Texte intégral
(Intervention devant l'Assemblée nationale à Paris, le 5 juin 2003) :
Chacun sait que la France, patrie des Droits de l'Homme est une terre d'asile, que le droit d'asile est un principe qui remonte à 1793 quand les constituants proclamaient que "le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté".
Il faut pourtant raconter l'histoire de cet homme ou de cette femme que le fanatisme, l'intolérance ou la guerre a chassé de sa terre.
Au terme d'un voyage en forme de calvaire, il est arrivé chez nous pour franchir les portes d'une préfecture ou de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il a raconté un itinéraire de douleur. On lui a remis un document provisoire et indiqué que la décision lui serait communiquée plus tard. C'était il y a près de deux ans. Dans l'incertitude et la précarité, il attend : il n'a qu'une autorisation provisoire de séjour et n'a pas le droit de travailler. Fragilisé, il est exposé à toutes les compromissions...
Pourtant, la France s'est engagée en signant la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, puis en adoptant la loi du 25 juillet 1952, qui a créé l'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés, la CRR.
Ce dispositif a été complété en 1998, notamment pour faire face à la crise algérienne. La loi Réséda a ainsi créé deux nouvelles formes d'asile : l'asile "constitutionnel" accordé par l'OFPRA à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ; l'asile territorial, accordé par le ministre de l'Intérieur aux étrangers menacés dans leur pays ou exposés à des traitements inhumains ou dégradants.
Or, l'exercice du droit d'asile est en crise.
Nous sommes confrontés à quatre difficultés : notre dispositif est engorgé ; il rend ses décisions dans des délais trop longs ; il est source de détournements de procédure et de plus en plus coûteux.
L'engorgement : en cinq ans, le nombre de demandes d'asile conventionnel reçues par l'OFPRA est passé de 23 000 à 53 000. Les demandes d'asile territorial enregistrées par le ministère de l'Intérieur ont atteint 30 000 demandes en 2002.
Comme l'a souligné M. Leonetti dans son rapport, notre pays est devenu l'un des premiers pays d'accueil d'Europe. Les équipes de l'OFPRA et de la CRR, comme celles du ministère de l'Intérieur, sont submergées, malgré les nouveaux moyens mis en place par le gouvernement depuis un an.
Les délais : il n'est pas rare qu'il s'écoule dix-huit mois entre le dépôt d'une demande à l'OFPRA et la décision finale de la CRR. Pour l'asile territorial, les délais sont encore plus longs.
Pendant ce temps, quelles conditions de vie offrons-nous à ces femmes et à ces hommes ?
Les centres d'accueil sont saturés. Bien des demandeurs d'asile ont recours au dispositif d'accueil d'urgence prévu pour les sans-abri.
Détournements de procédure : certes, l'afflux de demandeurs d'asile témoigne de l'aggravation des violations des Droits de l'Homme et des persécutions à l'échelle de la planète, mais les personnes réellement persécutées sont loin de représenter la majorité des demandeurs : alors qu'il reconnaissait le statut de réfugié pour près d'un dossier sur cinq il y a peu, l'OFPRA ne l'accorde plus qu'à moins de 13 % des demandeurs. Et pour l'asile territorial, le taux de décisions favorables n'a pas dépassé 0,3 % en 2002.
Beaucoup d'étrangers sollicitent notre système d'asile, non pour obtenir la protection de notre pays, mais pour des raisons d'ordre économique.
Hormis les Algériens, près de 90 % des demandeurs d'asile sont entrés irrégulièrement sur notre territoire grâce à des filières d'immigration clandestine, par voie terrestre ou aérienne : sur plus de huit cents demandes d'asile à la frontière reçues au mois d'avril à l'aéroport de Roissy, une trentaine seulement font l'objet d'un avis favorable du ministère des Affaires étrangères.
La juxtaposition des procédures de l'asile conventionnel et de l'asile territorial permet aux demandeurs d'asile abusifs de se maintenir jusqu'à trois ans dans notre pays avant le rejet définitif de leur demande.
Soyons lucides : c'est le pacte social et républicain lui-même que ces errements mettent en péril.
Le dérapage des coûts, enfin : ces réfugiés, maintenus dans une situation précaire, n'ont pas accès au marché du travail alors qu'ils devraient trouver une vraie place dans notre société. Dépendants de notre aide sociale, ils contribuent à en déséquilibrer le financement : en deux ans, le coût du dispositif d'accueil est passé de 150 à 270 millions d'euros ; si rien n'est fait, cette tendance s'accentuera et cumulera tous les inconvénients : charge financière de plus en plus lourde, situation de moins en moins digne pour les réfugiés.
Le président de la République l'a dit le 14 juillet dernier : cette situation est intolérable. Il faut y remédier, en trouvant un nécessaire équilibre entre la rigueur et la générosité.
C'est un dispositif rénové qui vous est soumis, autour de quatre objectifs : offrir une meilleure protection à ceux qui la méritent ; unifier nos procédures pour réduire les délais ; inscrire notre droit dans un cadre européen ; rationaliser les moyens alloués au dispositif.
Deux mesures essentielles illustrent la volonté du gouvernement de mieux protéger les demandeurs d'asile : l'abandon - pour mieux appliquer la Convention de Genève - du critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions pour l'octroi du statut de réfugié ; la substitution de la protection subsidiaire de l'asile territorial.
Le statut de réfugié pourra être accordé même si les persécutions proviennent d'acteurs non étatiques, comme c'est de plus en plus souvent le cas. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ainsi que les associations et organisations d'aide aux réfugiés souhaitaient depuis longtemps cette évolution.
La protection dite "subsidiaire" - parce qu'elle sera accordée aux personnes qui ne remplissent pas les conditions d'octroi du statut de réfugié prévues par la Convention de Genève - remplacera l'asile territorial. L'OFPRA vérifiera si le demandeur relève des critères de la Convention de Genève avant d'envisager, si tel n'est pas le cas, l'octroi éventuel de la protection subsidiaire, dont les critères sont plus précis que ceux de l'actuel asile territorial, ce qui devrait diminuer le risque d'arbitraire.
Cette hiérarchisation témoigne de ce que le gouvernement n'a aucunement l'intention de marginaliser la Convention de Genève.
En outre, alors que l'asile territorial laissait une grande marge d'appréciation au ministère de l'Intérieur, l'OFPRA sera tenu d'accorder la protection subsidiaire dès lors que les critères en seront réunis.
Les officiers de protection de l'OFPRA, spécialistes du droit d'asile, indépendants et bons connaisseurs des pays d'origine, examineront désormais les demandes, tandis que les recours se feront devant la CRR avec un caractère suspensif, ce qui n'est pas actuellement le cas devant les tribunaux administratifs.
Certains se sont émus de ce que l'OFPRA reçoive la responsabilité de vérifier que la "présence du demandeur d'asile sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat".
Il est essentiel que l'appréciation de la demande soit tout entière dévolue à l'OFPRA plutôt que de souffrir encore un démembrement de cette compétence qui occasionnerait divergences d'appréciation et délais. Et il me semble préférable que cette appréciation soit confiée à un agent indépendant dont la mission est de veiller à l'application du droit d'asile.
Il ne serait pas responsable d'ignorer en matière d'asile la sécurité de nos concitoyens. Nous savons tous que les déplacements internationaux comportent des risques de trafics et de violences. Reste à évaluer cette menace et à éviter qu'elle ne devienne un prétexte trop facile pour refuser l'asile. Le gouvernement est prêt à réfléchir avec vous sur ce point.
En second lieu, pour unifier les procédures et réduire les délais d'instruction, trois innovations vous sont proposées.
Le gouvernement veut instaurer un "guichet unique". L'OFPRA sera donc seul compétent en matière d'asile conventionnel et de protection subsidiaire. Son encadrement sera renforcé, notamment par la création d'un véritable conseil d'administration. Y siégeront trois personnalités qualifiées, le représentant du HCR, ainsi que, ce qui est nouveau, un représentant du personnel de l'Office. Le gouvernement soutiendra l'amendement de la commission assurant la présence d'au moins un représentant des associations compétentes.
A ce guichet unique correspondra une procédure unique. C'est à l'OFPRA qu'il appartiendra de qualifier la demande d'asile lors de l'instruction du dossier, évitant ainsi le dépôt de demandes successives sur des fondements juridiques différents, avec les abus qui en résultent.
Un recours juridictionnel unique, devant la CRR complétera ce dispositif.
J'ai entendu la préoccupation des rapporteurs, de nombreux représentants d'associations et de plusieurs parlementaires, quant à la présence du HCR au sein de cette juridiction : je ne m'opposerai pas à un amendement restituant au Haut Commissaire pour les réfugiés la responsabilité de désigner lui-même ses représentants au sein des sections de jugement de la CRR. Le gouvernement se félicite de cette contribution de la commission des lois, qui lève l'ambiguïté sur la participation du HCR.
Cette rationalisation de notre système d'asile va permettre de raccourcir très sensiblement les délais d'instruction des demandes par l'OFPRA. Cette réduction ne se fera pas au détriment des demandeurs d'asile, au contraire, elle lèvera bien plus vite l'incertitude sur leur sort.
Elle ne sera en fait défavorable qu'à ceux qui misaient jusqu'à présent sur la longueur de la procédure pour se maintenir le plus longtemps possible sur notre territoire.
Je le répète, les garanties offertes aux demandeurs d'asile vont être étendues, puisque sont assurés un examen au fond de leur demande, la présence d'un conseil au cours des auditions et un recours juridictionnel à effet suspensif pour les deux types d'asile.
La question de la convocation pour audition de chaque demandeur d'asile a été posée avec insistance. Prévue dans le projet de loi initial, cette disposition en a été retirée car de nature réglementaire. Il faut savoir que le principe d'un entretien systématique avec chaque demandeur entraînerait des coûts supplémentaires de personnel, d'interprétariat, de locaux et donc un accroissement des charges pesant sur le budget de l'Etat. Des efforts sont déjà en cours pour augmenter le nombre de convocations. Ayons donc en la matière des ambitions réalistes.
Notre troisième objectif est d'inscrire notre droit d'asile dans un cadre européen.
Avec le traité d'Amsterdam, nous nous sommes engagés dans une harmonisation des droits de l'asile et de l'immigration. L'expérience de Sangatte a montré les dérives auxquelles peuvent conduire les divergences entre Etats membres. Il faut absolument éviter ces flux secondaires de migration.
Le projet s'inspire donc de deux directives en cours de discussion à Bruxelles, portant l'une sur le statut de réfugié et la protection subsidiaire, l'autre sur les procédures d'asile.
Outre la création d'une procédure unique et de la protection subsidiaire, l'inspiration communautaire du projet se traduit par l'introduction de deux nouveaux concepts dans notre ordre juridique : l'asile interne et les pays d'origine sûrs.
Il faut en effet prendre en compte la diversité des situations dans les pays d'origine. Ce n'est pas parce qu'une partie de la Côte d'Ivoire ou de la République démocratique du Congo est en proie à la rébellion ou aux massacres que tous les citoyens de ces deux pays ont vocation à demander l'asile à la France.
Les concepts d'asile interne et de pays d'origine sûrs sont d'ailleurs déjà en vigueur chez la plupart de nos partenaires européens et reconnus par le HCR.
La notion d'asile interne permettra à l'OFPRA de refuser l'asile à une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine et qui pourrait y être renvoyée sans crainte d'y être persécutée.
La rédaction du projet garantit une application prudente car il sera procédé à une évaluation au cas par cas.
J'ai entendu les préoccupations des associations engagées dans la protection des demandeurs d'asile et je vous proposerai un amendement qui devrait mieux répondre au souci de prudence dans l'appréciation de cette possibilité locale d'asile.
Quant à la notion de pays d'origine sûr, chacun peut comprendre qu'une demande d'asile devra être traitée différemment selon que la personne provient d'un Etat de droit ou d'une dictature.
Un pays d'origine sûr est celui qui respecte les principes de liberté et de démocratie, les Droits de l'Homme et l'Etat de droit et où des persécutions ne peuvent être autorisées ni demeurer impunies.
Il ne s'agira pas de rejeter systématiquement les demandes d'asile déposées par des ressortissants de ces pays, mais simplement de les traiter selon une procédure accélérée, dite "prioritaire", avec la garantie d'un examen de fond de chaque dossier.
Nous devons aboutir rapidement à la fixation par l'Union européenne d'une liste commune de pays présumés sûrs, facilement révisable pour tenir compte des évolutions de la situation internationale.
En attendant, le conseil d'administration de l'OFPRA sera chargé d'établir cette liste à titre provisoire.
Le dernier objectif de la réforme est la rationalisation des moyens alloués au dispositif, afin de ramener à deux mois en moyenne le délai de traitement des dossiers par l'OFPRA.
Ce devrait être chose faite au 1er janvier 2004, grâce aux moyens, substantiels mais temporaires, qui ont été dégagés sur le budget 2003 pour traiter le grand nombre de dossiers en attente.
Au-delà, des moyens permanents seront nécessaires à l'OFPRA et à la Commission des recours pour absorber la charge supplémentaire issue de la réforme. La réduction de la durée des procédures devrait aboutir à celle du coût de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile.
J'ai demandé au directeur de l'OFPRA, au président de la Commission des recours et à mes services d'élaborer rapidement, en liaison avec le ministère délégué au Budget, un contrat d'objectifs et de moyens, reposant sur une évaluation lucide de l'impact de la réforme et de l'augmentation des demandes et proposant des innovations dans l'organisation du travail. Les personnels seront évidemment associés à ce contrat.
Permettez-moi de rendre ici hommage à tous ceux qui assument chaque jour la lourde mission dévolue à l'Office, avec un dévouement exemplaire, un sens aigu de leurs responsabilités et le souci de préserver ce service public si particulier. Le gouvernement veillera, dans un contexte budgétaire difficile, à leur donner les moyens adaptés à leur mission.
Les questions que nous évoquons aujourd'hui sont difficiles, elles concernent le destin d'hommes et de femmes qui souffrent et croient en la France.
C'est un système d'asile plus juste et plus efficace que le gouvernement vous propose pour que la France reste fidèle à une tradition d'accueil qui a tant contribué à sa réputation.
Il ne faut plus que les désordres de notre dispositif d'asile soient porteurs d'injustices, d'inquiétudes et de précarité. Il faut au contraire qu'ensemble, nous redonnions à l'asile ses lettres de noblesse et que nous soyons fiers de ce droit si intimement lié aux valeurs et aux convictions que la France entend défendre à travers le monde.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2003)
(Interview à Canal Plus à Paris, le 6 juin 2003) :
Q - Le droit d'asile : pour qui ?
R - Toute personne persécutée en raison de ses opinions, en raison de sa religion, en raison de son ethnie, peut demander le droit d'asile en France. Et je le dis bien, c'est un droit. La France est fidèle à sa vocation.
Q - Demande d'asile ou immigration clandestine ?
R - Comparons d'abord les chiffres. Les demandes d'asile, chaque année, ce sont 80.000 personnes, 80.000 demandes. L'émigration, ce sont 3 millions de demandes. Dans un cas, c'est un droit, le droit d'asile. L'émigration est un choix. Et les responsabilités ne sont pas les mêmes. Dans un cas, c'est le ministère des Affaires étrangères qui est responsable pour le droit d'asile. Dans l'autre cas, c'est le ministère de l'Intérieur. Sur ces 80.000 demandes, moins de 10 % sont acceptées. C'est vous dire qu'il y a une toute petite proportion de ces demandeurs d'asile qui viennent effectivement pour de bonnes raisons. Les autres sont déboutés de leur droit. C'est dire qu'il n'y a pas là le vecteur d'immigration que l'on met en avant trop souvent. On voit bien que les proportions ne sont pas là.
Q - Quelle est la réforme ?
R - Aujourd'hui, vous l'avez dit, il faut près de deux ans pour instruire un dossier de droit d'asile. Nous voulons ramener ce délai à deux mois. Nous voulons tout mettre sous la responsabilité de l'OFPRA, avec des agents indépendants qui vont examiner chaque dossier. Nous visons une procédure unique, une possibilité de recours à travers une juridiction, la Commission du recours des réfugiés. Il y a donc là, vous le voyez bien, une volonté de simplification à la fois sur le plan juridictionnel et sur le plan de l'instruction des dossiers et nous pensons que nous serons ainsi plus efficaces mais surtout plus justes. C'est bien l'objectif de la réforme.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2003)