Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la politique économique et la réforme des professions comptables, Paris le 25 septembre 2003.

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Circonstance : Congrès national de l'Ordre des experts-comptables, à Paris le 25 septembre 2003

Texte intégral

Merci de votre accueil. Et merci d'avoir bien voulu accepter d'aligner l'emploi du temps de votre journée sur celui de monsieur le président de la République qui a changé le Conseil des ministres pour rentrer des Etats-Unis et venir diriger les orientations du gouvernement de la France. Merci donc à chacune et à chacun d'entre vous. Je suis sensible à cet effort. Monsieur le président, vous avez dit que j'avais fait un effort. Moi, je ne fais pas d'effort en venant vous voir ! Pour deux raisons : d'abord, je sais ce que vous représentez. Je sais le besoin qui est aujourd'hui dans le pays de mobilisation des forces économiques. Et puis en plus, c'est pour moi un signal important de donner à notre pays l'importance du travail et de tous ceux qui, sous des formes différentes, participent à ce qui doit être la priorité de notre pays aujourd'hui : travailler davantage, travailler mieux, créer des richesses, pour tenir notre niveau social, pour augmenter notre nombre d'heures travaillées, pour qu'on fasse du travail une véritable force de la libération des énergies de notre pays. Alors ce n'est pas un effort, et en plus, c'est un bonheur que d'être avec vous, parce que tous les publics ne sont pas aussi chaleureux !
Monsieur le président, vous avez dit tout à l'heure que j'assumais des responsabilités écrasantes. C'est vrai, les responsabilités sont écrasantes, mais le responsable a le devoir de ne pas se laisser écraser ! Et donc je suis heureux de vous saluer, de saluer les nombreux présidents ici présents. Je voudrais saluer le président mondial, que j'ai connu comme ça quand il présidait l'organisation nationale ; je l'ai vu monter. Nous sommes montés parallèlement : on est partis des PME tous les deux [...]. Et puis je voudrais saluer aussi le président parisien, Jean-Claude Spitz : c'est un camarade de promotion ; c'est le seul auquel je peux dire "cher camarade" sans que ce soit un message politique ! Je voudrais saluer aussi un autre Sup de Co qui a des responsabilités économiques importantes, le président Arthuis. On a fort à faire parce qu'on est encore minoritaires, mais on gagne du terrain. Et puis je voudrais toutes les personnalités, y compris celles qui ont des responsabilités nationales aujourd'hui dans votre organisation et qui viennent de Poitou-Charentes : J.-P. Moinard et J. Singer - on ne doit jamais oublier ses racines. J'ai vraiment besoin de vous, le pays a besoin de vous ; le pays a besoin de vous pour mobiliser ses énergies et pour assurer sa dynamique économique. Aujourd'hui, nous sommes dans une conjoncture déprimée, avec une croissance française à la fois molle et fragile. Mais nous avons des défis que nous devons relever. Et nous ne pouvons pas accepter, ni en France ni en Europe, que sur vingt ans, nous ayons un rythme de croissance de 2 %, quand les amis américains ont un rythme de 3 %. Quel peut être l'avenir de l'Europe, son avenir économique, son avenir social, si durablement nous avons un point d'écart de croissance ? Et donc c'est là le grand défi, et de la France et de l'Europe : c'est de faire en sorte que nous puissions construire des politiques économiques capables de soutenir la croissance et d'engager notre pays sur une voie de croissance durable. Un point de croissance pour l'économie française, c'est 150 000 emplois. C'est ce dont nous avons besoin. C'est pour cela que je ne changerai pas le cap de la politique gouvernementale ; c'est pour cela qu'il n'y aura pas de pause dans les réformes. Parce qu'il faut aller chercher la croissance au coeur même de la société française, aller chercher ce point de croissance que nous perdons en lourdeurs et pesanteurs, que nous perdons parce que nous ne sommes pas suffisamment organisés pour faire de la croissance une priorité, et qu'en 2000, nous sommes à 4 %, qu'en 2001, nous sommes à 2 %, et telle la marée, la croissance s'en va sans laisser de réformes structurelles capables de nous donner les fruits de la croissance pour l'avenir. La croissance, ce n'est pas un va-et-vient, c'est une capacité pour nous d'aller réformer l'ensemble de la société française et de faire en sorte que nous puissions ainsi, partout où c'est faisable - et vous en connaissez de nombreuses, je l'ai vu dans vos propositions -, aller chercher ces niches de croissance qui se cachent dans la société française.
Notre objectif économique est simple : il faut réduire le poids déraisonnable des prélèvements sur le travail et la création de richesses. Notre avenir français, économiquement, n'est pas celui de la banalisation, de la standardisation, du gigantisme et de la concentration. Notre avenir, c'est celui de la création, de l'innovation, de la recherche, de la valeur ajoutée, du talent, de l'humain injecté dans l'économie ; c'est cela que la France doit produire. On trouvera toujours des pays pour produire de la standardisation et de la banalisation moins chère que nous. C'est de l'intelligence qu'il faut produire, c'est de la capacité à injecter de l'humain dans l'économie. C'est là où est la richesse de l'avenir et c'est là où on peut espérer gagner des compétitions économiques et sociales. Et c'est pour cela qu'il faut en permanence faire cet investissement sur l'intelligent, sur la capacité de travail. Et c'est pour cela que je continuerai à baisser l'impôt sur le revenu, pour que ceux qui travaillent puissent, d'année en année, tirer davantage profit de leur travail, et de faire sorte que notre pays puisse affirmer cette capacité à montrer que le travail doit bénéficier à celui qui se donne à la création globale pour le pays. C'est un élément très important de la stratégie. Je vois quelquefois se développer dans le pays cette idée que nous allégeons l'impôt de ceux qui en payent. Oui, c'est vrai ! Je reconnais ! J'allège l'impôt de ceux qui en paient ! On fait même mieux d'ailleurs : c'est qu'on donne de l'argent, avec la prime pour l'emploi, à ceux qui n'en paient pas ! Cela, on l'oublie toujours. Mais cela me paraît nécessaire, si on veut alléger l'impôt, de s'adresser à ceux qui le paient. Ce n'est, semble-t-il, pas évident pour tout le monde. Mais je continuerai dans cette voie, je n'ai pas été convaincu par les arguments contraires. C'est donc un élément très important. Nous continuerons également à alléger les charges pour faire en sorte que nous puissions valoriser le travail. Et dans notre Budget qui est présenté aujourd'hui par F. Mer et A. Lambert, il y a 1,5 milliard d'euros d'allégements de charges supplémentaires, pour renforcer cette dynamique économique.
Le travail, nous voulons le développer en le mettant à sa place centrale. C'est pour cela que nous avons assoupli les 35 heures, c'est pour cela que nous avons réunifié les Smic, c'est pour cela que nous voulons favoriser la sortie du chômage. [...] Bien sûr qu'il faut indemniser les chômeurs, bien sûr que nous continuerons à indemniser les chômeurs. Mais nous souhaitons mettre l'argent public supplémentaire que nous avons à mettre pour que les chômeurs trouvent du travail, pour faire en sorte que ce soit l'entrée dans le travail qui soit l'objectif de l'investissement public, et de ne pas enfermer des gens dans des statuts qui seraient des statuts trop longtemps durables, qui deviennent finalement éternels et qui abîment la personne. Et donc il faut aider au parcours de retour à l'emploi, il faut aider à l'insertion professionnelle. C'est pour cela que nous voulons, au-delà du RMI, valoriser le RMA, pour que le "I" d'Insertion devienne réalité en devenant le "A" d'Activité. C'est cette réforme que nous voulons mener, parce que l'objectif, ce n'est pas de donner des "statuts parkings", sans espoir et sans perspectives : c'est au contraire de donner vraiment la capacité d'entrer dans le travail et de faire en sorte que les revenus du travail soient supérieurs aux revenus de l'assistance. Car tant qu'il y aura équivalence entre les revenus de l'assistance et les revenus du travail, on n'incitera pas les Françaises et les Français à faire en sorte que le travail soit une priorité nationale.
Nous voulons avancer dans cette direction du travail libération, et c'est pour cela que je salue aujourd'hui, avec beaucoup de satisfaction, ce qui a été signé par les partenaires sociaux, par la reconnaissance du droit individuel à la formation. C'est très important. Et vous qui êtes dans l'entreprise, et hors de l'entreprise, vous pourrez suivre cette évolution pour que l'on puisse faire de la formation un véritable atout pour le salarié. Nous savons bien que dans l'économie moderne, il y a beaucoup d'incertitudes, beaucoup d'insécurités. Nous devons faire en sorte que les salariés aient eux aussi des sécurités sociales différentes, mais la formation est une sécurité sociale. Et donc ce droit à la formation qui est proposé aujourd'hui par les partenaires sociaux, est un élément de sécurité pour les salariés très importants que nous voulons renforcer, y compris pour les salariés qui ont de l'expérience. Ceux qui ont plus de 50 ans, 55 ans, 60 ans, il faut rendre la formation aussi possible à cet âge-là. On n'est pas fini à 55 ans - je viens de les avoir ! Il faut se considérer toujours capable d'apprendre, capable de renforcer sa culture, ses connaissances , ses savoir-faire. Et donc, faire en sorte que ce droit à la formation ne soit pas simplement quelque chose de réservé aux jeunes. Sortons de cette image de la formation initiale avec laquelle on fait toute sa carrière. Il faut faire en sorte que tout au long de la vie, on puisse avoir une formation qui conduise à ce que le travail soit, finalement, une occasion d'épanouissement, parce que la formation est une des fonctions d'épanouissement du travail. Je souhaite vraiment que nous ayons une grande loi à l'automne, une loi qui ait l'ambition de celle qui était celle de J. Chaban-Delmas et de J. Delors en 1971, une grande loi qui valorise la formation professionnelle pour l'emploi, qui assure l'emploi par la formation professionnelle. Et puis qui soit aussi pour nous l'occasion de débattre sur un certain nombre de sujets directement liés à l'emploi, sur l'organisation des plans sociaux, sur aussi - j'y suis très attaché - la réforme du service public de l'emploi. Il y a beaucoup d'acteurs et cela ne marche pas toujours très bien. Je crois qu'on gagnerait beaucoup à ce qu'il y ait une ouverture pour le marché de l'emploi et qu'il y ait moins de monopole, pour qu'on puisse vraiment à chacun, à sa place, s'engager pour, évidemment, aider les uns et les autres à retrouver de l'emploi. Et surtout à avoir la bonne formation pour l'emploi, parce que d'ici quelques années, avec notre évolution démographique, nous aurons des problèmes graves d'adaptation d'offre et de demande. Cela veut dire, là, qu'il y aura un conseil important à développer pour aider des salariés, aider des entreprises à se rencontrer. Et tout ceci au moyen de la formation et du développement personnel.
Nous voulons abaisser les impôts, libérer les charges pour réhabiliter le travail. J'entends dans le pays qu'il y aurait deux tendances : ceux qui veulent réhabiliter le travail et ceux qui veulent réhabiliter les impôts. J'ai choisi mon camp ; je suis dans celui du travail et j'y reste. Mais il va de soi qu'il serait complètement illusoire de vouloir abaisser les impôts sans maîtriser les dépenses. Je le sais bien et je sais bien que vous le pensez tous. Donc nous voulons faire en sorte que nous puissions maîtriser durablement la dépense. Nous l'avons fait dans le Budget qui est présenté aujourd'hui. Progressivement, nous habituons les ministères à pouvoir faire en sorte que nous soyons sur cet objectif de croissance zéro des dépenses. Et nous trouvons un certain nombre d'économies. Quand nous sommes à croissance zéro, sachant que nous avons plus de policiers, plus de juges et que nous avons fait une loi de programmation militaire, cela veut dire qu'il y a un certain nombre de ministères qui font les efforts nécessaires, parce que la croissance zéro est globale et donc, globalement, nous faisons un certain nombre d'efforts importants pour permettre de maîtriser la dépense. Nous allons faire toutes les économies nécessaires. J'ai conscience que l'Etat, en se dispersant, en étant présent et en voulant faire de multiples choses, perd en efficacité et se charge en coûts. C'est pour cela que nous avons engagé un certain nombre de réformes, de simplifications et de réorganisations administratives. Nous faisons cela par ordonnances, de manière à ce qu'on puisse agir vite ; c'est une tâche difficile parce qu'il y a à la fois, dans le pays, de la demande d'Etat, mais en même temps des lourdeurs d'Etat. Il nous faut faire ces réformes-là. C'est pour cela que la maîtrise des dépenses passe par une discipline budgétaire quotidienne - vous savez cela mieux que quiconque. Les vraies économies, ce sont celles que l'on fait tous les jours. Ce n'est pas le grand soir de l'économie. C'est tous les jours l'économie et c'est comme cela qu'on arrive à dégager des économies.
Mais il nous faut aussi faire les réformes de structures. Tous ces déficits, qui sont des déficits d'hier, des déficits d'aujourd'hui et aussi des déficits de demain On s'attaque au déficit des retraites : nous l'avons mené avec détermination, à la fois avec humanité et fermeté, parce que dans ce pays, il faut avancer avec ces deux valeurs, et nous avancerons toujours avec l'humanité et aussi la fermeté. Et nous ferons la même chose pour l'assurance maladie en 2004, pour que nous puissions être capables d'avoir, après un débat, après l'écoute de tous les acteurs, pour qu'il puisse y avoir un minimum de consensus dans le pays pour engager cette réforme et cette compréhension, et qu'on puisse toujours, en France, accepter l'idée qu'il y a un triangle de responsabilités. Il n'y a pas que l'Etat, que les médecins ou que les mutuelles. Il y a l'Etat, les acteurs de terrain et le citoyen. C'est vrai que, quand le citoyen lui-même ne se sent pas impliqué, on n'a aucune chance de réussir la réforme. Car si nous sommes les champions du monde de la consommation de médicaments, c'est bien qu'il y a un certain nombre de gens qui veulent consommer beaucoup de médicaments, au-delà même de ce qui leur est prescrit par les médecins. Il faut une responsabilité tout comme dans la difficile question des urgences. Si on veut pouvoir accueillir les gros bobos aux urgences, il faut peut-être éviter d'y envoyer trop de petits bobos. Et ça, c'est une responsabilité individuelle des Françaises et des Français. Chacun doit être conscient que la responsabilité, ce n'est pas l'un des trois, c'est les trois : l'Etat, les acteurs de terrain et aussi le citoyen. C'est pour cela que nous mènerons les réformes de structures. C'est pour cela que je continuerai ces réformes avec détermination. Nous avons beaucoup à faire, mais nous le ferons dans le calendrier de l'Agenda 2006, tel que je l'ai présenté aux parlementaires, semestre après semestre, réforme après réforme, pour moderniser notre pays et aller trouver les équilibres économiques dont nous avons besoin, notamment, pour qu'en 2005, nous puissions atteindre les normes que Bruxelles souhaite que nous atteignions, c'est-à-dire d'avoir un déficit inférieur à 3 %. C'est un principe de bonne gestion ; ce n'est pas facile, mais c'est un principe de bonne gestion que nous devons appliquer. Ceci, je crois, est une incitation à avancer toujours plus dans la réforme et la modernisation du pays. Voilà l'économie qui est celle que nous proposons au pays : la croissance durable par la réhabilitation du travail et par les réformes. Le travail et les réformes, de manière à déboucher sur des équilibres financiers qui préparent notre pays à l'avenir. C'est la ligne qui est connue : nous n'en changerons pas. Elle est, je crois, claire, et elle permet de faire face à ce que sont les grands défis de la France.
Mais je sais bien que toutes ces équations macro-économiques n'ont de sens que si notre micro-économie, nos entreprises sont actives, et je sais le rôle que vous jouez. J'ai beaucoup de respect pour le métier de conseil, pour cette proximité que vous avez. Je voudrais renforcer, dans la conscience des Français, l'importance du métier de conseil, cette dialectique, cette nécessité d'avoir un oeil à la fois expert, capable d'entrer à l'intérieur du dossier et d'être en même temps à l'extérieur, d'être en même temps indépendant, d'être déontologiquement responsable mais d'être en même temps un allié qui permet cette construction de décisions avec le plus de force possible. Je crois que c'est un grand atout de notre économie que d'avoir cette forme de travail qui permet aux décideurs d'avoir auprès de lui le pôle de compétences et d'avoir auprès de lui cette forme de sécurité qui est le dialogue et l'échange avec l'expert-comptable. J'ai bien lu, monsieur le président, les 82 propositions concrètes que vous avez faites pour le Gouvernement. Je vois que vous ne manquez pas d'ambitions. La tradition de votre organisation est ainsi maintenue. Et j'ai bien vu combien R. Dutreil était tout à fait mobilisé sur ces sujets. Et vous voyez qu'un certain nombre de vos propositions sont d'ores et déjà reprises pour faire en sorte que dans les ordonnances de simplification, vous puissiez obtenir un certain nombre de satisfactions. Je voudrais également vous remercier de l'implication qui est la vôtre dans un certain nombre d'initiatives pour mobiliser le pays sur la création d'entreprises, qui est un objectif très important. Votre participation au Train de la création d'entreprises, qui connaît un réel succès et qui va sur le terrain, dans les villes de France, mobiliser les acteurs, mobiliser les jeunes, mobiliser le monde économique pour s'intéresser encore davantage à la création d'entreprises. Et vous êtes aujourd'hui un acteur privilégié de cette ambition qui est la nôtre de créer plus d'entreprises pour le pays. Notre objectif est ambitieux, il est accessible. Il est accessible : 200 000 entreprises nouvelles par an, c'est le rythme sur lequel nous sommes, c'est-à-dire le rythme de un million sur les cinq ans. C'est, à la fois, un rythme fort, un rythme rapide, un rythme soutenu, mais ce n'est jamais que le rattrapage par rapport aux Anglo-saxons dont vous parliez tout à l'heure, puisque la démographie entrepreneuriale, toute proportion gardée, est d'un million d'entreprises supplémentaires par rapport à nous. Evidemment, on n'a pas la même économie quand déjà il y a un million d'entreprises supplémentaires pour mener à bien la dynamique de l'emploi. 200 000 créations d'entreprises par an, c'est 500 000 créations d'emplois par an, c'est, je crois très important. C'est une des dynamiques pour lesquelles nous voulons vraiment pouvoir avancer dans notre pays.
Il s'agit d'une mobilisation à laquelle je tiens beaucoup, parce que je tiens à la valeur création, même au sens large, parce qu'il y a toutes les formes de créations possibles, y compris dans l'essaimage, y compris à l'intérieur même des entreprises, dans les grandes entreprises, à l'intérieur d'entreprises des créations de nouvelles activités ; le concept de création est un concept qui doit être un concept français, parce que c'est le concept de l'intelligence, du talent, c'est le concept qui doit être le nôtre, notamment quand on défend la diversité culturelle, quand on défend tout ce qui est la valeur ajoutée, tout ce qui peut aujourd'hui créer de la richesse.
Votre ministre de tutelle, mon ami A. Lambert, m'a fait part de ses propositions pour clarifier le droit qui définit vos missions dans ce domaine. Alors, ne vous inquiétez pas ! J'ai le plaisir de vous annoncer, aujourd'hui, que j'accepte que ce rôle d'accompagnement des créateurs soit consacré dans les textes, que vous puissiez être non seulement liés aux travaux comptables - ça, c'est normal -, mais aussi aux projets de création d'entreprises. Je vous le dis par conviction. J'aime bien, quand dans un discours, on met des bonnes nouvelles ; je ne le nie pas. Mais, au-delà de ça, je le dis par conviction. J'ai, moi-même, quand j'étais président de région - il y a très longtemps, quand j'étais jeune - créé une Ecole des projets, en amont de la création d'entreprise. Parce que je crois que ce qui fait la réussite de l'entreprise, c'est la qualité du projet. Et dire que l'expert-comptable n'intervient que quand il y a comptabilité, c'est-à-dire que quand l'entreprise est créée, c'est oublier qu'une réussite se construit sur un projet et que le projet a besoin d'être qualifié, il a besoin d'être jardiné, d'être travaillé. Je vous demande de vous investir sur ce sujet, parce que la mortalité des entreprises, c'est en général parce que le projet n'a pas été suffisamment travaillé en amont. C'est pour cela qu'il faut travailler le projet.
Très franchement, c'est une question très importante pour notre pays. Je pense d'ailleurs que, dans les écoles, dans les universités, il faut aider les jeunes à appréhender l'idée de projet ; c'est cela être vraiment créateur de sa vie, créateur de son activité. Et aujourd'hui, au fond, est-ce qu'on n'est pas plus libre quand on crée son activité que quand on rentre chez Paribas pour se retrouver après à la BNP ? Deux grandes maisons très bien, mais quand je suis sorti de l'école, on disait : on va dans les grandes entreprises, on est sûr, on rentre là-dedans et puis on s'installe. Et aujourd'hui ? Est-ce que la vraie liberté, ce n'est pas de conduire son projet ? Au fond, est-ce qu'on n'est pas plus pilote quand on conduit son projet, dans l'entreprise, en dehors de l'entreprise ? C'est cela l'avenir. Et ce projet-là, il faut le mûrir, il faut le discuter avec des gens d'expérience, il faut le construire, il faut surtout en assurer la viabilité. C'est, je pense, très important dans notre culture entrepreneuriale, de passer de l'idée d'entreprise à l'idée de projet. D'une manière générale, d'ailleurs, dans notre pays, c'est en anticipant qu'on traitera mieux les problèmes. C'est l'anticipation qui est la solution. Car trop souvent, on arrive trop tard, et trop souvent on n'a pas les solutions. C'est pour cela que je tiens vraiment à ce sujet, par sympathie, mais surtout par conviction.
Je voudrais aussi vous dire que la future ordonnance de simplification relative à la réforme des professions comptables, va permettre de tourner une page qui a été agitée dans l'histoire de votre profession sur les rapports qui ont été souvent compliqués entre les associations et le cadre libéral. J'ai retrouvé le dossier à peu près dans l'état où il était il y a cinq ans, sauf que vous avez quand même maintenant réussi à définir un certain nombre de règles. Je crois qu'il faut définir, en effet, ces règles. Et les propositions qui sont aujourd'hui proposées par vous me conviennent, et nous allons les retenir.
Troisièmement, je veux vous dire que la transposition de la directive "blanchiment des capitaux" va également aller dans votre sens. Le Gouvernement a compris la sincérité de votre inquiétude, de voir amoindrie la relation de confiance que vous avez établie avec les entreprises, cette relation de confiance qui est un des éléments majeurs de votre métier. Et en retour, vous acceptez, sans rechigner, les obligations nouvelles qui sont liées à cette nouvelle réglementation. Je crois que c'est un point important. C'est cet équilibre et ce sens des responsabilités qui permettent au Gouvernement de prendre en compte votre souhait d'être, comme les avocats, exonérés de l'obligation de déclarer des soupçons dans le cadre exceptionnel de la défense judiciaire, l'un de vos clients, et donc d'en accepter les responsabilités. C'est un point important qui montre combien votre dynamique est une dynamique responsable, assumant la responsabilité, et en supportant donc ces contraintes de responsabilité. Mais je pense que cette relation de confiance est un élément du métier. Et je crois penser que la rédaction du projet peut donner, semble-t-il, monsieur le président, satisfaction à ce que vous souhaitez. C'est, en effet, l'approche de ce que vous nous avez proposé.
Enfin, je voudrais vous dire combien nous comptons sur vous pour participer au développement territorial. Il y a toute l'action nationale dont on parle, toutes les grandes dispositions nationales qui sont nécessaires. Mais la micro-économie, la politique de l'emploi, elle se fait territoire par territoire. Elle se fait par la capacité d'engager, avec professionnalisme, avec disponibilité, avec honnêteté, le développement des entreprises, leur avenir, aider à anticiper les mutations ; être en fait, à la fois, ces agents de complexité que vous êtes. Ce n'est pas la peine d'en rajouter, je suis d'accord. Mais ce n'est pas la peine non plus de faire croire aux Français - je me souviens de vous avoir dit cela il y a très longtemps - que la vie moderne serait très simple. Il n'y a que les dictatures qui sont simples - tout le monde pareil, c'est très simple. Mais dès que chaque Français veut être reconnu pour lui-même, de sa région, de son territoire, de sa religion, de sa vocation, de sa formation, de son métier, de sa profession - et encore les boulangers ne sont pas les pâtissiers, et ceci et cela, donc que chacun, et la rue ceci, et la rue cela, et le territoire ceci, et moi je suis de la Charente-Maritime, je suis de l'Aunis, je ne suis pas de la Saintonge, etc -, tout ceci demande une politique de dentelle, c'est-à-dire une politique de complexité. La politique de complexité, tout le problème est de faire en sorte qu'elle soit le plus possible à l'extérieur de l'entreprise, de manière à ce que le chef d'entreprise se consacre à ses produits, à l'intelligence de ses productions, à sa capacité commerciale. Et que tout ce qui est nécessaire, parce que indispensable, de la complexité, puisse être sous-traité, puisse être partenaire de l'environnement de l'entreprise de manière à libérer l'entrepreneur tout en même temps, assumant une complexité minimale. Je suis d'accord avec vous, on n'en rajoutera pas, mais je ne suis pas d'accord non plus de faire rêver tout le monde à une simplification extrême, parce que ce n'est pas possible, surtout si on veut développer les entreprises sur les marchés européens, si on veut faire en sorte qu'il puisse y avoir de plus en plus d'ouverture de nos entreprises, et donc de plus en plus de difficultés à surmonter. D'où l'importance de ce partenariat autour de l'entreprise, de ses conseils, qui forment cette task force qui aide l'entrepreneur à se consacrer à son métier et à pouvoir s'appuyer sur des professionnels compétents.
Je termine, monsieur le président, en disant que j'ai bien entendu votre message concernant les dimensions européennes, notamment le débat sur les normes, notamment l'influence anglo-saxonne. Je comprends ces sujets qui me touchent, en effet, beaucoup. Parce que j'ai bien regardé l'affaire des normes : j'en ai parlé avec des grande entrepreneurs, à des entrepreneurs très respectables. Je pense, par exemple, à monsieur F. Michelin, qui a construit une entreprise avec un certain nombre de valeurs et qui est une des fiertés de notre tissu industriel aujourd'hui. Et quand on lui pose la question sur les nouvelles normes, il dit que finalement, historiquement, son entreprise n'aurait peut-être pas pu prospérer avec certaines normes telles qu'elles sont imaginées. Parce que, en fait, il y a derrière les normes, une culture qui n'est pas celle de l'investissement, celle de la durée. Nous connaissons bien un certain nombre de valeurs dont il nous faut être les défenseurs, puisque ce sont une forme d'économie qui est la nôtre. Donc, il y a d'autres formes d'économies. Derrière la norme, il y a toujours des idées, et derrière les idées, il y a des formes de développement qui ne sont pas forcément celles de la tradition industrielle européenne ou de la tradition industrielle française. Cela, je pense que c'est très important. C'est pour cela que le Gouvernement est très déterminé dans cette bataille, qui a l'air si technocratique, qui a l'air si bureaucratique. La première fois qu'on m'a présenté le dossier, j'ai pris le dossier, je l'ai mis à côté, j'ai dit : je vais étudier cela le jour où j'aurai un week-end de cinq jours. Mais, finalement, en le regardant de plus près, car je me suis rendu compte que cela risquait de prendre du temps avant d'attendre un week-end de cinq jours, je me suis rendu compte derrière, qu'il y avait beaucoup d'idées qui étaient des idées de développement économique, et que, de fait, on voulait nous faire entrer dans une autre logique économique que celle qui est traditionnellement la nôtre. Et c'est pour cela que nous avons besoin de défendre ces idées, parce qu'elles sont importantes pour notre économie, pour cette culture qu'il y a derrière le chiffre. Et c'est pour cela que nous avons, là, besoin d'avoir cette attitude qui est la vôtre, qui est celle du rayonnement.
Vous avez le président mondial, donc maintenant vous avez les possibilités de rayonnement dans les idées. Mais je tiens vraiment à vous dire pour terminer, que notre pays, aujourd'hui, est en train de prendre une place dans le monde, une place politique très importante. Grâce au chef de l'Etat, nous avons réussi à faire en sorte que les messages de la France retrouvent une crédibilité mondiale. Que ce soit sur le développement, que ce soit sur la paix, que ce soit sur l'environnement, sur la conscience de la planète, sur un certain nombre de grands sujets, la voix du chef de l'Etat, aujourd'hui, est à nouveau entendue dans le monde. A l'ONU, à l'OMC, dans un grand nombre de structures internationales, nous avons retrouvé une parole forte. Cette parole-là, ça ne peut pas être qu'une parole politique, il doit y avoir derrière aussi une parole économique, une parole sociale. Et nous devons accompagner ce mouvement pour faire en sorte que, derrière les pénétrations politiques, derrière les valeurs qui sont les nôtres, on puisse faire en sorte que les acteurs économiques et sociaux organisés comme vous, participent au rayonnement de la France. Et finalement, vous êtes engagés dans la micro-économie, cette économie du terrain, et vous êtes également attachés à votre pays, et là, nous avons une cause plus grande que nous pour nous mobiliser.
Vive la France, et merci de vous dévouer à son succès.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 septembre 2003)