Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'avoir pu répondre à l'invitation de M. Emile MALET, et de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous, dans le cadre prestigieux de l'UNESCO, une des Institutions Universelles que le monde a voulue, après qu'il eût enfanté le pire, pour se prouver à lui-même qu'il méritait encore le nom de monde civilisé.
Dira-t-on en effet plus tard de nous que nous fûmes les enfants d'un siècle prestigieux où le génie humain se surpassa ou bien dira-t-on de nous que nous fûmes les enfants du siècle monstrueux qui inventa le racisme scientifique et l'épuration ethnique ?
Nul sans doute aujourd'hui ne peut répondre avec assurance à cette question. Mais il est au moins une certitude qui s'impose à nous. Nous savons désormais qu'aucune des conquêtes que l'esprit humain fit en ce siècle n'effacera le crime atroce que l'humanité commit contre elle-même, en fondant le meurtre collectif sur l'inégalité des races.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, d'une responsabilité de l'humanité tout entière, bien plus que de la sanglante folie de quelques-uns qu'on peut faire expier par la justice, ordinaire ou extraordinaire. A Nuremberg, on a puni les coupables des camps d'extermination mais on n'a pas soldé les comptes. Nous le savons tous, il y a une histoire d'avant et une histoire d'après la "solution finale".
Cette évidence s'impose à nous, qu'on le veuille ou non comme un fait, un fait avéré, un fait établi qu'aucun révisionniste ne réussira jamais à effacer de la mémoire collective, tout au contraire. Je sais que vous avez consacré une table ronde à ce sujet. Plus on s'acharne à nier l'Holocauste, et plus on découvre de martyrs, de témoins et de preuves. A force de nier ce qui ne peut l'être, à force de traquer les contradictions de témoins bouleversés, à force de chercher le moindre fait pour essayer à tout prix de prouver une supercherie, à force de ce combat malsain pour réécrire l'Histoire, c'est toute l'horreur de la mécanique meurtrière, dans tous ses engrenages, dans toutes ses procédures, dans tous ses détails qui apparaît au grand jour. Il n'est pas jusqu'aux factures des chambres à gaz, jusqu'à l'ingénierie des crématoires, jusqu'à la comptabilité des camps et de leurs fournisseurs qui ne remontent à la surface pour étayer le crime, son étendue, son organisation, sa planification. Plus on nie le crime et plus il impose son horreur.
Nous savons désormais de quoi notre humanité est capable et nous ne pouvons plus faire comme si nous ne le savions pas.
Jusqu'où mènent le concept biologique de la race, l'inégalité naturelle, le mépris de l'autre, nous le savons avec certitude. Quel que soit le point de départ, quelle que soit l'intention initiale nous savons qu'il y a une ligne qu'il ne faut pas franchir, nous savons qu'à rompre aussi peu que ce soit avec le principe de l'égale dignité des personnes nous pouvons glisser jusqu'à l'anéantissement de la civilisation, jusqu'à l'anéantissement de l'Homme par l'Homme, oui cela nous le savons désormais pour toujours et jusqu'à l'obsession.
Mais il ne suffit pas de connaître l'issue pour que cela ne recommence pas. Ni l'exhortation, ni le témoignage ne suffisent à extirper le mal. Pour que cela ne recommence pas nous n'avons pas d'autres choix que de chercher inlassablement à créer les conditions qui rendent improbable ce glissement tragique.
Conditions qui avant d'être politiques sont intellectuelles, morales et sociales car ce n'est pas tant l'existence d'une extrême droite partisane, l'existence d'une pensée d'extrême droite qui nourrit le plus dangereusement la xénophobie et le racisme, même si elle y contribue. Les antisémites extrêmes de la collaboration ne venaient pas tous, loin s'en faut, de l'extrême droite. Ils venaient de tous les horizons politiques. Ce ne sont pas les partis antisémites de l'avant-guerre qui ont fait à eux seuls, ni même de façon décisive, l'antisémitisme de la France de Vichy. Ce n'est pas davantage l'existence du parti National Socialiste qui a forgé l'Allemagne nazie.
Le phénomène, en Allemagne comme en France fut assez large, assez profond pour être davantage le résultat d'une multitude de déséquilibres, de tensions et de dérives, que de l'activisme de quelques désaxés fanatiques même doués d'une grande habileté politicienne.
II y avait un climat général sans lequel une tragédie de cette nature n'eut pas été possible. Et ce climat général n'incombait pas qu'aux politiciens, il incombait à toutes les élites, à toutes les autorités en même temps qu'aux circonstances douloureuses et inédites qu'il leur fallait affronter.
La terrible crise économique des années 30, le chômage massif, la brusque faillite d'une société industrielle qui ne tenait plus ses promesses tout en continuant d'exiger beaucoup, le repliement des Nations sur elles-mêmes, bref l'effondrement quasi général des repères et des espérances, voilà ce qui véritablement engendra la haine raciale ou du moins permit qu'elle se développât jusqu'à l'extrême horreur.
Et c'est bien cette leçon là qu'il nous faut méditer car les mêmes causes pourraient bien produire les mêmes effets. Quand une société se met à douter profondément d'elle-même, quand la solidarité qui unit ses membres s'affaiblit jusqu'à l'exclusion, jusqu'à la réapparition d'un sous-prolétariat toujours plus nombreux, quand la citoyenneté perd tout son sens pour une partie croissante de la population gagnée par l'angoisse de la précarité, alors, si l'on n'y prend pas garde, si on laisse aller les choses, c'est dans la haine de l'autre que le groupe cherchera finalement à refaire sa cohésion.
C'est dans ce moment de crispation hargneuse que les Nations deviennent dangereuses. Car alors le réflexe primitif de l'appartenance ethnique se met à l'emporter sur tout, sur la culture, sur les valeurs, sur la raison. II y a dans ces moments là comme une régression collective vers l'instinct tribal, celui qui ne connaît que les signes extérieurs de l'appartenance. Mais quel autre signe possible d'appartenance y-a-t-il pour eux que les signes visibles de l'appartenance raciale fussent-ils d'avantage de l'ordre du fantasme que de celui de la physiologie ?
La triple crise économique, sociale et morale dans laquelle nous nous trouvons nous oblige à prendre très au sérieux la moindre dérive xénophobe alors même que notre pays, de par une tradition universaliste multiséculaire, est l'un des mieux à même de résister à toute percée de la haine raciale.
La France n'est pas raciste. Mais peut-elle le devenir ?
L'effroi que nous inspire cette hypothèse ne doit pas nous conduire à tout confondre, au risque d'obtenir tout le contraire de l'effet recherché et de venir exacerber les tentations xénophobes.
C'est à coup sûr le résultat qu'on obtiendrait en proclamant que tout va bien, qu'il n'y a, aucun problème, que les difficultés du moment s'arrangeront elles-mêmes et qu'il faut laisser aller les choses comme elles vont...
C'est à coup sûr ainsi qu'on prendrait le risque de nourrir le racisme si l'on n'a que l'anathème à opposer à ce qui n'est souvent que le signe d'une profonde détresse dont il faut soigner les causes avant que de condamner les effets.
Et c'est là que les autorités morales, les intellectuels, les leaders d'opinion, ont un rôle décisif à jouer qu'hélas ils ne jouent pas toujours. Je veux dire par là qu'à étendre indéfiniment la notion de racisme, à voir partout du racisme et des racistes, on finit par banaliser le racisme au point qu'on le renforce.
II faut reconnaître que certaines réactions à la loi sur l'immigration que j'ai fait voter m'ont paru sombrer dans ce travers...
Défions-nous des censeurs qui préfèrent la morale théorique à la morale pratique. Comment ne pas se souvenir de la mésaventure qui arriva jadis à Claude Lévi STRAUSS, quand il publia "Race et Culture". C'était en 1971. Dans ce texte il dénonçait précisément "la confusion qui se créait autour de notions telles que celles de racisme et d'antiracisme et affirmait qu'à force de les élargir inconsidérément, on alimentait le racisme au lieu de l'affaiblir". Et en même temps il soulignait que c'est la différence des cultures qui rend leur rencontre féconde.
Le texte fit scandale. On n'avait le droit ni de réduire la notion de racisme à une définition rigoureuse, ni de parier de l'opposition des cultures. On n'avait pas ce droit là même quand on s'appelait Lévi Strauss, qu'on était le plus grand anthropologue de son temps et qu'on avait passé sa vie précisément à combattre l'idée même de l'inégalité des cultures et des races !
Voilà ce qu'avec le recul il faudrait que chacun médite, avant d'aborder ce sujet du racisme qui est forcément passionnel parce que les monstrueuses tragédies que ce siècle a connues interdisent qu'il en soit autrement
Mais où va-t-on quand certains voient dans la résurgence ente de l'idée nationale la cause du regain d'une xénophobie qui finira par devenir du racisme ? Comme si la Nation, c'était forcément un clan ethnique, comme si le sentiment national, c'était forcément du nationalisme ! Il y a des Nations comme la France qui sont universalistes et humanistes, qui sont ouvertes, qui n'ont jamais eu aucun fondement ethnique ni biologique ! Mais qui ont le droit de défendre leur personnalité sans sombrer pour autant dans l'obsession identitaire.
La Nation n'est pas la seule victime de ce nouvel intégrisme. Voilà qu'à son tour, l'idée républicaine elle-même est attaquée. Car la République ne connaît que des citoyens. Elle tolère toutes les communautés, toutes les associations, toutes les églises, elle ne les reconnaît pas comme des corps intermédiaires susceptibles de faire écran entre l'Etat et le citoyen.
Parce que la République Française entend rester " Une et Indivisible ", la voilà soupçonnée par certains d'être frileuse, pusillanime, xénophobe bientôt. Comme si le modèle anglo-saxon de ségrégation communautaire était un idéal d'harmonie sociale et de xénophilie ! Or c'est bien de cela qu'il s'agit : choisir entre l'assimilation républicaine fondée sur la citoyenneté et une forme plus ou moins atténuée de développement séparé des communautés au sein d'un même pays.
Ce choix, où nous mène-t-il sinon aux ghettos ? N'avons-nous pas déjà trop cédé dans ce sens là sous prétexte de se donner bonne conscience face à une prétendue intolérance républicaine ? Mais ce qui compte ce sont les conséquences concrètes dans les banlieues. Pas la bonne conscience des uns ou des autres.
Mon choix est fait. C'est celui de l'assimilation républicaine, avec la même loi, les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous.
Encore faut-il restaurer le creuset français en voie de désintégration. II faut que l'on s'accorde sur quelques principes essentiels, sur la laïcité, sur l'école républicaine, sur la solidarité et la cohésion nationale, sur la citoyenneté, ce qui va de soi, mais aussi, ce qui va moins de soi, sur cette idée qu'aucun creuset ne peut assimiler sans limite n'importe quel flux d'immigration, qu'aucun creuset aussi performant soit-il, ne peut assimiler toute la misère du monde, et que par conséquent il faut bien maîtriser les flux si l'on ne veut pas que toute politique d'intégration soit acculée à l'échec parce qu'elle sera immédiatement débordée.
Or, nous sommes déjà en retard d'une intégration.
Et c'est bien parce que dans la crise actuelle, la tentation du rejet et du bouc émissaire n'a jamais été aussi forte, qu'il faut être ferme sur ce point. Sinon, l'accumulation de part et d'autre des rancoeurs et des ressentiments nous conduira vite au désastre.
C'est dans ce sens que j'ai déclaré à l'Assemblée nationale que la loi sur l'immigration était "une nouvelle chance, sans doute la dernière, pour le modèle français d'intégration".
C'est là le rôle de l'Etat. On ne peut pas parler du creuset français et des populations qu'il lui faut assimiler sans parler de l'Etat, de l'Etat républicain, de sa volonté, de son autorité, de ses moyens. A l'Etat dans notre République, il revient de garantir en même temps et la cohésion de la Nation et le respect des personnes.
Mais pas à l'Etat tout seul. A l'Etat avec le concours des citoyens et tout particulièrement de ceux-là même qui exercent une autorité intellectuelle et morale. Chacun doit prendre sa part. Voilà l'Etat Républicain bien décidé à assumer la sienne.
Il est bien décidé à assumer ses responsabilités s'agissant de la maîtrise de l'immigration. Car rien ne sera possible si se développe indéfiniment une immigration irrégulière. Rien ne sera possible et pas seulement à cause de l'importance de ces flux clandestins, pas seulement à cause du nombre des faux conjoints, des faux enfants, des faux demandeurs d'asile, des faux étudiants, mais aussi à cause des effets psychologiques dévastateurs que provoque ce type d'immigration, à cause de cette certitude qu'il y a deux poids et deux mesures, à cause de cette certitude qu'il y a ceux qui respectent les règles et qui en payent le prix, et ceux qui ne respectent pas les règles et qui profitent du système.
Là se noue une exaspération dangereuse qui n'a rien à voir avec la statistique, qui n'a rien à voir avec l'économie, qui a tout à voir au contraire avec le symbole, avec le sentiment, avec la subjectivité. Et cette exaspération, elle a cette conséquence dramatique qu'elle conduit à confondre le demandeur d'asile et le réfugié économique, l'étranger en situation régulière et le clandestin, à confondre le travailleur et les profiteurs, à confondre l'honnête et le malhonnête, jusqu'à ce qu'au bout du compte naisse un rejet global, un sentiment anti-immigrés susceptible de dégénérer en haine raciale.
On peut toujours proclamer que c'est irrationnel, que tout cela vient du fantasme. II n'empêche, il faut bien tenter de stopper cette dérive et on ne la stoppera pas en lui opposant simplement des statistiques qui par définition ne reposent sur rien s'agissant d'un phénomène qui n'est pas mesurable.
Il n'y a en réalité pas d'autres voies que de faire en sorte que soit respecté le principe fondamental de l'égalité devant la Loi. Et il ne s'agit pas là simplement de philosophe, il s'agit de conditions concrètes qu'il faut mettre en place, il s'agit de moyens juridiques précis, de procédures, de doctrine d'emploi des forces de police. II s'agit des contrôles d'identité, du regroupement familial, des mariages de complaisance, de l'expulsion des étrangers qui représentent une menace pour l'ordre public, des mesures d'éloignement forcé, du droit d'asile limité aux cas qui le justifient.
Et là bien sûr on sort très vite du consensus philosophique. Il faut bien pourtant aller sur ce terrain là si l'on veut réellement infléchir le cours des choses. C'est ce que le Gouvernement a entrepris de faire, dans le respect des principes de la République, dans le respect de la dignité de la personne humaine, dans le respect des droits de l'Homme.
La question du droit d'asile est bien sûr exemplaire de la voie que le Gouvernement a choisie. Nul ne songeait dans cette affaire à remettre en cause cette vocation par laquelle la France est la France aux yeux du monde, cette vocation qui fait de la France une terre d'accueil pour les proscrits du monde entier. Mais tout le monde savait bien qu'à force de détournements, le droit d'asile se trouvait dénaturé et menacé dès lors par l'exaspération populaire. II fallait donc agir, et pour fermer l'une des voies d'une nouvelle émigration économique, et pour préserver la pérennité du principe lui-même.
Ayant accepté le principe de la libre circulation au sein de la C.E.E. et ayant signé les accords de Schengen, la France ne pouvait résoudre ce problème dans un cadre exclusivement national. Le parlement a suivi le Gouvernement dans sa démarche. Le Conseil Constitutionnel ne l'a pas suivi. II fallait donc ou bien renoncer, ou bien modifier la Constitution. C'est cette voie que j'avais proposée, c'est celle qui a été choisie malgré les difficultés qu'elle présentait. Un projet de révision constitutionnelle a donc été mis au point qui tout en permettant d'éviter les abus, préserve la souveraineté nationale et affermit le principe du Droit d'Asile.
Dans le même esprit républicain, la réforme du Code de la Nationalité avait auparavant permis de faire face au défi d'une importante immigration de peuplement tout en réaffirmant le principe du Droit du sol.
Cette réforme du Code de la Nationalité est d'ailleurs beaucoup plus importante qu'on ne le croit souvent, si l'on quitte le terrain de la maîtrise des flux migratoires pour se placer sur celui de l'intégration. On ne peut en effet espérer intégrer et au bout du compte assimiler dans notre creuset républicain que ceux qui choisissent vraiment, en conscience, de devenir Français.
La contrepartie de l'absence de critère ethnique dans la conception française de la nation c'est qu'elle ne peut être fondée que sur l'adhésion. Quand Michelet proclamait que "La France est un principe spirituel", il appelait par là même ceux qui veulent en devenir les citoyens à faire leur ce principe.
Donc en subordonnant l'acquisition de la nationalité française à un acte volontaire, on a posé la première pierre d'une grande politique d'intégration. Bien sûr, il ne suffit pas de dire qu'on veut devenir français. Il faut aussi le vouloir vraiment. Et le vouloir vraiment cela se traduit forcément dans le comportement face à tout le système de valeurs autour duquel s'organise la société française.
C'est assez dire à mon sens que la volonté de devenir français n'a aucun sens si elle s'accompagne d'une soumission totale à un fondamentalisme religieux étranger à toutes les traditions de la France, contraire au principe de laïcité, incompatible avec notre conception de la cité, inconciliable avec notre idée de l'homme et de la femme, incompatible avec notre citoyenneté.
Soyons clairs, notre principe de tolérance ne peut pas s'accorder avec l'intolérance. On ne peut pas plus vivre l'Islam en terre Chrétienne comme on le vit en terre islamique pas plus qu'on ne peut vivre le christianisme en terre islamique, comme on le vit en terre chrétienne.
Forcément, il faut tenir compte de l'histoire, des traditions, des moeurs du pays, de la civilisation qui s'y est installée, pour y adapter, y acclimater une religion qui lui est étrangère. L'intégrisme dans ces conditions ne peut que provoquer le rejet. L'Islam français doit puiser son aspiration dans cette partie de l'islam qui est ouverte, moderniste, tolérante. II ne peut pas être intégriste et fondamentaliste. II ne peut pas l'être non par reflet d'une théorie ou d'une idéologie mais parce que la société française tout entière se dressera contre lui, fera bloc contre lui, le rejettera violemment.
Pour prendre un exemple que chacun connaît, il n'y a pas de place dans notre Ecole républicaine et laïque pour le foulard islamique. C'est la réalité culturelle et sociologique française qui le veut. C'est la philosophie républicaine qui le veut. La forcer ne servirait qu'à susciter une exaspération dont j'ai déjà assez dit combien elle était périlleuse.
II faudra en revanche, que la République et l'Islam trouvent leur concordat, si je puis dire. Cela ne peut se faire que dans le respect du cadre politique et juridique de notre République, c'est-à-dire la laïcité bien sûr, mais aussi l'absence d'interventions étrangères. Cela implique également des interlocuteurs reconnus et représentatifs. J'ai engagé une réflexion sur ce problème difficile, délicat, mais que notre pays ne peut pas résoudre, sauf à méconnaître sa propre Constitution.
Dès lors que sont réunies les conditions, dès lors qu'il s'agit d'intégrer des citoyens qui veulent l'être, dès lors que le fondamentalisme religieux ne s'oppose pas à l'intégration, alors l'Etat républicain peut déployer sa politique au nom de cette France qui n'est ni un lieu de transit, ni une terre vierge ouverte à des peuplements nouveaux. Mais qui est une communauté de destin, ouverte à ceux qui acceptent ses valeurs, sa culture, son mode de vie et qui, passé un temps raisonnable d'adaptation, ont la volonté de partager les espoirs comme les difficultés de tous les Français.
Cette conception exigeante de la communauté nationale, la République a commencé par l'imposer aux Français eux-mêmes. Si les traits de la France que nous connaissons sont à peu près établis et définitifs au sortir de la Révolution française, être français, au sens où nous l'entendons, attendra un siècle de plus et le passage des "hussards noirs de la République". L'histoire de la littérature du XIXème siècle fourmillent de ces récits où Bretons, Savoyards, Lorrains, Auvergnats, Auvergnats, Provençaux, n'avaient jusque là d'autre patriotisme que celui de leur province ni, bien souvent, d'autre langue.
Puis, la première partie du XXème siècle verra le même moule assimiler sans trop prendre de gants, Italiens, Polonais, Espagnols et tant d'autres, que nous ne saurions plus, aujourd'hui, différencier des Français dits " de souche".
Le troisième temps de l'intégration, nul doute là-dessus, est le plus difficile pour le creuset français. C'est celui de l'intégration de ces populations venues d'Afrique, et notamment d'Afrique du Nord. Des populations qui sont liées à la France par un passé commun, tumultueux et trop souvent sanglant, et qui sont venues sur notre sol, à notre demande, pour contribuer à son essor économique.
Les grands peuples sont ceux qui ne renient pas leur histoire et qui ne bafouent pas leurs valeurs. Aussi ne doit-il subsister aucune ambiguïté : les étrangers qui sont régulièrement installés sur notre sol - sans qu'il y ait discrimination, je pense particulièrement à tous ceux qui sont originaires de pays qui ont été français - ont parfaitement le droit d'y rester d'y vivre à l'abri de nos lois. Ils ne seront ni plus ni moins concernés que les Français par les mesures que nous venons de prendre.
Les voies de l'intégration sont connues, même si elles sont trop souvent mal entretenues. Ce sont l'école, le travail, la formation, la vie associative, le droit de la nationalité enfin. Toutes ces voies doivent être rénovées, notamment, mais pas seulement, dans le cadre de la politique de la ville. En effet, pour de nombreux immigrés déjà bien intégrés, la notion d'intégration devait être dépassée par celle de promotion dans le cadre de la République.
Cela aurait en effet, pour tous les autres, valeur d'exemple et de symbole. Il y a de nombreuses voies qui permettent, dans notre pays, de s'élever dans la hiérarchie sociale, notamment la création d'entreprise, que je cite parce que des exemples récents, dans des quartiers difficiles, m'ont démontré qu'il y avait là, avec l'aide des collectivités locales, un riche potentiel d'intégration, de promotion et aussi de retour à la paix civile.
On pourrait multiplier les expériences. Cela demandera un effort réciproque mais qui ne voit que c'est là la clé de la réussite ?
J'ai souvent eu l'occasion de le dire : "entre le laxisme et l'Etat policier, il y a tout simplement l'Etat républicain !"
Encore faut-il bien sûr pour que l'Etat républicain puisse poursuivre sa mission que sa Police soit respectée et qu'il ne lui soit pas fait un procès permanent qui retirerait aux fonctionnaires de Police toute la motivation qui leur est nécessaire pour accomplir leurs difficiles tâches et faire respecter la Loi.
Cette mode qui veut que le citoyen ait besoin d'être protégé contre la Loi de la République et contre ceux qui sont chargés de l'appliquer me paraît en effet bien pernicieuse dès lors qu'on veut la pousser bien au-delà des droits naturels de la défense jusqu'au point où la Loi ne peut plus être appliquée.
Bien sûr, pour être respecté il faut être irréprochable. C'est la raison pour laquelle il faut à la Police des règles de déontologie suffisamment strictes pour la mettre à l'abri de tout soupçon.
Quand des incidents graves sont survenus mettant en cause des fonctionnaires de Police, j'ai jugé nécessaire de rappeler à tous les règles strictes de la déontologie de la police nationale et un effort considérable de formation à cette déontologie est actuellement entrepris dans tous les services. Sans que, pour autant, au nom de je ne sais quel " droit-de-l'hommisme" il s'agisse de renoncer à appliquer la Loi et à maintenir l'ordre public.
Mais cette question de la déontologie, cette question du partage entre ce qui, dans les comportements et dans les discours, est tolérable et ce qui l'est pas, cette question d'une vigilance absolument vitale, elles se posent pour l'Etat bien au-delà des forces de Police. Elles se posent pour l'administration tout entière. Elles se posent même bien au-delà de l'administration. C'est la raison pour laquelle il m'a semblé indispensable de demander aux Préfets de réunir les "cellules contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie" afin qu'elles deviennent, sur ces questions, un lieu de dialogue privilégié entre toutes les administrations et les citoyens ainsi qu'un moyen de connaître enfin suffisamment les progrès du mal pour pouvoir le réduire.
Afin de coordonner ces actions, j'ai l'intention d'installer très prochainement un Comité National contre le racisme et la xénophobie. Le Président de la Fondation des Droits de l'Homme, Monsieur PEREZ de CUELLAR, m'a donné son accord pour que ce comité se réunisse à l'Arche de la Fraternité, à la Défense. Nous aurons donc l'occasion, je l'espère, de nous retrouver à ce sujet.
Il me semble qu'en engageant ainsi le combat sur tous les fronts, nous avons une chance de l'emporter. Et il faut que nous l'emportions.
Que nous le remportions grâce au Droit, grâce à la Loi, grâce à des règles claires qui expriment la volonté générale dans le respect des grands principes.
II faut que nous l'emportions grâce aussi aux valeurs fondamentales qui sont les nôtres et qui ne se traduisent pas toujours dans la règle de Droit mais qui ordonnent tout. Valeurs qu'il faut rappeler, qu'il faut réveiller, qu'il faut fortifier sans cesse, parce qu'elles sont fragiles, et parce que sans elles il n'y aurait plus de civilisation.
Je suis particulièrement heureux d'avoir pu répondre à l'invitation de M. Emile MALET, et de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous, dans le cadre prestigieux de l'UNESCO, une des Institutions Universelles que le monde a voulue, après qu'il eût enfanté le pire, pour se prouver à lui-même qu'il méritait encore le nom de monde civilisé.
Dira-t-on en effet plus tard de nous que nous fûmes les enfants d'un siècle prestigieux où le génie humain se surpassa ou bien dira-t-on de nous que nous fûmes les enfants du siècle monstrueux qui inventa le racisme scientifique et l'épuration ethnique ?
Nul sans doute aujourd'hui ne peut répondre avec assurance à cette question. Mais il est au moins une certitude qui s'impose à nous. Nous savons désormais qu'aucune des conquêtes que l'esprit humain fit en ce siècle n'effacera le crime atroce que l'humanité commit contre elle-même, en fondant le meurtre collectif sur l'inégalité des races.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, d'une responsabilité de l'humanité tout entière, bien plus que de la sanglante folie de quelques-uns qu'on peut faire expier par la justice, ordinaire ou extraordinaire. A Nuremberg, on a puni les coupables des camps d'extermination mais on n'a pas soldé les comptes. Nous le savons tous, il y a une histoire d'avant et une histoire d'après la "solution finale".
Cette évidence s'impose à nous, qu'on le veuille ou non comme un fait, un fait avéré, un fait établi qu'aucun révisionniste ne réussira jamais à effacer de la mémoire collective, tout au contraire. Je sais que vous avez consacré une table ronde à ce sujet. Plus on s'acharne à nier l'Holocauste, et plus on découvre de martyrs, de témoins et de preuves. A force de nier ce qui ne peut l'être, à force de traquer les contradictions de témoins bouleversés, à force de chercher le moindre fait pour essayer à tout prix de prouver une supercherie, à force de ce combat malsain pour réécrire l'Histoire, c'est toute l'horreur de la mécanique meurtrière, dans tous ses engrenages, dans toutes ses procédures, dans tous ses détails qui apparaît au grand jour. Il n'est pas jusqu'aux factures des chambres à gaz, jusqu'à l'ingénierie des crématoires, jusqu'à la comptabilité des camps et de leurs fournisseurs qui ne remontent à la surface pour étayer le crime, son étendue, son organisation, sa planification. Plus on nie le crime et plus il impose son horreur.
Nous savons désormais de quoi notre humanité est capable et nous ne pouvons plus faire comme si nous ne le savions pas.
Jusqu'où mènent le concept biologique de la race, l'inégalité naturelle, le mépris de l'autre, nous le savons avec certitude. Quel que soit le point de départ, quelle que soit l'intention initiale nous savons qu'il y a une ligne qu'il ne faut pas franchir, nous savons qu'à rompre aussi peu que ce soit avec le principe de l'égale dignité des personnes nous pouvons glisser jusqu'à l'anéantissement de la civilisation, jusqu'à l'anéantissement de l'Homme par l'Homme, oui cela nous le savons désormais pour toujours et jusqu'à l'obsession.
Mais il ne suffit pas de connaître l'issue pour que cela ne recommence pas. Ni l'exhortation, ni le témoignage ne suffisent à extirper le mal. Pour que cela ne recommence pas nous n'avons pas d'autres choix que de chercher inlassablement à créer les conditions qui rendent improbable ce glissement tragique.
Conditions qui avant d'être politiques sont intellectuelles, morales et sociales car ce n'est pas tant l'existence d'une extrême droite partisane, l'existence d'une pensée d'extrême droite qui nourrit le plus dangereusement la xénophobie et le racisme, même si elle y contribue. Les antisémites extrêmes de la collaboration ne venaient pas tous, loin s'en faut, de l'extrême droite. Ils venaient de tous les horizons politiques. Ce ne sont pas les partis antisémites de l'avant-guerre qui ont fait à eux seuls, ni même de façon décisive, l'antisémitisme de la France de Vichy. Ce n'est pas davantage l'existence du parti National Socialiste qui a forgé l'Allemagne nazie.
Le phénomène, en Allemagne comme en France fut assez large, assez profond pour être davantage le résultat d'une multitude de déséquilibres, de tensions et de dérives, que de l'activisme de quelques désaxés fanatiques même doués d'une grande habileté politicienne.
II y avait un climat général sans lequel une tragédie de cette nature n'eut pas été possible. Et ce climat général n'incombait pas qu'aux politiciens, il incombait à toutes les élites, à toutes les autorités en même temps qu'aux circonstances douloureuses et inédites qu'il leur fallait affronter.
La terrible crise économique des années 30, le chômage massif, la brusque faillite d'une société industrielle qui ne tenait plus ses promesses tout en continuant d'exiger beaucoup, le repliement des Nations sur elles-mêmes, bref l'effondrement quasi général des repères et des espérances, voilà ce qui véritablement engendra la haine raciale ou du moins permit qu'elle se développât jusqu'à l'extrême horreur.
Et c'est bien cette leçon là qu'il nous faut méditer car les mêmes causes pourraient bien produire les mêmes effets. Quand une société se met à douter profondément d'elle-même, quand la solidarité qui unit ses membres s'affaiblit jusqu'à l'exclusion, jusqu'à la réapparition d'un sous-prolétariat toujours plus nombreux, quand la citoyenneté perd tout son sens pour une partie croissante de la population gagnée par l'angoisse de la précarité, alors, si l'on n'y prend pas garde, si on laisse aller les choses, c'est dans la haine de l'autre que le groupe cherchera finalement à refaire sa cohésion.
C'est dans ce moment de crispation hargneuse que les Nations deviennent dangereuses. Car alors le réflexe primitif de l'appartenance ethnique se met à l'emporter sur tout, sur la culture, sur les valeurs, sur la raison. II y a dans ces moments là comme une régression collective vers l'instinct tribal, celui qui ne connaît que les signes extérieurs de l'appartenance. Mais quel autre signe possible d'appartenance y-a-t-il pour eux que les signes visibles de l'appartenance raciale fussent-ils d'avantage de l'ordre du fantasme que de celui de la physiologie ?
La triple crise économique, sociale et morale dans laquelle nous nous trouvons nous oblige à prendre très au sérieux la moindre dérive xénophobe alors même que notre pays, de par une tradition universaliste multiséculaire, est l'un des mieux à même de résister à toute percée de la haine raciale.
La France n'est pas raciste. Mais peut-elle le devenir ?
L'effroi que nous inspire cette hypothèse ne doit pas nous conduire à tout confondre, au risque d'obtenir tout le contraire de l'effet recherché et de venir exacerber les tentations xénophobes.
C'est à coup sûr le résultat qu'on obtiendrait en proclamant que tout va bien, qu'il n'y a, aucun problème, que les difficultés du moment s'arrangeront elles-mêmes et qu'il faut laisser aller les choses comme elles vont...
C'est à coup sûr ainsi qu'on prendrait le risque de nourrir le racisme si l'on n'a que l'anathème à opposer à ce qui n'est souvent que le signe d'une profonde détresse dont il faut soigner les causes avant que de condamner les effets.
Et c'est là que les autorités morales, les intellectuels, les leaders d'opinion, ont un rôle décisif à jouer qu'hélas ils ne jouent pas toujours. Je veux dire par là qu'à étendre indéfiniment la notion de racisme, à voir partout du racisme et des racistes, on finit par banaliser le racisme au point qu'on le renforce.
II faut reconnaître que certaines réactions à la loi sur l'immigration que j'ai fait voter m'ont paru sombrer dans ce travers...
Défions-nous des censeurs qui préfèrent la morale théorique à la morale pratique. Comment ne pas se souvenir de la mésaventure qui arriva jadis à Claude Lévi STRAUSS, quand il publia "Race et Culture". C'était en 1971. Dans ce texte il dénonçait précisément "la confusion qui se créait autour de notions telles que celles de racisme et d'antiracisme et affirmait qu'à force de les élargir inconsidérément, on alimentait le racisme au lieu de l'affaiblir". Et en même temps il soulignait que c'est la différence des cultures qui rend leur rencontre féconde.
Le texte fit scandale. On n'avait le droit ni de réduire la notion de racisme à une définition rigoureuse, ni de parier de l'opposition des cultures. On n'avait pas ce droit là même quand on s'appelait Lévi Strauss, qu'on était le plus grand anthropologue de son temps et qu'on avait passé sa vie précisément à combattre l'idée même de l'inégalité des cultures et des races !
Voilà ce qu'avec le recul il faudrait que chacun médite, avant d'aborder ce sujet du racisme qui est forcément passionnel parce que les monstrueuses tragédies que ce siècle a connues interdisent qu'il en soit autrement
Mais où va-t-on quand certains voient dans la résurgence ente de l'idée nationale la cause du regain d'une xénophobie qui finira par devenir du racisme ? Comme si la Nation, c'était forcément un clan ethnique, comme si le sentiment national, c'était forcément du nationalisme ! Il y a des Nations comme la France qui sont universalistes et humanistes, qui sont ouvertes, qui n'ont jamais eu aucun fondement ethnique ni biologique ! Mais qui ont le droit de défendre leur personnalité sans sombrer pour autant dans l'obsession identitaire.
La Nation n'est pas la seule victime de ce nouvel intégrisme. Voilà qu'à son tour, l'idée républicaine elle-même est attaquée. Car la République ne connaît que des citoyens. Elle tolère toutes les communautés, toutes les associations, toutes les églises, elle ne les reconnaît pas comme des corps intermédiaires susceptibles de faire écran entre l'Etat et le citoyen.
Parce que la République Française entend rester " Une et Indivisible ", la voilà soupçonnée par certains d'être frileuse, pusillanime, xénophobe bientôt. Comme si le modèle anglo-saxon de ségrégation communautaire était un idéal d'harmonie sociale et de xénophilie ! Or c'est bien de cela qu'il s'agit : choisir entre l'assimilation républicaine fondée sur la citoyenneté et une forme plus ou moins atténuée de développement séparé des communautés au sein d'un même pays.
Ce choix, où nous mène-t-il sinon aux ghettos ? N'avons-nous pas déjà trop cédé dans ce sens là sous prétexte de se donner bonne conscience face à une prétendue intolérance républicaine ? Mais ce qui compte ce sont les conséquences concrètes dans les banlieues. Pas la bonne conscience des uns ou des autres.
Mon choix est fait. C'est celui de l'assimilation républicaine, avec la même loi, les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous.
Encore faut-il restaurer le creuset français en voie de désintégration. II faut que l'on s'accorde sur quelques principes essentiels, sur la laïcité, sur l'école républicaine, sur la solidarité et la cohésion nationale, sur la citoyenneté, ce qui va de soi, mais aussi, ce qui va moins de soi, sur cette idée qu'aucun creuset ne peut assimiler sans limite n'importe quel flux d'immigration, qu'aucun creuset aussi performant soit-il, ne peut assimiler toute la misère du monde, et que par conséquent il faut bien maîtriser les flux si l'on ne veut pas que toute politique d'intégration soit acculée à l'échec parce qu'elle sera immédiatement débordée.
Or, nous sommes déjà en retard d'une intégration.
Et c'est bien parce que dans la crise actuelle, la tentation du rejet et du bouc émissaire n'a jamais été aussi forte, qu'il faut être ferme sur ce point. Sinon, l'accumulation de part et d'autre des rancoeurs et des ressentiments nous conduira vite au désastre.
C'est dans ce sens que j'ai déclaré à l'Assemblée nationale que la loi sur l'immigration était "une nouvelle chance, sans doute la dernière, pour le modèle français d'intégration".
C'est là le rôle de l'Etat. On ne peut pas parler du creuset français et des populations qu'il lui faut assimiler sans parler de l'Etat, de l'Etat républicain, de sa volonté, de son autorité, de ses moyens. A l'Etat dans notre République, il revient de garantir en même temps et la cohésion de la Nation et le respect des personnes.
Mais pas à l'Etat tout seul. A l'Etat avec le concours des citoyens et tout particulièrement de ceux-là même qui exercent une autorité intellectuelle et morale. Chacun doit prendre sa part. Voilà l'Etat Républicain bien décidé à assumer la sienne.
Il est bien décidé à assumer ses responsabilités s'agissant de la maîtrise de l'immigration. Car rien ne sera possible si se développe indéfiniment une immigration irrégulière. Rien ne sera possible et pas seulement à cause de l'importance de ces flux clandestins, pas seulement à cause du nombre des faux conjoints, des faux enfants, des faux demandeurs d'asile, des faux étudiants, mais aussi à cause des effets psychologiques dévastateurs que provoque ce type d'immigration, à cause de cette certitude qu'il y a deux poids et deux mesures, à cause de cette certitude qu'il y a ceux qui respectent les règles et qui en payent le prix, et ceux qui ne respectent pas les règles et qui profitent du système.
Là se noue une exaspération dangereuse qui n'a rien à voir avec la statistique, qui n'a rien à voir avec l'économie, qui a tout à voir au contraire avec le symbole, avec le sentiment, avec la subjectivité. Et cette exaspération, elle a cette conséquence dramatique qu'elle conduit à confondre le demandeur d'asile et le réfugié économique, l'étranger en situation régulière et le clandestin, à confondre le travailleur et les profiteurs, à confondre l'honnête et le malhonnête, jusqu'à ce qu'au bout du compte naisse un rejet global, un sentiment anti-immigrés susceptible de dégénérer en haine raciale.
On peut toujours proclamer que c'est irrationnel, que tout cela vient du fantasme. II n'empêche, il faut bien tenter de stopper cette dérive et on ne la stoppera pas en lui opposant simplement des statistiques qui par définition ne reposent sur rien s'agissant d'un phénomène qui n'est pas mesurable.
Il n'y a en réalité pas d'autres voies que de faire en sorte que soit respecté le principe fondamental de l'égalité devant la Loi. Et il ne s'agit pas là simplement de philosophe, il s'agit de conditions concrètes qu'il faut mettre en place, il s'agit de moyens juridiques précis, de procédures, de doctrine d'emploi des forces de police. II s'agit des contrôles d'identité, du regroupement familial, des mariages de complaisance, de l'expulsion des étrangers qui représentent une menace pour l'ordre public, des mesures d'éloignement forcé, du droit d'asile limité aux cas qui le justifient.
Et là bien sûr on sort très vite du consensus philosophique. Il faut bien pourtant aller sur ce terrain là si l'on veut réellement infléchir le cours des choses. C'est ce que le Gouvernement a entrepris de faire, dans le respect des principes de la République, dans le respect de la dignité de la personne humaine, dans le respect des droits de l'Homme.
La question du droit d'asile est bien sûr exemplaire de la voie que le Gouvernement a choisie. Nul ne songeait dans cette affaire à remettre en cause cette vocation par laquelle la France est la France aux yeux du monde, cette vocation qui fait de la France une terre d'accueil pour les proscrits du monde entier. Mais tout le monde savait bien qu'à force de détournements, le droit d'asile se trouvait dénaturé et menacé dès lors par l'exaspération populaire. II fallait donc agir, et pour fermer l'une des voies d'une nouvelle émigration économique, et pour préserver la pérennité du principe lui-même.
Ayant accepté le principe de la libre circulation au sein de la C.E.E. et ayant signé les accords de Schengen, la France ne pouvait résoudre ce problème dans un cadre exclusivement national. Le parlement a suivi le Gouvernement dans sa démarche. Le Conseil Constitutionnel ne l'a pas suivi. II fallait donc ou bien renoncer, ou bien modifier la Constitution. C'est cette voie que j'avais proposée, c'est celle qui a été choisie malgré les difficultés qu'elle présentait. Un projet de révision constitutionnelle a donc été mis au point qui tout en permettant d'éviter les abus, préserve la souveraineté nationale et affermit le principe du Droit d'Asile.
Dans le même esprit républicain, la réforme du Code de la Nationalité avait auparavant permis de faire face au défi d'une importante immigration de peuplement tout en réaffirmant le principe du Droit du sol.
Cette réforme du Code de la Nationalité est d'ailleurs beaucoup plus importante qu'on ne le croit souvent, si l'on quitte le terrain de la maîtrise des flux migratoires pour se placer sur celui de l'intégration. On ne peut en effet espérer intégrer et au bout du compte assimiler dans notre creuset républicain que ceux qui choisissent vraiment, en conscience, de devenir Français.
La contrepartie de l'absence de critère ethnique dans la conception française de la nation c'est qu'elle ne peut être fondée que sur l'adhésion. Quand Michelet proclamait que "La France est un principe spirituel", il appelait par là même ceux qui veulent en devenir les citoyens à faire leur ce principe.
Donc en subordonnant l'acquisition de la nationalité française à un acte volontaire, on a posé la première pierre d'une grande politique d'intégration. Bien sûr, il ne suffit pas de dire qu'on veut devenir français. Il faut aussi le vouloir vraiment. Et le vouloir vraiment cela se traduit forcément dans le comportement face à tout le système de valeurs autour duquel s'organise la société française.
C'est assez dire à mon sens que la volonté de devenir français n'a aucun sens si elle s'accompagne d'une soumission totale à un fondamentalisme religieux étranger à toutes les traditions de la France, contraire au principe de laïcité, incompatible avec notre conception de la cité, inconciliable avec notre idée de l'homme et de la femme, incompatible avec notre citoyenneté.
Soyons clairs, notre principe de tolérance ne peut pas s'accorder avec l'intolérance. On ne peut pas plus vivre l'Islam en terre Chrétienne comme on le vit en terre islamique pas plus qu'on ne peut vivre le christianisme en terre islamique, comme on le vit en terre chrétienne.
Forcément, il faut tenir compte de l'histoire, des traditions, des moeurs du pays, de la civilisation qui s'y est installée, pour y adapter, y acclimater une religion qui lui est étrangère. L'intégrisme dans ces conditions ne peut que provoquer le rejet. L'Islam français doit puiser son aspiration dans cette partie de l'islam qui est ouverte, moderniste, tolérante. II ne peut pas être intégriste et fondamentaliste. II ne peut pas l'être non par reflet d'une théorie ou d'une idéologie mais parce que la société française tout entière se dressera contre lui, fera bloc contre lui, le rejettera violemment.
Pour prendre un exemple que chacun connaît, il n'y a pas de place dans notre Ecole républicaine et laïque pour le foulard islamique. C'est la réalité culturelle et sociologique française qui le veut. C'est la philosophie républicaine qui le veut. La forcer ne servirait qu'à susciter une exaspération dont j'ai déjà assez dit combien elle était périlleuse.
II faudra en revanche, que la République et l'Islam trouvent leur concordat, si je puis dire. Cela ne peut se faire que dans le respect du cadre politique et juridique de notre République, c'est-à-dire la laïcité bien sûr, mais aussi l'absence d'interventions étrangères. Cela implique également des interlocuteurs reconnus et représentatifs. J'ai engagé une réflexion sur ce problème difficile, délicat, mais que notre pays ne peut pas résoudre, sauf à méconnaître sa propre Constitution.
Dès lors que sont réunies les conditions, dès lors qu'il s'agit d'intégrer des citoyens qui veulent l'être, dès lors que le fondamentalisme religieux ne s'oppose pas à l'intégration, alors l'Etat républicain peut déployer sa politique au nom de cette France qui n'est ni un lieu de transit, ni une terre vierge ouverte à des peuplements nouveaux. Mais qui est une communauté de destin, ouverte à ceux qui acceptent ses valeurs, sa culture, son mode de vie et qui, passé un temps raisonnable d'adaptation, ont la volonté de partager les espoirs comme les difficultés de tous les Français.
Cette conception exigeante de la communauté nationale, la République a commencé par l'imposer aux Français eux-mêmes. Si les traits de la France que nous connaissons sont à peu près établis et définitifs au sortir de la Révolution française, être français, au sens où nous l'entendons, attendra un siècle de plus et le passage des "hussards noirs de la République". L'histoire de la littérature du XIXème siècle fourmillent de ces récits où Bretons, Savoyards, Lorrains, Auvergnats, Auvergnats, Provençaux, n'avaient jusque là d'autre patriotisme que celui de leur province ni, bien souvent, d'autre langue.
Puis, la première partie du XXème siècle verra le même moule assimiler sans trop prendre de gants, Italiens, Polonais, Espagnols et tant d'autres, que nous ne saurions plus, aujourd'hui, différencier des Français dits " de souche".
Le troisième temps de l'intégration, nul doute là-dessus, est le plus difficile pour le creuset français. C'est celui de l'intégration de ces populations venues d'Afrique, et notamment d'Afrique du Nord. Des populations qui sont liées à la France par un passé commun, tumultueux et trop souvent sanglant, et qui sont venues sur notre sol, à notre demande, pour contribuer à son essor économique.
Les grands peuples sont ceux qui ne renient pas leur histoire et qui ne bafouent pas leurs valeurs. Aussi ne doit-il subsister aucune ambiguïté : les étrangers qui sont régulièrement installés sur notre sol - sans qu'il y ait discrimination, je pense particulièrement à tous ceux qui sont originaires de pays qui ont été français - ont parfaitement le droit d'y rester d'y vivre à l'abri de nos lois. Ils ne seront ni plus ni moins concernés que les Français par les mesures que nous venons de prendre.
Les voies de l'intégration sont connues, même si elles sont trop souvent mal entretenues. Ce sont l'école, le travail, la formation, la vie associative, le droit de la nationalité enfin. Toutes ces voies doivent être rénovées, notamment, mais pas seulement, dans le cadre de la politique de la ville. En effet, pour de nombreux immigrés déjà bien intégrés, la notion d'intégration devait être dépassée par celle de promotion dans le cadre de la République.
Cela aurait en effet, pour tous les autres, valeur d'exemple et de symbole. Il y a de nombreuses voies qui permettent, dans notre pays, de s'élever dans la hiérarchie sociale, notamment la création d'entreprise, que je cite parce que des exemples récents, dans des quartiers difficiles, m'ont démontré qu'il y avait là, avec l'aide des collectivités locales, un riche potentiel d'intégration, de promotion et aussi de retour à la paix civile.
On pourrait multiplier les expériences. Cela demandera un effort réciproque mais qui ne voit que c'est là la clé de la réussite ?
J'ai souvent eu l'occasion de le dire : "entre le laxisme et l'Etat policier, il y a tout simplement l'Etat républicain !"
Encore faut-il bien sûr pour que l'Etat républicain puisse poursuivre sa mission que sa Police soit respectée et qu'il ne lui soit pas fait un procès permanent qui retirerait aux fonctionnaires de Police toute la motivation qui leur est nécessaire pour accomplir leurs difficiles tâches et faire respecter la Loi.
Cette mode qui veut que le citoyen ait besoin d'être protégé contre la Loi de la République et contre ceux qui sont chargés de l'appliquer me paraît en effet bien pernicieuse dès lors qu'on veut la pousser bien au-delà des droits naturels de la défense jusqu'au point où la Loi ne peut plus être appliquée.
Bien sûr, pour être respecté il faut être irréprochable. C'est la raison pour laquelle il faut à la Police des règles de déontologie suffisamment strictes pour la mettre à l'abri de tout soupçon.
Quand des incidents graves sont survenus mettant en cause des fonctionnaires de Police, j'ai jugé nécessaire de rappeler à tous les règles strictes de la déontologie de la police nationale et un effort considérable de formation à cette déontologie est actuellement entrepris dans tous les services. Sans que, pour autant, au nom de je ne sais quel " droit-de-l'hommisme" il s'agisse de renoncer à appliquer la Loi et à maintenir l'ordre public.
Mais cette question de la déontologie, cette question du partage entre ce qui, dans les comportements et dans les discours, est tolérable et ce qui l'est pas, cette question d'une vigilance absolument vitale, elles se posent pour l'Etat bien au-delà des forces de Police. Elles se posent pour l'administration tout entière. Elles se posent même bien au-delà de l'administration. C'est la raison pour laquelle il m'a semblé indispensable de demander aux Préfets de réunir les "cellules contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie" afin qu'elles deviennent, sur ces questions, un lieu de dialogue privilégié entre toutes les administrations et les citoyens ainsi qu'un moyen de connaître enfin suffisamment les progrès du mal pour pouvoir le réduire.
Afin de coordonner ces actions, j'ai l'intention d'installer très prochainement un Comité National contre le racisme et la xénophobie. Le Président de la Fondation des Droits de l'Homme, Monsieur PEREZ de CUELLAR, m'a donné son accord pour que ce comité se réunisse à l'Arche de la Fraternité, à la Défense. Nous aurons donc l'occasion, je l'espère, de nous retrouver à ce sujet.
Il me semble qu'en engageant ainsi le combat sur tous les fronts, nous avons une chance de l'emporter. Et il faut que nous l'emportions.
Que nous le remportions grâce au Droit, grâce à la Loi, grâce à des règles claires qui expriment la volonté générale dans le respect des grands principes.
II faut que nous l'emportions grâce aussi aux valeurs fondamentales qui sont les nôtres et qui ne se traduisent pas toujours dans la règle de Droit mais qui ordonnent tout. Valeurs qu'il faut rappeler, qu'il faut réveiller, qu'il faut fortifier sans cesse, parce qu'elles sont fragiles, et parce que sans elles il n'y aurait plus de civilisation.