Déclaration de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur le traitement juridique et l'avenir des régions ultrapériphériques, la place essentielle du POSEIDOM (Programmes d'Options Spécifiques à l'Eloignement et à l'Insularité) et sur la nécessité d'adapter et proroger certaines dispositions fiscales dérogatoires en vigueur dans les départements d'outre-mer (DOM), Bruxelles le 23 novembre 1999.

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Texte intégral

Monsieur le Président de la Commission
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents des gouvernements des Açores, des Canaries et de Madère,
Madame et messieurs les Parlementaires,
Mesdames et messieurs les Présidents des conseils régionaux et généraux,
Mesdames et messieurs
Je suis très heureux d'être aujourd'hui parmi vous et je remercie le Président PRODI pour l'initiative qu'il a prise de réunir les représentants des régions ultrapériphériques et les membres des gouvernements des trois Etats concernés par la mise en uvre du nouvel article 299 § 2 issu du Traité d'Amsterdam.
Cette rencontre concrétise un partenariat qui, pendant plus de dix ans, a été marqué par l'identité des objectifs et la convergence des efforts déployés à plusieurs niveaux.
D'une part, au niveau des trois Etats concernés, l'Espagne, le Portugal et la France, qui ont en effet conjugué leurs initiatives afin de permettre à l'Union Européenne d'identifier avec méthode les particularismes qui affectent le développement économique et social de régions géographiquement éloignées de l'espace communautaire.
D'autre part, au niveau des sept régions qui, par delà leur dispersion géographique et leurs propres préoccupations, sont parvenues à développer un cadre commun de réflexion et d'action qui a joué un rôle essentiel dans les progrès accomplis par les politiques européennes récentes les concernant. Je rappellerai les réunions de Gourbeyre en 1995, de Saint-Denis en Avril 1996 et de Cayenne en Mars 1999.
Ce partenariat n'aurait cependant pu être fructueux s'il n'avait aussi bénéficié du dynamisme et de la qualité d'écoute des services de la Commission au centre desquels le Groupe Interservices dont je salue ici l'action déterminante et le précieux travail de son Président, Monsieur CIAVARINI-AZZI, que je voudrais personnellement remercier.
Cette décennie de réflexion et d'action communes a permis de réaliser des progrès remarquables sur le traitement juridique des régions ultrapériphériques.
Le contexte de cette réunion qui vise à préparer le rapport demandé à la Commission par le Conseil Européen de Cologne témoigne que nous sommes à un moment déterminant pour l'avenir de ces régions dont le quotidien et le futur sont largement gouvernés par leur appartenance à l'Europe.
Aussi me semble t'-il essentiel de rappeler la place et le sens qu'il importe de prêter au nouvel article 299 § 2 du Traité.


I - Ce nouvel article 299 § 2 est en effet une disposition nécessaire. Il comble les insuffisances révélées de l'article 227 § 2 du Traité de Rome, de la décision POSEIDOM de 1989 et de la déclaration relative aux régions ultrapériphériques annexées en 1992 au Traité de Maastricht.
Les espérances placées dans ces différents textes ont certes été pour partie concrétisées. Mais elles ont été aussi limitées dans leur portée par un certain nombre d'obstacles juridiques auxquels se sont heurtés les organes de l'Union Européenne. De plus elles ont été affectées par la jurisprudence de la Cour de Justice.
Pour tenter de parfaire et stabiliser le cadre juridique de l'insertion des régions ultrapériphériques à la Communauté, un travail long et progressif a été entrepris. Sans revenir sur la place essentielle des Programmes d'Options Spécifiques à l'Eloignement et à l'Insularité, je voudrais insister sur les deux moments essentiels constitués par la déclaration relative aux régions ultrapériphériques et l'élaboration du nouvel Article 299 § 2.
La déclaration de 1992 comportait en effet tous les éléments repris par l'article 299, mais en dépit de son contenu et de son symbolisme politique, elle n'engageait pas juridiquement les instances européennes faute d'avoir été inscrite dans le corps même du Traité de Maastricht. C'est cette carence que les 15 Etats membres ont voulu corriger, dans le cadre du nouveau Traité. Ils ont transformé une philosophie politique en règle juridique contraignante.

Ceci montre la volonté de la Communauté de rechercher un cadre juridique pertinent pour permettre une gestion adaptée à la réalité des problèmes économiques et sociaux de l'outre-mer.
Cette nouvelle base juridique insérée dans le Traité à un moment essentiel de l'évolution de l'Union Européenne témoigne de la volonté des Etats membres de ne plus se heurter aux insuffisances de l'ancien article 227 § 2 et de disposer d'une norme plus efficiente dont la mise en oeuvre serait facilitée par des décisions à la majorité qualifiée.
Cette nouvelle disposition doit donc permettre d'aller plus loin que ne l'autorisait jusqu'alors le Traité.

L'article 299 § 2 est parfaitement clair dans les objectifs qu'il se donne.
Il confirme la règle générale d'application de plein droit des dispositions du Traité aux régions d'outre-mer.
Ensuite, il autorise des mesures spécifiques arrêtées par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission.
Ces mesures spécifiques doivent être liées à la situation économique et sociale structurelle des régions concernées. Elles doivent produire des effets tant que la situation défavorable demeure.


II - L'avenir de nos régions ultrapériphériques sera désormais déterminé par le dynamisme avec lequel nous participerons à l'élaboration d'un nouveau cadre d'action.
Sans nier l'importance et la qualité de ce qui a été jusqu'alors réalisé, tels l'impact du POSEIDOM sur certaines filières, la contribution substantielle des fonds structurels, la stabilisation relative du statut de l'octroi de mer, force est de constater que la situation actuelle des DOM français demeure fortement préoccupante malgré l'ampleur de l'effort national.
Leur situation démographique a des incidences réelles sur les besoins en matière d'infrastructures notamment sanitaires et scolaires. Elle crée des tensions fortes sur le marché de l'emploi.
Ce facteur démographique, les besoins en matière de formation, la persistance d'un niveau réel de pauvreté créent un phénomène d'exclusion sociale et professionnelle massive.
Malgré une économie dynamique et un taux de création d'emplois salariés de deux à quatre fois supérieur à celui de la métropole, le nombre total de demandeurs d'emplois est passé de 1987 à 1997 de près de 112.000 à plus de 207.000. Ce tableau économique vous permet de comprendre, Monsieur le Président, la position adoptée par le gouvernement français sur la réforme de l'OCM bananes proposée par la Commission. Le profond malaise évoqué dans ces quelques chiffres ne nous autorise aucunement à prendre des décisions susceptibles de dégrader le marché de l'emploi et de remettre en cause les filières traditionnelles de développement de l'économie de ces départements où la filière banane occupe près de 30.000 personnes.
Ce bref constat démontre que si beaucoup a été fait tant par la France que par l'Union Européenne, beaucoup reste à faire.
Le Gouvernement français a donc entrepris de redéfinir le cadre du développement économique et social de l'outre-mer dans un projet de loi d'orientation dont les grandes lignes ont été annoncées par le Premier ministre lors d'un récent voyage aux Antilles.
S'agissant de l'action communautaire, pour contribuer à répondre à la demande du Conseil Européen de Cologne, le gouvernement français, en préalable au mémorandum qu'il déposera à la Commission en décembre, considère qu'il y a lieu de s'atteler à quelques grands chantiers que je voudrais maintenant présenter.
Le régime des aides d'Etat en constitue le premier.
La Commission a engagé une procédure de révision des régimes d'aides qui comporte un encadrement et des interdictions qui ne paraissent pas répondre à la situation des régions d'outre-mer et risquent par conséquent de remettre en cause, dès le 1er Janvier prochain, la plupart des régimes d'aides propres à ces régions.
Il importe donc que cette date butoir du 31 Décembre 1999 soit rendue inopérante aussi longtemps que les travaux menés sur l'application de l'article 299 § 2 n'auront pas permis de décider des conditions spécifiques d'application à leur égard des dispositions en cause du Traité.

Il faut en effet reconnaître que les aides qui sont consenties aux économies des RUP, en retard structurel de développement, n'ont ni pour objet ni pour effet de fausser la concurrence entre Etats membres mais au contraire de contribuer au développement harmonieux des régions européennes. Ces aides sont très clairement fondées sur l'article 87 du Traité qui prévoit la compatibilité avec le marché commun de celles destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi. Aujourd'hui, la vraie question est de savoir ce qu'il serait advenu de l'outre-mer si des aides n'avaient pas été mobilisées pour soutenir les économies et limiter la dégradation de la situation économique et sociale.
Le soutien aux Petites et Moyennes Entreprises (P.M.E) est un autre élément important pour la vie économique de ces régions.
Les PME constituent en effet l'essentiel du tissu économique de ces départements. Elles ont à supporter de multiples contraintes comme le coût des transports et du stock, ce du fait de leur grand éloignement des centres d'approvisionnement. L'étroitesse du marché régional, la quasi impossibilité de pénétrer le marché communautaire empêchent ces entreprises de parvenir à une réelle économie d'échelle. Les difficultés d'accès et les coûts du crédit affectent enfin les bases même du développement de ces PME. Aussi, pour faire face à ces handicaps, elles sont fréquemment adossées à des grands groupes. Or cette particularité exclut ces sociétés du champ de la définition des petites et moyennes entreprises retenue par la Commission qui prévoit, outre les critères du nombre de salariés et du chiffre d'affaires, celui de l'indépendance.
Cette situation n'est pas compatible avec les contraintes réelles des économies d'outre-mer et elle prive par ailleurs d'effet les dispositions du traité relatives aux aides à finalité régionale.
Il est donc urgent que soit remis en cause ce critère pour les DOM, ou à tout le moins que soit substantiellement modifié le taux de 25 %.

Le second chantier porte sur les questions de fiscalité. Trois grandes préoccupations me paraissent devoir être soumises à votre attention.
La première concerne le régime de l'octroi de mer qui a été défini par la décision du Conseil en date du 22 Décembre 1989. Cette décision concilie les fonctions d'alimentation du budget des collectivités locales et de soutien à la production locale qu'assure cette taxe. Ce régime est soumis à un contrôle de la Commission ; il a été récemment précisé par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes. Ce cadre juridique autorise des exonérations au profit de la production locale jusqu'à 2001.
La France demande que le mécanisme actuel de l'octroi de mer soit maintenu au-delà de cette date. Le cadre rénové du Traité le permet.
La seconde préoccupation réside dans le statut dont bénéficient les DOM en matière de fiscalité indirecte du fait de la onzième directive qui les a exclus de son champ d'application et donc du régime commun de TVA. Aujourd'hui, l'article 299 reconnaît encore la situation d'insuffisant développement et la permanence des handicaps qui hypothèquent le développement économique de ces régions ; il y a donc lieu d'assurer le maintien de cette dérogation fiscale qui se caractérise par des taux minorés.
Enfin, je voudrais évoquer le statut dont bénéficie le rhum traditionnel produit dans les départements d'outre-mer.
Ce régime issu d'une décision du Conseil du 30 Octobre 1995 arrive à échéance en 2002. Ce calendrier se complète d'autres échéances telles celles de l'OCM sucre en 2001, le renouvellement en 2000 de la convention de Lomé, le démantèlement des protections douanières applicables aux boissons spiritueuses prévues en 2003.
L'importance économique et sociale majeure de la filière canne-sucre-rhum dans les DOM rend incontournable le maintien de ce régime fiscal actuel. Aussi, les autorités françaises demandent-elles à la Commission de saisir l'opportunité de la mise en uvre de l'article 299 § 2 pour présenter rapidement au Conseil et au Parlement Européen une proposition visant à proroger au-delà de 31 Décembre 2002 le régime fiscal applicable aux rhums traditionnels des DOM sur le marché français.
De façon générale, il me semble logique que désormais, les mesures spécifiques retenues pour l'outre-mer s'inscrivent dans la durée. Plutôt que de fixer a priori une date butoir à leur application, il devrait être mis en place un dispositif d'évaluation permettant, à intervalles réguliers, et sur la base de critères prédéfinis, de mesurer leur impact sur le développement économique et social. Ce n'est en effet, à mon sens, qu'après un constat du rattrapage des retards de développement que la remise en cause des mesures spécifiques pourrait être éventuellement décidée.

Les fonds structurels constituent, Monsieur le Président, un autre sujet d'interrogation. Ils sont en effet un volet essentiel de maintien de la cohésion économique et sociale des régions d'objectif 1. Les régions françaises ont obtenu dans le cadre des arbitrages du Conseil européen de Berlin une dotation financière dont l'importance témoigne à la fois de l'intérêt que leur prêtent les institutions de l'Union mais aussi, hélas, de leur flagrant retard de développement.
Cette question me paraît devoir être évoquée sous les aspects suivants :
Tout d'abord, si la France a reconnu avec intérêt la nouvelle définition du champ d'éligibilité des opérations bénéficiant de financements communautaires, elle se doit de faire observer que ceux-ci ont pour mission, d'assurer l'ajustement structurel des régions d'objectif 1. Nous prenons bien volontiers acte de l'extension du FEDER à des objectifs comme la santé, l'éducation, la culture ou la réhabilitation des zones urbaines. Cette extension permettra de donner un véritable effet de levier aux politiques nationales conduites dans ces secteurs. Cependant un certain nombre de domaines qui constituent des préoccupations spécifiques des départements d'outre-mer sont exclus du champ d'éligibilité ou bénéficient d'un statut incertain.
Il en est ainsi notamment des risques naturels, des mises au norme environnementale dont l'application immédiate outre-mer est facteur de surcoûts, du logement social ou des opérations de réhabilitation de l'habitat insalubre pourtant facteurs essentiels d'insertion des populations défavorisées et d'ajustement structurel de ces régions. Se pose aussi la question des équipements sportifs et médico-sociaux.
Ensuite, les fonds structurels pourraient assurer une mission particulière de dynamisation des politiques d'insertion régionale souhaitée tant par les acteurs locaux que par le gouvernement français et l'Union Européenne.
Il s'agit d'abord, en modifiant les critères d'intervention du FEDER de permettre le développement des échanges avec les pays de la région ; il s'agit parallèlement d'en rechercher la cohérence avec le cadre d'intervention du FED. Ainsi, les fonds européens contribueront efficacement au développement d'une réelle insertion des DOM dans leur environnement régional.
Il me paraît souhaitable enfin que soient mises en uvre des initiatives communes de nature à faciliter le caractère opérationnel et une meilleure lisibilité des actions permises par les fonds structurels. Des procédures aujourd'hui trop complexes nuisent en effet à un engagement rapide des moyens communautaires.
Monsieur le Président, je souhaite évoquer brièvement l'importante question du développement des filières traditionnelles.
Cette question sera traitée de manière plus substantielle dans la séance thématique prévue dans la seconde partie de la matinée. Je voudrais cependant attirer votre attention sur l'importance du POSEIDOM agricole qui doit être consolidé d'autant que la population active agricole représente près de 12 % des actifs. En outre, je souhaite que la Commission réponde de manière favorable et rapide à nos demandes d'aménagement et de poursuite du dispositif présentées en Août et Septembre dernier concernant le régime d'aide à l'ananas.
Il est aussi souhaitable que soit réexaminé l'impact négatif de l'article 8 du Poseidom agricole qui interdit des restitutions à l'exportation à partir des DOM des produits qui bénéficient du régime spécifique d'approvisionnement ainsi que des produits obtenus après leur transformation. Une révision de ce dispositif pourrait permettre de développer une réelle coopération régionale.
Le renforcement du volet recherche, et d'une dimension phytosanitaire et vétérinaire doit être envisagé en raison de la fragilité dans ce domaine de l'agriculture insulaire.
De plus, il convient à mon sens d'inclure un nouvel article dans le POSEIDOM afin de consolider les bases juridiques des " adaptations et dérogations nécessaires " prévues seulement dans un considérant du règlement développement rural.
S'agissant de la filière canne-sucre-rhum, les règles de fonctionnement de l'OCM ne sont pas suffisamment adaptées au sucre des DOM qui supporte des charges supérieures à celles relatives au sucre de betterave.
Le secteur de la pêche doit bénéficier de la poursuite d'une démarche de soutien compte tenu de la double originalité des départements d'outre-mer caractérisés à la fois par des flotilles quasi exclusivement artisanales et des zones économiques raisonnablement exploitées. Dans ce souci le gouvernement français fera des propositions pour permettre, notamment grâce à l'Instrument Financier pour l'Orientation de la Pêche, un meilleur développement de la filière.
Je voudrais conclure en saluant le travail accompli par les services de la Commission.
Tels sont, Monsieur le Président, mesdames, messieurs, les grands axes autour desquels devra être utilement menée une action collective de définition d'un cadre de réelle prise en compte de l'article 299 § 2 du Traité d'Amsterdam.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 1er décembre 1999)