Interview de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, à Europe 1 le 6 mai 2003, sur la grève des enseignants protestant contre la décentralisation et l'allongement de la durée de cotisations pour la retraite.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Pour la 4ème fois en 7 mois, de la maternelle à la faculté, pas d'enseignant. Même les élèves s'en plaignent. Pour un homme du sérail, comme vous, n'est-ce pas un choc et en même temps un désaveu ?
- "Ce que je sais, c'est que dans cette grande maison, comme dans ce pays, réformer n'est jamais facile et que lorsque l'on veut réformer, lorsque dans un Gouvernement, comme celui de J.-P. Raffarin, qui a décidé qu'il fallait renverser un certain nombre de traditions, qu'il fallait que les choses bougent, évidemment, on se heurte à des résistances, on se surprend, on fait de la peine à certaines personnes, et peut-être aussi s'explique-t-on assez mal et du coup, il est inévitable qu'il y ait des tensions. Mais ce qui est l'essentiel dans cette affaire, c'est que la réforme avance, c'est que l'on fasse en sorte que l'école de France bouge, que l'intérêt des enfants soit sauvegardé et que les choses évoluent."
Ces sont les belles généralités, les beaux principes, mais ce n'est pas perçu de cette façon par les enseignants, parfois même pas par les parents. La grève sera suivie disent les syndicats et ils en promettent d'autres en série. On vous dit même que mai 2003 ne sera pas décembre 1995 mais que cela va ressembler à l'avant-mai 1968.
- "Nous verrons, il ne faut pas exagérer la situation. Cette grève est forte, en effet, je ne la sous-estime pas. Je rappelle que malgré ces mouvements, l'école au quotidien, ça marche. Tous les jours, des enfants sont accueillis, des jeunes apprennent, les classes fonctionnent et au quotidien, le grand service de l'Education nationale n'est pas à l'arrêt. Il a des tensions, des énervements, il a des mouvements, certes, mais au fond, cela marche ! L'autre jour, on me disait, par exemple, qu'il y a 150 établissements qui sont en grève, très bien, mais il y a 70 000 établissements en France. Il faut quand même relativiser."
Est-ce que cela veut dire que c'est un mauvais mois à passer ? 
- "Ce n'est pas seulement cela ; il faut que nous expliquions mieux nos objectifs. Pourquoi est-ce que les personnels sont si inquiets ? C'est parce qu'ils reçoivent une succession de nouvelles qui ne viennent pas forcément d'ailleurs du ministère lui-même, qui viennent de l'ensemble de l'action du Gouvernement et ils ont le sentiment que tout ceci leur demande des efforts nouveaux, des obligations nouvelles et qu'au fond, ils sont mis à contribution sans savoir exactement qu'elles sont nos intentions et à terme."
Et souvent, ce n'est pas faux, parce que les syndicats avancent trois raisons : d'abord, la décentralisation : 110 000 agents vont être transférer sans garantie, disent-ils, on va passer de l'Education nationale à l'éducation au gré des départements et des régions.
- "Mais non ! Il faut raison garder dans cette affaire. La mission de service public des personnes qui seront décentralisées restera la même. Lorsqu'un ouvrier de service, un médecin scolaire, lorsque tel ou tel responsable d'orientation est dans un établissement, il ne reçoit pas ses ordres du ministre, même pas de la Rue de Grenelle, il les reçoit de son chef d'établissement, il reçoit de l'établissement dans ses relations avec le territoire et au fond, cela ne changera pas fondamentalement."
Vous avez toujours été partisan de l'autonomie des établissements, de la décentralisation. Quand on vous que les élèves n'auront plus leurs médecins, leurs assistantes, leurs infirmières...
- "C'est absurde, évidemment ! Vous imaginez bien que ce n'est pas parce que la feuille de salaire de tel ou tel fonctionnaire va être maintenant rédigée par un département ou une région que subitement, par exemple un département va décider qu'il n'y aura plus de médecine scolaire. Les jeunes de tel ou tel département diront "nous sommes malades", "eh bien tant pis, on ne s'occupe pas de vous". Cela n'existe pas, vous le savez très bien."
Qui contrôlera ? 
- "L'électeur, l'utilisateur lui-même. Lorsque l'on a transféré aux départements les politiques sociales, comme par exemple la politique en faveur des personnes âgées, est-ce que subitement, des départements ont décidé de ne plus accorder l'aide personnalisée aux personnes âgées ?"
On vous dit que le sort, l'avenir des élèves, va dépendre maintenant de leur lieu de vie, des moyens des départements et des régions et que c'est là le triomphe à venir des inégalités.
- "Je crois exactement le contraire : tout ce qui a été démontré par la décentralisation, c'est que plus vous gérez en proximité, plus les collectivités se sentent engagées et plus, en conséquence, elles rivalisent de génie pour faire en sorte que les services publics soient maintenus. J'ajoute que la loi a prévu les péréquations, les réallocations de moyens qui font que si jamais - ce que je ne crois pas - des inégalités se dessinaient sur le territoire, l'Etat pourrait intervenir pour les rectifier."
Vous ne leur dites pas qu'ils sont en train de s'inquiéter pour rien ?
- "Je ne leur dis pas cela, parce que je crois en effet qu'il faut que les personnels retrouvent confiance en eux-mêmes, que nous les aidions à se sentir mieux dans leur métier. Il faut en particulier que nous donnions des moyens de vie à nos professeurs, à nos personnels..."
Quand vous serez au pouvoir, monsieur Darcos ?!
- "Mais nous sommes en train de le faire ; les choses se dessinent actuellement. L. Ferry et moi-même, nous sommes tous les jours à la tâche."
A l'attaque ? Attaqués ?
- "Non, nous n'attaquons personnes. En tous les cas, nous essayons de faire avancer les choses et je vois bien que quand on veut faire bouger les choses, il y a parfois un peu de difficultés, c'est inévitable."
Par exemple, les retraites des fonctionnaires vont subir le passage de 37,5 annuités de cotisation à 40 en 2008 ; il disent que c'est la prochaine égalité public-privé. Est-ce que vous allez demander à messieurs Raffarin et Fillon, puisque cela passe mal, de revenir sur cet engagement, de le supprimer pour les enseignants ? 
- "Bien sûr que non ! Vous voyez bien là-aussi les difficultés : nous sommes en train de renverser un demi-siècle de conception du travail. On n'a cessé de nous dire depuis un demi-siècle qu'il fallait travailler de moins en moins, et qu'il fallait profiter de plus en plus de ses loisirs. Nous nous rendons compte aujourd'hui que ce n'est possible. Ce que nous voulons, c'est sauver les retraites, nous voulons faire en sorte que dans quelques années, ceux qui seront à la retraite puissent bénéficier de leur retraite. Evidemment, c'est un renversement considérable par rapport à ce qui s'est passé, c'est une réforme très lourde et on comprend très bien que ceci puisse un peu inquiéter les personnels concernés. Mais c'est inévitable."
Troisième critique, le budget pour 2004 : le Premier ministre dans sa lettre de cadrage vous demande, comme à chaque ministre, une croissance zéro des dépenses. Quels gestes allez-vous faire ? Quels efforts vous ferez ? 
- "Il faut que nous nous mettions d'accord sur les secteurs où nous pouvons agir utilement en matière d'économie. Ce n'est pas complètement arbitré, il faut que nous en parlions avec les personnels."
Exemple ?
- "Est-ce qu'il faut que nous touchions, par exemple, aux va-et-vient des professeurs des lycées professionnels par rapport à ceux des collèges ? Faut-il que nous supprimions les options ici, faut-il que nous regroupions des classes là ? Est-ce qu'il faut que nous fassions des réseaux d'écoles ? Nous devons trouver des économies d'échelles qui ne touchent pas à la qualité de l'enseignement ni à l'encadrement."
Vous voulez dire qu'elles sont possibles ?
- "La réforme est toujours possible dans un ministère qui utilise 1 355 000 personnes, et qui concerne environ 14 000 000 d'élèves. La réforme est toujours possible mais il ne s'agit pas pour autant de faire sur le dos de la qualité de l'enseignement, ni des élèves. Il s'agit de faire des choix, des options, il s'agit de trouver quelques poches d'économie possible."
Cela veut dire que vous savez qu'il y a des poches d'économie ? Si on en applique, quand M. Raffarin, et vous vous mettrez d'accord avec L. Ferry, vous aurez fait vos arbitrages, qu'est-ce que vous pouvez gagner en termes d'effectif ou de réduction de dépenses ?
- "Nous pouvons en tous les cas, certainement, pour ce qui concerne les effectifs, mieux répartir nos postes. Nous pouvons, à moyens constants, en termes de personnels j'entends bien, certainement mieux répartir nos efforts. Il faut que nous le choisissions, que nous le décidions ensemble, mais nous pouvons faire un effort. Il n'y a d'ailleurs aucune raison que le secteur dont nous nous occupons ne participe pas à l'effort général de réduction de la dépense publique. C'est l'intérêt des gens, nous ne faisons pas cela pour embêter nos personnels ou pour embêter qui que ce soit, nous le faisons, parce que c'est l'intérêt du pays. Nous sommes solidaires de l'action du Gouvernement qui veut faire en sorte de donner un peu de mobilité à l'action politique en réduisant la voilure en matière de charges d'emplois publics."
D'autant plus, si je me rappelle bien, que depuis C. Allègre, la démographie scolaire est en baisse.
- "Elle est en baisse dans le second degré mais pas dans le premier degré. c'est-à-dire que nous plus d'élèves dans le premier degré et il faut y être attentif."
Qui s'occupe de lutter contre la violence et l'insécurité à l'école ? L'autorité, c'est qui pour vous ?
- "Tout le monde s'en occupe, tout le monde est préoccupé par ce souci. Il fallait d'abord que le ministre le rappelle. Vous avez vu que L. Ferry et moi-même, nous avons beaucoup insisté sur cela. Il fallait rendre aux écoles les conditions nécessaires du travail scolaire, c'est-à-dire la sérénité."
Alors c'est qui ?
- "Ce sont évidemment d'abord les chefs d'établissement, ensuite les professeurs, tous les personnels concourent à faire en sorte que la sérénité règne dans les établissement scolaires."
Quand les profs reprendront leur travail, est-ce que vous leur demanderez de refuser chez les élèves tout signe d'adhésion religieuse ?
- "En tous les cas, si on pose la question au ministre de l'Enseignement scolaire, il ne peut répondre qu'une chose : les valeurs sur lesquelles se fonde l'école de la République ne tolèrent pas et n'acceptent pas que dans l'enceinte de l'école publique, on manifeste d'une manière ostentatoire une appartenance religieuse. Et si vous parlez du voile islamique en particulier, j'ajoute que concernant ce sujet, il implique d'autre part une discrimination, qui peut aller ensuite vers le fait que les jeunes filles n'iront pas aux cours d'EPS, etc., ce qui est incompatible, à mes yeux, avec les valeurs sur lesquelles se fondent l'école de la République."
Les lois de la République, pas les lois du Coran ou de je ne sais quoi ?
- "Les lois de la République, les valeurs sur lesquelles se fondent l'école de la Nation."
Mais si peu à peu, on vous demande la fin des professeurs hommes pour les élèves filles, fini la mixité à l'école, comme certains commencent à le demander dans certaines organisations islamiques, la modification des programmes pour tenir compte des enseignements religieux, quelle sera la réponse Darcos-Ferry ?
- "Je viens de vous le dire : les valeurs sur lesquelles se fonde l'école de la Nation, sont les valeurs de la République. Elles sont incompatibles avec tout ce que vous venez de dire, qui est de l'ordre du sexisme, de la discussion par rapport à la vérité historique, qui voudrait faire en sorte, qu'au fond, ce sur quoi nous avons construit l'école de la République soit subitement, sournoisement, mis en cause."
Au passage, la Licra et le Grand-Orient organise ce soir, à l'Hôtel de Ville, un rassemblement républicain pour la laïcité contre les communautarismes. L. Ferry y va, y allez-vous ?
- "Bien entendu. Il faut rappeler à toute occasion que la laïcité est le fondement même de l'école républicaine."
Quand L. Ferry est attaqué, comme ce matin encore dans la presse, qui est mauvaise pour l'Education - et peut-être même pour le Gouvernement -, est-ce que vous vous sentez aussi concerné et visé ?
- "Nous sommes complètement solidaires, nous conduisons ensemble l'action éducative de ce Gouvernement. Je suis solidaire de L. Ferry comme je suis solidaire de tous les membres du Gouvernement, comme je suis solidaire en particulier de l'action du Premier ministre."
Darcos, c'est Ferry bis ? 
- "Darcos, c'est quelqu'un qui est au service de la République, à côté de L. Ferry."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 mai 2003)