Texte intégral
Mesdames les Ambassadrices et Messieurs les Ambassadeurs,
C'est pour moi un grand plaisir de vous retrouver pour la quatrième fois, aux côtés d'Hubert Védrine.
J'avais, l'année dernière, concentré mes propos sur la Présidence française de l'Union européenne. Nous y sommes, enfin, et ce thème constituera évidemment l'essentiel de mon intervention d'aujourd'hui. Mon objectif, pour que notre rencontre soit la plus utile possible, n'est pas de revenir sur les priorités de la présidence française que vous avez tous en tête, mais d'évoquer, de façon opérationnelle, la conduite de la présidence.
Je souhaite à la fois vous présenter notre feuille de route sur la voie tracée par le Président de la République et le Premier ministre, vous indiquer ce que nous attendons de vous, et recueillir, à travers vos questions, votre perception depuis votre pays de résidence.
Dans quelques jours, le moteur de la présidence française, lancé en juillet dernier mais qui ne s'était pas arrêté en août, va se remettre à tourner à plein régime, et une nouvelle séquence, extraordinairement chargée mais aussi très courte, s'ouvrira. Elle est jalonnée d'une série d'échéances majeures jusqu'à la fin de l'année, avec les deux temps forts, dont vous a parlé le ministre des Affaires étrangères, des Conseils européens de Biarritz et de Nice.
J'en viens d'emblée au fond. Toute présidence est fondamentalement une rencontre, brève et intense surtout au second semestre, entre l'Europe en devenir, avec ses hauts et ses bas, ses projets et ses interrogations, et l'Etat membre qui assume cette responsabilité par le simple ordre des traités, avec sa personnalité et son énergie.
La Présidence française met cette réalité en pleine lumière. En effet, je crois que notre programme reflète bien la situation paradoxale dans laquelle se trouve l'Union européenne :
- d'un côté, elle est sur le point d'accomplir des progrès considérables dans l'intégration, dans des domaines de souveraineté essentiels : l'euro sera la monnaie quotidienne des Européens à partir du 1er janvier 2002 et l'Union économique et monétaire nous procure un formidable surcroît de croissance que je crois durable. Nous sommes aussi à la veille d'accomplir des pas décisifs vers une défense commune, perspective qui était fermée depuis 50 ans.
- de l'autre côté, l'Union doit faire face, à une échelle sans précédent, à un difficile défi, celui de l'élargissement. Au-delà des problèmes qu'il peut poser pour préserver les acquis, cet enjeu conduit à renouveler les interrogations sur l'avenir de l'Union.
Et c'est à la France, à notre pays, dont l'engagement européen est ancien et souvent inspiré, qu'il revient de contribuer, à son tour, à ce que l'Union négocie avec succès ce tournant stratégique. La période exige réalisme bien sûr, mais aussi ambition et nous sommes conscients de nos responsabilités.
Comme chacun a pu le constater après le premier mois de présidence, nous n'entendons pas ménager nos efforts autour de deux grands axes :
- continuer à faire progresser cette Europe citoyenne, c'est-à-dire une Europe qui réponde à l'attente de ses peuples :
- faire aboutir la réforme des institutions européennes pour réussir l'élargissement, c'est-à-dire conclure de manière satisfaisante la négociation engagée dans le cadre de la Conférence Intergouvernementale (CIG).
C'est pourquoi je souhaite m'arrêter un instant sur ces deux grands thèmes, avant d'en venir, dans un troisième temps, aux questions de méthode.
I - Je commencerai par les priorités citoyennes en soulignant combien des avancées en ce domaine sont, à nos yeux, importantes, aux côtés des grands dossiers politiques. Alors que l'Europe imprègne la vie quotidienne de nos concitoyens, nous entendons démontrer "la valeur ajoutée" de la construction européenne sur des sujets très concrets : la croissance, l'emploi, les sécurités intérieure et extérieure, la santé, la protection de l'environnement, autant de thèmes parmi d'autres sur lesquels des travaux sont en cours. C'est là dessus aussi que nous souhaitons être jugés à la fin de l'année. Il y a bien sûr la CIG, mais il n'y a pas que cela. Je me limiterai à quelques exemples :
- dans la ligne des conclusions du Conseil européen de Lisbonne, où les Quinze ont affirmé que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen, nous travaillons à la mise place d'un espace européen de la recherche et de la connaissance : il s'agira de définir, d'ici la fin 2000, les moyens permettant de lever les obstacles à la mobilité des étudiants, des enseignants, et des chercheurs. Je mentionnerai aussi l'adoption, sous notre Présidence, d'un agenda social, c'est-à-dire un programme pluriannuel, portant sur le droit du travail, la protection et la mobilité sociales, la formation et la lutte contre toutes les formes de discrimination et d'exclusion. Martine Aubry en a lancé les travaux dès les premiers jours de la présidence ;
- d'autres chantiers concernent la vie quotidienne de nos concitoyens, certains ayant marqué l'actualité la plus récente. Je mentionnerai la santé et la protection des consommateurs, avec pour objectif de jeter les bases d'une autorité alimentaire européenne indépendante ; mais aussi l'asile et l'immigration, la constitution d'un espace judiciaire européen, appelée par le Sommet de Tampere ; et enfin, autre thème emblématique, la lutte contre le blanchiment d'argent sale, avec pour la première fois une session conjointe des Conseils ECOFIN-JAI en octobre.
- enfin, rapprocher l'Europe du citoyen, c'est lui permettre de se reconnaître dans les valeurs autour desquelles se construit l'Union européenne. Ainsi, un projet de Charte des droits fondamentaux est en cours d'élaboration. Après son examen par le Conseil européen à Biarritz, notre objectif est de faire approuver la Charte par les trois institutions à Nice. Je vais dire quelques mots au point où nous en sommes. Il faut saluer la qualité de l'avant-projet actuel préparé par la Convention, un organisme original, présidée par M. Roman Herzog, auquel participe M. Guy Braibant, en tant que représentant du président de la République et du Premier ministre, un document de substance, affichant, de manière originale, claire et lisible, nos valeurs communes. Il prend notamment en compte les droits économiques et sociaux comme nous, Français, nous le souhaitions, ainsi que les évolutions techniques et scientifiques les plus récentes. Il importe avant tout de se concentrer sur les quelques améliorations de son contenu encore souhaitables, et reporter à plus tard la question complexe de son statut juridique, c'est-à-dire de son caractère contraignant ou non. Nous pensons que ce texte ne doit pas être contraignant, en tous cas pas dès Nice. Après s'ouvriront d'autres perspectives dont a parlé Hubert Védrine.
II - J'en viens maintenant à l'autre grand volet de notre présidence : préparer l'Union européenne à l'élargissement.
La perspective d'une grande Europe élargie à 20, 25 ou 30 est désormais une réalité, même si son horizon reste indéterminé. C'est, je le répète, un devoir historique et une chance pour l'Europe tout entière, Mais il est clair que cette évolution est porteuse de risques pour des raisons bien connues.
Aujourd'hui, tous nos partenaires adhèrent à la ligne réaliste et raisonnable que nous avions prônée, en posant, quelques jours après le Conseil d'Amsterdam en juin 1997, le préalable institutionnel à l'élargissement. Il importe donc de franchir à Nice le cap de la CIG.
Son champ est maintenant bien délimité grâce à la Présidence portugaise, avec non plus trois mais quatre grandes questions à l'ordre du jour - le format de la Commission, le champ de la majorité qualifiée, la repondération, et l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées -.
Mais je ne nous cacherai pas, à la lumière de l'état des lieux de la négociation depuis juillet, qu'il reste beaucoup de chemin à faire jusqu'à la fin de l'année. A dire vrai, cette négociation ne s'est pas encore nouée. Des fronts entre petits et grands Etats ont tendance à se reconstituer.
Notre sentiment est qu'il convient désormais de porter la négociation à un niveau politique. En effet, si nos objectifs sont restreints en nombre, ils sont très élevés par leur niveau d'ambition et de complexité, et exigent, pour être atteints, que chacun soit pleinement conscient de la nécessité de parvenir, sur ces quatre points à l'ordre du jour, un résultat satisfaisant, c'est-à-dire à un accord qui traduise une véritable avancée dans l'amélioration du fonctionnement des Institutions, et non pas un accord "a minima" ou un accord "au rabais", comme le rappelait hier le président de la République. Cet accord ne pourra être que global, car les trois questions restées sans solution à Amsterdam sont étroitement liées, et c'est donc ainsi que nous les traiterons.
Soyez assurés que nous sommes totalement déterminés à aboutir, car c'est l'avenir de l'Europe qui en dépend.
La position française, elle, est parfaitement claire. Nous considérons, je vous le rappelle :
- que la Commission doit retrouver une vraie collégialité ; cela exige que le nombre des Commissaires soit encadré, qu'une hiérarchisation soit introduite au sein du Collège, et que les pouvoirs du président de la Commission soient accrus ;
- que la repondération des voix au sein du Conseil doit permettre aux Etats membres de retrouver un meilleur équilibre, susceptible de renforcer la représentativité et donc la légitimité des décisions : à cet égard, une véritable repondération nous semble mieux à même de nous permettre d'atteindre cet objectif que tout autre système, par exemple la double majorité même s'il existe un certain nombre de pays qui y sont favorables.
- que le champ de la majorité qualifiée doit être très fortement élargi, afin de donner à l'Union la capacité de poursuivre sur la voie de l'intégration sans risque de blocage.
- enfin, sur la question tout à fait essentielle des coopérations renforcées, nous plaidons pour un véritable assouplissement, non seulement des mécanismes qui permettent de les déclencher, de les mettre en oeuvre, mais également des règles qui doivent en déterminer le fonctionnement. J'y vois là un outil précieux pour aller progressivement vers un fonctionnement plus souple, plus flexible, de l'Europe élargie.
Alors qu'à la suite du Conseil européen d'Helsinki, les négociations d'adhésion sont ouvertes avec 12 Etats, alors que la Turquie s'est vue reconnaître le statut de candidat, chacun mesure, aujourd'hui, que cette question ne porte pas uniquement sur la dimension institutionnelle, au sens fonctionnel du terme, mais, plus fondamentalement, sur l'avenir même de l'Union européenne, et donc sur la nature de ce projet unique.
Comme vous l'avez constaté, le débat est désormais ouvert et, d'ores et déjà, riche de multiples contributions. Je ne les commenterai pas aujourd'hui devant vous, car nous sortirions du cadre de cette rencontre. Hubert Védrine en a d'ailleurs donné une grille d'analyse et une grille de lecture des questions posées. Et surtout, la suite dépend fondamentalement des résultats de Nice.
C'est pourquoi je voudrais souligner au passage la nécessité absolue de bien distinguer les deux temps que sont, d'une part et dans l'immédiat, la nécessité impérieuse de réussir la CIG, d'autre part et, dans un second temps, la réflexion à plus long terme sur l'avenir de l'Europe. J'insiste sur cette distinction.
Vous pouvez ainsi mesurer tout l'intérêt des coopérations renforcées, comme passerelle vers l'avenir. Si nous savons les réformer, elles seules peuvent permettre à la volonté politique de plusieurs Etats membres d'aller de l'avant, de s'incarner et de se constituer en avant-garde, c'est-à-dire en une force motrice, susceptible d'entraîner les autres et naturellement ouverte à tous.
Quant à l'élargissement, je tiens simplement à souligner, puisqu'une table-ronde spécifique lui sera consacrée cet après-midi, notre détermination à donner une nouvelle impulsion politique aux négociations, selon le principe de la différenciation. Nous serons aussi attentifs à associer les pays candidats aux réflexions sur la réforme des institutions et l'avenir de l'Europe, en réunissant la Conférence européenne, au niveau ministériel le 23 novembre, puis à Nice, au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement le 7 décembre.
III - J'en viens maintenant aux questions de méthode, en commençant par aborder brièvement les aspects matériels. Ne voyez pas dans ce "brièvement" un manque d'intérêt de ma part pour "l'intendance", bien au contraire, mais plutôt le signe que tout marche bien, du moins jusqu'à présent.
Notre présidence est un formidable défi en termes d'organisation, compte tenu de la multiplicité des réunions de toute nature depuis les Conseils européens jusqu'aux réunions d'experts.
Tous les participants, tous nos interlocuteurs, je pense notamment au Parlement européen, s'accordent à reconnaître la qualité de l'organisation, depuis le 1er juillet avec les échéances importantes qu'ont constitué la rencontre à Paris avec la Commission et les premiers Conseils informels de juillet. En félicitant tout particulièrement l'ambassadeur Patrick Villemur et son équipe du Secrétariat général de la Présidence française pour leur concours efficace, je m'adresse à tous ceux mobilisés pour cet exercice.
Il y a aussi des actions nouvelles en matière d'information. Je mentionne en particulier le site internet de la présidence française, outil efficace et vivant, et la campagne d'information sur l'Europe que nous avons lancée, chez nous, à cette occasion.
Chacun de nous doit partager cette préoccupation de service et de pédagogie, pour faire en sorte que notre présidence reste confortable pour ses acteurs et compréhensible pour le grand public. Je vous encourage donc à prendre des initiatives locales, comme le font certains d'entre vous, au-delà du travail diplomatique classique.
Pour en venir à cette dimension de votre mission, et bien préciser notre attente, celle d'Hubert Védrine et la mienne, à votre égard, je souhaite distinguer les tâches générales qui incombent à tous, de celles plus spécifiques qui reviennent à nos Ambassadeurs dans les pays candidats :
- dans ce processus généralisé de négociation permanente, il importe, en cette période décisive, de nous éclairer sur les déterminants internes des positions dans vos pays de résidence : faire la part entre les postures tactiques et les points durs, identifier les marges de manuvre existantes, les contreparties attendues, préciser les préoccupations et le poids des autres acteurs non gouvernementaux, en particulier les parlements nationaux, les opérateurs économiques, la société civile.
Nous vous demanderons de jouer un rôle d'alerte et de relais et, à chaque fois que nécessaire, d'effectuer des démarches pour expliquer nos positions, d'autant que nos obligations au titre de la présidence restreignent considérablement les possibilités de déplacements à l'étranger, notamment celles du ministre des Affaires étrangères et les miennes.
- un tel travail est particulièrement nécessaire à l'égard des pays candidats, dont l'impatience est compréhensible dont je note qu'elle est très insistante et parfois même revendicative. Force est de constater que nos positions n'ont pas toujours été bien comprises, et souvent des malentendus persistent, surtout quand ils sont habilement utilisés.
Il vous faudra inlassablement expliquer que le réalisme que nous prônons, partagé par les Quinze, notre refus de la démagogie, n'est en aucune manière antinomique avec la conscience que nous avons de notre responsabilité historique de contribuer avec cette présidence, à la réunification de l'Europe. Mais ce processus irréversible et positif doit être maîtrisé pour que l'Europe en sorte renforcée et non affaiblie et diluée, c'est de l'intérêt de l'Europe d'aujourd'hui et de celle de demain.
Vous me permettrez de conclure sur une note expressionniste ou impressionniste, comme on voudra. Comme vous pouvez le constater, nous sommes sereins, et croyez-moi, ce n'est pas une sérénité de façade. Nous avons des priorités claires, élaborées de longue date, assorties d'objectifs évidemment ajustés au fil du déroulement de la présidence, et nous pouvons nous appuyer j'en ai la conviction sur un dispositif en ordre de marche. Vous y jouez un rôle décisif, avec votre force d'analyse et de conviction pour contribuer au succès de la présidence française. Nous en aurons d'ailleurs fortement besoin. Car je suis convaincu que nous nous rapprochons de l'épreuve de vérité sur l'Europe politique dont parlait Jacques Delors, en mai 1998, juste après le choix des pays participants à l'euro. Quel que soit le résultat de la CIG, positif ou négatif, l'Europe de demain ne sera pas exactement la même après Nice. Certes, nous n'avons jamais eu la prétention de dire ou de penser que la présidence française aura fait passer l'Europe de l'ombre à la lumière. Nous sommes trop conscients que d'autres nous ont précédés et que d'autres nous succéderons. Mais, si un nouveau traité ne sort pas de Nice, une réaction, un saut qualitatif, une rupture dans la méthode seront inévitables, et j'ajouterai même souhaitables. Au contraire, si nous parvenons, à Nice, à un bon traité, l'aventure européenne pourra continuer, sur la base d'institutions renforcées et rénovées. C'est ce que nous espérons, et c'est ce à quoi nous travaillons et travaillerons sans relâche pendant ce semestre.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2000)
C'est pour moi un grand plaisir de vous retrouver pour la quatrième fois, aux côtés d'Hubert Védrine.
J'avais, l'année dernière, concentré mes propos sur la Présidence française de l'Union européenne. Nous y sommes, enfin, et ce thème constituera évidemment l'essentiel de mon intervention d'aujourd'hui. Mon objectif, pour que notre rencontre soit la plus utile possible, n'est pas de revenir sur les priorités de la présidence française que vous avez tous en tête, mais d'évoquer, de façon opérationnelle, la conduite de la présidence.
Je souhaite à la fois vous présenter notre feuille de route sur la voie tracée par le Président de la République et le Premier ministre, vous indiquer ce que nous attendons de vous, et recueillir, à travers vos questions, votre perception depuis votre pays de résidence.
Dans quelques jours, le moteur de la présidence française, lancé en juillet dernier mais qui ne s'était pas arrêté en août, va se remettre à tourner à plein régime, et une nouvelle séquence, extraordinairement chargée mais aussi très courte, s'ouvrira. Elle est jalonnée d'une série d'échéances majeures jusqu'à la fin de l'année, avec les deux temps forts, dont vous a parlé le ministre des Affaires étrangères, des Conseils européens de Biarritz et de Nice.
J'en viens d'emblée au fond. Toute présidence est fondamentalement une rencontre, brève et intense surtout au second semestre, entre l'Europe en devenir, avec ses hauts et ses bas, ses projets et ses interrogations, et l'Etat membre qui assume cette responsabilité par le simple ordre des traités, avec sa personnalité et son énergie.
La Présidence française met cette réalité en pleine lumière. En effet, je crois que notre programme reflète bien la situation paradoxale dans laquelle se trouve l'Union européenne :
- d'un côté, elle est sur le point d'accomplir des progrès considérables dans l'intégration, dans des domaines de souveraineté essentiels : l'euro sera la monnaie quotidienne des Européens à partir du 1er janvier 2002 et l'Union économique et monétaire nous procure un formidable surcroît de croissance que je crois durable. Nous sommes aussi à la veille d'accomplir des pas décisifs vers une défense commune, perspective qui était fermée depuis 50 ans.
- de l'autre côté, l'Union doit faire face, à une échelle sans précédent, à un difficile défi, celui de l'élargissement. Au-delà des problèmes qu'il peut poser pour préserver les acquis, cet enjeu conduit à renouveler les interrogations sur l'avenir de l'Union.
Et c'est à la France, à notre pays, dont l'engagement européen est ancien et souvent inspiré, qu'il revient de contribuer, à son tour, à ce que l'Union négocie avec succès ce tournant stratégique. La période exige réalisme bien sûr, mais aussi ambition et nous sommes conscients de nos responsabilités.
Comme chacun a pu le constater après le premier mois de présidence, nous n'entendons pas ménager nos efforts autour de deux grands axes :
- continuer à faire progresser cette Europe citoyenne, c'est-à-dire une Europe qui réponde à l'attente de ses peuples :
- faire aboutir la réforme des institutions européennes pour réussir l'élargissement, c'est-à-dire conclure de manière satisfaisante la négociation engagée dans le cadre de la Conférence Intergouvernementale (CIG).
C'est pourquoi je souhaite m'arrêter un instant sur ces deux grands thèmes, avant d'en venir, dans un troisième temps, aux questions de méthode.
I - Je commencerai par les priorités citoyennes en soulignant combien des avancées en ce domaine sont, à nos yeux, importantes, aux côtés des grands dossiers politiques. Alors que l'Europe imprègne la vie quotidienne de nos concitoyens, nous entendons démontrer "la valeur ajoutée" de la construction européenne sur des sujets très concrets : la croissance, l'emploi, les sécurités intérieure et extérieure, la santé, la protection de l'environnement, autant de thèmes parmi d'autres sur lesquels des travaux sont en cours. C'est là dessus aussi que nous souhaitons être jugés à la fin de l'année. Il y a bien sûr la CIG, mais il n'y a pas que cela. Je me limiterai à quelques exemples :
- dans la ligne des conclusions du Conseil européen de Lisbonne, où les Quinze ont affirmé que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen, nous travaillons à la mise place d'un espace européen de la recherche et de la connaissance : il s'agira de définir, d'ici la fin 2000, les moyens permettant de lever les obstacles à la mobilité des étudiants, des enseignants, et des chercheurs. Je mentionnerai aussi l'adoption, sous notre Présidence, d'un agenda social, c'est-à-dire un programme pluriannuel, portant sur le droit du travail, la protection et la mobilité sociales, la formation et la lutte contre toutes les formes de discrimination et d'exclusion. Martine Aubry en a lancé les travaux dès les premiers jours de la présidence ;
- d'autres chantiers concernent la vie quotidienne de nos concitoyens, certains ayant marqué l'actualité la plus récente. Je mentionnerai la santé et la protection des consommateurs, avec pour objectif de jeter les bases d'une autorité alimentaire européenne indépendante ; mais aussi l'asile et l'immigration, la constitution d'un espace judiciaire européen, appelée par le Sommet de Tampere ; et enfin, autre thème emblématique, la lutte contre le blanchiment d'argent sale, avec pour la première fois une session conjointe des Conseils ECOFIN-JAI en octobre.
- enfin, rapprocher l'Europe du citoyen, c'est lui permettre de se reconnaître dans les valeurs autour desquelles se construit l'Union européenne. Ainsi, un projet de Charte des droits fondamentaux est en cours d'élaboration. Après son examen par le Conseil européen à Biarritz, notre objectif est de faire approuver la Charte par les trois institutions à Nice. Je vais dire quelques mots au point où nous en sommes. Il faut saluer la qualité de l'avant-projet actuel préparé par la Convention, un organisme original, présidée par M. Roman Herzog, auquel participe M. Guy Braibant, en tant que représentant du président de la République et du Premier ministre, un document de substance, affichant, de manière originale, claire et lisible, nos valeurs communes. Il prend notamment en compte les droits économiques et sociaux comme nous, Français, nous le souhaitions, ainsi que les évolutions techniques et scientifiques les plus récentes. Il importe avant tout de se concentrer sur les quelques améliorations de son contenu encore souhaitables, et reporter à plus tard la question complexe de son statut juridique, c'est-à-dire de son caractère contraignant ou non. Nous pensons que ce texte ne doit pas être contraignant, en tous cas pas dès Nice. Après s'ouvriront d'autres perspectives dont a parlé Hubert Védrine.
II - J'en viens maintenant à l'autre grand volet de notre présidence : préparer l'Union européenne à l'élargissement.
La perspective d'une grande Europe élargie à 20, 25 ou 30 est désormais une réalité, même si son horizon reste indéterminé. C'est, je le répète, un devoir historique et une chance pour l'Europe tout entière, Mais il est clair que cette évolution est porteuse de risques pour des raisons bien connues.
Aujourd'hui, tous nos partenaires adhèrent à la ligne réaliste et raisonnable que nous avions prônée, en posant, quelques jours après le Conseil d'Amsterdam en juin 1997, le préalable institutionnel à l'élargissement. Il importe donc de franchir à Nice le cap de la CIG.
Son champ est maintenant bien délimité grâce à la Présidence portugaise, avec non plus trois mais quatre grandes questions à l'ordre du jour - le format de la Commission, le champ de la majorité qualifiée, la repondération, et l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées -.
Mais je ne nous cacherai pas, à la lumière de l'état des lieux de la négociation depuis juillet, qu'il reste beaucoup de chemin à faire jusqu'à la fin de l'année. A dire vrai, cette négociation ne s'est pas encore nouée. Des fronts entre petits et grands Etats ont tendance à se reconstituer.
Notre sentiment est qu'il convient désormais de porter la négociation à un niveau politique. En effet, si nos objectifs sont restreints en nombre, ils sont très élevés par leur niveau d'ambition et de complexité, et exigent, pour être atteints, que chacun soit pleinement conscient de la nécessité de parvenir, sur ces quatre points à l'ordre du jour, un résultat satisfaisant, c'est-à-dire à un accord qui traduise une véritable avancée dans l'amélioration du fonctionnement des Institutions, et non pas un accord "a minima" ou un accord "au rabais", comme le rappelait hier le président de la République. Cet accord ne pourra être que global, car les trois questions restées sans solution à Amsterdam sont étroitement liées, et c'est donc ainsi que nous les traiterons.
Soyez assurés que nous sommes totalement déterminés à aboutir, car c'est l'avenir de l'Europe qui en dépend.
La position française, elle, est parfaitement claire. Nous considérons, je vous le rappelle :
- que la Commission doit retrouver une vraie collégialité ; cela exige que le nombre des Commissaires soit encadré, qu'une hiérarchisation soit introduite au sein du Collège, et que les pouvoirs du président de la Commission soient accrus ;
- que la repondération des voix au sein du Conseil doit permettre aux Etats membres de retrouver un meilleur équilibre, susceptible de renforcer la représentativité et donc la légitimité des décisions : à cet égard, une véritable repondération nous semble mieux à même de nous permettre d'atteindre cet objectif que tout autre système, par exemple la double majorité même s'il existe un certain nombre de pays qui y sont favorables.
- que le champ de la majorité qualifiée doit être très fortement élargi, afin de donner à l'Union la capacité de poursuivre sur la voie de l'intégration sans risque de blocage.
- enfin, sur la question tout à fait essentielle des coopérations renforcées, nous plaidons pour un véritable assouplissement, non seulement des mécanismes qui permettent de les déclencher, de les mettre en oeuvre, mais également des règles qui doivent en déterminer le fonctionnement. J'y vois là un outil précieux pour aller progressivement vers un fonctionnement plus souple, plus flexible, de l'Europe élargie.
Alors qu'à la suite du Conseil européen d'Helsinki, les négociations d'adhésion sont ouvertes avec 12 Etats, alors que la Turquie s'est vue reconnaître le statut de candidat, chacun mesure, aujourd'hui, que cette question ne porte pas uniquement sur la dimension institutionnelle, au sens fonctionnel du terme, mais, plus fondamentalement, sur l'avenir même de l'Union européenne, et donc sur la nature de ce projet unique.
Comme vous l'avez constaté, le débat est désormais ouvert et, d'ores et déjà, riche de multiples contributions. Je ne les commenterai pas aujourd'hui devant vous, car nous sortirions du cadre de cette rencontre. Hubert Védrine en a d'ailleurs donné une grille d'analyse et une grille de lecture des questions posées. Et surtout, la suite dépend fondamentalement des résultats de Nice.
C'est pourquoi je voudrais souligner au passage la nécessité absolue de bien distinguer les deux temps que sont, d'une part et dans l'immédiat, la nécessité impérieuse de réussir la CIG, d'autre part et, dans un second temps, la réflexion à plus long terme sur l'avenir de l'Europe. J'insiste sur cette distinction.
Vous pouvez ainsi mesurer tout l'intérêt des coopérations renforcées, comme passerelle vers l'avenir. Si nous savons les réformer, elles seules peuvent permettre à la volonté politique de plusieurs Etats membres d'aller de l'avant, de s'incarner et de se constituer en avant-garde, c'est-à-dire en une force motrice, susceptible d'entraîner les autres et naturellement ouverte à tous.
Quant à l'élargissement, je tiens simplement à souligner, puisqu'une table-ronde spécifique lui sera consacrée cet après-midi, notre détermination à donner une nouvelle impulsion politique aux négociations, selon le principe de la différenciation. Nous serons aussi attentifs à associer les pays candidats aux réflexions sur la réforme des institutions et l'avenir de l'Europe, en réunissant la Conférence européenne, au niveau ministériel le 23 novembre, puis à Nice, au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement le 7 décembre.
III - J'en viens maintenant aux questions de méthode, en commençant par aborder brièvement les aspects matériels. Ne voyez pas dans ce "brièvement" un manque d'intérêt de ma part pour "l'intendance", bien au contraire, mais plutôt le signe que tout marche bien, du moins jusqu'à présent.
Notre présidence est un formidable défi en termes d'organisation, compte tenu de la multiplicité des réunions de toute nature depuis les Conseils européens jusqu'aux réunions d'experts.
Tous les participants, tous nos interlocuteurs, je pense notamment au Parlement européen, s'accordent à reconnaître la qualité de l'organisation, depuis le 1er juillet avec les échéances importantes qu'ont constitué la rencontre à Paris avec la Commission et les premiers Conseils informels de juillet. En félicitant tout particulièrement l'ambassadeur Patrick Villemur et son équipe du Secrétariat général de la Présidence française pour leur concours efficace, je m'adresse à tous ceux mobilisés pour cet exercice.
Il y a aussi des actions nouvelles en matière d'information. Je mentionne en particulier le site internet de la présidence française, outil efficace et vivant, et la campagne d'information sur l'Europe que nous avons lancée, chez nous, à cette occasion.
Chacun de nous doit partager cette préoccupation de service et de pédagogie, pour faire en sorte que notre présidence reste confortable pour ses acteurs et compréhensible pour le grand public. Je vous encourage donc à prendre des initiatives locales, comme le font certains d'entre vous, au-delà du travail diplomatique classique.
Pour en venir à cette dimension de votre mission, et bien préciser notre attente, celle d'Hubert Védrine et la mienne, à votre égard, je souhaite distinguer les tâches générales qui incombent à tous, de celles plus spécifiques qui reviennent à nos Ambassadeurs dans les pays candidats :
- dans ce processus généralisé de négociation permanente, il importe, en cette période décisive, de nous éclairer sur les déterminants internes des positions dans vos pays de résidence : faire la part entre les postures tactiques et les points durs, identifier les marges de manuvre existantes, les contreparties attendues, préciser les préoccupations et le poids des autres acteurs non gouvernementaux, en particulier les parlements nationaux, les opérateurs économiques, la société civile.
Nous vous demanderons de jouer un rôle d'alerte et de relais et, à chaque fois que nécessaire, d'effectuer des démarches pour expliquer nos positions, d'autant que nos obligations au titre de la présidence restreignent considérablement les possibilités de déplacements à l'étranger, notamment celles du ministre des Affaires étrangères et les miennes.
- un tel travail est particulièrement nécessaire à l'égard des pays candidats, dont l'impatience est compréhensible dont je note qu'elle est très insistante et parfois même revendicative. Force est de constater que nos positions n'ont pas toujours été bien comprises, et souvent des malentendus persistent, surtout quand ils sont habilement utilisés.
Il vous faudra inlassablement expliquer que le réalisme que nous prônons, partagé par les Quinze, notre refus de la démagogie, n'est en aucune manière antinomique avec la conscience que nous avons de notre responsabilité historique de contribuer avec cette présidence, à la réunification de l'Europe. Mais ce processus irréversible et positif doit être maîtrisé pour que l'Europe en sorte renforcée et non affaiblie et diluée, c'est de l'intérêt de l'Europe d'aujourd'hui et de celle de demain.
Vous me permettrez de conclure sur une note expressionniste ou impressionniste, comme on voudra. Comme vous pouvez le constater, nous sommes sereins, et croyez-moi, ce n'est pas une sérénité de façade. Nous avons des priorités claires, élaborées de longue date, assorties d'objectifs évidemment ajustés au fil du déroulement de la présidence, et nous pouvons nous appuyer j'en ai la conviction sur un dispositif en ordre de marche. Vous y jouez un rôle décisif, avec votre force d'analyse et de conviction pour contribuer au succès de la présidence française. Nous en aurons d'ailleurs fortement besoin. Car je suis convaincu que nous nous rapprochons de l'épreuve de vérité sur l'Europe politique dont parlait Jacques Delors, en mai 1998, juste après le choix des pays participants à l'euro. Quel que soit le résultat de la CIG, positif ou négatif, l'Europe de demain ne sera pas exactement la même après Nice. Certes, nous n'avons jamais eu la prétention de dire ou de penser que la présidence française aura fait passer l'Europe de l'ombre à la lumière. Nous sommes trop conscients que d'autres nous ont précédés et que d'autres nous succéderons. Mais, si un nouveau traité ne sort pas de Nice, une réaction, un saut qualitatif, une rupture dans la méthode seront inévitables, et j'ajouterai même souhaitables. Au contraire, si nous parvenons, à Nice, à un bon traité, l'aventure européenne pourra continuer, sur la base d'institutions renforcées et rénovées. C'est ce que nous espérons, et c'est ce à quoi nous travaillons et travaillerons sans relâche pendant ce semestre.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2000)