Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur la décision du Président de la République de reporter le Congrès prévu pour le vote de la révision constitutionnelle relative à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, à l'Assemblée nationale le 19 janvier 2000.

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Circonstance : Réponse à une question de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, sur le report du Congrès du 24 janvier, à l'Assemblée nationale le 19 janvier 2000

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Hier soir, le Président de la République a décidé de renoncer à convoquer le Congrès dont il avait décidé la tenue pour le 24 janvier. Cette décision est la sienne. Je l'ai contresignée en tant que telle, car je n'imaginais pas d'ajouter à cette situation nouvelle une controverse constitutionnelle sur les prérogatives du Président de la République.
Je déplore la situation qui s'est ainsi créée. D'abord parce que c'est la première fois qu'un Congrès est annulé, quelques jours qui plus est avant sa tenue. Ensuite parce que cela affecte une réforme importante et attendue. Enfin car cette décision que par votre attitude, mesdames et messieurs de l'opposition, vous avez imposée au Président de la République, a faussé une démarche qui avait été définie de concert et je crois de bonne foi de part et d'autre.
Il faut être clair, il n'y a pas eu de blocage de notre côté, car nous nous apprêtions à voter massivement la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Nous avions par ailleurs toutes raisons de penser que vous voteriez cette réforme en Congrès, car vous l'aviez votée à 90 % avec nous à l'Assemblée nationale et au Sénat.
J'ajoute qu'il en va de la nature même du Congrès. Un Congrès n'est pas fait pour voter contre mais pour voter pour ; un Congrès n'est pas fait pour refuser mais pour approuver. Quand le Président de la République convoque solennellement le Congrès, c'est pour aboutir, car il s'agit en réalité d'approuver solennellement et formellement une volonté politique qui s'est exprimée avant, des textes qui ont été mûris et des textes qui ont été votés.
Aujourd'hui, nous qui voulons avancer dans la réforme de la justice, et les Français qui appuient massivement le désir de cette réforme, nous avons besoin, pour aller plus loin, que vous clarifiez vos positions et que vous choisissiez vos arguments.
Vous dites que nous n'avons pas su trouver un consensus, mais comment trouver un consensus avec des députés dont certains ou certaines des principaux dirigeants disent qu'ils vont pratiquer l'opposition systématique ?
Vous dites que nous n'avons pas su convaincre, que nous n'avons pas dialogué. Mais madame E. Guigou, la Garde des Sceaux, a passé son temps à dialoguer. Comment pouvions-nous vous convaincre puisque jamais aucun de nos arguments n'était de nature à vous satisfaire ? Les questions ont succédé aux questions, les demandes ont succédé aux demandes, nous avons répondu aux unes et aux autres et jamais vous ne nous avez dit clairement ce qui, à vos yeux, permettrait que vous donniez une réponse positive à nos questions. Jamais, vous ne nous avez dit clairement ce qui serait de nature à déterminer une approbation pure et simple confirmant le vote précédant qui avait été le votre.
Vous dites que nous n'aurions pas répondu, j'entends aussi cet argument, aux demandes du Président de la République. Je voudrais être clair sur ce plan et vous le savez bien, le texte de réforme constitutionnelle a été rédigé ensemble, la plume à la main, la Garde des Sceaux, le Premier ministre que je suis et le Président de la République dans son bureau. Nous lui avons soumis le texte de loi organique pour qu'il donne son approbation formelle en ce qui concerne la réforme du CSM. Nous avons procédé aux premières lectures sur les textes dans chacune des assemblées qu'il nous a demandées. Nous avons répondu de bonne foi, honorablement, à ses demandes et il a d'ailleurs convoqué le Congrès le 24 janvier et n'a pas dit hier que nous n'avions pas répondu à ses préoccupations.
Enfin, il a également été dit, et par des orateurs inspirés, qu'il aurait fallu repousser à la fin de l'examen de la réforme de la justice la réforme constitutionnelle. Outre qu'il est curieux de s'en aviser maintenant puisque nous avons tous accepté la démarche du Congrès, si nous ne l'avons pas fait et si cela a été accepté par vous, c'est qu'il y avait à cela une cohérence et une logique institutionnelle et philosophique. En effet, quatre lois restent à discuter et à voter : deux lois organiques, l'une sur la réforme du CSM, l'autre sur le statut des magistrats qui découlent directement du vote de la réforme constitutionnelle ; la troisième relative aux relations entre la chancellerie et le parquet suppose que soit garantie par la réforme constitutionnelle et avant d'être adoptée, l'indépendance statutaire du parquet ; la quatrième loi, c'est vrai, celle touchant la présomption d'innocence est intellectuellement distincte et c'est pourquoi d'ailleurs nous allons procéder à son examen.
Alors, il est difficile de venir nous dire cet après-midi, ici, que vous voulez la réforme et peut-être même que vous voulez la réforme vite, en ayant fait obstacle à la démarche consensuelle qui devait en conduire l'examen. Le Gouvernement prendra en compte le fait que le refus de voter la réforme du CSM affecte l'équilibre général et la cohérence de la réforme en cours.
Nous devons donc travailler dans les nouvelles conditions que vous avez créées, mais je confirme la détermination du Gouvernement de poursuivre une réforme substantielle de la justice même si elle demeure, en raison de votre attitude et au moins pour un temps, incomplète.
Décidément, quand il s'agit de réformer les institutions, de rénover notre vie publique, de faire bouger la société, on voit bien qui freine et qui avance, eh bien : nous avancerons !
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 janvier 2000)