'Europe est forte, chacun des Etats qui a une capacité, une tradition, une passion pour l'Afrique a vocation à travailler, c'est ce que nous faisons avec nos partenaires européens les plus concernés par les questions africaines, c'est ce que nous faisons dans le cadre des organisations régionales et internationales.
Q - Sur la double présidence et le clivage grands/petits Etats ; sur l'immigration ; sur l'idée d'un référendum sur la Constitution.
R - Concernant la première question et ce qui la sous-tend, c'est-à-dire le clivage entre les petits et les grands Etats, j'ai la faiblesse de penser que cette question a pu être au coeur de l'histoire européenne pendant longtemps, je ne crois pas qu'aujourd'hui, ce clivage soit fondé, même si, bien évidemment, je comprends qu'il y ait une inquiétude, voire une suspicion qui puisse se pérenniser sur cette question. La vraie question aujourd'hui, c'est : de quelle Europe veut-on parler ?
Je comprends que l'on puisse se poser la question de savoir si cette Europe sera française, anglaise, allemande, je crois que l'ambition de tous, c'est que l'Europe compte plus dans la vie internationale. Ce besoin d'Europe est partagé aujourd'hui par l'ensemble des Etats européens, les petits et les grands. Une fois de plus, il ne faut pas être grands clercs pour regarder au-delà de nos fenêtres respectives et constater que si nous ne nous mobilisons pas ensemble, nous ne pourrons contribuer ni à régler les problèmes que nous avons en commun, ni à régler les problèmes du monde. Il faut donc évidemment plus d'énergie et plus d'audace.
Dans le cadre de la réflexion institutionnelle, je constate d'ailleurs que les cartes sont très largement brouillées, parce que lorsque la France et l'Allemagne font une proposition visant à renforcer la Commission, il n'y a pas là de quoi effaroucher les petits Etats, au contraire, ils ont toutes les raisons de penser que ce renforcement servira l'ambition européenne. De la même façon, lorsque l'on imagine se doter d'une présidence pérenne du Conseil européen, il y a, à la fois le temps, la capacité et la légitimité pour agir dans la durée, pour servir les intérêts européens. Il n'y a pas là non plus, de quoi, pour les grands Etats, imaginer qu'ils auront d'une quelconque façon, l'avantage sur les autres.
Le vrai défi n'est pas là. Comment fait-on pour faire fonctionner une Europe qui ne marche pas bien à quinze, pour la faire fonctionner à vingt-cinq et demain à vingt-sept ? Croyez-moi, ne soyons pas en retard d'un train concernant les questions que nous nous posons. L'angoisse des dirigeants de l'Europe aujourd'hui, c'est d'être certain que l'Europe va marcher, ce n'est pas d'infernales querelles théologiques dans lesquelles l'Europe s'est trop souvent engluée, pour savoir si l'Europe doit marcher sur la tête ou sur les pieds. Il est bien évident qu'elle doit marcher et que l'on doit trouver les mécanismes qui lui permettent de s'ajuster. Mais, la vraie question, c'est : comment être efficace, comment être le plus efficace, et si nous ligotions l'Europe, en nous enfermant dans quelques belles idées mais n'ayant pas la capacité, les procédures pour agir, les mécanismes institutionnels pour décider, cela ne servirait de rien. Je vous donnerai un exemple : l'Europe est sans doute l'ensemble géographique qui est le plus présent au Proche-Orient. Nous avons près d'un milliard 400 000 euros d'aide donnés à cette région. Quelle est la visibilité politique de l'Europe au Proche-Orient ? Je vous le demande un peu. C'est cela les problèmes de l'Europe aujourd'hui, c'est d'exister à la mesure de nos capacités, à la mesure de nos moyens, de nos ambitions, faire en sorte que nous soyons capables d'exprimer une volonté. Et pour ce faire, il faut des institutions claires, régies par des lois claires, dans lesquelles on ne soit pas en permanence en train de se préoccuper de savoir qui gagne et qui perd. Il est bien évident que tout le monde, dans cette nouvelle Europe, doit s'ajuster, tout le monde doit avancer et, dans un schéma où l'on veut plus d'Europe, il faut que chacun consente des sacrifices pour le bien commun européen. C'est cela l'ambition de la France dans l'Europe d'aujourd'hui, et pas un sempiternel calcul que l'on voudrait prêter à notre diplomatie.
Lorsque l'on regarde les Français, ils sont exactement à ce diapason, ils veulent une Europe efficace, comme ils veulent un gouvernement efficace. Ils veulent que l'on réponde aux questions qu'ils se posent, ils veulent que l'on réforme ce qui ne va pas bien. Comment fait-on pour se doter, justement, des moyens de répondre à toutes ces questions de façon claire, convaincante et rapide ?
C'est là, je crois, la question que se posent tous les conventionnels et beaucoup moins des réponses et des questions philosophiques qui ont fait leur temps mais dont on a vu qu'elles n'étaient pas toujours en phase avec la vérité européenne.
Sur la question de l'immigration, je crois que c'est une vraie question : quel doit être aujourd'hui, dans le cadre de l'Europe, l'équilibre entre l'exigence de réglementation et l'image généreuse de doit avoir cette Europe, parce qu'elle est fondée sur un idéal de générosité et de solidarité ? Il faut trouver un équilibre et pour cela, il faut se fonder sur des règles de droit très strictes, très précises, respectées. Il est bien évident que ceux qui, en Europe, viennent travailler d'un certain nombre d'horizons, pays voisins ou autres, ont le droit d'être présents et doivent partager les mêmes droits que tout ceux qui travaillent en Europe. Au contraire, ceux qui viennent par des voies clandestines doivent voir aussi la règle appliquée en ce qui les concerne. Le problème de l'Europe, c'est la crédibilité dans ce domaine, il faut qu'elle ait une politique d'immigration et que cette politique soit suffisamment claire pour être respectée sans que nous nous retrouvions en permanence dans la situation des gérer un espace hémorragique que nous ne maîtrisons pas. Je crois que c'est la clarté, la règle de droit qui doit être précisée, la règle en liaison avec les pays d'immigration. Pour cela, nous devons perfectionner notre politique de développement et faire en sorte que les pays qui, traditionnellement, sont des pays de passage ou d'immigration n'aient pas tant de raisons de venir et de nourrir le flux migratoire chez nous.
Je ne crois donc pas du tout que l'Europe ait vocation à se recroqueviller, à se replier sur elle-même, ce n'est ni l'intérêt de l'Europe, ni l'idée qu'elle se fait d'elle-même. Mais elle doit appliquer des règles claires et en commun, faire en sorte que nous puissions avoir les moyens juridiques de le faire respecter.
Sur l'idée du référendum, je crois personnellement que c'est une excellente idée parce qu'elle permettrait de faire fi d'un certain nombre d'habitudes européennes qui font qu'aujourd'hui, nous n'avons pas la solennité, nous n'avons pas l'acte fondateur qui, entre Européens, crée la conscience européenne. Nous voyons bien que c'est l'un des grands enjeux de l'Europe que nous voulons créer pour que, dans dix ou quinze ans, on ne pose pas à mon successeur la question de savoir si l'Europe sera française ou allemande. Il est important que cette conscience européenne avance, et vous en êtes le symbole, vous, aujourd'hui de ce phénomène avec des universités qui travaillent ensemble, avec des jeunesses qui se côtoient, qui se connaissent mieux, avec des langues partagées et comprises dans les uns et les autres pays. Il est donc important que ce référendum puisse être une pratique européenne commune. Certaines constitutions nationales, je pense à la constitution allemande, ne connaissent pas cette pratique référendaire, certains pays votent le dimanche, d'autres pendant la semaine, il est important que nous puissions avoir un acte solennel, un acte fondateur qui fasse que tous les peuples européens se réunissent un même jour, à un moment donné, pour, d'un même élan, consacrer leur volonté d'avancer sur le chemin de cette Europe.
Je crois qu'il y a là de quoi nourrir beaucoup d'ambition et, en tout cas, il y a là, effectivement, à justifier le travail qui a été le vôtre. Cette ambition, je veux que vous soyez tous convaincus qu'elle mobilise la diplomatie française, qu'elle nous met, Noëlle Lenoir et moi-même, à l'écoute des préoccupations des uns et des autres et toujours preneurs des bonnes idées lorsqu'elles peuvent contribuer à faire avancer les choses.
Je vous remercie donc infiniment de vos travaux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 janvier 2003)