Interview de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le site internet tf1.fr, sur les mesures prises en faveur de la société de l'information et réponses à des questions d'internautes, le 10 juillet 2000.

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Circonstance : Interview du Premier ministre Lionel Jospin sur le site internet tf1.fr le 10 juillet 2000

Média : tf1.fr

Texte intégral

QUESTION - Internet décolle en France. On est passé d'1 million internautes en 1997 à 6 millions aujourd'hui. Il reste un blocage. Les gens ont peur. Ca reste cher. Le coût de l'accès est parfois cher et peu de monde y a accès. Vous sortez d'un comité interministériel sur la société de l'information. Quelles mesures vous pouvez nous proposer pour régler ces problèmes ?
M. LE PREMIER MINISTRE - On a fait un bilan, c'est le troisième comité interministériel pour la société de l'information et nous constatons un décollage qui est en train de se produire. Il y avait un blocage, incontestablement, quand on est arrivé en 1997 et on n'avait pas pris conscience de l'importance de l'accessibilité à ce réseau. Peut-être qu'on était bloqués à une technique ancienne, le Minitel, et donc nous nous sommes déterminés à essayer de faire bouger les différents blocages, on a donc commencé à équiper les écoles , les collèges et les lycées. Ils vont être équipés à la rentrée à 100%, et le prochain objectif est naturellement l'école primaire, qui est seulement équipé à 35%. Il faut donc aller là aussi vers les 100%.
Il faut aider l'innovation dans ces nouvelles technologies. Donc, on a favorisé des financements pour aider le capital risque, comme on dit. On a adopté un nouvel instrument : les bons de croissance, qui sont en quelques sorte des stock options pour les nouvelles entreprises qui sont pour beaucoup dans le secteur des nouvelles technologies. Et on a dit que l'administration elle-même devait se mettre à Internet pour donner l'exemple. Et on peut dire que l'ensemble de l'administration française devient un grand internaute, en quelque sorte. Et puis on réfléchit au problème de régulation de ce réseau sur lequel on reviendra peut-être. Alors aujourd'hui, au nouveau CISI, disons que pour donner quelques chiffres en terme de moyens, sur trois ans, on a dépensé, en gros, directement sur ces nouveaux médias, et il y a d'autres mesures indirectes, plus de 5,6 milliards de francs. Dans ce CISI, nous ajoutons 4 milliards de francs supplémentaires ; 3 milliards orientés vers la réduction de ce qu'on appelle le fossé numérique, et 1 milliard surtout orienté vers le développement de la recherche, parce que c'est notre intérêt, après avoir raté la précédente révolution technologique de la microinformatique, il faut réussir la prochaine, et on est bien armés pour ça.
QUESTION - C'est justement en matière de recherche qu'un expatrié de Californie nous a posé une question : là-bas, les entreprises donnent de l'argent aux universités pour leur permettre de faire de la recherche. Pourquoi on a pas un tel système en France ? Pourquoi ça ne fonctionne pas comme ça ?
M. LE PREMIER MINISTRE - En France, c'est l'Etat qui donne de l'argent aux universités et le budget de l'enseignement supérieur a quand même beaucoup progressé. Parce que nous pensons que l'Etat est en mesure d'assurer une plus grande égalité et d'ailleurs le coût d'entrée dans l'enseignement supérieur est beaucoup moins élevé qu'aux Etats-Unis. Les inégalités entre universités sont elles également moins grandes. Mais naturellement , on fait un certain nombre de choses pour combler ce fossé numérique. Dans les nouvelles décisions prises aujourd'hui, il y a tout ce qui concerne, on va dire le grand public, et aider le grand public à se familiariser avec Internet, c'est ce que vous disiez, ça fait peur, on ne sait pas, ça paraît compliqué, c'est cher. Donc on va ouvrir 7000 lieus d'accès à Internet.
QUESTION - Qu'est-ce qu'on ferait exactement ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Ce qu'on fera, c'est ouvrir des lieux, des petites " cyberbases ", en quelque sorte, où pourront faire venir des personnes pour utiliser les outils d'Internet.
QUESTION - On pourrait l'utiliser, mais est-ce qu'il y aura par exemple des leçons pour apprendre ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Outre les 7000 lieus, il y aura 2500 espaces publics numériques où, là, on fera alors directement de la formation, effectivement, et en se tournant vers le public qui aura le moins facilement accès à ces techniques par leur famille, par leurs moyens financiers.
QUESTION - Qui va assurer la formation dans ces espaces ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Nous allons créer, mettre en place 4000 emplois jeunes nouveaux, des emplois jeunes de formateurs à ces techniques de l'internet, et c'est eux qui notamment auront pour mission de faciliter la connaissance de ces nouvelles techniques.
QUESTION - Ca représente un coût de combien, ces 4000 emplois jeunes, plus la mise en place des espaces numériques ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Je vous l'ai dit. L'ensemble, si l'on tient compte de ce qu'on va faire pour familiariser ces techniques pour le grand public et en pensant notamment aux catégories de la population qui auront le moins facilement accès à ces nouvelles technologies, et si l'on tient compte de tout ce qu'on va faire alors plus directement pour ceux qui n'ont pas seulement besoin d'un bain, d'une familiarisation mais qui ont besoin de maîtriser totalement l'outil ; les élèves, les étudiants, les apprentis, les gens qui sont en formation professionnelle, les chômeurs, qu'on essaye de reformer à nouveau pour qu'ils retrouvent du travail.
QUESTION - Est-ce qu'il y a des changements dans la formation, notamment dans les écoles et les universités ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Bien sûr, ça représente pour cela 3 milliards, on le disait tout à l'heure, pour combler ce fossé numérique. Par exemple, on va équiper en ordinateurs haut débit 150 000 chambres d'étudiants en cité universitaire.
QUESTION - Donc chaque étudiant de cité U pourra se connecter à Internet.
M. LE PREMIER MINISTRE - Absolument.
QUESTION - C'est lui qui paiera sa communication ou elle sera assurée par les universités ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Ça sera dans le cadre du plan Universités 3ème millénaire. Et là aussi, ça peut s'intégrer dans le plan social étudiants pour tenir compte des différences de ressources. Ce sont des choses qu'il faudra voir avec le ministre de l'Education nationale. Comme je vous l'ai dit, on va connecter toutes les écoles primaires d'ici 2002. Pour les collèges et les lycées, on est pratiquement maintenant à 100%. On va former naturellement les enseignants dans les IUFM à ces nouvelles technologies et puis tous les centres d'apprentis par le travail avec les chambres de métiers du ministère de l'Economie et des Finances vont naturellement aussi être équipées. Et puis on va aider à la formation professionnelle : un agriculteur moderne comme il y en a beaucoup maintenant, qui veut faire par exemple du tourisme à la ferme, eh bien s'il peut créer un site Internet, il aura un public qui aura envie de venir profiter de ces formes de tourisme. Ou bien ça peut être par exemple un artisan qui peut en avoir besoin pour sa comptabilité. Ca peut être une petite entreprise pour faire ses déclarations sociales ou ses déclarations fiscales. Donc on va développer là aussi cet outil.
QUESTION - Et dans la formation des professeurs, vous prenez des mesures notamment dans les IUFM où il va y avoir une amélioration de la situation, car on s'aperçoit que les moyens sont là, mais que les professeurs ne sont pas assez formés pour éduquer les jeunes à l'internet.
M. LE PREMIER MINISTRE - C'est vrai que c'est un secteur où on a l'impression que les adultes, et même que les jeunes adultes courent derrière avec les jeunes tout court. Ca les stimulent, car un professeur digne de ce nom n'aime pas que le savoir semble lui échapper. Encore que, après tout, cela peut faciliter une relation un petit différente, un peu moins hiérarchique. Donc je crois que les enseignants espèrent beaucoup de cette formation, et naturellement nous allons leur donner ces formations dans les IUFM, dans les instituts de formations des maîtres.
QUESTION - Il y a un autre problème en France en matière Internet. Il y a une pénurie d'informaticiens et d'ingénieurs. Il en manque 10 000. L'Allemagne, par exemple, assouplit sa politique d'immigration pour permettre à des jeunes diplômés d'enseigner dans ce secteur, de venir travailler sur son sol. Est-ce qu'on a de telles mesures en préparation ? Est-ce qu'on y pense ? Est-ce que c'est réaliste ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Vous savez que j'ai eu l'occasion d'annoncer à Marseille quand j'ai été signé le contrat de plan Etat-région de la région Provence- Alpes- Côte d'Azur et l'Etat, que nous allons créer une école de l'internet à Marseille, et nous pensons que des écoles de ce type peuvent très bien se créer dans d'autres régions . Nous envisageons de doubler en 5 ans le nombre des étudiants dans les écoles de télécommunications et nous mettons en place à la rentrée 45 licences professionnelles, notamment dans ce domaine des nouvelles technologies. Et donc là aussi il y a un effort pour combler ce fossé, et nous sommes prêts à examiner naturellement, notamment dans le cadre des mouvements d'étudiants, toutes les solutions pour leur faciliter l'accès par l'intermédiaire de personnels qualifiés dans notre propre pays. Mais il faut faire aussi attention ; on se plaint souvent du "brain drain", de l'exode des cerveaux. On dit que les Etats-Unis nous pompent, mais il ne faut pas que l'on pompe nous aussi les autres. Donc il vaudrait mieux aussi beaucoup former chez nous. Et au CISI, j'ai demandé aux ministres, à la suite de la discussion, que l'on règle ce problème de l'insuffisance des informaticiens ou des spécialistes de l'internet, en interministérielle et qu'on voit comment on peut apporter de meilleures solutions à ce problème.
QUESTION - Mais pour l'instant, vous n'avez pas prévu de mesures en matière de politique d'immigration plus souple pour les travailleurs qualifiés, comme ça se fait en Allemagne ou en Grande-Bretagne, ou aux Etats-Unis ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Je me méfie des effets d'annonce dans ce domaine. De toutes façons déjà, sur le marché du travail, nous regardons où sont les besoins et comment on peut régler les flux dans cette direction, bien sûr.
QUESTION - Toutes ces mesures, c'est pour remédier à ce que certains appellent le fossé numérique, en gros, vous le dites, il y a une France qui sait surfer, et il y a une France qui ne s'y est pas encore mise, et donc cette France à deux vitesses, elle nécessite un vrai effort social, vous en parlez. Est-ce que ça ne mérite pas également un petit effort fiscal dans des mesures ponctuelles pour permettre notamment l'équipement des ménages en ordinateurs.
M. LE PREMIER MINISTRE - Oui, c'est vrai, en faisant un effort très important que nous accomplissons pour l'équipement des écoles, des lycées, des collèges et des universités, déjà, nous avançons dans cette direction. Nous avons pris la décision aujourd'hui que les administrations et notamment l'administration de l'Economie et des Finances pourrait céder des ordinateurs qui ont déjà servis à des associations caritatives ou agissant dans le domaine social.
QUESTION - Et pour les entreprises privées par exemple Vivendi, qui veut donner un ordinateur à 250000 salariés ?
M. LE PREMIER MINISTRE - C'est vrai que Jean-Marie MESSIER était venu me parler de ce projet ici même à Matignon il y a quelques semaines. J'en avais marqué l'intérêt. Nous allons modifier pendant 2 ans la fiscalité à cet égard, de façon à ce que les salariés qui bénéficieraient de ces ordinateurs gratuits, neufs, n'aient pas à payer comme si c'était des dons en nature.
QUESTION - Mais c'est du côté du salarié, et pas du côté de l'entreprise.
M. LE PREMIER MINISTRE - On peut regarder du côté de l'entreprise à l'occasion des charges sociales, mais du côté aussi des salariés pour qu'ils ne soient pas pénalisés sur le revenu en leur disant qu'ils avaient touché des dons en nature. Mais naturellement, il faut que ce soit des mesure temporaires que nous envisageons pour 2 ans. On peut réfléchir à d'autres mécanismes. Les mécanismes qu'on a mis en place dans le capital risque dont je vous parlais tout à l'heure, de stock options pour les start up dans ce domaine, pour les nouvelles entreprises, nous allons nous adapter en fonction de l'évolution de la demande. C'est un réseau très réactif. Essayons nous-mêmes d'être réactifs.
QUESTION - En trois ans, vous dites " l'Etat a dépensé 5 milliards de francs pour Internet, pour les nouvelles technologies ", vous en annoncez 4 aujourd'hui, 4 milliards de plus, ça fait 9 milliards en 6 ans. Si on calcule, ça fait 5 Airbus. Est-ce que finalement, rapporté au budget de l'Etat, c'est pas énorme. Alors il y a une question d'un internaute qui proposait : " pourquoi pas consacrer 1% du budget à Internet, comme on l'a fait pour la culture, le fameux 1% culture " ? Et pourquoi pas un ministre de l'internet pour montrer l'importance qu'on y apporte ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Non je ne crois pas. Le ministre de l'internet serait un ghetto de l'internet. Je pense qu'il faut que l'internet irrigue la pensée, l'action à la fois de tous les responsables politiques et de l'administration. Regardez quand on parle, il faut que le ministre de l 'Economie et des finances, Laurent FABIUS, il faut Catherine TASCA pour les problèmes de communication et d'information, il faut Jack LANG et Jean-Luc MELENCHON sur l'enseignement professionnel. Il faut BARTOLONE dans la ville pour lutter contre les discriminations, il faut le Secrétaire d'Etat à l'industrie, Christian PIERRET, Marylise LEBRANCHU pour les petites et moyennes entreprises, je ne vais pas vous lister tout le Gouvernement, il faut Elisabeth GUIGOU pour les problèmes de lutte contre la cybercriminalité, par exemple., il faut MOSCOVICI et VEDRINE pour la présidence européenne. Donc non, pas un ministre de l'internet, mais des ministres avec l'internet dans la tête.
QUESTION - Et sur le 1% Internet ? Comme le 1% culture à une époque, en gros ça ferait 12 milliards par an.
M. LE PREMIER MINISTRE - Je crois qu'on ne peut pas limiter l'effort que nous avons fait pour l'internet, et celui que nous allons accomplir donc, pour les 9 milliards dont vous avez parlés, eh bien d'autres mesures qui vont dans ce sens.
QUESTION - Parmi toutes les questions des internautes, il y en a une qui est revenue très souvent, c'était sur le prix des communications. On regarde vers nos voisins européens. En Espagne, le Gouvernement a décidé d'instaurer un tarif fixe mensuel ; c'est 16,53 euros, ça fait environ 100 francs pour se connecter pratiquement de façon illimitée à Internet. Pourquoi on ne peut pas prendre une telle mesure en France et est-ce qu'on y pense ?
M. LE PREMIER MINISTRE - D'abord, ce qu'on constate d'après ce qui a été dit, c'est que pour une utilisation d'environ 10 heures, nos tarifs sont pratiquement les meilleurs. Si on va vers une utilisation de 40 heures ou qui dépasse 40 heures, là on descend un peu sans être très loin. On est pas du tout en queue de peloton, on n'est pas parmi les plus chers.
QUESTION - C'est pour une utilisation du type haut débit. La France reste très chère par rapport aux Etats-Unis.
M. LE PREMIER MINISTRE - Alors, je crois qu'il y a de nouveaux progrès à faire. Et par exemple la décision que nous venons de prendre confirmée dans ce CISI du décret permettant le dégroupage de la boucle locale, là c'est une décision importante parce que ça va aller par l'effet de la concurrence dans le sens de la baisse des tarifs, indiscutablement.
QUESTION - Donc il faut laisser faire la concurrence ou est-ce que l'Etat ne peut pas un moment se saisir du dossier ?
M. LE PREMIER MINISTRE - On ne laisse pas faire la concurrence. On organise la concurrence, parce que si nous ne prenions pas ce décret, il n'y aurait pas de concurrence, donc l'Etat joue son rôle de stimulateur. Maintenant il faut aussi veiller aux intérêts de très grandes entreprises publiques comme France Télécom. Donc il faut qu'il y ait des compromis.
QUESTION - Dont l'Etat est actionnaire et pourrait à la limite engager une politique de prix plus bas.
M. LE PREMIER MINISTRE - Enfin, c'est une très grande entreprise française sur qui nous comptons et elle a investi beaucoup dans le passé. Il faut aussi qu'elle ait un minimum de rémunération. Mais nous trouverons des compromis raisonnables.
QUESTION - Mais ce n'est pas une question de budget à un moment donné . C'est une question de compréhension et d'essayer d'avoir éventuellement une action sur France Télécom. C'est pas une question de budget.
M. LE PREMIER MINISTRE - Non ça n'est pas une question de budget. Mais il faut penser aux intérêts de toutes les entreprises. Il ne faut pas aussi qu'un certain nombre d'entreprises privées veuillent bénéficier de l'effort d'investissement dans des technologies qui ont été faites par une autre très grande entreprise, donc nous devons trouver les ajustements qui restent raisonnables.
QUESTION - Encore une autre question soulevée par les internautes, c'est la régulation. Il y a eu l'affaire Yahoo. Sur le site américain, on peut acheter aux enchères des objets nazis. La justice française essaie de l'en empêcher, du moins dans l'hexagone. Yahoo dit non, que fait-on ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Cette question du commerce d'objets nazis montre bien qu'il y a une différence de sensibilité entre les Américains et nous. Eux ils ont lutté contre le nazisme. Sans eux, nous n'aurions pas remporté cette victoire contre la barbarie. Mais ils ne l'ont pas subie sur leur sol. Ils ne peuvent pas comprendre à quel point ces signes, ces objets, ces symboles représentent pour nous l'horreur et la répulsion. Et puis ils ont une vision de la régulation qui n'est pas tout à fait la même que la nôtre. Eux pensent ou ont pensé, parce que l'opinion américaine est en train de changer, quand elle voit les trafics de dons d'organes, quand elle voit ces commerces nazis, par exemple, ou quand elle voit que la criminalité peut se frayer un chemin par ces nouvelles technologies, par ce nouveau réseau mondial, et donc ils étaient pour une théorie de l'auto régulation, en quelque sorte. C'est les acteurs qui vont s'autoréguler. Et nous ne pensons pas tout à fait cela. Nous pensons qu'il n'y a pas de liberté sans règles. Nous pensons que la liberté, ce n'est pas la licence, et nous pensons qu'à partir du moment où la conquête d'une liberté nouvelle sur un réseau potentiellement mondial, il faut défendre la régulation mondiale. Mais en même temps, ce réseau est tellement novateur, tellement souple, qu'on ne peut pas le réguler comme on régulait les espaces dans l'espace national. Et au fond, nous disons l'autorégulation ne suffit pas, et un certain nombre d'acteurs pourraient en être les victimes nos concitoyens par exemple. Dans leurs intérêts privés, dans la protection de leur vie privée. Il ne faut pas une régulation étatique, purement et simplement, mais peut-être l'idée d'une co-régulation où on fait dans des lieux. Christian PAUL, parlementaire, m'a remis il y a 8 jours un rapport sur cette question, propose un forum de droit, c'est-à-dire un lieu où pourraient se rencontrer les pouvoirs publics, les représentants des internautes, des instances de régulation qui existent en France. L'ART, l'Agence de Régulation des Télécommunications, le CSA, qui régule la télévision.
QUESTION - C'est vers ce type de forum qu'on va aller ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Je ne vais pas trancher les décisions prises aujourd'hui, mais c'est l'esprit qui devrait nous inspirer. Une co-régulation dans laquelle l'autorité publique chargée de l'intérêt général et chargé de veiller à une certain nombre de valeurs humaines et les acteurs de ce réseau très vif, très mobile, pourraient prendre ensemble des décisions utiles.
QUESTION - Vous venez de parler des problèmes Internet, des obstacles à surmonter, mais Internet, ça reste quand même un média formidable. Vous pouvez ici répondre aux questions des internautes. Une question personnelle : vous, est-ce que vous surfer par exemple ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Je sais plus surfer dans l'Atlantique, et encore assez peu, que jusqu'à maintenant sur Internet. Le paradoxe c'est que la mission qui m'a été confiée il y a trois ans et au moment où elle m'a été confiée, où il y avait au fond un mouvement spontané d'hommes et de femmes vers Internet, une prise de conscience des entreprises, que c'était un tout dans la compétitivité et la volonté de l'Etat à affirmer de ne pas mettre un frein, mais un moteur, ces trois mouvements se sont rencontrés pour permettre ce rattrapage dont on parlait et maintenant il ne faut pas simplement rattraper, il faut être à l'avant-garde si c'est possible dans la nouvelle révolution technologique. Donc, nous jouons pleinement notre rôle dans cette direction et je pense effectivement que nous devons absolument réussir cette révolution de l'internet et de la haute technologie.
QUESTION - On l'aura compris, vous n'avez pas trop le temps de surfer étant donnée votre charge de travail.
M. LE PREMIER MINISTRE - Ma femme surfe. Elle est universitaire, elle est chercheur. Elle surfe dans le monde des universités, du savoir. Mon fils surfe le soir et mon fils aîné aussi. Je suis le seul, je suis cerné en fait par les internautes et dans ma vie privée. Et ici à Matignon, toutes les communications se font maintenant entre les membres de cabinet par e-mail. Je reçois moi-même maintenant 10% des lettres qui me sont écrites, ce ne sont plus des lettres, mais des mails, et donc j'attends tout simplement de ne plus être Premier ministre pour m'y mettre vraiment.
QUESTION - Est-ce que vous échangez des mail avec Jacques CHIRAC ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Pas encore.
QUESTION - Vous pensez que ça peut venir ? Le Premier Ministre et le Président pourront communiquer.
M. LE PREMIER MINISTRE - Oui ça serait possible, mais enfin il faut s'entendre au double sens du terme, en tous cas sur cette question ce n'est pas plus mal.
QUESTION - Assez rapidement, on a malheureusement pas assez de temps, on nous avait promis une grande loi sur la société de l'information. Elle devait arriver avant l'été. Alors quand va arriver cette grande loi et qu'est-ce qu'on pourra brièvement mettre dedans ?
M. LE PREMIER MINISTRE - A la conférence de presse que j'ai tenue tout à l'heure à l'issue du CISI, nous avons répondu et notamment Laurent FABIUS à cette question, le Gouvernement travaille, il a beaucoup de projets. Il faut passer ça par le filtre parlementaire qui doit les étudier sérieusement, l'Assemblée nationale et le Sénat doivent étudier sérieusement les textes.
QUESTION - Elle a du retard cette grande loi ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Non. On fait avancer toute une série de textes dans tous les domaines et donc je pense qu'elle sera prête soit fin de l'année ou début de l'année prochaine.
QUESTION - De façon générale, est-ce que vous pensez que la classe politique française est aussi enthousiaste que vous sur ces questions, et en partie votre majorité d'ailleurs ? Sont-ils conscients des enjeux ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Je crois que ça avance, que ça existe. Ce Gouvernement a vraiment fait des pas en avant, il a contribué à cette prise de conscience. Je crois aussi qu'un certain nombre de parlementaires, dans l'opposition, s'intéressent à ces questions, vous avez vu les rapports de Christian PAUL, de Patrick BLOCHE, parmi les députés de la majorité. Donc je crois que ça évolue. Les élus locaux sont aussi très intéressés par les outils de développement de la haute technologie.
QUESTION - Dans la majorité, on avait senti les communistes un peu frileux sur le dégroupage de France Télécom.
M. LE PREMIER MINISTRE - Parce qu'ils sont soucieux, comme je l'ai dit moi-même de la défense des intérêts d'une très grande entreprise française, mais je pense que les nouvelles technologies, ils l'ont montrés, les intéressent aussi.
QUESTION - Vous ne pensez pas que l'Etat n'a pas toujours un train de retard ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Non, car la chance de l'Etat, c'est qu'il est concentré et quand il y a une volonté, elle passe vite, si vous voulez, car l'Etat est le cur de quelque chose. Il est lui aussi au centre d'un réseau d'intérêts et aussi d'un réseau de citoyens. C'est pourquoi il doit être porteur de valeurs, et pas simplement d'intérêts. Quand il décide, il peut aussi agir vite, il rencontre des freins, des résistances, mais il n'est pas pulvérisé comme l'est le réseau lui-même. Lui, il est comme un point qui doit être ouvert, en l'espèce, ouvert vers ces nouveaux développements.
QUESTION - La France vient de prendre pour 6 mois la présidence de l'Union européenne. Qu'est-ce qu'elle va proposer en matière d'Internet à ses partenaires européens et plus globalement quelles sont ses autres priorités ?
M. LE PREMIER MINISTRE - J'avais prévu au sommet de Feira un certain nombre de propositions, un plan e-Europe. C'est un plan qui est tout à fait accordé à nos priorités nationales parce que nous l'avons en partie inspiré, il faut bien le dire. J'avais adressé moi-même des propositions au Président de la Commission, Romano PRODI. Donc nous allons contribuer à le mettre en uvre de façon à ce que le potentiel scientifique et technologique de l'Europe ne rate pas cette nouvelle révolution industrielle pour laquelle nous sommes je crois bien armés. Les autres priorités de notre union, vous les connaissez.
QUESTION - On a eu aussi beaucoup d'autres questions de jeunes internautes qui sont passionnés par l'Europe
M. LE PREMIER MINISTRE - Développement économique et social, croissance, baisse du chômage et équilibre entre le progrès économique et le progrès social, ça c'est la première priorité. Deuxième priorité, montrer que l'Europe prend en compte les questions concrètes que se posent nos concitoyens ; sécurité alimentaire, l'agence sur la sécurité alimentaire, sécurité des transports, le plan pour éviter de nouveaux Erika. D'ailleurs j'étais samedi dernier à Brest sur les plages pour rappeler l'engagement du gouvernement dans la sécurité des transports des produits pétroliers.
QUESTION - On parle beaucoup des institutions européennes
M. LE PREMIER MINISTRE - Troisième dimension : modernisation, réforme des institutions européennes puisque l'Europe à 15 va devenir progressivement une Europe à 20, à 25 ou 30, il faut changer ces mécanismes de décision si nous voulons rester efficaces.
QUESTION - C'est là-dessus que sera jugée la France, sur la réussite de cette conférence intergouvernementale ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Une présidence qui se prend tous les 6 mois, c'est surtout une responsabilité. C'est pas une comparution, on n'a pas peur d'être jugé. On va beaucoup travailler, le Gouvernement avec le Président de la République, à ce qu'il y ait non pas une réussite, mais des réussites pendant la présidence de l'Europe.
QUESTION - Je vous pose cette question parce qu'on a un peu l'impression qu'on est un peu au-delà de ça aujourd'hui, certains parlent des Etats-Unis d'Europe, c'est le cas du ministre allemand des affaires étrangères, M. FISCHER. Jacques CHIRAC propose quant à lui une constitution européenne et vous on a l'impression que vous n'entrez pas dans ce débat . Vous dites que c'est trop tôt. Pourquoi ?
M. LE PREMIER MINISTRE - D'abord, quand j'entends Europe, je ne suis pas obligée de dire Etats-Unis. On a parlé de l'Union européenne, on a utilisé une formule proposée par Jacques DELORS, qui est assez belle, mais dont il faut préciser le contenu ; un fédération d'Etats nations, on ne peut pas réunir des Etats comme on réunit aux Etats-Unis des états fédérés. Vous comprenez bien que le France, c'est autre chose que le Michigan et l'Allemagne autre chose que le Wisconsin. Il faut donc faire bouger cette Europe. Je suis concentré sur la présidence européenne, parce que c'est la responsabilité du Gouvernement aux côtés du Président de la République.
QUESTION - Est-ce que ce n'est pas le moment idéal pour donner votre vision ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Non, je ne crois pas. Le moment idéal va venir quand on va revenir devant les citoyens pour un débat plus démocratique. Cela va commencer par les législatives.
QUESTION - Si vous permettez l'analogie avec le sport, vous êtes sportifs, vous aimez le sport, un sport que vous aimez bien, c'est le cyclisme, on est en plein tour de France, et on croit que le peloton va bientôt passer à Cintegabelle
M. LE PREMIER MINISTRE - Oui, c'est ce que j'ai appris.
QUESTION - Sur le quinquennat et sur l'Europe, Jacques CHIRAC, il ne vous semble pas que Jacques CHIRAC a fait une grosse échappée.
M. LE PREMIER MINISTRE - Je ne pose pas les problèmes en ces termes.
QUESTION - Les commentateurs politiques avaient fait une analogie entre votre analyse des bleus et puis beaucoup en ont vu une leçon politique
M. LE PREMIER MINISTRE - Moi, je suis un coureur de fonds. Ce qui est très important, d'ailleurs, il y a un eu un très beau film anglais qui portait ce titre, je ne crois pas à la solitude du coureur de fonds. Il faut avancer ensemble.
QUESTION - Bientôt votre grande vision de l'Europe.
M. LE PREMIER MINISTRE - L'Europe se construit sur des projets précis et concrets, et puis c'est l'addition de ces projets qui donne un sens à ce que nous faisons, et puis ensuite, quand il s'agit de définir l'Europe à 4-5 ans, ne vous inquiétez pas, je serai présent dans ce débat. Je l'étais avant, je le serai encore aujourd'hui et demain.
QUESTION - Le temps passe, il nous reste quelques questions d'internautes, notamment une question qui a passionné les internautes : les vacances, c'est très concret. Un internaute remarque que c'est difficile de partir en vacances quand on touche le SMIC vu le prix de l'essence, qu'est-ce que le Gouvernement peut faire ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Le Gouvernement n'est en rien responsable de la hausse du prix d'essence.
QUESTION - Il y a quand même 80% de taxes.
M. LE PREMIER MINISTRE - Non. La taxe sur l'essence, la TITP, notamment sur l'essence sans plomb, est une taxe qui est fixe au litre, donc quelque soit le prix du litre, la taxe n'augmente pas avec le prix du litre. Pour un litre, vous payez tant de montant de taxe. Donc dans la hausse des prix de l'essence, il y a uniquement la hausse des prix du pétrole brut qui se répercute sur la pompe, en tous cas qui est répercuté à la pompe par les compagnies pétrolières, on peut le comprendre, en tous cas pour l'essentiel. La taxe elle ne rentre pas dans ce calcul. Au contraire, le Gouvernement a pris une mesure de baisse de 1 point de la TVA, et en baissant d'un point la TVA, il a aussi baissé faiblement dans une certaine mesure le prix du pétrole. Vous avez vu que le ministre de l'Economie et des finances, Laurent FABIUS a déjà convoqué à 2 reprises les présidents des compagnies pétrolières travaillant en France pour attirer leur attention sur le fait que si le prix à la pompe monte quand le prix du brut monte, si le prix du brut se stabilise ou baisse, alors il est normal que le prix à la pompe baisse. Et donc, il s'efforce là aussi de produire des régulations et de créer l'esprit de responsabilité. La grande distribution peut contribuer à cela si un certain nombre de structures font des prix plus bas, cela contribuera à une baisse générale des prix. On peut espérer que les prix du pétrole brut vont baisser. Si c'est le cas, les prix à la pompe devraient également baisser.
QUESTION - Il y a une question qui revient aussi beaucoup, c'est une question sur le service national, beaucoup d'étudiants notamment ou des gens qui ont un CDI, qui sont sursitaires doivent quitter leur emploi pour faire leur service national. Ils sont très inquiets de ne pas retrouver leur emploi. Qu'est-ce que vous pouvez leur répondre ?
M. LE PREMIER MINISTRE - On leur a déjà répondu qu'il a été décidé une professionnalisation des armées. Donc à partir de 2002, il n'y aura plus de conscrits comme on disait. Dans l'armée, il y aura des volontaires. Mais il y aura des militaires professionnels, donc le service national est en train de se terminer.
QUESTION - Apparemment, ils restent très inquiets.
M. LE PREMIER MINISTRE - Je fais remarquer que les garçons de la génération de ces sursitaires, eux, ont fait leur service militaire. Ce n'est pas parce qu'ils ont fait des études supérieures qu'ils ne doivent pas consentir au même devoir civique. Le ministre de la Défense a annoncé de la façon la plus claire que les jeunes qui tiennent à la fin de leurs études un CDI, et même un CDD, doivent pouvoir obtenir des reports de leur incorporation et donc les consignes ont été données aux commissions régionales qui examinent ces dossiers de faire preuve d'intelligence et au moment où l'emploi reprend et où on a besoin de jeunes pour nos emplois, il faut faciliter les choses. Et on ne peut pas non plus, tant qu'on a pas terminé la professionnalisation, désorganiser nos armées.
QUESTION - Il nous reste peu de temps, il y a encore beaucoup de questions d'internautes. Essayons d'y répondre très vite. Quand vraiment, Monsieur le Premier ministre, les problèmes s'accumulent, qu'est-ce qui vous motive ?
M. LE PREMIER MINISTRE - Je m'efforce d'accomplir cette mission avec sérénité. J'ai la chance d'avoir un équilibre et même peut-être du bonheur dans ma vie personnelle. Je suis animé par des convictions. Je suis entouré par une bonne équipe gouvernementale et aussi une bonne équipe dans mon cabinet. Je peux donc travailler sans stress et en tout cas moi, j'essaye d'aborder les questions avec calme. Donc je n'ai pas de problème de motivation et quand je traverse des phases difficiles, je sais que si je respecte un certain nombre de règles, je sais que si je traite des dossiers qui tout un coup se durcissent ou se tendent, je sais que normalement il doit être possible d'y apporter une solution, surtout si l'on montre à nos compatriotes qu'on fait preuve d'une approche de bonne foi des dossiers. J'ai constaté que lorsqu'il y a eu des moments de difficulté, ils sont passés.
QUESTION - Autre question, il en reste deux. Beaucoup de jeunes internautes me posent des questions, sur la dépénalisation du cannabis.
M. LE PREMIER MINISTRE - Moi je ne pense pas que ce soit nécessaire ; je pense qu'il faut faire évoluer la loi. Je pense qu'on doit faire attention à la façon dont on aborde ces problèmes, les distinguer selon les types de consommation., montrer qu'il y a d'autres formes de consommations qui sont dangereuses qui ne sont pas forcément liées à la drogue, par exemple l'alcoolisme qui est un fléau dans notre pays. La consommation excessive de médicaments n'est pas une prise de drogue mais a des conséquences parfois néfastes. Donc, montrer d'une certaine façon qu'il y a d'autres comportements qui peuvent êtres dangereux. Mais je ne vois pas l'intérêt de dépénaliser. Je pense que le maintien d'un certain nombre d'interdits, si ensuite on ne fait pas preuve d'une rigueur excessive, est nécessaire dans une société.
Merci Monsieur le Premier ministre, vous pourrez retrouver cette interview sur TF1.fr, enrichie de textes, d'explications , elle sera également sous-titrée en anglais. On a pas eu le temps de poser les 4000 questions des internautes, cela faisait un peu beaucoup. Ce sera peut-être pour une prochaine fois. On vous les a mis sur un CD -rom que vous pourrez consulter sur votre ordinateur, ce soir peut être. Merci beaucoup.
LE PREMIER MINISTRE - Merci.
(Source : http://www.tf1.fr, le 10 juillet 2000)