Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le thème des droits de l'homme et de la justice, insistant notamment sur le rôle de la "francophonie institutionnelle" en ce domaine, à Paris le 6 mars 2003.

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Circonstance : 28ème congrès de l'Institut international de droit d'expression et d'inspiration françaises (IDEF) à Paris le 6 mars 2003

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Assemblée du peuple d'Egypte, président de l'IDEF,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation
Mesdames et Messieurs les Présidents et responsables de hautes juridictions,
Mesdames et Messieurs,
A vous tous qui êtes réunis ce soir, à l'issue de la première journée de votre Congrès, parlementaires, magistrats, avocats, universitaires, juristes, représentants de la société civile, j'adresse mes souhaits de bienvenue et l'expression de mes sentiments chaleureux et amicaux.
Ma reconnaissance va d'abord au président de l'IDEF, M. Ahmed Fathi Sorour, qui a réuni toutes les conditions pour faire de ce 28ème congrès un succès. Permettez-moi aussi de remercier le président Christian Poncelet, qui accueille vos travaux au Sénat.
Votre session porte sur le thème de la Justice et des Droits de l'Homme qui présente, pour la Francophonie comme pour la Coopération française, un caractère éminemment prioritaire. Dans ce domaine essentiel - comme tous ceux qui touchent à l'Etat de droit et à la démocratie - l'IDEF peut, au nom des valeurs d'humanisme, de solidarité et de modernité qu'il partage avec la Francophonie, apporter un concours déterminant. A cet égard, quatre objectifs inspirent son action :
Premier objectif : mieux intégrer les Droits de l'Homme dans les législations nationales.
Chaque pays a son histoire, ses traditions, ses valeurs. Mais la reconnaissance de l'universalité et de l'indivisibilité des Droits de l'Homme s'impose à tous les Etats parce que le respect de la personne et de la dignité humaines transcendent les différences. L'adoption de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 a ouvert la voie. La Déclaration universelle de 1948 et les Pactes internationaux sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966 ont marqué des étapes importantes dans ce processus continu. Cette démarche collective a été confirmée par l'adoption des grands textes régionaux de référence tels que la Convention européenne des Droits de l'Homme, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou encore la Charte africaine des Droits de l'Homme.
A l'heure de la mondialisation, les Droits de l'Homme représentent le socle de toute construction juridique et ce "droit des droits" vise chaque jour à s'imposer davantage. Il s'agit là d'une évolution fondamentale, même si, bien entendu, la prise en compte des spécificités nationales constitue l'un des préalables à toute coopération dans les domaines juridiques et judiciaires.
L'approfondissement de la culture démocratique va de pair avec le développement. Notre responsabilité est d'accompagner les pays en transition démocratique dans l'effort de rénovation de leur environnement institutionnel.
Au XXème siècle, la production du droit international des Droits de l'Homme s'est attachée à définir des obligations spécifiques pour les Etats. L'enjeu du siècle qui s'ouvre est, comme nous le suggère le thème de votre congrès, de cerner l'articulation qui existe entre la justice interne et le droit international des Droits de l'Homme. C'est à cette condition seulement que nous renforcerons à la fois l'effectivité de ce droit et celle des systèmes judiciaires dans les sociétés démocratiques.
Deuxième objectif : renforcer les systèmes judiciaires.
Asseoir l'autorité de la justice, la rapprocher des justiciables et renforcer l'application de ses décisions. Voilà trois manières de rendre la justice plus efficace :
Nous devons d'abord asseoir l'indépendance de la justice. A cet égard, seule la protection du statut des juges est en mesure d'assurer l'impartialité de leurs décisions. Pour cela, il convient de veiller à leurs conditions de recrutement, de nomination et de formation. Parallèlement, le travail des juges doit être accompagné par la constitution de véritables barreaux professionnels et d'un corps d'avocats capable d'assurer la défense des intérêts justiciables.
La justice doit ensuite être plus proche des gens. L'information des justiciables sur leurs droits et leurs possibilités de recours auprès des juridictions doit, sans cesse, être améliorée. Cela passe par une politique d'accueil dans les tribunaux et de diffusion de la documentation juridique auprès des réseaux associatifs ou sur des sites Internet grand public. En outre, la gestion administrative des tribunaux ainsi que les procédures doivent être simplifiées autant que possible pour permettre aux individus de faire valoir leurs droits dans des délais raisonnables.
Les décisions de justice, enfin, doivent être suivies d'effet grâce à la mise en place de corps de métiers spécialisés comme les juges d'application des peines ou encore les huissiers de justice. Le système pénitentiaire doit aussi être plus efficace et capable de veiller à la fois au respect des durées de détention et à l'assurance de conditions humaines d'incarcération.
Notre soutien continu à la réforme des systèmes judiciaires et aux juges des droits de l'homme suppose en outre une action concertée avec les grandes institutions internationales concernées, comme le Haut Commissariat des Droits de l'Homme des Nations unies, mais également avec les grandes associations de la société civile qui se sont spécialisées dans ce domaine.
Troisième objectif : consolider le rôle de l'Etat et de la société civile dans l'approfondissement de la démocratie.
La démocratie a peu de chance d'émerger là où il n'existe pas d'Etat organisé. L'insuffisance du développement éducatif, économique et social, la persistance de logiques communautaires et claniques, la corruption et le népotisme sont autant d'entraves à son enracinement. La nécessité de renforcer les projets de coopération en faveur de la fonction publique en découle. Cette composante essentielle de la bonne gouvernance s'inscrit au cur de notre conception de l'Etat et confère à l'expertise francophone une approche spécifique et féconde. C'est pourquoi elle occupe une place importante dans la coopération que la France développe avec nombre de ses partenaires, dans le domaine de l'appui aux institutions, notamment judiciaires, de la formation de magistrats, de policiers et de fonctionnaires spécialisés.
De manière parallèle, je souhaite également saluer les efforts déployés par les organisations non gouvernementales pour faire progresser la cause des Droits de l'Homme au sein de la société civile. Malgré les entraves auxquelles elles se heurtent encore trop souvent, elles demeurent les meilleures interprètes des préoccupations des populations. Les associations et les organisations locales de promotion des Droits de l'Homme et de la démocratie sont en première ligne dans ce combat et nous devons les aider à s'organiser pour permettre d'exercer leur rôle avec les compétences et le sens des responsabilités nécessaires.
Quatrième objectif : s'appuyer sur la compétence de la Francophonie.
La Francophonie institutionnelle entend, sous l'autorité de son secrétaire général, le président Abdou Diouf, auquel je rends hommage, accompagner les progrès de la démocratie et de l'Etat de droit. Il convient de l'aider.
C'est ce qu'a fait la France, encore tout récemment, à l'occasion du Sommet francophone de Beyrouth, en apportant une importante contribution financière à son action dans ce domaine comme dans d'autres.
Comme vous le savez, la Francophonie a adopté à Bamako, au mois de novembre 2000, une déclaration qui recense très précisément les principes fondateurs auxquels nous entendons nous référer. Ce texte normatif est contraignant. Il s'accompagne d'un programme d'action dans lequel figurent de manière détaillée les mesures à mettre en uvre, à court et à moyen termes, dans l'ensemble des domaines touchant à la démocratie, aux droits et aux libertés.
Je saisis cette occasion pour saluer les efforts que l'Organisation internationale de la Francophonie déploie, notamment grâce à sa Délégation aux droits de l'homme et à la démocratie, dirigée par Mme Christine Desouches, pour mettre en place un dispositif d'observation des pratiques dans ce domaine. Cette nouvelle structure s'appuiera sur l'ensemble des réseaux, des relais locaux et des institutions qui uvrent en faveur de la promotion des Droits de l'Homme et de la consolidation de l'Etat de droit dans l'espace francophone.
C'est dans la complémentarité de ses acteurs que réside la valeur ajoutée de la Francophonie. Qu'il s'agisse des cours constitutionnelles, des cours de cassation, des barreaux, des médiateurs, des associations supérieures de contrôle, des structures chargées des Droits de l'Homme ou bien encore des écoles de la magistrature, les réseaux institutionnels de la Francophonie représentent un potentiel considérable. Ce vivier de compétences, l'IDEF peut contribuer à le mobiliser.
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Monsieur le Président, l'audience de votre assemblée, le nombre et la qualité des participants, manifestent bien l'intérêt que la pensée juridique d'expression et d'inspiration française continue de susciter à travers le monde. Le succès de votre rencontre témoigne, si besoin en était, que le français est et restera une langue juridique d'avenir. Voilà un double motif de satisfaction dont je me réjouis, en ma qualité de ministre chargé à la fois de la Coopération et de la Francophonie.
A mes encouragements, j'ajoute mes vux pour la suite de vos travaux. Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mars 2003)