Texte intégral
JIR : Air Lib vient de disparaître du PAF, comment voyez-vous l'avenir de la desserte aérienne dans les DOM ?
B. GIRARDIN : La desserte aérienne des DOM à partir de la métropole, continue d'être assurée aujourd'hui par Air France et Corsair. Ces deux compagnies ont d'ailleurs, à la demande du Gouvernement, augmenté leurs capacités sur, respectivement, la Réunion et les Antilles, afin de ramener les passagers porteurs d'un billet Air Lib.
Pour l'avenir, je crois qu'il convient de se montrer optimiste.
Des initiatives sont d'ores et déjà prises, notamment à la Réunion, pour développer l'offre de transport. Je veux parler ici des projets d'Air Austral et d' Air Bourbon. D'autres initiatives peuvent être prises ailleurs. Le rôle de l'Etat est de créer l'environnement propice au développement de ces initiatives. La loi de programme que j'ai préparée et qui fait actuellement l'objet d'un examen par les assemblées locales, propose deux mesures importantes qui vont dans ce sens : elle prévoit tout d'abord - et c'est là une nouveauté - d'alléger les charges d'exploitation des compagnies aériennes privées en les exonérant de charges sociales, dans la limite de 1,3 SMIC ; elle créée par ailleurs une dotation de continuité territoriale qui sera versée aux collectivités locales. Ces deux mesures doivent contribuer à faire baisser le coût du transport aérien pour les passagers, comme pour le fret.
JIR : Où en-est le " passeport-mobilité " annoncé à grand renfort des médias il y a quelques mois ? Pourriez-vous nous dresser un bilan en ce qui concerne la Réunion ?
B. GIRARDIN : Le " passeport mobilité " a été mis en place à compter du 1er juillet 2002 pour les étudiants, et du 1er septembre 2002 pour les jeunes en formation professionnelle. Les conventions liant l'Etat et les trois opérateurs participant à la mise en uvre concrète du " passeport mobilité ", l'ANT, le CNARM à la Réunion et le CNOUS ont été signées le 23 octobre dernier.
Le premier bilan de mise en oeuvre du " passeport mobilité " est très positif. Ce sont en effet, pour 2002, près d'un millier de jeunes qui en ont bénéficié, dont un peu plus de 800 au titre de la mobilité professionnelle. A la Réunion, grâce au CNARM, 130 jeunes réunionnais ont pu ainsi se rendre sur leur lieu de formation professionnelle.
Quelques lourdeurs administratives ont été observées, ici et là. Elles sont malheureusement inhérentes à la mise en uvre de tout nouveau dispositif. J'ai demandé qu'on veille à les faire rapidement disparaître. L'année 2003 verra la montée en charge du " passeport mobilité ". Au vu du bilan plus complet qui sera fait en fin d'année, je serai en mesure d'apprécier les éventuels ajustements auxquels il pourrait être procédé, afin de rendre le " passeport mobilité " encore plus adapté à la mobilité des jeunes.
JIR : La loi-programme pour 15 ans préparée par votre gouvernement, et actuellement en discussion au sein des assemblées locales, est considérée comme du " bidouillage " et de " la poudre aux yeux " par le PS local. Qu'en pensez-vous ?
B. GIRARDIN : Je vous répondrai deux choses : sur la forme, il est des termes qui ne peuvent que déconsidérer ceux qui les emploient ; sur le fond, je trouve très peu sérieux les arguments avancés pour prétendre que les mesures de la loi de programme n'auront aucune portée.
Favoriser le développement économique durable de l'outre-mer par une loi programme de 15 ans était l'une des promesses du Président de la République. Nous la mettons en uvre. Les mesures proposées visent à répondre à un double problème de l'outre-mer : un coût du travail et un coût du capital trop élévés. Aussi les exonérations de charges sociales sont-elles renforcées afin d'accroître la compétitivité des entreprises, pour qu'elles produisent plus et créent ainsi plus d'emplois durables, notamment pour les jeunes. De même, le nouveau système de défiscalisation de la loi de programme, plus simple à mettre en uvre et plus transparent pour les investisseurs, doit susciter la relance de l'investissement. Enfin, les mesures destinées à renforcer la continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole sont destinées à favoriser une meilleure mobilité des personnes et des biens.
Vous pouvez le constater, le champ couvert par la loi programme est vaste, et prétendre le contraire est totalement infondé.
JIR : Le PCR estime qu'il faut " une véritable loi spécifique " pour les DOM et que la loi-programme telle qu'elle a été présentée n'apportera pas grand-chose au développement économique de la Réunion. Est-ce votre avis ?
B. GIRARDIN : Je ne comprends pas très bien ce que signifie l'expression " une véritable loi spécifique " pour les DOM. La spécificité des DOM est déjà prise en compte dans les mesures que je propose, puisqu'elles ne sont destinées à s'appliquer qu'à l'outre-mer.
JIR : A quel niveau la loi-programme se démarque-t-elle de la loi d'orientation pour l'Outre-mer (Loom) votée par vos prédécesseurs ?
B. GIRARDIN : Je suis avant tout pragmatique. Je poursuis la logique des mesures prises par mes prédécesseurs, en leur donnant plus d'ampleur et plus d'efficacité. Ainsi, s'agissant par exemple des mesures en faveur de l'emploi, la loi programme s'inscrit dans la continuité des textes précédents, et notamment de la loi Perben dont les dispositions, pour l'essentiel, avaient été reprises dans la LOOM.
Plus généralement, la loi programme, en s'inscrivant dans la durée (15 ans), en renforçant les allègements de charges des entreprises pour qu'elles soient plus compétitives et qu'elles créent plus d'emplois, en définissant de nouvelles mesures en faveur des jeunes, et en réformant en profondeur le dispositif de défiscalisation des investissements outre-mer, entend apporter un souffle nouveau aux économies d'outre-mer.
JIR : La loi-programme prévoit par exemple une série d'exonérations sans obligation d'embauche, ce qui fait grincer des dents du côté des syndicats. Est-ce bien raisonnable dans une île où le taux de chômage avoisine les 40 % ? Cette disposition est-elle " amendable " ?
B. GIRARDIN : Il est prévu dans la loi programme que les exonérations de charges sociales feront l'objet, tous les trois ans, d'une évaluation de leurs effets, notamment au regard de la création d'emploi. Au vu de cette évaluation, ces exonérations pourront être revues, mon objectif étant prioritairement que l'emploi se crée, et non que les entreprises bénéficient d'effets d'aubaine.Comme vous le voyez, nous mettons en place un dispositif qui, pour la première fois, prévoit un contrôle de l'efficacité des mesures sur la création d'emplois. Si l'objectif n'était pas atteint, nous en tirerions toutes les conséquences.
J'ai l'intention par ailleurs, une fois la loi programme votée, de donner instructions aux préfets de procéder à des contrôles renforcés pour lutter efficacement contre le travail clandestin. Mon objectif est en effet, je vous le répète, la création d'emplois durables dans les entreprises.
JIR : Dans le domaine agricole, la CGPER fustige la loi-programme, en estimant qu'elle ne prend pas en considération les " grands enjeux " à venir par rapport à l'Europe, ni même les " spécificités agricoles " de la Réunion ? Qu'en pensez-vous ?
B. GIRARDIN : La loi programme comprend de nombreuses mesures en faveur de l'agriculture, qui concernent notamment la production et la transformation des produits agricoles.
S'agissant de la production :
elle supprime l'effet de seuil introduit par la LOOM, permettant ainsi aux agriculteurs qui accroissent leur surface au delà de 40 ha pondérés, dans le cadre d'une activité de diversification de leurs productions (l'élevage en particulier exigeant en surface), ou de mise en valeur de terres en friche ou incultes, de conserver le bénéfice de l'exonération de charges sociales dans cette limite ;
elle donne la possibilité au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures de nature législative, destinées à une préservation plus grande du foncier (droit de préemption, mise en valeur des terres incultes ou en friche, etc.), en particulier dans les départements d'outre-mer où la rareté du foncier agricole et la concurrence des autres usages ont entraîné une forte diminution de la surface agricole utilisée ;
elle ouvre la possibilité aux entreprises de moins de onze salariés, notamment dans le secteur agricole, de recourir au titre de travail simplifié, dans la limite de 100 jours annuels. Les contraintes qui pèsent sur l'emploi saisonnier dans certaines productions telles que la canne à sucre et le maraîchage, s'en trouveront ainsi allégées ;
elle permet un fonctionnement efficace des offices de l'eau, en particulier au bénéfice du secteur agricole, en leur accordant des compétences financières.
Les unités et industries de transformation agroalimentaires, bénéficieront en outre d'exonération renforcées de charges sociales, allant jusqu'à 1,4 SMIC. Cette mesure devrait être particulièrement profitable aux petites structures. Je signale également que les coopératives agricoles et leurs unions sont bien évidemment éligibles à cette mesure d'exonération de charges sociales.
Par ailleurs, le nouveau dispositif de défiscalisation que la loi programme introduit, devrait permettre de relancer l'investissement, en particulier dans le secteur agricole.
Les enjeux que représentent la réforme de la PAC et au delà, l'ensemble des réformes concernant les politiques communautaires, doivent être abordés au niveau qui est le leur, c'est à dire dans le cadre des négociations avec la Commission européenne. C'est là qu'il revient à la France de défendre les intérêts des agriculteurs, et en particulier ceux des agriculteurs des DOM. Avec mon collègue Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, croyez-moi, nous nous y employons résolument.
JIR : Le gouvernement français vient de durcir sa position sur l'octroi de mer en demandant que le différentiel des taux applicables aux produits locaux et aux biens importés soient plafonnés. Cela signifie-t-il que Paris s'est plié au " diktat " de Bruxelles ?
B. GIRARDIN : Je suis très surprise par votre question. La position du Gouvernement français n'est pas encore définie sur le dossier de l'octroi de mer. Un travail a été réalisé par une mission conjointe de l'Inspection Générale des Finances et de l'Inspection Générale de l'Administration. Il a été présenté aux présidents de Région, lors d'une réunion que j'ai organisée le 9 janvier dernier au Ministère de l'Outre-Mer. Les inspecteurs ont proposé certaines pistes qui nous permettraient de défendre le maintien de l'octroi de mer au-delà du 31 décembre 2003. J'ai demandé aux présidents de Conseils régionaux leurs réactions et leurs propositions. Nous nous réunissons à nouveau fin février pour élaborer ensemble notre stratégie vis à vis de Bruxelles et pour préparer le dossier que nous devrons adresser à la Commission fin mars.
JIR : L'ensemble des élus locaux et des socioprofessionnels sont d'accord pour demander un moratoire de 5 ans. Allez-vous soutenir cette démarche ?
B. GIRARDIN : Vous savez que j'ai obtenu avec beaucoup de difficultés un délai supplémentaire d'une année pour négocier au mieux le maintien du régime de l'octroi de mer. Nous nous sommes engagés à faire des propositions à la Commission d'ici Pâques. Je l'ai indiqué dès le mois de septembre dernier aux présidents de Région et aux socioprofessionnels. Personne n'a fait alors de remarques sur le calendrier. Et je sais que les uns et les autres se sont mis à travailler sur les meilleurs arguments à présenter pour défendre notre dossier.
Pourquoi devrions-nous consacrer désormais toute notre énergie à nous battre pour le maintien d'un statu quo que nous avons peu de chances d'obtenir ? Tous ceux qui sont au courant du dossier le savent bien.
Ceux qui ont avancé cette idée pensent-ils réellement, en admettant que nous obtenions miraculeusement ce nouveau délai, que dans cinq ans, nous aurons sur ce problème une meilleure écoute de la part d'une Commission, d'un Conseil et d'un Parlement d'une Europe à 25 ?
JIR : Le gouvernement veut réduire les dispositifs de pré-retraite en France. L'exception qui prévaut dans les DOM (congé-solidarité) subsistera-t-il longtemps ?
B. GIRARDIN : Dans les DOM, les salariés peuvent adhérer au dispositif de congé solidarité jusqu'au 31 décembre 2006. Le projet de loi programme ne modifie en rien cette échéance. Cela dit, ce dispositif très coûteux pour la collectivité nationale, doit encore faire la preuve qu'il peut contribuer à la création d'emploi. En 2002, à la réunion, il n'a permis que 92 embauches.
JIR : L'on se rappelle, le projet de loi constitutionnelle (volet institutionnel) a provoqué un tollé général à la Réunion. Pensez-vous aboutir à un consensus sur le volet économique de la loi-programme ? Comment ?
B. GIRARDIN : Il est toujours difficile de parvenir à un total consensus sur un texte, quel qu'il soit. Un projet de loi, même lorsqu'il est ambitieux, comme l'est celui que je propose, aura toujours ses déçus et suscitera des critiques.
Pour autant, je l'affirme, le volet économique de la loi de programme contient des mesures à la fois novatrices et de grande ampleur, malgré un contexte budgétaire particulièrement difficile. Tout d'abord, il corrige nombre d'insuffisances et de défauts des textes en vigueur actuellement. Je pense en disant cela aux mesures sur la défiscalisation des investissements outre-mer. Mais surtout, parce qu'il contient des mesures fortes en faveur de la création d'emploi, notamment pour les jeunes, et de la relance de l'investissement.
Bien sûr, ce projet reste ouvert et peut encore être amélioré. J'attends d'ailleurs que les assemblées locales me donnent leur avis. Ensuite, ce sera au Parlement qui aura à l'examiner et à le voter, de l'amender s'il le souhaite.
Je tiens également à souligner que nombre de propositions qui m'ont été faites lors des consultations que j'ai menées en septembre et octobre derniers et qui ne nécessitaient pas un texte de niveau législatif feront l'objet de décrets ou de circulaires. Ce projet de loi-programme ne contient en effet que des mesures qui relèvent véritablement d'un texte législatif, car j'ai souhaité en finir avec une méthode consistant à faire de l'affichage politique dans les textes de loi.
Enfin, je précise que les mesures relatives aux collectivités locales sont peu développées dans le projet de loi-programme, car elles feront l'objet d'un texte de loi particulier dans le cadre de la décentralisation. Une loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales sera en effet préparée par mon collègue Patrick Devedjian et prendra en compte, la spécificité des collectivités d'outre-mer, en particulier sur les critères retenus pour fixer les dotations de l'Etat.
Propos recueillis par Yves MONT-ROUGE et Florent COREE
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 février 2003)
B. GIRARDIN : La desserte aérienne des DOM à partir de la métropole, continue d'être assurée aujourd'hui par Air France et Corsair. Ces deux compagnies ont d'ailleurs, à la demande du Gouvernement, augmenté leurs capacités sur, respectivement, la Réunion et les Antilles, afin de ramener les passagers porteurs d'un billet Air Lib.
Pour l'avenir, je crois qu'il convient de se montrer optimiste.
Des initiatives sont d'ores et déjà prises, notamment à la Réunion, pour développer l'offre de transport. Je veux parler ici des projets d'Air Austral et d' Air Bourbon. D'autres initiatives peuvent être prises ailleurs. Le rôle de l'Etat est de créer l'environnement propice au développement de ces initiatives. La loi de programme que j'ai préparée et qui fait actuellement l'objet d'un examen par les assemblées locales, propose deux mesures importantes qui vont dans ce sens : elle prévoit tout d'abord - et c'est là une nouveauté - d'alléger les charges d'exploitation des compagnies aériennes privées en les exonérant de charges sociales, dans la limite de 1,3 SMIC ; elle créée par ailleurs une dotation de continuité territoriale qui sera versée aux collectivités locales. Ces deux mesures doivent contribuer à faire baisser le coût du transport aérien pour les passagers, comme pour le fret.
JIR : Où en-est le " passeport-mobilité " annoncé à grand renfort des médias il y a quelques mois ? Pourriez-vous nous dresser un bilan en ce qui concerne la Réunion ?
B. GIRARDIN : Le " passeport mobilité " a été mis en place à compter du 1er juillet 2002 pour les étudiants, et du 1er septembre 2002 pour les jeunes en formation professionnelle. Les conventions liant l'Etat et les trois opérateurs participant à la mise en uvre concrète du " passeport mobilité ", l'ANT, le CNARM à la Réunion et le CNOUS ont été signées le 23 octobre dernier.
Le premier bilan de mise en oeuvre du " passeport mobilité " est très positif. Ce sont en effet, pour 2002, près d'un millier de jeunes qui en ont bénéficié, dont un peu plus de 800 au titre de la mobilité professionnelle. A la Réunion, grâce au CNARM, 130 jeunes réunionnais ont pu ainsi se rendre sur leur lieu de formation professionnelle.
Quelques lourdeurs administratives ont été observées, ici et là. Elles sont malheureusement inhérentes à la mise en uvre de tout nouveau dispositif. J'ai demandé qu'on veille à les faire rapidement disparaître. L'année 2003 verra la montée en charge du " passeport mobilité ". Au vu du bilan plus complet qui sera fait en fin d'année, je serai en mesure d'apprécier les éventuels ajustements auxquels il pourrait être procédé, afin de rendre le " passeport mobilité " encore plus adapté à la mobilité des jeunes.
JIR : La loi-programme pour 15 ans préparée par votre gouvernement, et actuellement en discussion au sein des assemblées locales, est considérée comme du " bidouillage " et de " la poudre aux yeux " par le PS local. Qu'en pensez-vous ?
B. GIRARDIN : Je vous répondrai deux choses : sur la forme, il est des termes qui ne peuvent que déconsidérer ceux qui les emploient ; sur le fond, je trouve très peu sérieux les arguments avancés pour prétendre que les mesures de la loi de programme n'auront aucune portée.
Favoriser le développement économique durable de l'outre-mer par une loi programme de 15 ans était l'une des promesses du Président de la République. Nous la mettons en uvre. Les mesures proposées visent à répondre à un double problème de l'outre-mer : un coût du travail et un coût du capital trop élévés. Aussi les exonérations de charges sociales sont-elles renforcées afin d'accroître la compétitivité des entreprises, pour qu'elles produisent plus et créent ainsi plus d'emplois durables, notamment pour les jeunes. De même, le nouveau système de défiscalisation de la loi de programme, plus simple à mettre en uvre et plus transparent pour les investisseurs, doit susciter la relance de l'investissement. Enfin, les mesures destinées à renforcer la continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole sont destinées à favoriser une meilleure mobilité des personnes et des biens.
Vous pouvez le constater, le champ couvert par la loi programme est vaste, et prétendre le contraire est totalement infondé.
JIR : Le PCR estime qu'il faut " une véritable loi spécifique " pour les DOM et que la loi-programme telle qu'elle a été présentée n'apportera pas grand-chose au développement économique de la Réunion. Est-ce votre avis ?
B. GIRARDIN : Je ne comprends pas très bien ce que signifie l'expression " une véritable loi spécifique " pour les DOM. La spécificité des DOM est déjà prise en compte dans les mesures que je propose, puisqu'elles ne sont destinées à s'appliquer qu'à l'outre-mer.
JIR : A quel niveau la loi-programme se démarque-t-elle de la loi d'orientation pour l'Outre-mer (Loom) votée par vos prédécesseurs ?
B. GIRARDIN : Je suis avant tout pragmatique. Je poursuis la logique des mesures prises par mes prédécesseurs, en leur donnant plus d'ampleur et plus d'efficacité. Ainsi, s'agissant par exemple des mesures en faveur de l'emploi, la loi programme s'inscrit dans la continuité des textes précédents, et notamment de la loi Perben dont les dispositions, pour l'essentiel, avaient été reprises dans la LOOM.
Plus généralement, la loi programme, en s'inscrivant dans la durée (15 ans), en renforçant les allègements de charges des entreprises pour qu'elles soient plus compétitives et qu'elles créent plus d'emplois, en définissant de nouvelles mesures en faveur des jeunes, et en réformant en profondeur le dispositif de défiscalisation des investissements outre-mer, entend apporter un souffle nouveau aux économies d'outre-mer.
JIR : La loi-programme prévoit par exemple une série d'exonérations sans obligation d'embauche, ce qui fait grincer des dents du côté des syndicats. Est-ce bien raisonnable dans une île où le taux de chômage avoisine les 40 % ? Cette disposition est-elle " amendable " ?
B. GIRARDIN : Il est prévu dans la loi programme que les exonérations de charges sociales feront l'objet, tous les trois ans, d'une évaluation de leurs effets, notamment au regard de la création d'emploi. Au vu de cette évaluation, ces exonérations pourront être revues, mon objectif étant prioritairement que l'emploi se crée, et non que les entreprises bénéficient d'effets d'aubaine.Comme vous le voyez, nous mettons en place un dispositif qui, pour la première fois, prévoit un contrôle de l'efficacité des mesures sur la création d'emplois. Si l'objectif n'était pas atteint, nous en tirerions toutes les conséquences.
J'ai l'intention par ailleurs, une fois la loi programme votée, de donner instructions aux préfets de procéder à des contrôles renforcés pour lutter efficacement contre le travail clandestin. Mon objectif est en effet, je vous le répète, la création d'emplois durables dans les entreprises.
JIR : Dans le domaine agricole, la CGPER fustige la loi-programme, en estimant qu'elle ne prend pas en considération les " grands enjeux " à venir par rapport à l'Europe, ni même les " spécificités agricoles " de la Réunion ? Qu'en pensez-vous ?
B. GIRARDIN : La loi programme comprend de nombreuses mesures en faveur de l'agriculture, qui concernent notamment la production et la transformation des produits agricoles.
S'agissant de la production :
elle supprime l'effet de seuil introduit par la LOOM, permettant ainsi aux agriculteurs qui accroissent leur surface au delà de 40 ha pondérés, dans le cadre d'une activité de diversification de leurs productions (l'élevage en particulier exigeant en surface), ou de mise en valeur de terres en friche ou incultes, de conserver le bénéfice de l'exonération de charges sociales dans cette limite ;
elle donne la possibilité au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures de nature législative, destinées à une préservation plus grande du foncier (droit de préemption, mise en valeur des terres incultes ou en friche, etc.), en particulier dans les départements d'outre-mer où la rareté du foncier agricole et la concurrence des autres usages ont entraîné une forte diminution de la surface agricole utilisée ;
elle ouvre la possibilité aux entreprises de moins de onze salariés, notamment dans le secteur agricole, de recourir au titre de travail simplifié, dans la limite de 100 jours annuels. Les contraintes qui pèsent sur l'emploi saisonnier dans certaines productions telles que la canne à sucre et le maraîchage, s'en trouveront ainsi allégées ;
elle permet un fonctionnement efficace des offices de l'eau, en particulier au bénéfice du secteur agricole, en leur accordant des compétences financières.
Les unités et industries de transformation agroalimentaires, bénéficieront en outre d'exonération renforcées de charges sociales, allant jusqu'à 1,4 SMIC. Cette mesure devrait être particulièrement profitable aux petites structures. Je signale également que les coopératives agricoles et leurs unions sont bien évidemment éligibles à cette mesure d'exonération de charges sociales.
Par ailleurs, le nouveau dispositif de défiscalisation que la loi programme introduit, devrait permettre de relancer l'investissement, en particulier dans le secteur agricole.
Les enjeux que représentent la réforme de la PAC et au delà, l'ensemble des réformes concernant les politiques communautaires, doivent être abordés au niveau qui est le leur, c'est à dire dans le cadre des négociations avec la Commission européenne. C'est là qu'il revient à la France de défendre les intérêts des agriculteurs, et en particulier ceux des agriculteurs des DOM. Avec mon collègue Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, croyez-moi, nous nous y employons résolument.
JIR : Le gouvernement français vient de durcir sa position sur l'octroi de mer en demandant que le différentiel des taux applicables aux produits locaux et aux biens importés soient plafonnés. Cela signifie-t-il que Paris s'est plié au " diktat " de Bruxelles ?
B. GIRARDIN : Je suis très surprise par votre question. La position du Gouvernement français n'est pas encore définie sur le dossier de l'octroi de mer. Un travail a été réalisé par une mission conjointe de l'Inspection Générale des Finances et de l'Inspection Générale de l'Administration. Il a été présenté aux présidents de Région, lors d'une réunion que j'ai organisée le 9 janvier dernier au Ministère de l'Outre-Mer. Les inspecteurs ont proposé certaines pistes qui nous permettraient de défendre le maintien de l'octroi de mer au-delà du 31 décembre 2003. J'ai demandé aux présidents de Conseils régionaux leurs réactions et leurs propositions. Nous nous réunissons à nouveau fin février pour élaborer ensemble notre stratégie vis à vis de Bruxelles et pour préparer le dossier que nous devrons adresser à la Commission fin mars.
JIR : L'ensemble des élus locaux et des socioprofessionnels sont d'accord pour demander un moratoire de 5 ans. Allez-vous soutenir cette démarche ?
B. GIRARDIN : Vous savez que j'ai obtenu avec beaucoup de difficultés un délai supplémentaire d'une année pour négocier au mieux le maintien du régime de l'octroi de mer. Nous nous sommes engagés à faire des propositions à la Commission d'ici Pâques. Je l'ai indiqué dès le mois de septembre dernier aux présidents de Région et aux socioprofessionnels. Personne n'a fait alors de remarques sur le calendrier. Et je sais que les uns et les autres se sont mis à travailler sur les meilleurs arguments à présenter pour défendre notre dossier.
Pourquoi devrions-nous consacrer désormais toute notre énergie à nous battre pour le maintien d'un statu quo que nous avons peu de chances d'obtenir ? Tous ceux qui sont au courant du dossier le savent bien.
Ceux qui ont avancé cette idée pensent-ils réellement, en admettant que nous obtenions miraculeusement ce nouveau délai, que dans cinq ans, nous aurons sur ce problème une meilleure écoute de la part d'une Commission, d'un Conseil et d'un Parlement d'une Europe à 25 ?
JIR : Le gouvernement veut réduire les dispositifs de pré-retraite en France. L'exception qui prévaut dans les DOM (congé-solidarité) subsistera-t-il longtemps ?
B. GIRARDIN : Dans les DOM, les salariés peuvent adhérer au dispositif de congé solidarité jusqu'au 31 décembre 2006. Le projet de loi programme ne modifie en rien cette échéance. Cela dit, ce dispositif très coûteux pour la collectivité nationale, doit encore faire la preuve qu'il peut contribuer à la création d'emploi. En 2002, à la réunion, il n'a permis que 92 embauches.
JIR : L'on se rappelle, le projet de loi constitutionnelle (volet institutionnel) a provoqué un tollé général à la Réunion. Pensez-vous aboutir à un consensus sur le volet économique de la loi-programme ? Comment ?
B. GIRARDIN : Il est toujours difficile de parvenir à un total consensus sur un texte, quel qu'il soit. Un projet de loi, même lorsqu'il est ambitieux, comme l'est celui que je propose, aura toujours ses déçus et suscitera des critiques.
Pour autant, je l'affirme, le volet économique de la loi de programme contient des mesures à la fois novatrices et de grande ampleur, malgré un contexte budgétaire particulièrement difficile. Tout d'abord, il corrige nombre d'insuffisances et de défauts des textes en vigueur actuellement. Je pense en disant cela aux mesures sur la défiscalisation des investissements outre-mer. Mais surtout, parce qu'il contient des mesures fortes en faveur de la création d'emploi, notamment pour les jeunes, et de la relance de l'investissement.
Bien sûr, ce projet reste ouvert et peut encore être amélioré. J'attends d'ailleurs que les assemblées locales me donnent leur avis. Ensuite, ce sera au Parlement qui aura à l'examiner et à le voter, de l'amender s'il le souhaite.
Je tiens également à souligner que nombre de propositions qui m'ont été faites lors des consultations que j'ai menées en septembre et octobre derniers et qui ne nécessitaient pas un texte de niveau législatif feront l'objet de décrets ou de circulaires. Ce projet de loi-programme ne contient en effet que des mesures qui relèvent véritablement d'un texte législatif, car j'ai souhaité en finir avec une méthode consistant à faire de l'affichage politique dans les textes de loi.
Enfin, je précise que les mesures relatives aux collectivités locales sont peu développées dans le projet de loi-programme, car elles feront l'objet d'un texte de loi particulier dans le cadre de la décentralisation. Une loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales sera en effet préparée par mon collègue Patrick Devedjian et prendra en compte, la spécificité des collectivités d'outre-mer, en particulier sur les critères retenus pour fixer les dotations de l'Etat.
Propos recueillis par Yves MONT-ROUGE et Florent COREE
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 février 2003)