Texte intégral
Je suis venu aujourd'hui à Bruxelles pour rencontrer les présidents de commissions du Parlement européen. Cela s'inscrit dans le cadre des rapports que le gouvernement français, qui prendra la Présidence du Conseil de l'Union européenne dans quelques jours - mais qui ne l'exerce pas encore aujourd'hui -, entend avoir avec le Parlement européen. J'insiste sur ce point. Nous avons la volonté absolue de travailler en liaison étroite à la fois avec le Parlement européen ainsi qu'avec les pays candidats. Pour cela, nous avons pris toute une série de mesures, les unes traditionnelles, bien sûr, et les autres qui résultent, à mon sens, d'une initiative plus novatrice. Nous rencontrons très régulièrement, les uns et les autres, notamment Hubert Védrine et moi-même, la présidente du Parlement européen, Mme Fontaine. Nous avons présenté nos priorités aux principaux groupes politiques. J'ai personnellement été auditionné à la fois devant le PSE et la Gauche unitaire européenne. Je me suis entretenu longuement avec M. Pöttering, président du groupe PPE. J'ai rencontré le président du groupe des Verts, la délégation des Verts français à Paris ainsi que la délégation française du groupe GUE. J'ai rencontré aujourd'hui la conférence des présidents des commissions parlementaires et j'ai tenu à le faire en amont de la présidence, afin de l'informer de nos priorités, ce que je ferais devant vous dans quelques instants. De son côté, Hubert Védrine a rencontré la conférence des présidents des groupes à Strasbourg, le 15 juin dernier.
Mais nous avons décidé de prendre plusieurs autres initiatives qui sont novatrices. D'abord, afin d'informer, en temps réel, le Parlement européen des travaux sur la Conférence intergouvernementale, qui va représenter le gros morceau de cette Présidence - en tout cas, un des gros morceaux, un sujet essentiel -, M. Védrine et moi-même avons décidé de venir devant la commission constitutionnelle et la commission des Affaires étrangères du Parlement, dès la clôture de chaque Conseil Affaires générales, dès le mardi après-midi. C'est une première, qui devrait permettre de développer une meilleure compréhension commune. Autre première, nous avons conçu le calendrier de notre Présidence afin que les Conseils Affaires générales ne coïncident plus, comme cela a été souvent le cas, avec les sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. Ainsi, l'articulation de nos travaux de visite devrait être grandement facilitée et permettre une disponibilité totale à l'égard du Parlement européen. Une disponibilité totale, qui est d'ailleurs l'une des consignes que le Premier ministre Lionel Jospin a données à son gouvernement. Chaque ministre du gouvernement, pas seulement Hubert Védrine ou moi-même, doit se sentir pleinement mobilisé par la Présidence française et être conscient que la collaboration avec le Parlement européen est tout à fait vitale.
Nous souhaitons aussi travailler en liaison étroite avec les pays candidats et nous avons prévu pour cela deux rendez-vous de la conférence européenne : l'un, au niveau des ministres, qui se tiendra le 23 novembre 2000, à Sochaux, et puis le Conseil européen de Nice, dont la matinée sera consacrée à un examen avec les pays candidats, à la fois de la réforme institutionnelle mais aussi des perspectives plus larges de l'Union à trente.
Quelques mots des priorités de la Présidence française de l'Union européenne. Seulement quelques mots, car elles seront annoncées le 4 juillet par le président de la République, Jacques Chirac, au Parlement européen à Strasbourg et parce qu'en même temps, vous les connaissez, le Premier ministre les ayant annoncées à l'Assemblée nationale le 9 mai dernier. Le président de la République s'est pour sa part exprimé sur le volet citoyen de la Présidence lors de sa visite en Savoie, quatre jours auparavant.
Très brièvement : il y a d'un côté la priorité liée à la préparation de l'Europe politique, de la grande Europe élargie de demain. Cela passe d'abord par la réforme institutionnelle. Vous savez que la Présidence française s'efforcera de mener à bien la Conférence intergouvernementale qui doit permettre de réviser les traités afin de réformer les institutions, ce qui est indispensable à la fois pour leur fonctionnement - qui connaît aujourd'hui un certain nombre de grippages - et pour préparer l'élargissement. La France, l'Italie et la Belgique avaient signé, au lendemain du Traité d'Amsterdam, une déclaration qui soulignait le lien nécessaire entre la réforme des institutions et l'élargissement. Ce lien est maintenant reconnu par tous et il demeure. Pour ces deux raisons impératives, nous avons un devoir, une obligation, de mener une réforme ambitieuse. Cette réforme, vous le savez, compte désormais quatre grandes questions. Il y a bien sûr les trois questions laissées de côté à Amsterdam, sans solution, à savoir la taille de la Commission - que nous souhaitons resserrer -, le vote à la majorité qualifiée - que nous souhaitons généraliser avec le minimum possible d'exceptions - la repondération des voix - que nous souhaitons authentique, pour permettre une décision efficace. En plus, depuis le Conseil européen de Feira, il y a la question des coopérations renforcées, c'est-à-dire la souplesse nécessaire dans le cadre d'une Europe élargie, une souplesse que nous souhaitons voir, là aussi, considérablement renforcée, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Le Conseil européen de Feira, en ajoutant ce quatrième sujet, nous a donné clairement mandat. J'ajoute que dans le cadre de la préparation de la Conférence intergouvernementale, nous avons à cur, là encore, d'associer étroitement le Parlement européen, mais aussi les pays candidats, aux travaux.
En ce qui concerne l'Europe de la sécurité et de la défense, nous nous attacherons à faire progresser ce dossier sur lequel nous assistons à une véritable accélération de l'histoire depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo, il y a deux ans seulement. Nous nous efforcerons d'aboutir à des décisions définitives. Enfin, dans ce domaine, nous devrons donner des impulsions importantes en matière de Politique étrangère et de sécurité commune, notamment après les conclusions du Conseil européen de Feira et l'adoption de la stratégie commune pour la Méditerranée. J'ajoute, et cela va de soi, que tout cela s'inscrit sur la toile de fond du mouvement vers l'Europe à trente, l'Europe élargie. C'est un mouvement que nous souhaitons, mais que nous souhaitons aussi accompagner, et c'est pour cela que la France s'efforcera de donner une forte dynamique aux négociations d'élargissement afin d'aboutir, à la fin de notre présidence, à ce que j'appellerais un " scénario de conclusion ". Il ne s'agit pas de donner des dates d'adhésion. Encore une fois, je crois que ce sujet est prématuré d'un point de vue technique, même si on peut comprendre la volonté politique et même si, d'ailleurs, l'Union européenne elle-même a retenu, pour ce qui la concerne, la date du 31 décembre 2002, qui est cohérente avec l'objectif d'une adhésion au 1er janvier 2003. Mais nous devons savoir quels seront la méthode, le processus, le scénario, pour en terminer avec ces négociations d'adhésion et permettre l'élargissement le plus rapide possible.
Et puis, tout cela se situe sur la toile de fond du débat qui commence non seulement à poindre, mais à se développer avec beaucoup de force, avec les propositions, déjà formulées il y a quelques années par Jacques Delors, avec la relance de ce débat par M. Fischer, puis la contribution qu'a apportée ce matin le président de la République à Berlin, dans un discours assurément important, auquel d'ailleurs j'assistais avant de venir ici.
Il y a un deuxième volet dans les priorités de notre présidence, qui concerne les priorités citoyennes, qui sont d'ailleurs aussi des priorités législatives. La première est une priorité sociale : Nous voulons parvenir à l'adoption d'un " agenda social " ambitieux au Conseil européen de Nice, un texte qui soit, en quelque sorte, emblématique de la rénovation et du renforcement du modèle social européen, en étroite combinaison avec notre volonté de modernisation économique. Nous souhaitons associer bien sûr le Parlement européen à cette tâche.
Sur la sécurité alimentaire, vous savez que le Conseil européen de Feira a souhaité que l'avis du Parlement européen sur le livre blanc intervienne au plus tard pour la première session d'octobre. Nous souhaitons lancer la création d'une autorité alimentaire européenne indépendante sous notre Présidence, comme nous en avons reçu le mandat.
En matière de sécurité des transports maritimes, nous souhaitons l'adoption d'un ensemble de mesures cohérentes et concrètes sur l'ensemble des volets qui touchent à l'harmonisation de la sécurité des transports maritimes en Europe. Dans le domaine des transports routiers, nous ambitionnons notamment l'adoption de la directive sur l'aménagement du temps de travail du travailleur mobile pour la fin de l'année.
En matière d'environnement, il faudra faire progresser toute une série de textes législatifs absolument fondamentaux et conclure certaines conciliations importantes, concernant par exemple les textes sur l'incinération des déchets et les OGM. Nous souhaitons aussi qu'un accord équilibré puisse intervenir demain sur la directive-cadre de l'eau.
Autre sujet tout à fait fondamental, c'est ce que j'appellerai un " espace européen de la connaissance ", notre volonté de mettre en place un programme de travail concret, précis, sur plusieurs années, qui permette la levée des obstacles empêchant la libre circulation complète des étudiants, des chercheurs et des enseignants.
Il est clair que les décisions du Conseil européen de Tampere - à la fois en matière d'espace judiciaire européen mais aussi en matière de lutte contre l'immigration clandestine - et l'urgence qui vient de nous être rappelée de façon dramatique par ce décès collectif, à Douvres, la semaine dernière, nous conduisent à souhaiter progresser fortement dans ce domaine. Nous aurons des propositions à faire rapidement.
Enfin, le dernier sujet concerne le sport. Nous pensons qu'il y a là une dimension nouvelle de la politique européenne, notamment en matière de lutte contre le dopage mais aussi en matière de régulation des rapports entre le sport et l'argent. Je ne devrais d'ailleurs peut-être pas parler de cela en plein Euro 2000, au moment où l'équipe de France aura peut-être demain 11 joueurs qui joueront dans des clubs non nationaux. Il y a des progrès à faire, y compris chez nous.
Voilà l'esprit avec lequel nous abordons la Présidence.
C'est une Présidence qui veut s'inscrire dans la continuité. Il y en a eu d'autres avant nous. Nous sommes tributaires de la qualité des dossiers que l'on nous transmet, mais nous sommes aussi les héritiers de ces dossiers. Nous sommes notamment très reconnaissants à la Présidence portugaise sortante des importants progrès qu'elle a permis de faire avec les Conseils réussis de Lisbonne et de Feira. Nous n'avons pas l'intention de réinventer l'Europe. L'arrogance française doit être bannie du vocabulaire. Elle ne sera pas au rendez-vous. Dans ce contexte-là, Hubert Védrine avait raison de dire il y a deux semaines, que cette Présidence serait modeste. Elle sera modeste, mais en même temps, comme le disait à l'instant le président de la Commission constitutionnelle, M. Napolitano, nous sommes obligés à l'ambition, parce que c'est ce que nous dicte l'agenda, nous sommes obligés à l'ambition par la perspective historique dans laquelle nous sommes, qui est celle de l'élargissement, nous sommes obligés à l'ambition par le besoin de repenser une Europe élargie, qui est aussi une autre Europe. Nous aurons donc cette ambition-là, qui est tout simplement de jouer notre rôle dans le contexte européen, de faire avancer cette aventure européenne. Nous nous efforcerons de transmettre à ceux qui nous succéderons, en l'occurrence les Suédois, puis les Belges, des dossiers en bon état de marche, ce qui veut dire qu'au-delà de la Conférence intergouvernementale, qui est fondamentale, il doit y avoir aussi des travaux législatifs conduits par chaque ministre avec le Conseil et avec le Parlement européen, sur chacun des thèmes que j'ai évoqués et sur bien d'autres encore.
Enfin, un dernier mot avant vos questions, sur notre souci de bien travailler avec vous la presse, et, à travers vous, d'informer convenablement le public. J'ai dit que la France souhaitait une Présidence ambitieuse et pragmatique sur le fond, mais j'ai envie qu'elle soit aussi une Présidence confortable, si possible agréable pour vous, journalistes, qui en suivront le déroulement et qui en rendront compte au public. C'est pour cela que j'ai souhaité, notamment aujourd'hui, que nous ayons l'occasion de parler de l'Europe et d'en débattre et que je souhaite que nous ayons encore bien d'autres occasions de le faire.
L'Europe est vaste et le sera plus encore demain. Il s'agit d'un espace pour la construction de notre avenir et nous devons donc bâtir un projet à sa mesure. Pour cela, le débat dans toutes les sphères de la société est essentiel, comme le rôle des médias.
Je veux rappeler à cet égard que nous avons mis en place deux outils d'information : d'abord le site Internet, dont vous connaissez l'adresse, et puis le centre d'accueil de la presse étrangère, le CAPE, installé à la Maison de la Radio à Paris, qui est équipé d'un dispositif adéquat pour répondre aux demandes et aux besoins de la presse. Tous les ministres français sont sollicités pour aller s'y exprimer régulièrement devant, notamment, la presse étrangère.
Je signale en outre que la Présidence sera l'occasion de manifestations culturelles et de festivités, à commencer par une soirée que j'inaugurerai le 13 juillet aux Halles de Schaerbeek dans le cadre du programme " génération 2001 " de l'AFAA. La soirée se déroulera de 20h jusqu'à l'aube, avec de nombreux musiciens et artistes de rue. Bref, je souhaite que la Présidence française soit aussi une fête.
Q - Le chancelier Schröder a évoqué la perspective d'une autre CIG après Nice. Qu'en pensez-vous ?
Après le discours de M. Chirac devant le Bundestag, ne peut-on pas penser qu'il y a un problème de concordance de vues entre le gouvernement français et le président de la République ?
Que pensez-vous de la position espagnole sur la CIG ?
On parle d'un document des 14 sur l'Autriche. Quelle est la position de la France sur ce point ?
R - Avant de savoir si le Traité de Nice sera le dernier avant le prochain élargissement, il faut souhaiter qu'il y ait un " Traité de Nice ". Je dois dire aussi, qu'indépendamment de la modestie dont j'ai parlé tout à l'heure, pour le " Traité de Nice ", nous sommes ambitieux. Nous ne voulons pas d'un traité au rabais. Nous préférons qu'il n'y ait pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité. On sait très bien faire un mauvais traité. Ce n'est pas cela dont il s'agit.
Pour le reste, c'est vrai que le " Traité de Nice ", tel qu'il a été conçu après le Traité d'Amsterdam devrait permettre le prochain élargissement. En même temps, nous voyons bien que les débats se chevauchent et que d'autres initiatives pourraient intervenir, qui ne seraient certainement pas du même ordre, qui ne seraient pas des initiatives fonctionnelles, mais pourraient être plus vastes. Il y a des problèmes de calendrier aussi. Mais le Traité de Nice doit être un bon traité, qui permette le prochain élargissement. Je partage l'idée que si ce traité est réussi, cela permettra à l'Europe à 27 de mieux fonctionner.
Quant au discours du président de la République de ce matin, je suis un peu embarrassé pour répondre à votre question. Si je disais que le gouvernement est en parfait accord avec le président, cela donnerait l'impression qu'il s'agit d'un discours des autorités françaises, alors qu'il s'agit d'un discours du président de la République. Si je dis que le Gouvernement n'est pas d'accord, alors on dira que la France ne parle pas d'une seule voix. Donc, je ne ferai pas ce genre de commentaires. Je peux vous dire, simplement, que c'est un discours qui, sans aucun doute, est important puisque c'est le discours du président de la République française devant le Bundestag, donc une prise de position officielle qui marque des avancées que chacun évaluera comme il l'entend. Par ailleurs, pour ce qui concerne les affaires européennes, notamment pour la conduite de cette Présidence, la France parle et parlera d'une seule voix. La France, le Gouvernement et le président de la République travailleront dans un parfait esprit de coopération durant la Présidence française et, je vous le dis, il ne faut pas trop jouer à chercher les différences entre les uns et les autres, parce que je crois - j'en suis même sûr - que vous et moi perdrions notre temps à cela. Nous ne pouvons pas nous permettre de petits jeux politiques à ce sujet.
Vous l'avez compris, pour ce qui concerne le discours du président de la République, publié in extenso dans " Le Monde " d'aujourd'hui, je me refuse aux commentaires. J'ai bien l'impression que le président de la République a clairement distingué les étapes : d'abord, réussir la Conférence intergouvernementale, ce qui est vital, car c'est la première étape du processus. Dans ce contexte, il faut insister sur les coopérations renforcées qui permettent à un " groupe pionnier " de se fonder et d'avancer. Et puis, l'on peut évoquer le débat sur une constitution éventuelle - le débat intellectuel continue -, mais, en même temps, il est aussi très important que la Présidence française puisse faire son travail.
En ce qui concerne la position espagnole, il s'agit d'une position importante pour nous et je note que l'Espagne accepte maintenant les coopérations renforcées, ce qui marque une évolution, positive à notre sens. De ce point de vue, les choses avancent bien. Mais il y a beaucoup de travail - et pour la Présidence et pour chacun des Etats membres - et il faudra que chacun prenne ses responsabilités si nous voulons conclure sur un profil haut.
Enfin, au sujet de l'Autriche, ce n'est pas un secret qu'une initiative de la Présidence portugaise a été annoncée au Conseil de Feira et je laisserais la Présidence portugaise dévoiler le résultat de cette initiative, qui, en toute hypothèse, exigera, sans nul doute, que l'on continue d'examiner la nature du parti de M. Haider et qui n'aura pas d'impact immédiat sur les sanctions.
Q - Pensez-vous pouvoir arriver à Nice à un bon traité, compte tenu des divergences de vues apparentes du gouvernement et du président Chirac ?
Concernant l'élargissement, pensez-vous parvenir à établir un calendrier ?
Dans le cadre de la CIG, pensez-vous élargir le cadre de la codécision ?
Pouvez-vous nous éclairer sur cet " agenda social " dont vous nous parlez ?
R - Deux précisions avant tout : S'agissant de la Présidence française de l'Union européenne, je suis toujours d'accord avec le président de la République. D'autre part, nous sommes à trois jours de la Présidence, et pas à la fin. Je ne peux pas encore exactement vous dire ce qui aboutira et notamment quelles seront les conclusions du Conseil européen de Nice. J'aimerais bien mais ce n'est malheureusement pas possible.
Au sujet du dossier des négociations d'élargissement, je ne dirai pas que nous allons entrer dans le vif du sujet, nous y sommes déjà. Mais nous allons peut-être entrer maintenant dans la phase la plus difficile, notamment les chapitres sur la libre circulation et la Politique agricole commune. Donc, effectivement, nous allons toucher des points extraordinairement sensibles. Ce que nous souhaitons faire, c'est d'abord passer d'une négociation chapitre par chapitre à une négociation pays par pays, à une vue d'ensemble de la situation de chaque pays, avec notamment la réalisation d'un tableau de bord que la Commission prépare et sur la base duquel nous devons pouvoir asseoir un diagnostic pour chacun de ces pays. Ensuite, effectivement, nous devons parvenir au scénario de conclusion des négociations que je ne connais pas encore. Cela dépendra notamment de l'état d'avancement des travaux. Il faut aussi que le Conseil européen en débatte. Je ne suis pas hostile à la date du 1er janvier 2003 pour le début de l'élargissement et ce que je constate c'est que, aussi bien de l'avis de la Commission ou de la Présidence portugaise, il n'y a pas de fermeture a priori sur ces sujets.
En matière de Conférence intergouvernementale, il va de soi que la codécision doit accompagner autant que possible le passage au vote à la majorité qualifiée. Il y a des questions sur certains domaines législatifs, qui se posent et se poseront, mais notre volonté est bien d'étendre la codécision. C'est tout à fait clair.
Quant à l'agenda social, il ne s'agit pas d'une nouvelle version de textes déjà diffusés. Il s'agit d'une initiative qui s'inscrit dans une continuité. Il y a un pacte pour l'emploi, un chapitre social du traité, tout cela existe. Mais il s'agit d'autre chose, il s'agit d'un programme de travail concret qui indique pour les années à venir ce que l'Union européenne, dans ses différentes instances et institutions, doit faire et entend faire pour faire progresser le modèle social européen.
Q - Vous n'en direz pas plus sur les perspectives ouvertes par le président Chirac devant le Bundestag ?
Pour l'élargissement, quelle sera votre méthode ?
Au sujet du document des 14 sur l'Autriche, on parle d'un rapport de sages. Devra-t-il être remis sous la Présidence française ? Ne redoutez-vous pas que l'Autriche bloque les négociations de la CIG ?
R - Je vais encore décevoir le journal " Le Monde ", qui est pourtant, encore une fois, mieux informé que quiconque. J'ai une tâche difficile durant cette Présidence que j'essayerai d'assumer, mais je ne suis pas habilité, et pas capable intellectuellement, de commenter les propos du président de la République. Je plaisante bien sûr : il me semble que le président de la République a ouvert des voies, mais tout ne me paraît pas absolument formalisé donc il y a là matière à réflexion.
En ce qui concerne le problème de l'élargissement, d'abord une précision importante. Il n'y a plus deux groupes de pays candidats depuis Helsinki. Nous nous sommes battus pour mettre fin à cette approche. Il n'y a plus deux groupes de pays, il y a 12 pays en négociation et un pays candidat, qui est la Turquie qui fait l'objet d'une procédure différente. Ne réintroduisons donc pas sans arrêt ce vocabulaire. Nous examinerons chaque pays en fonction de ses mérites et nous essayerons d'ouvrir le plus grand nombre de chapitres possibles. Il faut prendre connaissance de l'ensemble des dossiers concrets avec l'ensemble des pays, y compris des pays du deuxième groupe.
Vous m'interrogez encore sur la Présidence française et l'Autriche. Encore une fois, pour le moment c'est la Présidence portugaise qui se déroule, et il revient à la Présidence portugaise d'annoncer ce qu'elle proposera. De ce que je connais de cette initiative, il n'est pas précisé de dates pour la remise d'un rapport des sages et, honnêtement, ce n'est pas forcément indispensable.
Enfin, en ce qui concerne le comportement de l'Autriche au cours de la Présidence française, il est clair que, par définition, s'il y a sanctions sur le plan bilatéral, il n'y a pas d'intensification dans les relations bilatérales, car ce serait une contradiction absolue. Nous n'avons pas eu de relations bilatérales de ministre à ministre avec le gouvernement autrichien. En revanche, l'Autriche fait pleinement partie des institutions de l'Union européenne. Elle participe à chaque Conseil européen, ses ministres participent et participeront à chaque conseil formel et informel. Nous allons nous inscrire exactement dans la continuité de la Présidence portugaise en la matière. Et, honnêtement, je ne vois pas de qui cela serait l'intérêt, de l'Autriche ou de l'Union européenne, de tendre les relations dans le cadre de l'Union et dans le cadre de la préparation de la Conférence intergouvernementale notamment. Je pense que cela mettrait en doute le plaidoyer autrichien sur son engagement européen et, en même temps, ce blocage donnerait des arguments à ceux qui pensent au contraire qu'il faut indéfiniment des sanctions. Donc, si j'étais autrichien, je penserais au contraire qu'il y a un grand intérêt à coopérer de façon intelligente dans le cadre de l'Union européenne, tout en étant conscient que, pour qu'une initiative soit positive, il faudra que des évolutions profondes interviennent, notamment, je le répète, des évolutions dans la nature du FPOE, le parti qui demeure celui de M. Haider, même s'il n'en est plus officiellement le leader.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 03 juillet 2000).
Mais nous avons décidé de prendre plusieurs autres initiatives qui sont novatrices. D'abord, afin d'informer, en temps réel, le Parlement européen des travaux sur la Conférence intergouvernementale, qui va représenter le gros morceau de cette Présidence - en tout cas, un des gros morceaux, un sujet essentiel -, M. Védrine et moi-même avons décidé de venir devant la commission constitutionnelle et la commission des Affaires étrangères du Parlement, dès la clôture de chaque Conseil Affaires générales, dès le mardi après-midi. C'est une première, qui devrait permettre de développer une meilleure compréhension commune. Autre première, nous avons conçu le calendrier de notre Présidence afin que les Conseils Affaires générales ne coïncident plus, comme cela a été souvent le cas, avec les sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. Ainsi, l'articulation de nos travaux de visite devrait être grandement facilitée et permettre une disponibilité totale à l'égard du Parlement européen. Une disponibilité totale, qui est d'ailleurs l'une des consignes que le Premier ministre Lionel Jospin a données à son gouvernement. Chaque ministre du gouvernement, pas seulement Hubert Védrine ou moi-même, doit se sentir pleinement mobilisé par la Présidence française et être conscient que la collaboration avec le Parlement européen est tout à fait vitale.
Nous souhaitons aussi travailler en liaison étroite avec les pays candidats et nous avons prévu pour cela deux rendez-vous de la conférence européenne : l'un, au niveau des ministres, qui se tiendra le 23 novembre 2000, à Sochaux, et puis le Conseil européen de Nice, dont la matinée sera consacrée à un examen avec les pays candidats, à la fois de la réforme institutionnelle mais aussi des perspectives plus larges de l'Union à trente.
Quelques mots des priorités de la Présidence française de l'Union européenne. Seulement quelques mots, car elles seront annoncées le 4 juillet par le président de la République, Jacques Chirac, au Parlement européen à Strasbourg et parce qu'en même temps, vous les connaissez, le Premier ministre les ayant annoncées à l'Assemblée nationale le 9 mai dernier. Le président de la République s'est pour sa part exprimé sur le volet citoyen de la Présidence lors de sa visite en Savoie, quatre jours auparavant.
Très brièvement : il y a d'un côté la priorité liée à la préparation de l'Europe politique, de la grande Europe élargie de demain. Cela passe d'abord par la réforme institutionnelle. Vous savez que la Présidence française s'efforcera de mener à bien la Conférence intergouvernementale qui doit permettre de réviser les traités afin de réformer les institutions, ce qui est indispensable à la fois pour leur fonctionnement - qui connaît aujourd'hui un certain nombre de grippages - et pour préparer l'élargissement. La France, l'Italie et la Belgique avaient signé, au lendemain du Traité d'Amsterdam, une déclaration qui soulignait le lien nécessaire entre la réforme des institutions et l'élargissement. Ce lien est maintenant reconnu par tous et il demeure. Pour ces deux raisons impératives, nous avons un devoir, une obligation, de mener une réforme ambitieuse. Cette réforme, vous le savez, compte désormais quatre grandes questions. Il y a bien sûr les trois questions laissées de côté à Amsterdam, sans solution, à savoir la taille de la Commission - que nous souhaitons resserrer -, le vote à la majorité qualifiée - que nous souhaitons généraliser avec le minimum possible d'exceptions - la repondération des voix - que nous souhaitons authentique, pour permettre une décision efficace. En plus, depuis le Conseil européen de Feira, il y a la question des coopérations renforcées, c'est-à-dire la souplesse nécessaire dans le cadre d'une Europe élargie, une souplesse que nous souhaitons voir, là aussi, considérablement renforcée, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Le Conseil européen de Feira, en ajoutant ce quatrième sujet, nous a donné clairement mandat. J'ajoute que dans le cadre de la préparation de la Conférence intergouvernementale, nous avons à cur, là encore, d'associer étroitement le Parlement européen, mais aussi les pays candidats, aux travaux.
En ce qui concerne l'Europe de la sécurité et de la défense, nous nous attacherons à faire progresser ce dossier sur lequel nous assistons à une véritable accélération de l'histoire depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo, il y a deux ans seulement. Nous nous efforcerons d'aboutir à des décisions définitives. Enfin, dans ce domaine, nous devrons donner des impulsions importantes en matière de Politique étrangère et de sécurité commune, notamment après les conclusions du Conseil européen de Feira et l'adoption de la stratégie commune pour la Méditerranée. J'ajoute, et cela va de soi, que tout cela s'inscrit sur la toile de fond du mouvement vers l'Europe à trente, l'Europe élargie. C'est un mouvement que nous souhaitons, mais que nous souhaitons aussi accompagner, et c'est pour cela que la France s'efforcera de donner une forte dynamique aux négociations d'élargissement afin d'aboutir, à la fin de notre présidence, à ce que j'appellerais un " scénario de conclusion ". Il ne s'agit pas de donner des dates d'adhésion. Encore une fois, je crois que ce sujet est prématuré d'un point de vue technique, même si on peut comprendre la volonté politique et même si, d'ailleurs, l'Union européenne elle-même a retenu, pour ce qui la concerne, la date du 31 décembre 2002, qui est cohérente avec l'objectif d'une adhésion au 1er janvier 2003. Mais nous devons savoir quels seront la méthode, le processus, le scénario, pour en terminer avec ces négociations d'adhésion et permettre l'élargissement le plus rapide possible.
Et puis, tout cela se situe sur la toile de fond du débat qui commence non seulement à poindre, mais à se développer avec beaucoup de force, avec les propositions, déjà formulées il y a quelques années par Jacques Delors, avec la relance de ce débat par M. Fischer, puis la contribution qu'a apportée ce matin le président de la République à Berlin, dans un discours assurément important, auquel d'ailleurs j'assistais avant de venir ici.
Il y a un deuxième volet dans les priorités de notre présidence, qui concerne les priorités citoyennes, qui sont d'ailleurs aussi des priorités législatives. La première est une priorité sociale : Nous voulons parvenir à l'adoption d'un " agenda social " ambitieux au Conseil européen de Nice, un texte qui soit, en quelque sorte, emblématique de la rénovation et du renforcement du modèle social européen, en étroite combinaison avec notre volonté de modernisation économique. Nous souhaitons associer bien sûr le Parlement européen à cette tâche.
Sur la sécurité alimentaire, vous savez que le Conseil européen de Feira a souhaité que l'avis du Parlement européen sur le livre blanc intervienne au plus tard pour la première session d'octobre. Nous souhaitons lancer la création d'une autorité alimentaire européenne indépendante sous notre Présidence, comme nous en avons reçu le mandat.
En matière de sécurité des transports maritimes, nous souhaitons l'adoption d'un ensemble de mesures cohérentes et concrètes sur l'ensemble des volets qui touchent à l'harmonisation de la sécurité des transports maritimes en Europe. Dans le domaine des transports routiers, nous ambitionnons notamment l'adoption de la directive sur l'aménagement du temps de travail du travailleur mobile pour la fin de l'année.
En matière d'environnement, il faudra faire progresser toute une série de textes législatifs absolument fondamentaux et conclure certaines conciliations importantes, concernant par exemple les textes sur l'incinération des déchets et les OGM. Nous souhaitons aussi qu'un accord équilibré puisse intervenir demain sur la directive-cadre de l'eau.
Autre sujet tout à fait fondamental, c'est ce que j'appellerai un " espace européen de la connaissance ", notre volonté de mettre en place un programme de travail concret, précis, sur plusieurs années, qui permette la levée des obstacles empêchant la libre circulation complète des étudiants, des chercheurs et des enseignants.
Il est clair que les décisions du Conseil européen de Tampere - à la fois en matière d'espace judiciaire européen mais aussi en matière de lutte contre l'immigration clandestine - et l'urgence qui vient de nous être rappelée de façon dramatique par ce décès collectif, à Douvres, la semaine dernière, nous conduisent à souhaiter progresser fortement dans ce domaine. Nous aurons des propositions à faire rapidement.
Enfin, le dernier sujet concerne le sport. Nous pensons qu'il y a là une dimension nouvelle de la politique européenne, notamment en matière de lutte contre le dopage mais aussi en matière de régulation des rapports entre le sport et l'argent. Je ne devrais d'ailleurs peut-être pas parler de cela en plein Euro 2000, au moment où l'équipe de France aura peut-être demain 11 joueurs qui joueront dans des clubs non nationaux. Il y a des progrès à faire, y compris chez nous.
Voilà l'esprit avec lequel nous abordons la Présidence.
C'est une Présidence qui veut s'inscrire dans la continuité. Il y en a eu d'autres avant nous. Nous sommes tributaires de la qualité des dossiers que l'on nous transmet, mais nous sommes aussi les héritiers de ces dossiers. Nous sommes notamment très reconnaissants à la Présidence portugaise sortante des importants progrès qu'elle a permis de faire avec les Conseils réussis de Lisbonne et de Feira. Nous n'avons pas l'intention de réinventer l'Europe. L'arrogance française doit être bannie du vocabulaire. Elle ne sera pas au rendez-vous. Dans ce contexte-là, Hubert Védrine avait raison de dire il y a deux semaines, que cette Présidence serait modeste. Elle sera modeste, mais en même temps, comme le disait à l'instant le président de la Commission constitutionnelle, M. Napolitano, nous sommes obligés à l'ambition, parce que c'est ce que nous dicte l'agenda, nous sommes obligés à l'ambition par la perspective historique dans laquelle nous sommes, qui est celle de l'élargissement, nous sommes obligés à l'ambition par le besoin de repenser une Europe élargie, qui est aussi une autre Europe. Nous aurons donc cette ambition-là, qui est tout simplement de jouer notre rôle dans le contexte européen, de faire avancer cette aventure européenne. Nous nous efforcerons de transmettre à ceux qui nous succéderons, en l'occurrence les Suédois, puis les Belges, des dossiers en bon état de marche, ce qui veut dire qu'au-delà de la Conférence intergouvernementale, qui est fondamentale, il doit y avoir aussi des travaux législatifs conduits par chaque ministre avec le Conseil et avec le Parlement européen, sur chacun des thèmes que j'ai évoqués et sur bien d'autres encore.
Enfin, un dernier mot avant vos questions, sur notre souci de bien travailler avec vous la presse, et, à travers vous, d'informer convenablement le public. J'ai dit que la France souhaitait une Présidence ambitieuse et pragmatique sur le fond, mais j'ai envie qu'elle soit aussi une Présidence confortable, si possible agréable pour vous, journalistes, qui en suivront le déroulement et qui en rendront compte au public. C'est pour cela que j'ai souhaité, notamment aujourd'hui, que nous ayons l'occasion de parler de l'Europe et d'en débattre et que je souhaite que nous ayons encore bien d'autres occasions de le faire.
L'Europe est vaste et le sera plus encore demain. Il s'agit d'un espace pour la construction de notre avenir et nous devons donc bâtir un projet à sa mesure. Pour cela, le débat dans toutes les sphères de la société est essentiel, comme le rôle des médias.
Je veux rappeler à cet égard que nous avons mis en place deux outils d'information : d'abord le site Internet, dont vous connaissez l'adresse, et puis le centre d'accueil de la presse étrangère, le CAPE, installé à la Maison de la Radio à Paris, qui est équipé d'un dispositif adéquat pour répondre aux demandes et aux besoins de la presse. Tous les ministres français sont sollicités pour aller s'y exprimer régulièrement devant, notamment, la presse étrangère.
Je signale en outre que la Présidence sera l'occasion de manifestations culturelles et de festivités, à commencer par une soirée que j'inaugurerai le 13 juillet aux Halles de Schaerbeek dans le cadre du programme " génération 2001 " de l'AFAA. La soirée se déroulera de 20h jusqu'à l'aube, avec de nombreux musiciens et artistes de rue. Bref, je souhaite que la Présidence française soit aussi une fête.
Q - Le chancelier Schröder a évoqué la perspective d'une autre CIG après Nice. Qu'en pensez-vous ?
Après le discours de M. Chirac devant le Bundestag, ne peut-on pas penser qu'il y a un problème de concordance de vues entre le gouvernement français et le président de la République ?
Que pensez-vous de la position espagnole sur la CIG ?
On parle d'un document des 14 sur l'Autriche. Quelle est la position de la France sur ce point ?
R - Avant de savoir si le Traité de Nice sera le dernier avant le prochain élargissement, il faut souhaiter qu'il y ait un " Traité de Nice ". Je dois dire aussi, qu'indépendamment de la modestie dont j'ai parlé tout à l'heure, pour le " Traité de Nice ", nous sommes ambitieux. Nous ne voulons pas d'un traité au rabais. Nous préférons qu'il n'y ait pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité. On sait très bien faire un mauvais traité. Ce n'est pas cela dont il s'agit.
Pour le reste, c'est vrai que le " Traité de Nice ", tel qu'il a été conçu après le Traité d'Amsterdam devrait permettre le prochain élargissement. En même temps, nous voyons bien que les débats se chevauchent et que d'autres initiatives pourraient intervenir, qui ne seraient certainement pas du même ordre, qui ne seraient pas des initiatives fonctionnelles, mais pourraient être plus vastes. Il y a des problèmes de calendrier aussi. Mais le Traité de Nice doit être un bon traité, qui permette le prochain élargissement. Je partage l'idée que si ce traité est réussi, cela permettra à l'Europe à 27 de mieux fonctionner.
Quant au discours du président de la République de ce matin, je suis un peu embarrassé pour répondre à votre question. Si je disais que le gouvernement est en parfait accord avec le président, cela donnerait l'impression qu'il s'agit d'un discours des autorités françaises, alors qu'il s'agit d'un discours du président de la République. Si je dis que le Gouvernement n'est pas d'accord, alors on dira que la France ne parle pas d'une seule voix. Donc, je ne ferai pas ce genre de commentaires. Je peux vous dire, simplement, que c'est un discours qui, sans aucun doute, est important puisque c'est le discours du président de la République française devant le Bundestag, donc une prise de position officielle qui marque des avancées que chacun évaluera comme il l'entend. Par ailleurs, pour ce qui concerne les affaires européennes, notamment pour la conduite de cette Présidence, la France parle et parlera d'une seule voix. La France, le Gouvernement et le président de la République travailleront dans un parfait esprit de coopération durant la Présidence française et, je vous le dis, il ne faut pas trop jouer à chercher les différences entre les uns et les autres, parce que je crois - j'en suis même sûr - que vous et moi perdrions notre temps à cela. Nous ne pouvons pas nous permettre de petits jeux politiques à ce sujet.
Vous l'avez compris, pour ce qui concerne le discours du président de la République, publié in extenso dans " Le Monde " d'aujourd'hui, je me refuse aux commentaires. J'ai bien l'impression que le président de la République a clairement distingué les étapes : d'abord, réussir la Conférence intergouvernementale, ce qui est vital, car c'est la première étape du processus. Dans ce contexte, il faut insister sur les coopérations renforcées qui permettent à un " groupe pionnier " de se fonder et d'avancer. Et puis, l'on peut évoquer le débat sur une constitution éventuelle - le débat intellectuel continue -, mais, en même temps, il est aussi très important que la Présidence française puisse faire son travail.
En ce qui concerne la position espagnole, il s'agit d'une position importante pour nous et je note que l'Espagne accepte maintenant les coopérations renforcées, ce qui marque une évolution, positive à notre sens. De ce point de vue, les choses avancent bien. Mais il y a beaucoup de travail - et pour la Présidence et pour chacun des Etats membres - et il faudra que chacun prenne ses responsabilités si nous voulons conclure sur un profil haut.
Enfin, au sujet de l'Autriche, ce n'est pas un secret qu'une initiative de la Présidence portugaise a été annoncée au Conseil de Feira et je laisserais la Présidence portugaise dévoiler le résultat de cette initiative, qui, en toute hypothèse, exigera, sans nul doute, que l'on continue d'examiner la nature du parti de M. Haider et qui n'aura pas d'impact immédiat sur les sanctions.
Q - Pensez-vous pouvoir arriver à Nice à un bon traité, compte tenu des divergences de vues apparentes du gouvernement et du président Chirac ?
Concernant l'élargissement, pensez-vous parvenir à établir un calendrier ?
Dans le cadre de la CIG, pensez-vous élargir le cadre de la codécision ?
Pouvez-vous nous éclairer sur cet " agenda social " dont vous nous parlez ?
R - Deux précisions avant tout : S'agissant de la Présidence française de l'Union européenne, je suis toujours d'accord avec le président de la République. D'autre part, nous sommes à trois jours de la Présidence, et pas à la fin. Je ne peux pas encore exactement vous dire ce qui aboutira et notamment quelles seront les conclusions du Conseil européen de Nice. J'aimerais bien mais ce n'est malheureusement pas possible.
Au sujet du dossier des négociations d'élargissement, je ne dirai pas que nous allons entrer dans le vif du sujet, nous y sommes déjà. Mais nous allons peut-être entrer maintenant dans la phase la plus difficile, notamment les chapitres sur la libre circulation et la Politique agricole commune. Donc, effectivement, nous allons toucher des points extraordinairement sensibles. Ce que nous souhaitons faire, c'est d'abord passer d'une négociation chapitre par chapitre à une négociation pays par pays, à une vue d'ensemble de la situation de chaque pays, avec notamment la réalisation d'un tableau de bord que la Commission prépare et sur la base duquel nous devons pouvoir asseoir un diagnostic pour chacun de ces pays. Ensuite, effectivement, nous devons parvenir au scénario de conclusion des négociations que je ne connais pas encore. Cela dépendra notamment de l'état d'avancement des travaux. Il faut aussi que le Conseil européen en débatte. Je ne suis pas hostile à la date du 1er janvier 2003 pour le début de l'élargissement et ce que je constate c'est que, aussi bien de l'avis de la Commission ou de la Présidence portugaise, il n'y a pas de fermeture a priori sur ces sujets.
En matière de Conférence intergouvernementale, il va de soi que la codécision doit accompagner autant que possible le passage au vote à la majorité qualifiée. Il y a des questions sur certains domaines législatifs, qui se posent et se poseront, mais notre volonté est bien d'étendre la codécision. C'est tout à fait clair.
Quant à l'agenda social, il ne s'agit pas d'une nouvelle version de textes déjà diffusés. Il s'agit d'une initiative qui s'inscrit dans une continuité. Il y a un pacte pour l'emploi, un chapitre social du traité, tout cela existe. Mais il s'agit d'autre chose, il s'agit d'un programme de travail concret qui indique pour les années à venir ce que l'Union européenne, dans ses différentes instances et institutions, doit faire et entend faire pour faire progresser le modèle social européen.
Q - Vous n'en direz pas plus sur les perspectives ouvertes par le président Chirac devant le Bundestag ?
Pour l'élargissement, quelle sera votre méthode ?
Au sujet du document des 14 sur l'Autriche, on parle d'un rapport de sages. Devra-t-il être remis sous la Présidence française ? Ne redoutez-vous pas que l'Autriche bloque les négociations de la CIG ?
R - Je vais encore décevoir le journal " Le Monde ", qui est pourtant, encore une fois, mieux informé que quiconque. J'ai une tâche difficile durant cette Présidence que j'essayerai d'assumer, mais je ne suis pas habilité, et pas capable intellectuellement, de commenter les propos du président de la République. Je plaisante bien sûr : il me semble que le président de la République a ouvert des voies, mais tout ne me paraît pas absolument formalisé donc il y a là matière à réflexion.
En ce qui concerne le problème de l'élargissement, d'abord une précision importante. Il n'y a plus deux groupes de pays candidats depuis Helsinki. Nous nous sommes battus pour mettre fin à cette approche. Il n'y a plus deux groupes de pays, il y a 12 pays en négociation et un pays candidat, qui est la Turquie qui fait l'objet d'une procédure différente. Ne réintroduisons donc pas sans arrêt ce vocabulaire. Nous examinerons chaque pays en fonction de ses mérites et nous essayerons d'ouvrir le plus grand nombre de chapitres possibles. Il faut prendre connaissance de l'ensemble des dossiers concrets avec l'ensemble des pays, y compris des pays du deuxième groupe.
Vous m'interrogez encore sur la Présidence française et l'Autriche. Encore une fois, pour le moment c'est la Présidence portugaise qui se déroule, et il revient à la Présidence portugaise d'annoncer ce qu'elle proposera. De ce que je connais de cette initiative, il n'est pas précisé de dates pour la remise d'un rapport des sages et, honnêtement, ce n'est pas forcément indispensable.
Enfin, en ce qui concerne le comportement de l'Autriche au cours de la Présidence française, il est clair que, par définition, s'il y a sanctions sur le plan bilatéral, il n'y a pas d'intensification dans les relations bilatérales, car ce serait une contradiction absolue. Nous n'avons pas eu de relations bilatérales de ministre à ministre avec le gouvernement autrichien. En revanche, l'Autriche fait pleinement partie des institutions de l'Union européenne. Elle participe à chaque Conseil européen, ses ministres participent et participeront à chaque conseil formel et informel. Nous allons nous inscrire exactement dans la continuité de la Présidence portugaise en la matière. Et, honnêtement, je ne vois pas de qui cela serait l'intérêt, de l'Autriche ou de l'Union européenne, de tendre les relations dans le cadre de l'Union et dans le cadre de la préparation de la Conférence intergouvernementale notamment. Je pense que cela mettrait en doute le plaidoyer autrichien sur son engagement européen et, en même temps, ce blocage donnerait des arguments à ceux qui pensent au contraire qu'il faut indéfiniment des sanctions. Donc, si j'étais autrichien, je penserais au contraire qu'il y a un grand intérêt à coopérer de façon intelligente dans le cadre de l'Union européenne, tout en étant conscient que, pour qu'une initiative soit positive, il faudra que des évolutions profondes interviennent, notamment, je le répète, des évolutions dans la nature du FPOE, le parti qui demeure celui de M. Haider, même s'il n'en est plus officiellement le leader.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 03 juillet 2000).