Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les grandes lignes de la politique économique et le passage à la monnaie unique, Paris le 3 octobre 1996.

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Circonstance : Intervention de M. Alain Juppé au Club de la Bourse, le 3 octobre 1996

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs. Vous disiez à l'instant, Monsieur le Président, que le Club de la Bourse accueille rarement les Premiers ministres, eh bien, sachez que les Premiers ministres ont trop peu d'occasion de s'exprimer devant les principaux acteurs du monde économique et de la presse financière, et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas hésité à répondre à votre invitation. Je m'en réjouis et je vous en remercie.
J'ai pensé, en effet, que c'était le moment de vous présenter directement, sans intermédiaires - il faut parfois se méfier des intermédiaires -, les grandes lignes de la politique économique que mène le Gouvernement. Mais j'ai voulu aussi saisir l'opportunité de vous manifester à vous tous et à vous toutes qui faites le Marché, que vous soyez investisseurs, émetteurs ou intermédiaires, tout l'intérêt que porte le Gouvernement à votre activité.
D'abord, les activités financières que vous incarnez ici représentent de nombreux emplois pour notre économie et vous savez à quel point l'emploi est notre obsession. Mais aussi l'intermédiation financière contribue au financement de notre économie par le lien qu'elle établit entre l'épargne et les besoins de financement de nos entreprises. Une intermédiation efficace, en France, permet d'apporter à nos entrepreneurs les capitaux dont ils ont besoin.
À l'approche de la monnaie unique, dans le cadre d'un marché unique qui est d'ores et déjà opérationnel en matière de services financiers, il importe que la Place de Paris soit compétitive et attractive. C'est pourquoi le Gouvernement s'est attaché à assurer le développement des activités financières au moyen d'un ensemble de dispositions de modernisation sur lesquelles il est, je pense, inutile de revenir aujourd'hui.
On a coutume de dire que les responsables politiques se méfient des marchés, qu'ils les regardent avec circonspection. Je voudrais balayer cette idée reçue et vous exprimer toute la confiance du Gouvernement dans la capacité de la Place de Paris à jouer avec efficacité le rôle qui est le sien dans une économie moderne. Les marchés, après tout, ne sont qu'un reflet, le reflet de la santé de l'économie de notre pays, de son dynamisme, de sa capacité à investir et à innover. Ils sont donc un révélateur de nos succès ou de nos échecs, de la confiance ou de la défiance des acteurs économiques, de leurs convictions ou de leurs incertitudes.
Il est normal que nous-mêmes, responsables politiques, soyons attentifs aux tendances exprimées par les marchés autant qu'à leur efficacité et à leurs performances. Et c'est la raison pour laquelle je souhaiterais aujourd'hui mettre en quelques mots en perspective, devant vous, l'action économique du Gouvernement et tenter de vous faire partager mes convictions et mes motifs de confiance. Je ne vous parlerai pas davantage de la Bourse de Paris car c'est un sujet que vous possédez naturellement mieux que moi.
La politique économique que nous avons engagée, il y a maintenant un peu plus d'un an, répond à une ambition que chacun partage, j'imagine, l'ambition de réunir les conditions d'une croissance plus forte, plus régulière, plus créatrice d'emplois. Je dirais qu'à ce niveau de généralité, on ne peut qu'être d'accord. Encore faut-il réfléchir aux moyens d'atteindre l'objectif. Et je crois que l'un des moyens, peut-être le point de passage obligé si l'on veut plus de croissance pour plus d'emplois, c'est d'avoir de bonnes finances. De bonnes finances pour la France, de bonnes finances pour les Français. C'est ce à quoi nous nous sommes attelés depuis maintenant un an et demi.
Je voudrais en donner l'illustration par quelques projets concrets :
D'abord, le projet de loi de finances pour 1997. Il a été qualifié, ici ou là, de budget de rupture ou de budget sans précédent. Je crois que c'est vrai. Je crois que c'est vrai, d'abord, sur un point qui me paraît capital et qui est un véritable changement d'orientation par rapport à ce qui a été fait depuis 10 ou 15 ans. Et pour la première fois, je crois, depuis le début de la Vème République - je n'ai pas fait d'investigations en remontant un peu plus loin dans le temps -, les dépenses de l'État, en 1997, n'augmenteront pas en francs courants par rapport à 1996. Nous ne dépenserons pas plus que cette année. Et c'est un vrai changement par rapport à une époque où on vous disait qu'il fallait réhabiliter la dépense publique.
Cette maîtrise des dépenses va supposer beaucoup d'efforts. Elle va impliquer des discussions budgétaires difficiles. J'ai observé que tout le monde était globalement pour la baisse des dépenses, à condition qu'elle ne touche aucun budget en particulier. C'est une chose que je ne suis pas encore arrivé à faire, mais je crois qu'il y a une vraie volonté. Une vraie volonté au Parlement, une vraie volonté dans le pays de maîtriser les dépenses parce qu'on s'est bien aperçu que leur dérive permanente n'apportait pas d'amélioration à la situation économique du pays.
Cette stabilité de nos dépenses nous permettra de réduire nos déficits et d'atteindre l'objectif que j'avais annoncé l'année dernière, c'est-à-dire un total de déficits publics de 3 % du Produit Intérieur Brut.
Juste un élément qui montre que cette prévision est sérieuse : en 1995, nous avions annoncé que nous serions à 5 % du Produit Intérieur Brut. Les comptes viennent d'être publiés, nous sommes à 4,8 %, grâce notamment à la loi de finances rectificative si impopulaire qui a été votée l'année dernière. Nous tiendrons cette année les 4 % et, l'an prochain, nous serons à 3 %. Chiffres qui n'ont rien de magique mais qui traduisent tout simplement la nécessité de réduire les déficits et les dettes.
Ce budget est aussi un budget, je crois, original et novateur dans la mesure où, grâce à cette stabilisation des dépenses et malgré la réduction des déficits, il nous permet d'avancer avec beaucoup d'ampleur sur la voie de l'allégement de la pression fiscale.
Bien sûr, tout le monde a en tête ce que j'ai annoncé en matière d'impôt sur le revenu, c'est un choix. C'est un choix politique au sens noble du terme, le Gouvernement a pensé que la baisse de la pression fiscale devait d'abord porter sur l'impôt qui pèse très directement sur ceux qui travaillent, qu'ils soient salariés ou travailleurs indépendants. Et nous avons donc conçu une réforme qui est, je crois, juste dans la mesure où elle rééquilibre la fiscalité sur les revenus du travail par rapport à d'autres revenus. Je crois qu'elle est aussi ambitieuse. On a dit : ce n'est pas assez. Mais qui a déjà proposé de baisser en 5 ans d'un quart l'impôt sur le revenu ? Elle est simple puisqu'elle consiste à baisser toutes les tranches et tous les taux des tranches du barème et elle ouvre une perspective puisque, là aussi, pour la première fois, dans la loi de finances pour 1997, nous proposons au Parlement de voter le barème des cinq prochaines années. Ce qui donne à l'évidence une visibilité fiscale positive.
Voilà, je n'irai pas plus loin sur cette réforme de l'impôt. On va en parler beaucoup tout au long de la discussion du budget. Mais je voudrais insister sur un deuxième aspect qui est tu, à ma grande surprise, c'est que le budget de l'année prochaine va marquer aussi une étape supplémentaire dans la baisse des charges sur les entreprises. De cela, on ne dit mot.
Quand on établit ce qui a été fait depuis 1995, ce sont 46 milliards d'allégement des charges sociales sur les entreprises qui ont été réalisés. Une étape extrêmement importante a été franchie avant-hier, dans l'indifférence pour ne pas dire l'ignorance générale, c'est la jonction de la mesure qui avait été prise par mon prédécesseur entre 1993 et 1995 et celle que nous avons ajoutée à partir de 1995. Ces deux ristournes se rejoignent et aboutissent à un allégement sur la main d'uvre peu qualifiée, de 13 % en moyenne, ce qui est tout à fait considérable. Le budget de 1997 poursuit cette politique d'allégement des charges, j'y reviendrai dans un instant.
Voilà quelques réflexions sur ce premier instrument, cet instrument essentiel d'une politique économique qu'est le budget 1997.
Deuxième instrument, et celui-là est encore plus nouveau que la loi de finances pour 1997, puisque c'est vraiment la première fois que le Parlement pourra s'en saisir, c'est la loi de financement pour la sécurité sociale. C'est une novation radicale. Quand j'étais ministre du Budget en 1986, je me souviens des longues discussions sur ce thème : comment permettre à la représentation nationale de discuter véritablement des Comptes sociaux ? Notre Constitution ne le permettait pas. L'un des éléments les plus novateurs de la réforme que j'ai fait voter il y a quelques mois et qui a justement impliqué une réforme de la Constitution, c'est ce rendez-vous entre la Nation et sa sécurité sociale qui aura lieu désormais tous les automnes avec la loi de financement de la sécurité sociale qui permet d'abord de se fixer des objectifs quantitatifs : combien la collectivité nationale décide-t-elle de dépenser pour sa protection maladie et pour sa protection sociale en général ? Quel est le moyen de financer cet effort ? Ce texte sera examiné la semaine prochaine au Conseil des Ministres. C'est donc, je le répète, là encore, une novation importante.
Je n'entrerai pas dans le détail de ces dispositions, on en parle déjà, on en parlera beaucoup. Je voudrais simplement ajouter qu'il me semble un peu prématuré de décréter, comme je l'ai lu ici ou là, que la réforme auquelle mon nom est attaché, la réforme de la sécurité sociale, avait échoué. Ce que nous faisons à l'automne, ce n'est pas un nouveau Plan préparé en catastrophe, c'est désormais le rendez-vous annuel de la représentation nationale et de la sécurité sociale.
Et cette réforme élaborée dans un temps record entre mai et novembre 1995, votée en six mois, est tout juste opérationnelle. Vous avez bien conscience que les directeurs des agences régionales de l'hospitalisation qui seront un des éléments-clés de la rationalisation dans notre système hospitalier ont été nommés au Conseil des Ministres les premiers jours de septembre.
Deuxième exemple : le carnet de santé qui sera un élément de maîtrise de la dépense médicale n'est pas encore distribué. Sa distribution commence en octobre et s'étalera sur six ou sept mois puisqu'il va falloir en distribuer quelques milliers.
Quand j'ai donc vu quelque part que la réforme Juppé de la sécurité sociale était venue trop tard, je ne me suis pas senti concerné parce que je ne sais pas quand j'aurais pu la faire plus tôt, compte tenu du calendrier que j'ai essayé de rappeler.
Troisième instrument, enfin, de cette politique de rétablissement de la bonne santé de nos finances, c'est une politique monétaire qui vise à assurer la stabilité de la monnaie, parce que c'est une condition du rayonnement d'un pays, de sa puissance et de la prospérité de ceux qui y vivent. Je crois que l'on a bien vu, au cours des semaines d'août, où l'on a observé quelques turbulences, que tout relâchement dans ce domaine provoque immédiatement une hausse des taux d'intérêt. Et ceux qui me disent "il faut une parité plus avantageuse et des taux d'intérêt plus bas", posent une équation à laquelle les marchés n'ont pas encore trouvé la réponse.
Nous allons donc poursuivre dans cette voie qui est celle de la monnaie stable pour avoir des taux d'intérêt aussi bas que possible, et les résultats que nous avons obtenus en un an, que la confiance dans l'économie française a permis de dégager, étaient inespérés au mois de juillet 1995. Si j'avais dit à ce moment que nous serions aujourd'hui à long terme aux alentours de 6 %, et sur le court terme, au taux que vous savez, j'aurais sans doute suscité le scepticisme ou l'incrédulité.
Et cette politique du franc stable nous permet aujourd'hui de donner à l'Euro une crédibilité qui se renforce de jour en jour.
L'année dernière, qui croyait au passage à la monnaie unique au 1er janvier 1999 ? Personne. Aujourd'hui je constate que les banquiers, les entrepreneurs, les décideurs politiques, les marchés considèrent que cela va se faire. Et nous avons la détermination que cela se fasse puisque je crois que les conditions sont aujourd'hui réunies.
J'ai oublié, dans les différents instruments que j'évoquais au service de cette politique, quelque chose que vous m'avez pourtant dit, Monsieur le Président - cela vous tenait à cur - nous examinerons bien au Parlement, dans le courant de cette session, - la discussion a déjà en fait commencé -, un texte qui créera en France des fonds d'épargne-retraite, dont l'une des conditions du fonctionnement sera une proportion de placements en actions de sociétés françaises, ce qui permettra de concourir à l'objectif que vous évoquiez tout à l'heure.
Voilà un certain nombre d'éléments qui permettent de caractériser cette politique visant à réunir les conditions d'une croissance plus forte, plus régulière, plus créatrice d'emplois. Plus créatrice d'emplois précisément, et je voudrais insister sur ce point. Il ne suffit pas d'avoir de la croissance, il faut aussi que cette croissance soit plus riche en emplois et nous avons sur ce point des progrès à faire.
Nous nous battons, j'ai l'habitude de le dire, pour atteindre cet objectif sur tous les fronts. D'abord pour les PME parce que la conviction est généralement partagée que ce sont elles qui peuvent être les plus créatrices d'emplois. J'ai présenté l'an dernier un plan ambitieux, il est à 95 % opérationnel. Il faut le compléter, et le compléter notamment dans le domaine de la création d'entreprises. Il y a, en France, un potentiel de création d'entreprises considérable. Il parait même qu'il y a eu un sondage - sondages que je lis tous les matins qui vous expliquent comment la moyenne des Français se lavent les dents, conduisent leur automobile, et ainsi de suite -, ce sondage faisait ressortir que 50 % de jeunes Français avaient envie de créer leur entreprise. Je ne sais pas si ce sondage est plus exact que les autres, mais il révèle quand même quelque chose de réel, que j'ai moi-même pu sentir lorsqu'il m'arrive de rencontrer des jeunes lycéens : il y a beaucoup de jeunes Français qui ont envie de créer une entreprise. Alors, il faut les y aider parce que c'est cela la création de richesses. Et les y aider pas simplement en distribuant des allocations mais en les aidant à évaluer leur projet, en vérifier la qualité, sinon la mortalité de l'entreprise est, hélas, aussi élevée que la natalité. C'est un domaine sur lequel le gouvernement travaille et fera des propositions nouvelles dans les semaines qui viennent.
Le deuxième point pour enrichir la croissance en emplois, c'est le temps choisi. Je n'entrerai pas dans le débat théologique de savoir s'il faut aménager ou réduire le temps de travail. La seule conviction que j'ai acquise, au terme d'une multitude d'entretiens sur ce sujet, c'est qu'il n'y a pas de vérité révélée applicable à toutes les entreprises, il n'y a, comme le dit Président de la République, que du "sur mesure". Il faut s'adapter aux conditions particulières, les faciliter. Et de ce point de vue, la "boite à outils", que nous avons mise en place depuis quelque temps, s'est beaucoup améliorée. Elle s'est notamment enrichie du dispositif de la loi sur le réaménagement et la réduction du temps de travail qui est maintenant opérationnel.
PME, temps choisi, emplois de proximité, nous allons faire beaucoup aussi dans ce domaine, notamment au 1er janvier, avec la loi sur la dépendance, et puis je crois que c'est l'un des combats les plus ambitieux et en même temps les plus nécessaires que nous avons à mener dans les années qui viennent : l'alternance pour insérer nos jeunes dans le circuit des entreprises.
Car aujourd'hui, s'il y a de la morosité parce qu'il n'y a pas croissance, c'est parce qu'il y a du chômage. Nous sommes dans un cercle vicieux que nous n'arrivons pas à briser. La morosité paralyse la consommation des investissements et elle trouve ses racines dans le chômage, et elle provoque le chômage. C'est ce cercle vicieux qu'il faut casser, et nous ne le casserons, à mon avis, que si les entreprises, avec les pouvoirs publics et les collectivités décentralisées, sont plus audacieuses - je n'hésite pas à le dire - en matière d'accueil des jeunes, d'insertion professionnelle des jeunes qu'elles ne le sont aujourd'hui.
J'évoquais récemment devant un autre auditoire une expérience que j'ai faite il y a quelques jours, dans un lieu d'accueil des jeunes pour les aider dans leur parcours de recherche du travail - c'est le Service Cybernétique de la Mairie de Boulogne-Billancourt - et je pianotais sur l'ordinateur pour voir les offres d'emplois qui étaient faites. Il y en avait... il y en avait, et à chaque fois cela se terminait à la fin de la description de poste : expérience exigée : deux ans minimums.
Je me disais : "Le jeune qui n'a pas ces deux ans, comment les acquiert-il, si les seules propositions d'emplois qui lui sont faites, exigent cette expérience professionnelle ?" Il y a quelque chose qui ne va pas, et nous avons à faire preuve d'imagination et de volonté dans ce domaine de l'insertion des jeunes, de leur entrée dans l'entreprise et du développement de l'alternance.
Voilà brièvement, trop brièvement résumée la politique que nous essayons de mener.
Alors je terminerai par une question qu'il ne faut pas se poser, parait-il, quand on est Premier ministre, et que je me pose quand même devant vous : "Faut-il la changer ? Je réponds tout de suite : "Je ne crois pas, et j'ai même choisi la voie de la persévérance dans cette politique, et cela pour quelques raisons très simples par lesquelles je voudrais conclure.
La première, d'abord, c'est que cette politique a le soutien sans ambiguïté du Président de la République - il l'a dit à plusieurs reprises, parce qu'elle est conforme à ses grandes orientations - et de la majorité parlementaire. Ceux qui en doutaient, n'en doutent plus, j'imagine, depuis hier. Les votes parlementaires ne sont pas des formalités sans signification, ce sont des gestes solennels. Quand on met dans une urne un bulletin de vote approuvant la déclaration de politique générale du Premier ministre, cela veut bien dire quelque chose. Et cela s'est passé dans d'excellentes conditions.
Voilà la première raison pour laquelle je persévère.
La deuxième raison, c'est qu'en écoutant autour de moi, je n'ai pas, pour l'instant, entendu d'alternative crédible, et que le débat d'hier, à l'Assemblée Nationale, était de ce point de vue très éclairant. Je ne parlerai pas de l'intervention de l'orateur communiste, c'est toujours un autre monde et une autre époque ! Quant à l'intervention du Président du Groupe Socialiste, elle a été marquée par deux déclarations d'un très grand volontarisme, qui m'ont beaucoup impressionné :
- la première était : la croissance doit atteindre 3,5 %
- la deuxième : la parité de l'Euro doit être égale à un Dollar.
Je me suis interrogé sur les moyens de remplir ces objectifs louables, que l'on ne peut que partager, j'imaginais qu'un décret paru au Journal Officiel prévoirait un article 1er, un article 2... ce n'est pas si simple naturellement. Et sur les modalités ou les recettes pour parvenir à ces objectifs, je n'ai entendu que des vieilles recettes, précisément, qui nous ramènent au début des années 80, tel que le rétablissement de l'autorisation administrative de licencier ou la réduction à 35 heures de la semaine du temps de travail, autre faribole dont nous avons fait l'expérience.
Quant à l'autre politique qui ne s'est pas exprimée hier d'ailleurs, en quoi consiste-t-elle ? On nous dit : il faut faire un grand emprunt. J'ai beaucoup apprécié la réponse du Gouverneur de la Banque de France qui a dit : "Ce n'est pas le grand emprunt qui me préoccupe, c'est la grande dépense." Quant aux grands emprunts, on en fait tous les jours. Je crois que l'État doit emprunter plus d'un milliard de francs par jour, bien plus d'ailleurs, pour satisfaire ces besoins.
Quant à la politique qui consiste à critiquer le franc fort, qu'est-ce à dire ? Il faut un franc faible ? Il faut être clair, si ce n'est pas le franc fort, c'est le franc faible ? Cela mène à quoi ? Cela mène à des dévaluations qui provoquent immédiatement des perturbations que l'on connaît, notamment sur les taux d'intérêt avec ensuite la nécessité de ramer plus fort pour remonter la pente, je ne m'engagerai pas dans cette direction.
Enfin, la troisième raison pour laquelle je persévère, c'est que, contrairement à ce que je lis ou j'entends, matin, midi et soir - je commence à être un petit peu vacciné - il y a quand même quelques signes encourageants : tout n'est pas aussi sinistre qu'il m'arrive de le penser entre 7h et 7h 15 ou entre 20h et 20h 15
D'abord, parce que les bases de notre économie sont solides, l'inflation est jugulée. Certains maintenant s'en chagrinent. Il a fallu des décennies pour arriver à ce résultat, et je crois que c'est un atout pour nous.
Notre commerce extérieur est en fort excédent, ce qui montre bien que nos entreprises sont performantes. Les grandes, souvent moyennes... mais pas assez de moyennes, il faut les y encourager.
Les taux d'intérêt, j'en ai parlé. On a vu les résultats que nous avons obtenus. Je me méfie depuis longtemps, de plus en plus, des conjoncturistes, et en ce moment ils nous disent tous que la croissance 1997 sera meilleure. Ce qui m'a amené dans un élan d'éloquence à dire hier que 1997 serait une année d'amélioration. Eh bien, je le crois. Je crois que nous sommes en phase, contrairement à ce qu'on dit ici ou là, sur le plan de la conjoncture, avec l'Allemagne. Je crois que les perspectives sont à l'amélioration, et cette croissance est plus riche en emplois. Nous constatons aujourd'hui qu'alors qu'il nous fallait 2 à 2,5 % de croissance pour maintenir l'emploi il y a quelques années, grâce à tous les dispositifs que nous avons mis en place, il suffit aujourd'hui d'un point et demi de croissance pour assurer la stabilité, et donc tout ce qui va au-delà nous permettra, j'en suis sûr, de redevenir créateur net d'emplois.
Enfin, là aussi je l'ai dit, ce qui me donne confiance, c'est la crédibilité accrue de jour en jour de l'Euro et du passage à la troisième phase de l'Union Économique et Monétaire. Je crois que l'on sous-estime le "big bang", comme je l'ai dit, financier, monétaire, mais aussi économique, que cela pourra représenter, à deux conditions, bien sûr, - et là-dessus la bataille n'est pas gagnée - : la première, c'est qu'entre l'Euro et les monnaies du Marché unique qui ne seront pas entrées dans la troisième phase de l'Union Économique et Monétaire, il y ait une règle du jeu. La France le dit depuis des mois et des mois. Vous avez observé que lors de la dernière réunion du conseil ECOFIN à Dublin, il y a quelques jours, cette idée a été retenue par nos partenaires, et nous nous sommes mis d'accord sur l'idée d'un "système monétaire européen bis" qui règlera les relations entre les "in" et les "out", comme l'on dit curieusement, alors qu'on pourrait dire tout simplement : ceux qui sont dedans et ceux qui seront dehors.
Deuxième condition, - je l'évoquais tout à l'heure -, et croyez bien que ce n'était pas en dérision, parce que l'objectif est bien là, c'est qu'effectivement la parité entre l'Euro et le Dollar, même si elle ne se décrète pas, soit plus conforme aux réalités économiques qu'elle ne l'est aujourd'hui, ce qui pose le problème, effectivement, de la sous-évaluation chronique de la devise américaine.
Voilà pourquoi j'estime qu'il faut continuer cette politique et que ce n'est pas au moment où des signes encourageants apparaissent, où nous nous approchons, je crois, du but, qu'il faut lâcher prise, malgré toutes les admonestations, et non pas par entêtement, mais tout simplement par conviction. Il ne faut pas avoir tendance dans notre vocabulaire à confondre "conviction" et "entêtement". Il ne faut pas d'entêtement, il faut de la conviction. Certains n'ont ni l'un, ni l'autre. J'essaie d'avoir de la conviction sans entêtement, je crois qu'il faut persévérer dans cette voie.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, ce que je voulais vous dire pour vous permettre d'apprécier la manière dont nous allons continuer notre travail et notre uvre de rétablissement de la bonne santé de l'économie française.
Je terminerai en vous disant que, concernant les marchés, nous avons déjà pris plusieurs initiatives, que je rappelais au début de cette intervention. Elles ont pour philosophie générale de renforcer leur transparence, d'assouplir leur fonctionnement dans des conditions de sécurité et d'information satisfaisantes. Elles visent à développer de nouveaux compartiments de marché, comme les nouveaux marchés.
La réforme du droit des sociétés, que le Gouvernement engagera prochainement, et pour laquelle le rapport établi par le sénateur Marini, à la demande du Gouvernement, constitue une base solide, répondra également aux préoccupations des investisseurs et des émetteurs.
Les initiatives, que le Gouvernement cherche à libérer au travers de sa politique économique devraient ainsi trouver les outils de marché qui leur seront nécessaires.
Je n'ai aucun doute, je le répète, quant à la capacité de la Place de Paris à jouer son rôle avec dynamisme pour que ces initiatives puissent trouver leur plein épanouissement.
Merci de votre attention.