Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe parlementaire des députés communistes et républicains à l'Assemblée nationale, sur les positions du PCF dans le débat budgétaire, la préparation d'une constitution européenne, la question du foulard islamique et la perspective des élections régionales.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

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A. Hausser. Vous avez peu dormi, si j'ai compris, puisque vous avez décidé de mener la vie dure au Gouvernement, et dès hier soir, vous avez demandé une interruption de séance parce que le quorum n'était pas atteint. Vous allez mener la guérilla pendant toute la session budgétaire ?
- "Le Gouvernement et la majorité actuels ont décidé de mener la vie dure aux Françaises et aux Français. Et le projet de budget qui est mis en discussion actuellement à l'Assemblée nationale, est un budget horribilis. C'est un budget qui va porter des coups terribles à l'emploi, au niveau de vie de la majorité des Françaises et des Français, c'est un budget qui ne donnera aucune croissance. Il y a dix ans qu'on n'a pas connu cela. La dernière en date, c'était sous MM. Balladur et Juppé. Et donc, on ne peut pas laisser faire les choses comme cela, gaiement, gentiment. Et nous, les députés communistes, on a décidé de résister, de ne pas laisser faire, de révéler la nocivité de ce budget qui est souhaité par le Medef et de faire des propositions alternatives."
Quand le Gouvernement dit qu'il n'agit que pour l'emploi et en faveur de l'emploi, pour libérer les énergie, c'est un discours que vous n'arrivez pas à entendre ?
- "C'est une supercherie totale. Quand on annonce, une fois de plus, 1,2 milliard d'euros de fiscalité de moins, dites "charges patronales", de cotisations sociales, ce qui va faire monter annuellement à 17 milliards d'euros cet allégement des charges, et qu'en même temps, il y a 37 000 suppressions d'emplois depuis le début de l'année, et que l'on va atteindre les 10 % de taux de chômage, je me dis que c'est une politique qui mène tout droit la France dans le mur, et dans le déclin et dans la récession. La preuve n'a pas été faite qu'en allégeant ce qu'on appelle "les charges patronales", que l'on puisse créer des emplois. D'ailleurs, nous avons demandé - je le souligne et je fais un petit scoop - qu'il y ait une commission d'enquête pour une évaluation de ce qu'a donné l'aide publique pour les entreprises et l'allégement des cotisations de toutes sortes."
Cela rejoint la commission d'enquête sur les 35 heures, puisque...
- "Oui, mais discutons de tout : discutons des 35 heures mais discutons de ce qu'a donné la baisse des cotisations sociales pour les entreprises et l'aide publique qui n'est pas contrôlée, du point de vue du bilan pour l'emploi. Chiche ? Discutons-en. Et nous avons demandé à l'Assemblée nationale que l'on ouvre cette mission d'enquête pour y voir plus clair. Ensuite, ce budget, en un mot, c'est un budget qui est fait pour les plus riches. Une fois de plus, on baisses les impôts de 3 %, mais quand on y regarde de près, cela représente 1,6 milliard d'euros cette baisse des impôts ; 30 % de ces 1,6 milliards d'euros, vont aller dans les poches de 1% des contribuables. C'est absolument inadmissible ! Alors, on fait payer par les plus pauvres la richesse des plus riches."
Et pourtant, le Gouvernement a refusé la revalorisation du barème de l'ISF, ce qui est quand même un geste de justice sociale.
- "Tout à fait. Nous, nous faisons des propositions visant à revaloriser l'ISF, à élargir l'assiette, il ne le veut pas, et pour cause : c'est un Gouvernement qui défend les privilégiés. Quelqu'un a crié, dans l'Assemblée nationale, il y a quelque temps : "UMP, Union pour les privilégiants !". C'est absolument ça : on est dans un système où l'on fait tout pour les plus fortunés, les plus aisés, ceux qui jouent avec la finance et la spéculation financière. Pendant ce temps-là, ceux qui sont au travail, le monde du travail est absolument touché dans sa vie quotidienne."
Pour que les Français vous comprennent bien, j'ai cru comprendre que vous alliez faire de la guérilla, vous allez mener une guérilla parlementaire...
- "Vous l'appelez comme vous voulez. Nous allons nous battre, avec les armes parlementaires qui existent, qui sont quand même relativement modestes, si je puis dire, pendant toute la semaine..."
Et spectaculaire...
- "Parce que nous voulons faire comprendre aux Françaises et aux Français, qu'il se passe quelque chose de grave, de dangereux, pour l'avenir immédiat et plus lointain. Et qu'il faut réagir, il faut se réveiller, il faut se mobiliser. Parce qu'on ne peut pas laisser un budget passer, comme cela, au gré des débats parlementaires, sans qu'on interpelle les Françaises et les Français. Nous voulons aider à le faire, et nous serons de ce point de vue, évidemment, très combatifs, très déterminés - l'ensemble du groupe communiste. Nous avons fait une petite expérience au moment des retraites, ça eût payé."
On va voir si cela va payer cette fois-ci, également. En tout cas, on suivra vos travaux. Autre sujet d'actualité, c'est la préparation d'une Constitution européenne. F. Hollande a écrit à J. Chirac en demandant pourquoi il ne consultait pas les responsables politiques ; vous pensez qu'il devrait le faire ?
- "Je pense même qu'il faudrait consulter l'ensemble des Français."
Avant.
- "Oui, d'accord. Mais pour qu'il y ait une discussion, il me paraît naturel que le président de la République consulte l'ensemble des forces vives, des représentants des partis politiques et autres représentants d'institutions sur un sujet aussi important que celui-là. C'est de l'avenir de l'Europe et de la France dont il s'agit. Mais la question des questions, c'est quelle Constitution européenne ? C'est une Constitution européenne qui a été mise en oeuvre sous la houlette de V. Giscard d'Estaing, qui a vraiment un contenu ultralibéral - c'est net -, et qui ne prépare pas l'Europe sociale et démocratique qu'il faudrait. Donc, il y a un vrai débat sur ce sujet. Mais il y a au moins une chose qui est certaine : on ne peut pas aller vers cela sans une consultation de l'ensemble des Françaises et des Français par voie de référendum, et qu'il y ait un vrai débat dans le pays."
Vous avez pris position sur le port du foulard à l'école ?
- "Nous sommes représentés dans la commission à l'Assemblée nationale ; c'est un débat pour lequel on ne peut pas répondre en blanc et en noir, c'est un vrai sujet. Sauf qu'il faut évidemment tout faire pour lutter contre les communautarismes qui s'installent."
Oui mais vous dites "on ne peut pas répondre par blanc et par noir", justement, ne faudrait-il pas une règle pour tout le monde ?
- "Probablement. Je n'ai pas de réponse toute faite. On dit, dans les couloirs de l'Assemblée, dans cette commission d'enquête, que l'on irait vers un texte de loi. Bon... En même temps, il faut prendre toutes les garanties, il faut regarder pour que les libertés individuelles de croyance et de pensée soient respectées. Il faut essayer de faire en sorte que l'école publique, en particulier - parce c'est à cet endroit que c'est plus révélateur, mais cela se passe aussi au niveau du travail, on a vu quelques exemples sur la place de Paris -, ait une règle commune. Donc, comment marier, à la fois, la liberté individuelle, le respect de la conscience de chacun et puis, une communauté de vie ?"
C'est dans votre région qu'on crée des horaires spéciaux pour les femmes dans les piscines municipales.
- "Oui, dans la ville de Lille en particulier. Mais c'est aussi, peut-être, une réponse partielle à un problème réel qui existe."
Vous préparez les régionales, vous serez tête de liste vous-même dans le Nord-Pas-de-Calais ?
- "Les choses se décideront ce samedi au cours d'une conférence régionale des communistes du Nord et du Pas-de-Calais. Je ne vous cache pas que les deux secrétaires des fédérations concernées m'ont sollicité pour savoir si j'acceptais, le cas échéant, de conduire une liste autonome, s'entend, une liste communiste ouverte. J'ai donné une réponse favorable. Mais il appartient maintenant à cette conférence régionale de décider."
Au PC, ce sont les régions qui décident ? Parce que, M.-G. Buffet, le Conseil national n'a pas tranché ?
- "Non. Mais je crois que chaque région va se déterminer en fonction des réalités de terrain et de l'intérêt général des habitants des régions concernées."
Dans une région de gauche comme la vôtre, vous n'avez pas peur de l'extrême gauche qui a des représentants ? Avec les nouveaux modes de scrutin, est-ce raisonnable de faire une liste séparée ?
- "Elle est déjà représentée, et je pense que..."
Oui, justement...
- "Mais je pense que c'est tout le contraire. Parce que si le PC ne présente pas sa liste avec ses propres couleurs, si j'ose dire, et ses propres propositions, on laisse peut-être un boulevard à ce que vous appelez "l'extrême gauche"."
(Source : premier-ministre,Service d'information du gouvernement, le 15 octobre 2003)