Déclaration de M. Christian Sautter, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur l'harmonisation de la fiscalité européenne de l'épargne et la nécessité d'un marché unique de services financiers, à l'Assemblée nationale le 18 janvier 2000.

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Circonstance : 9ème rencontres parlementaires sur l'épargne, à l'Assemblée nationale, le 18 janvier 2000

Texte intégral

Le passage à l'euro est un succès, plus personne ne le conteste aujourd'hui. C'est un acquis essentiel mais il ne s'agit que d'une première étape dans la construction d'une Europe financière et monétaire efficace. Tout en nous félicitant de l'aboutissement des efforts considérables poursuivis jusqu'à aujourd'hui, nous devons continuer le travail pour construire les fondations d'un espace européen dynamique, au service de la croissance de l'emploi.
Dans ce contexte, Didier Migaud pose une question dont il connaît bien la très grande actualité : faut-il harmoniser la fiscalité de l'épargne ? Mais je ne voudrais pas limiter mon propos à cette seule dimension de la construction communautaire. Je voudrais saisir l'occasion de ces rencontres pour évoquer également la question de l'approfondissement du marché unique des services financiers. Je tiens à lier devant vous ces deux questions pour bien montrer que ces deux démarches communautaires, qui sont souvent opposées, sont en réalité complémentaires.
L'harmonisation de la fiscalité de l'épargne
Il faut d'abord tordre le cou aux fantasmes et aux idées fausses qui circulent sur cette grande ambition communautaire :
il ne s'agit pas de dicter les règles de conduite des États en matière de fiscalité de l'épargne pour leurs propres résidents : l'objet de la directive est d'harmoniser les conditions de taxation des revenus de l'épargne perçus par les non-résidents et pour eux seuls. Demain, la Grande Bretagne pourra continuer de taxer les revenus perçus par les citoyens britanniques au taux de son impôt sur le revenu, et la France continuer d'appliquer un prélèvement libératoire de 25 % ;
il ne s'agit pas de fiscaliser au premier franc tous les revenus de l'épargne : demain, comme aujourd'hui les revenus de l'épargne investis sur un livret A en France, ou les fameux " tax exempt special savings account " en Grande-Bretagne ou d'autres systèmes équivalents existant ailleurs en Europe pour l'épargne populaire resteront exonérés d'impôt ;
il ne s'agit pas, bien entendu, de pénaliser les places financières performantes que nous avons établies en Europe, et qui doivent bien entendu demeurer compétitives sans devenir pour autant des paradis fiscaux : les clients de ces places sont d'ailleurs la plupart du temps des ressortissants d'États non membres de l'Union européenne qui ne sont pas concernés par cette directive.
Pourquoi alors cette harmonisation, qui ne concerne finalement que l'épargne investie dans un autre État membre de l'Union par des ressortissants communautaires, est-elle à la fois si nécessaire et si urgente ?
D'abord parce que l'adoption de la monnaie unique, qui se traduit par la suppression des barrières de change, créera un marché financier plus intégré et plus compétitif, dans lequel les distorsions de concurrence résultant des différences de fiscalité pour les résidents d'un même État membre selon qu'ils investissent leur épargne dans leur État de résidence ou ailleurs en Europe ne seront pas acceptables. La situation actuelle conduit dans de nombreux cas à favoriser la délocalisation de l'épargne pour des raisons purement fiscales : cela ne me choque pas qu'un Français investisse au Luxembourg ou en Grande-Bretagne s'il le fait parce que les produits qui lui sont offerts dans ces Etats sont plus compétitifs, cela me choque s'il le fait non seulement pour échapper à la fiscalité française mais même à tout prélèvement puisqu'il ne sera pas assujetti à l'impôt dans un autre Etat.
Aujourd'hui, le facteur travail est moins mobile que le facteur capital. Mais il ne faut pas que le facteur travail soit surtaxé, que le facteur capital soit sous-taxé et qu'une compétition fiscale dommageable s'engage entre les États membres : c'est l'emploi qui est en jeu. Or, le risque existe comme l'a montré, ces dernières années, la suppression progressive des retenues à la source sur les intérêts versés aux non-résidents.
Il ne s'agit donc pas de se diriger vers une harmonisation globale et totale de la fiscalité de l'épargne. Il s'agit plus de coordonner nos systèmes fiscaux, afin de prévenir l'évasion fiscale et de permettre une allocation optimale de l'épargne en fonction des besoins économiques des États. C'est pourquoi cette démarche est totalement cohérente et intimement liée au souci d'approfondir le marché unique des capitaux en Europe en protégeant mieux l'épargnant : tout comme les propositions du plan d'action pour les services financiers que je détaillerais tout à l'heure, la coordination des politiques fiscales est une condition du développement de l'épargne en Europe.
J'ajouterais qu'il serait paradoxal que nous luttions contre les paradis fiscaux en dehors de la Communauté, et que nous laissions perdurer en Europe des situations qui favorisent l'évasion fiscale.
C'est pour ces raisons qu'il me paraît particulièrement important de progresser sur le dossier de la fiscalité de l'épargne.
Le projet qui nous occupe depuis maintenant deux ans, depuis que l'ensemble des États membres en a accepté les principes lors du conseil de Luxembourg en décembre 1997, est bon.
Il n'oblige aucun État membre à abandonner complètement son système juridique et fiscal, puisqu'il est fondé sur le principe dit " de la coexistence ", qui laisse le choix aux États membres entre une retenue à la source ou l'échange d'informations.
Il ne favorise pas l'évasion fiscale car il prévoit un champ d'application large, incluant notamment les euro-obligations et les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, comme les SICAV.
Il ne renouvelle pas les erreurs des projets précédents qui introduisaient de trop lourdes charges administratives pour les émetteurs et les opérateurs financiers les plus proches du marché Le principe de " l'agent payeur " qui est, au sens du projet de directive, le guichet de banque, le teneur du compte-titres du particulier, n'implique pas de délocalisation des opérateurs financiers, quelle que soit leur tâche, en dehors du territoire communautaire. Ainsi, il préserve totalement la compétitivité des marchés financiers européens.
Les critiques qui lui ont été apportées sur ce point par nos amis britanniques ne sont pas fondées. Les opérateurs financiers des autres principaux États membres, qui ont été consultés sur le projet de directive, reconnaissent que la charge de travail supplémentaire que celui-ci introduira est supportable et constitue une contrepartie équilibrée aux avantages de cette harmonisation pour le développement de l'épargne communautaire. Les travaux des derniers mois l'ont montré.
Bien sûr, ce projet est perfectible. Il doit être certainement possible de réduire encore la charge des opérateurs bancaires.
Je formule le vu que nous réussissions et j'ai deux bonnes raisons de l'espérer. D'une part, à Helsinki, la Grande-Bretagne a accepté que tous les citoyens qui résident dans un État membre de l'Union européenne devraient payer tous les impôts exigibles sur la totalité des revenus de leur épargne.
D'autre part, par le remarquable travail réalisé par Mme Dawn Primarolo dans le cadre du groupe de suivi sur le code de conduite en matière de fiscalité des entreprises, nos amis britanniques ont montré qu'ils pouvaient, lorsqu'ils en avaient la volonté, trouver des solutions pratiques aux problèmes les plus difficiles.
Les six mois qui nous restent pour trouver un accord doivent être mis à profit pour travailler sur cette question. J'ai confiance en les travaux qui seront menés dans les semaines qui viennent par la Présidence portugaise dans un Groupe à haut niveau, dont la création a été décidée à Helsinki et auquel la France apportera tout son soutien.
En cas d'échec, la question de l'extension du vote à la majorité qualifiée en matière fiscale se poserait nécessairement de façon pressante. La prochaine conférence intergouvernementale, qui se conclura sous présidence française, permettra certainement d'aborder cette question, qui fait partie des points déjà envisagés par la Commission.
Une régulation européenne des services financiers et la modernisation de la place de Paris
Le passage à l'euro est un puissant facteur d'intégration des marchés financiers de la zone euro. Les mutations technologiques accélèrent encore ce mouvement d'intégration. Ce phénomène nouveau n'est pas sans risque, puisque les centres de décision peuvent se délocaliser plus facilement. Il est aussi riche en opportunité, car c'est une occasion formidable de réduire le coût des capitaux et de l'intermédiation financière, donc de favoriser notre croissance.
C'est pourquoi je souhaite que nous avancions dans la constitution d'un marché unique des services financiers, nettement plus intégré qu'aujourd'hui. Mon objectif est qu'un plan d'action européen soit rapidement défini. Le gouvernement a contribué à la réflexion européenne en diffusant il y a quelques mois un mémorandum " pour un marché unique des services financiers ", insistant notamment sur les trois axes suivants :
une régulation plus claire des relations entre les prestataires de services financiers et leurs clients, avec notamment la poursuite de l'effort d'harmonisation des dispositions relatives à la protection du consommateur et l'examen de la question de l'exécution des décisions de justice dans le cadre des prestations transfrontalières ;
un accès au marché européen plus simple et plus efficace pour les entreprises, avec notamment une harmonisation des notions d'appel public à l'épargne et d'investisseur qualifié ;
une meilleure prise en compte des nouvelles technologies
J'ai naturellement l'intention de profiter de notre Présidence de l'Union européenne pour faire avancer ce dossier.
A cette intégration accrue doit correspondre une régulation à la mesure des nouveaux défis auxquels nous faisons face. Ceci pose des questions complexes, à commencer par la coordination des superviseurs, qu'il s'agisse des autorités prudentielles ou des autorités de marché. Mon sentiment est que la multiplication des opérations transfrontières va nous obliger à bouger pour trouver un nouvel équilibre. Nous aurons toujours besoin de régulateurs proches du terrain et donc décentralisés, afin de bien connaître la réalité des marchés, des entreprises concernées et les pratiques nationales.
Mais nous aurons sans aucun doute besoin aussi, de plus en plus, de coordination pour mieux appréhender les entités macro-financières qui se constituent. Nous avons créé, en matière monétaire, une Institution fédérale avec la BCE. Il faut nous interroger sur la nécessité éventuelle d'avoir, à terme, des Institutions du même type pour la supervision prudentielle et la supervision des marchés financiers.
Cette intégration croissante des marchés européens doit nous conduire à deux conclusions :
renforcer l'attractivité de la place financière de Paris. Je considère essentiel, pour notre croissance à terme, que les centres de décision de notre industrie financière demeurent en France. Il s'agit d'emplois hautement qualifiés, essentiels pour favoriser le bon financement de notre économie et le développement de nos entreprises. L'euro nous a permis de reconquérir une part de notre souveraineté économique en desserrant la contrainte de change. La constitution d'établissements financiers français puissants dans l'Europe de l'euro doit en être la suite logique.
adapter nos produits d'épargne au nouveau contexte européen, sans remettre en cause leur philosophie. Ainsi, le plan d'épargne en actions et le contrat d'assurance-vie " DSK " - principalement investi en actions - ont été adaptés dans le cadre de la loi de finances rectificatives pour 1999 pour tenir compte de l'intégration croissante des marchés de capitaux européens et de la multiplication des opérations de restructurations transfrontalières.
Comme vous le voyez, tant en matière de fiscalité que de régulation et de modernisation, des chantiers importants sont ouverts et la France est déterminée à les faire progresser afin de doter l'Europe et notre pays de meilleurs atouts pour développer notre économie et favoriser la croissance et l'emploi.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 24 janvier 2000)