Déclaration de M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les orientations du Gouvernement en matière d'assurances, notamment les restructurations dans le secteur, la compétitivité et la modernisation des outils prudentiels et le contrôle du secteur par la Commission de contrôle des assurances, Paris le 14 décembre 1999.

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Circonstance : Entretiens de l'assurance à Paris le 14 décembre 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui, car vous êtes au cur de trois orientations du gouvernement :
- favoriser le risque contre la rente. Avec Dominique Strauss-Kahn, nous n'avons eu de cesse d'encourager la prise de risque dans notre pays depuis juin 1997, et si l'on en juge par les résultats économiques - croissance, emploi - avec quelque succès. C'est qu'un cercle vertueux s'est créé, fondé sur la confiance, et alimentant la consommation, donc la croissance et la création d'emplois. Vous avez joué - et vous en avez d'ailleurs profité dans vos résultats - un rôle clé dans la construction de cette confiance nouvelle de nos concitoyens en leurs capacités, en un avenir meilleur pour eux et leurs enfants, en la possibilité de revenir d'ici quelques années à un concept que l'on pensait être devenu un mythe : le plein emploi. " L'assurance, c'est la sécurité de la liberté " écrivent joliment François Ewald et Jean-Hervé Lorenzi. Je souhaite que vous poursuiviez activement ce rôle fondamental au service du financement de la croissance.
- répondre à l'exigence croissante de sécurité de nos concitoyens et des entreprises face à des risques complexes. L'assurance a toujours été présente sous une forme ou une autre dans les sociétés humaines. Michel Albert pense que c'est dans le Talmud de Babylone que l'on voit mentionner les premiers mécanismes de réparation de type assuranciel, avec le remplacement des animaux morts en caravane ! Mais on voit bien que dans nos sociétés modernes, complexes, le besoin de sécurité s'étend sans cesse à de nouvelles formes d'activité face à de nouveaux risques. Je pense en particulier aux risques nouveaux liés à la santé - la responsabilité médicale par exemple - et aux dommages à l'environnement. J'y reviendrai.
- enfin et surtout développer l'emploi.
Je suis également heureux d'être parmi vous parce que je considère que votre profession - et d'une manière générale l'ensemble des professions financières - est méconnue par nos concitoyens. Les activité financières au sens strict - hors professions comptables et juridiques, services informatiques... - représentent plus de 5 % de la richesse nationale et 720 000 emplois. Leur développement est donc fondamental pour la prospérité de notre pays. Qui le sait et qui en parle ? Je vous invite amicalement à expliquer toujours davantage votre action et votre rôle.
Je veux aujourd'hui vous parler de deux sujets : ma vision du secteur spécifique de l'assurance bien sûr, mais aussi les projets de réforme du Gouvernement, en particulier sur les " nouvelles régulations économiques ".
I. Mes ambitions pour le secteur de l'assurance.
1) Assurer votre compétitivité
Denis Kessler soulignait tout à l'heure à quel point les assureurs ont besoin d'être réactifs, passant des catastrophes naturelles du Sud aux risques du bogue de l'an 2000.
Le gouvernement sera à vos côtés pour vous aider dans ces efforts, ce qui peut supposer de votre part :
a) une volonté de renforcer vos groupes. On parle beaucoup de la restructuration des industries de la banque et de l'assurance. Le Gouvernement a procédé depuis juin 1997 à ce qui relevait de sa responsabilité propre : la restructuration du secteur public, qui a donné lieu à des projets industriels permettant le regroupement des forces françaises. On en parlait depuis longtemps. Nous l'avons fait. La suite éventuelle de ce mouvement de restructuration relève d'abord de vous. J'ai le souhait que les guerres de frontières d'un autre âge entre "capitalistes" et "mutualistes" cessent. L'assurance a ici ouvert la voie, et c'est heureux. Il faut bâtir, dans la banque comme dans l'assurance, des maisons communes et des outils communs pour faire face aux défis communs que vous devez relever ;
b) une volonté d'aller vers " les nouvelles frontières " de l'assurance pour répondre aux attentes croissantes de nos concitoyens, notamment sur les questions de santé et d'environnement. L'assurance doit être un facteur d'inclusion dans la société, et non d'exclusion. C'est ainsi que je salue votre participation à la mise en place de la CMU, où le Gouvernement, certes sans suivre la profession autant que vous l'auriez souhaité, a tenu compte de vos avis autant que possible. Je souhaite que sur un autre dossier très symbolique et très lourd, celui des " risques aggravés ", où le Gouvernement a souhaité, en juin dernier, relancer le dialogue entre les représentants de votre profession et du secteur bancaire ainsi que les associations d'aide aux malades au sein d'un comité que préside M. Jean-Michel Bélorgey, des propositions concrètes en matière d'assurabilité des personnes séropositives notamment puissent être faites.
Que peut faire le gouvernement pour renforcer votre compétitivité? D'abord assurer un cadre macro-économique favorable. Il est là, tout le monde en sera d'accord, je n'ai donc pas besoin de m'y étendre. Ensuite, une politique d'innovations financières accueillies, je crois, très favorablement par les entreprises d'assurance : les contrats d'assurance-vie " DSK " investis en actions pour lesquels nous proposons au Parlement qu'il soit désormais possible d'investir au moins 50 % des sommes en actions européennes ; les obligations indexées sur l'inflation; la réforme des titres de créances négociables. Enfin, je connais vos protestations sur les questions fiscales et votre souhait d'une fiscalité cohérente entre les différents opérateurs, notamment en matière d'assurance-santé. Sur ce dernier point j'ai bien noté la priorité que vous attachiez à la diminution de la taxe sur les contrats d'assurance qui pèse sur les entreprises du Code des Assurances.
2) Garantir la protection des assurés.
" Le respect de l'intérêt des assurés ": c'est ainsi que le code des assurances définit la mission des autorités prudentielles. Votre plus grand actif est la confiance que peut avoir le consommateur dans les produits d'assurance, dans les entreprises qui les proposent et dans les intermédiaires qui les distribuent. Tous ici, nous sommes conscients que cette confiance explique pour une bonne part le formidable développement de l'assurance vie en France depuis 1980. La défaillance d'Europavie aurait pu introduire une brèche dans cette confiance si le gouvernement n'avait pas proposé la mise sur pied - et ce pour la première fois dans la zone euro - d'un dispositif de garantie en assurance de personnes. En un peu plus d'un an, nous avons défini, en étroite concertation avec la profession, le cadre juridique du fonds de garantie en assurance de personnes. Je ne méconnais pas le coût que peut représenter pour les entreprises la mise en uvre de tels mécanismes, mais je suis convaincu qu'il s'agit aussi et surtout d'un investissement qui favorise le développement global du secteur.
Cette innovation était un des axes essentiels de la loi épargne et sécurité financière du 25 juin dernier qui a dans le même temps renforcé le contrôle effectué en amont par la Commission de contrôle des assurances, précisément afin d'éviter, grâce à la prévention, que ce fonds de garantie ait à intervenir. Celui-ci est aujourd'hui opérationnel.
Dominique Strauss-Kahn avait souhaité que la profession intervienne pour régler le sort des assurés d'Europavie, ce qu'elle a fait avec une indéniable efficacité. Je souhaite de même qu'une solution de place, tenant compte des spécificités du dossier, aboutisse au règlement définitif de la défaillance d'ICS Assurance.
C'est également dans cet esprit que pour ma part, j'aborderai le second volet du dispositif de protection des assurés, avec la création d'un fonds de garantie en assurance de dommages. Les discussions avec l'ensemble de la profession ont déjà commencé et je souhaite que nous puissions aboutir d'ici à la fin du premier semestre de l'année prochaine.
Je tiens enfin à saluer votre contribution à une question importante touchant à la protection des assurés : faire face aux éventuelles conséquences du bogue de l'an 2000. Votre rôle de sensibilisation des PME est essentiel. Je vous redonne le numéro de téléphone anti-bogue : 0 801 31 2000.
II. Les projets du Gouvernement concernant les nouvelles régulations économiques
Lionel Jospin l'a annoncé à la rentrée : notre pays a aujourd'hui besoin de nouvelles régulations pour répondre aux formidables mutations économiques que nous vivons et pour assurer les fondements d'une croissance durable. Ce sera l'objet du projet de loi que je présenterai au Conseil des Ministres fin février, pour adoption avant la fin juin.
De nombreuses réflexions sont en cours, car, fidèle à sa méthode, le Gouvernement souhaite d'abord largement consulter avant de décider. Le Premier Ministre a confié au député JP Balligand une mission de réflexion sur l'épargne salariale, dont il remettra les conclusions en janvier. Des Assises de la Distribution se tiendront le 13 janvier sur les relations entre producteurs et consommateurs. J'ai réuni à Bercy les membres du Collège des Autorités financières sur les questions de droit bancaire et boursier. Il est trop tôt pour pouvoir annoncer les mesures précises que nous soumettrons au Parlement, mais je sais déjà, à ce stade de nos réflexions, que je souhaite défendre les trois principes suivants concernant la régulation financière:
1) la transparence. C'est un concept qui m'est cher et qui me semble une garantie de bonne politique. Ce concept de transparence doit s'appliquer :
- dans la vie financière : les règles du jeu doivent être claires pour tous et les intérêts des différents acteurs doivent être connus. Je suis ainsi favorable à ce que les pactes d'actionnaires soient publiés ou à ce que les transactions en dehors de marchés réglementés soient interdites en période d'offre ;
- dans la vie des entreprises : sans être interventionniste à l'excès, je souhaite avec E.Guigou la démocratisation du fonctionnement de nos grandes entreprises, en rendant plus transparent le fonctionnement des organes dirigeants, et notamment des Conseils d'administration par rapport aux Directions ;
- cette transparence doit bien sûr également s'appliquer aux Pouvoirs Publics et, dans la limite autorisée par le secret professionnel, aux Autorités sectorielles de contrôle.
Parlant de transparence, j'en profite pour saluer l'effort fait en matière d'information des assurés sur les contrats en unités de compte. Le développement de ces produits, essentiels pour orienter l'épargne de nos concitoyens vers les actions mais souvent d'une grande complexité technique, impose que les souscripteurs disposent d'une information aussi complète que possible sur les risques qu'ils sont amenés à prendre. Un consensus vient d'être atteint sur les modalités d'un renforcement de la réglementation en matière d'information des assurés sur ces contrats et je vous en félicite. Plus largement, je vous invite à poursuivre votre réflexion sur la manière de favoriser le placement de l'épargne des assurés en actions.
2) une meilleure implication des salariés dans la marche de leur entreprise.
Des dispositions existent sur l'information et la consultation des salariés. Nous voulons qu'elles soient appliquées et surtout aller plus loin. J'ai conscience de parler à un public divers, et que les personnalités " mutualistes " pourraient me dire que ce principe est mieux mis en uvre chez eux que chez les " capitalistes ". Je pense que tous ont des efforts à faire, même si par définition certaines questions que nous voulons traiter - introduire les acteurs sociaux et leurs réactions dans le processus boursier lors d'une offre par exemple - ne concernent que certains d'entre vous. Je serai heureux de recueillir vos propositions en la matière.
C'est en diffusant le plus largement possible les mécanismes financiers permettant la motivation des équipes que nous donnerons à notre pays le dynamisme durable dont il a besoin pour retrouver le plein emploi.
3) Renforcer l'efficacité de nos mécanismes de régulation
Il ne s'agit pas seulement de confier des responsabilités au gouvernement ou à des autorités indépendantes chargées du contrôle d'un secteur, encore faut-il veiller à ce que ces " gardiens de la régulation " aient en leur sein suffisamment de compétences et de moyens pour pleinement exercer leurs missions. Nous avons renforcé les effectifs du Corps de contrôle des assurances. J'ai conscience que nous ne sommes pas encore au bout du chemin. A ce sujet, je souhaite une profonde modernisation de nos outils prudentiels, pour laquelle je prends aujourd'hui devant vous quatre engagements :
- donner de nouveaux outils d'analyse à la Commission de contrôle. Ce sera bientôt chose faite avec la transposition de la directive groupes qui doit permettre d'apprécier la solvabilité consolidée des groupes d'assurance. Par ailleurs le renforcement des moyens a déjà commencé (effectifs du CCA en progression de +40 % entre 1997 et 2003 !) et se poursuivra;
- renforcer la coopération entre autorités de contrôle du secteur financier, notamment entre Commission bancaire et Commission de contrôle des assurances;
- améliorer les outils d'analyse des entreprises elles-mêmes afin qu'elles puissent mieux évaluer les risques de taux qui sont susceptibles de peser sur elles et renforcer ainsi leur gestion actif-passif. En matière d'actifs, j'ai demandé à mes services de faire aboutir la concertation avec vos organisations professionnelles pour moderniser les règles de placement des entreprises afin, tout d'abord, de tirer les leçons des défaillances d'Europavie et d'ICS, mais aussi dans un second temps, de préciser le cadre d'utilisation des produits dérivés. Un premier décret sera transmis au Conseil d'Etat d'ici la fin de l'année;
- enfin je souhaite que toutes les entreprises pratiquant des opérations d'assurance (entreprises d'assurance, institutions de prévoyance et mutuelles du code de la mutualité) disposent d'un socle commun de règles prudentielles. C'est le sens du projet de loi sur la modernisation du code de la mutualité, sur lequel mon ministère apporte sa contribution au travail de Martine Aubry. Le texte sera présenté au Conseil des Ministres au 1er trimestre 2000. Grâce à l'effort de concertation très poussé entrepris sous l'impulsion décisive de Michel Rocard, il devrait permettre enfin aux mutuelles de disposer d'un cadre prudentiel sûr - celui des directives assurances - et de conditions d'exercice modernisées.

" Nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d'événements et d'idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l'époque où nous sommes, une année fait parfois l'ouvrage d'un siècle ". C'est de Victor Hugo, et il l'a écrit en 1849 ! Que dirait-il aujourd'hui ? Les défis auxquels vos entreprises sont confrontées sont nombreux : constitution de groupes d'assurance et de conglomérats financiers de dimension internationale, concentration dans le domaine du courtage, mise en uvre de l'euro, définition de nouveaux produits d'assurance, diversification des modes de distribution et rôle croissant d'internet Autant de défis qui nous obligent à nous déployer sans cesse sur des fronts nouveaux. Ici pour consolider le régime de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles, dans un bonne concertation entre le Gouvernement et la profession - plusieurs arrêtés portant sur le volet " prévention " de cette réforme seront prochainement publiés. Là pour faire face aux sinistres liés au passage à l'an 2000. Ailleurs encore en contribuant aux réflexions du Forum de stabilité financière pour stabiliser notre système financier international.
Enoncer ces sujets suffit à se convaincre de la richesse et de la diversité des thèmes que vous traitez et de l'importance du secteur de l'assurance dans la vie de notre Nation. Je sais que par un dialogue confiant entre le Gouvernement et l'ensemble de la profession nous saurons relever, ensemble, ces défis.
Je vous remercie.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 15 décembre 1999)