Interview de M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat délégué à la réforme de l'Etat, dans "Service Public" de septembre 2002, sur la simplification de la législation, de la réglementation et du langage administratif, l'amélioration de l'accueil de l'usager et des procédures de gestion publique.

Prononcé le 1er septembre 2002

Intervenant(s) : 

Média : Service public

Texte intégral

Service Public : La simplification administrative constitue l'un des volets importants de la Réforme de l'Etat, par exemple en ce qui concerne les procédures : fusion ou suppression de certaines d'entre elles, dématérialisation Quelles orientations comptez-vous adopter dans ce domaine ?
Henri Plagnol : Les orientations ont été définies par le Premier ministre à l'occasion de sa déclaration de politique générale dans laquelle il a souligné l'aspiration profonde des Français à une administration plus simple, plus proche des usagers. Chaque membre du gouvernement doit désormais intégrer cet objectif dans la politique qu'il entend mener avec ses services.
Ce vaste chantier de la simplification se déroulera à trois niveaux : d'une part la simplification des procédures à droit constant, c'est-à-dire que l'administration doit " internaliser " ou, mieux encore, réduire la complexité qu'elle produit ; d'autre part en simplifiant la législation et la réglementation à l'échelon national, ce sera l'objet d'un nouveau programme pluriannuel de codification qui sera lancé à l'automne ; enfin, et c'est la partie la plus innovante et la plus ambitieuse, le Parlement sera saisi de plusieurs projets de loi d'habilitation au cours de la législature afin de simplifier par ordonnances les lois en vigueur.
Vous pouvez constater que le gouvernement entend bien se donner les moyens de son ambition. Quel est le rôle du ministre et du secrétaire chargé de la réforme de l'Etat au sein de ce grand chantier ? Il ne s'agit évidemment pas pour Jean-Paul Delevoye et moi-même de nous substituer à nos collègues pour leur dire ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Dans le domaine qui est le sien, chaque ministre compétent est mieux placé que quiconque pour déterminer le champ et les priorités d'une politique de simplification. C'est d'ailleurs la méthode qui a été retenue et les différents ministères seront responsables de la définition de leur loi d'habilitation ainsi que de la rédaction des ordonnances de simplification. Néanmoins, le secrétariat à la Réforme de l'Etat jouera un rôle sur la cohérence stratégique des choix en matière de simplification. Il apportera également un appui méthodologique à ce processus de simplification, à travers ses services et grâce à la Commission pour les simplifications administratives (Cosa). Présidée par le Premier ministre, la Cosa a été chargée de piloter l'action du Gouvernement dans ce domaine. Le ministre chargé de la Réforme de l'Etat en partage la vice-présidence avec celui chargé des PME, du Commerce et de l'Artisanat.
Service Public : Deuxième grand volet de la simplification administrative, celui du langage administratif qui se poursuit aussi dans d'autres pays européens. Comment comptez-vous poursuivre les travaux engagés ?
H. P. : C'est pour moi un chantier absolument prioritaire. Je souhaite relancer un combat, le mot n'est pas de trop, pour simplifier le langage administratif. La simplification des procédures pour l'usager, la proximité de l'administration vis-à-vis des attentes de nos concitoyens, en particulier les plus fragiles, passent avant tout par une meilleure compréhension des courriers et des formulaires administratifs. Cette relative incompréhension, qui caractérise encore trop de documents issus de l'administration à destination du public, est assurément une source d'exclusion qu'il faut combattre. C'est pourquoi je souhaite que les travaux remarquables du Cosla, Comité de simplification du langage administratif, que la revue Service public a d'ailleurs présentés il y a quelques mois (voir le n° 87 de mars 2002), soient à la fois mieux connus et mieux pris en compte par les administrations. J'ai d'ailleurs commencé à mobiliser les principaux relais de communication qui, à l'intérieur du Cosla, ont apporté une contribution essentielle à son action, en particulier Bernard Pivot, Pierre Perret, le grand linguiste Alain Rey et Pierre Encrevé.
J'entends prolonger cette action par des déplacements sur le terrain afin d'encourager la diffusion de nouveaux formulaires réécrits par le Cosla dans une langue accessible à tous les usagers. Cette prise en compte du travail du Cosla devra également être étendue aux sites internet des services publics et intégrée dans les téléprocédures.
Enfin, j'ai demandé au Cosla de préparer d'ici deux mois un nouveau programme qui permettra de traiter les soixante-quinze formulaires diffusés à plus d'un million d'exemplaires qu'il faut encore simplifier. Mais c'est de l'action de l'ensemble des ministères que viendra la véritable impulsion pour reconnaître, étendre et intégrer dans la pratique quotidienne de l'administration le travail du Cosla.
Service Public : Autre vaste chantier de la Réforme, l'accueil de l'usager, sous ses trois formes : "physique" (guichet), téléphonique, électronique, parfois bien sûr réunies en un seul lieu, dans bon nombre d'administrations ou dans les maisons des services publics. Quelle est votre vision de l'accueil et quelles initiatives suggéreriez-vous ?
H. P. : L'accueil des usagers est, pour Jean-Paul Delevoye et moi-même, une priorité absolue de la Réforme de l'Etat. L'action de l'administration n'est légitime que par le service qu'elle rend aux usagers. Les services publics sont avant tout au service du public et ils se trouvent confrontés aujourd'hui à une exigence croissante de qualité. Il faut certes se méfier des amalgames simplificateurs qui veulent faire de toute administration une entreprise et voir en chaque usager un client. Tout n'est pas transposable et la logique du service public suppose des exigences qui lui sont spécifiques. Il n'en demeure pas moins que beaucoup de chemin reste à parcourir pour améliorer la qualité du service rendu aux usagers, son efficacité, tout en assurant une égalité d'accès sur l'ensemble du territoire national.
L'amélioration du service rendu aux usagers passe par une garantie de la qualité, une forme de certification à l'image de ce qui a été déjà été entrepris par certains services de l'Etat ou de ses établissements publics. Il conviendra donc, dans l'avenir, de systématiser ces démarches de qualité afin que les usagers soient en mesure d'évaluer l'efficacité de leur administration et sa capacité à répondre à leurs attentes.
Nous devons faire évoluer nos administrations vers ce que le Premier ministre a qualifié d'administration de services. Il faut que l'usager puisse bénéficier d'un meilleur accueil dans ses démarches, que l'offre de services soit plus souple, plus proche et plus adaptée aux contraintes des usagers, que les délais soient raccourcis.
Le Premier ministre vient d'ailleurs de confier à M. Bernard Candiard, Conseiller maître à la Cour des comptes, une mission pour l'amélioration de l'accueil des usagers de l'administration qui traitera aussi bien de l'accueil physique dans les locaux ou aux guichets, que des réponses faites aux courriers, du traitement des appels téléphoniques ou des messages internet. Ce rapport, qui sera remis au Premier ministre à l'automne 2003, devra en particulier dresser un bilan des expériences en cours et formuler des propositions concrètes pour améliorer la qualité de l'accueil dans l'avenir.
Service Public : L'administration électronique connaît depuis quelques années un essor spectaculaire. Comment, à votre avis, poursuivre cet essor et en faire le meilleur outil possible, en évitant les risques de "fracture technologique" ?
H. P. : L'un des grands chantiers de la réforme de l'Etat réside également dans la modernisation des méthodes de travail et des outils de ses services. Il faut notamment que l'administration développe les applications des nouvelles technologies à ce que l'on appelle désormais l'e-administration.
L'administration électronique constitue, en effet, l'un des leviers les plus efficaces de la modernisation de l'Etat. Ces nouveaux outils permettent à la fois de modifier la relation entre l'administration et le citoyen, en favorisant des échanges interactifs, tout en facilitant l'accessibilité aux usagers de ces services en temps continu, hors des heures ouvrables.
J'ai déjà eu l'occasion, lors de premiers déplacements, d'apprécier l'apport remarquable des nouvelles technologies à la modernisation de l'administration. Plusieurs pistes peuvent être explorées, en particulier l'achèvement de la mise en ligne des services de l'Etat d'ici 2005, l'intensification des téléprocédures, mais aussi la généralisation des bornes internet publiques qui doivent réduire la fracture numérique en étendant l'accès des Français au Net, enfin, l'application des nouvelles technologies à de nouveaux pans de la gestion administrative afin d'exploiter les gisements de performance.
J'ai d'ailleurs confié à Pierre de La Coste, cofondateur de la fête de l'internet, une mission d'études sur le développement de l'e-administration en France, en particulier sur son apport au service des usagers. Il sera également amené, en liaison avec la mission de Bernard Candiard, à formuler des propositions qui contribueront à recentrer l'administration électronique vers l'usager.
Service Public : L'entrée en vigueur progressive de la loi dite Lolf d'ici à 2006 va avoir un impact considérable sur le fonctionnement des administrations. Quels pourraient ou devraient être, à votre avis, ses effets sur la Réforme de l'Etat au sens large ?

H. P. : La loi organique relative aux lois de finances (Lolf) constitue une véritable révolution silencieuse pour l'action publique dans notre pays dans la mesure où elle relève d'une approche centrée non plus seulement sur les moyens mais, désormais, aussi, sur les résultats et la mise en place d'indicateurs permettant une évaluation des politiques publiques.
Beaucoup de nos concitoyens ne mesurent sans doute pas encore les opportunités que constitue cette réforme de nos finances publiques. Elle introduit de nouvelles exigences de transparence, d'efficacité, d'évaluation, tant en contribuant à responsabiliser les gestionnaires de l'administration. Elle est à la fois une avancée : pour les citoyens, pour qui elle constitue une garantie de la bonne utilisation de l'argent public ; pour le Parlement, dont elle renforce considérablement le pouvoir de contrôle sur la dépense publique avec le vote par programmes qui permet de dégager des actions identifiables et des objectifs mesurables ; pour les agents eux-mêmes enfin, car elle est porteuse d'un fort potentiel d'enrichissement pour leur action.
Il convient de tirer toutes les conséquences de la Lolf dans le cadre de la mise en oeuvre progressive de son contenu, notamment par l'identification des programmes, la rédaction des projets et des indicateurs de performance, pour déboucher sur une véritable planification stratégique de l'action des administrations. Cette loi est donc une fantastique opportunité pour la réforme de l'Etat, afin d'améliorer nos politiques, leur gestion et leur efficacité. Encore faut-il que cette réforme ne se limité pas à une approche comptable qui n'aurait pour effet que d'habiller sous la nouvelle appellation de " programmes " les agrégats budgétaires déjà existants. C'est pourquoi l'ensemble des services de l'Etat doivent se l'approprier et en tirer le meilleur possible, en liaison avec la délégation interministérielle à la Réforme de l'Etat et direction du budget. La loi organique relative aux lois de finances est une importante réforme budgétaire. Elle est aussi porteuse d'une grande réforme de la gestion publique de notre pays.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 11 octobre 2002)