Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec France 3 et France info dans le 20 avril 2004, sur la future Constitution européenne, l’Irak, le Proche-Orient, l'élargissement de l'Union européenne et les élections européennes.

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Média : France 3 - France Info - Télévision

Texte intégral

Q - France Europe express accueille ce soir Michel Barnier, le nouveau ministre des Affaires étrangères, dans un contexte européen agité par les déclarations aujourd'hui de Tony Blair à propos du référendum sur la Constitution européenne.
Monsieur le ministre des Affaires étrangères bonsoir. Merci d'avoir réservé à cette émission votre première longue prestation télévisée.
Il y a très peu de temps, vous étiez commissaire européen à Bruxelles. Vous y avez siégé 5 ans et vous étiez en charge de la politique régionale de l'attribution des fonds structurels et de ce que l'on appelle la cohésion européenne.
R - Et de la réforme des institutions pour laquelle j'ai travaillé au sein de la Convention pour élaborer ce texte de la Constitution.
Q - Tout de suite, nous parlerons de l'Irak, des différents sujets qui sont désormais votre territoire. J'aimerais votre réaction à ce volte-face de Tony Blair, le Premier ministre britannique qui, lui-même, tout à l'heure à la Chambre des Communes, a défendu son projet de soumettre le projet de Constitution européenne en référendum, ce qui n'est pas du tout une pratique courante en Grande-Bretagne. Je crois qu'il n'y en a eu qu'un seul en 1975, c'était déjà à propos de l'Europe et ce référendum serait programmé après les élections législatives en Grande-Bretagne, c'est-à-dire soit en mai 2005, soit même en mai 2006.
Que pensez-vous de cette initiative qui paraît périlleuse pour la Constitution ?
R - Vous l'avez dit vous-même, cette décision que Tony Blair a annoncée est assez nouvelle, par rapport à ce qu'il avait dit auparavant et probablement pour des raisons très liées au débat politique britannique. J'espère que ce sera avant 2006 car cette Constitution, nous espérons la conclure avant la fin du mois de juin sous la présidence irlandaise. Nous en avons besoin, il faut montrer que la maison est en ordre. Il y a tellement d'inquiétudes sociales, économiques, de préoccupations liées l'écologie, d'inquiétudes graves liées au terrorisme et à la situation dans le monde que nous avons besoin que la maison européenne soit en ordre.
Mais, nous ne savons pas encore vraiment ce que sera cette Constitution. Attendons donc d'abord de voir quand et comment, dans quel état nous terminerons la négociation. S'agissant de la France, puisque c'est probablement ce qui vous intéresse, je veux rappeler que la Constitution française prévoit, pour un traité de cette nature, un traité constitutionnel européen, deux manières de le ratifier : la voie populaire directe par les citoyens ou la voie des représentants du peuple, le Parlement.
Q - Et précisément, à partir du moment où les Britanniques votent ou vont voter par référendum, n'y a-t-il par-là une force d'exemple ? Ce serait très difficile, pour le président de la République d'opter pour le congrès réuni à Versailles.
R - S'agissant des deux voies possibles, la voie populaire ou la voie des représentants du peuple, c'est le choix du président de la République et franchement, ne m'en veuillez pas si je vous dis que je respecterai ce choix ; le moment venu, c'est le président de la République qui décidera.
Q - Vous étiez plutôt pour lorsque vous étiez commissaire, vous l'avez dit publiquement.
R - Oui, je pense qu'il faut un débat sur ce texte. Vous me dites que les Anglais font ceci, que nous devons faire la même chose. Mais, il n'y a pas que les Anglais en Europe, il y a aussi 24 autres pays qui vont, pour la plupart d'entre eux, choisir la voie de la ratification parlementaire et d'autres la voie du référendum. Je serai, bien sûr, attentif à ce qui va se passer en Grande-Bretagne mais je serai également attentif à ce qui va se passer en Allemagne, où probablement il y aura une grande consultation du Parlement plutôt qu'un référendum. Je pense qu'il faut, peut-être pour la première fois et c'est ce que je voulais vous dire ce soir, il faut d'abord voir ce que font les autres et essayer de faire les choses le même jour.
Ce qui me paraîtrait important, c'est que sur cette Constitution européenne, il y ait un débat européen et non pas une juxtaposition de débats nationaux où l'on voterait ici pour Tony Blair, là, pour Jacques Chirac. Ce n'est pas le problème, ce qu'il faut c'est avoir une Constitution qui permette à l'Europe de fonctionner.
Q - Alors que c'est déjà le danger des élections européennes du mois de juin, on voit bien que dans chaque pays, les enjeux nationaux vont l'emporter.
R - On va parler des élections européennes parce qu'il faut que ce soit des élections pour l'Europe, pour la place et la défense de la France en Europe.
Q - Vous dites donc que, pour le projet de Constitution, il faudrait que les différents pays membres se prononcent le même jour.
R - Je trouve que cela aurait de l'allure, en même temps que cela provoquerait un vrai débat européen pour la première fois depuis 50 ans, que le même jour, soit par la voie du peuple, soit par la voie de leurs représentants, dans chaque pays, selon les procédures de chaque pays. Nous ne sommes pas en train de faire une Europe uniforme, il y a encore le respect de la décision de chaque pays.
Q - Mais, en même temps, cette Constitution doit être adoptée par tous les pays membres pour entrer en vigueur. Or, on connaît la difficulté pour Tony Blair de promouvoir les enjeux européens auprès de sa propre opinion publique, les sondages publiés aujourd'hui sont catastrophiques. Si le référendum sur la Constitution avait lieu aujourd'hui en Grande-Bretagne, il y a, je crois, 14 % de voix pour.
R - D'abord, on ne connaît pas la Constitution et tant que nous n'avons pas un texte définitif, on peut dire tout et n'importe quoi, utiliser tous les arguments et raconter ce que l'on veut. Attendons donc le texte et je pense que Tony Blair a pris ses responsabilités, a choisi son risque.
Q - Vous dites un risque et pas une chance ?
R - Je dis son risque puisque vous évoquiez l'état de l'opinion britannique. Nous n'avons pas besoin d'attendre un éventuel référendum ou une ratification parlementaire pour ouvrir le débat. Dans quelques semaines, nous avons une première occasion d'ouvrir un débat, même si le texte n'est pas encore définitif, on peut en débattre, on peut dire ce qu'il y a dedans et ce qu'il n'y a pas. Je voudrais donc que, sans attendre une consultation ou une ratification parlementaire, il y ait, dans toutes les occasions possibles, la possibilité de parler avec les Français comme nous le faisons ce soir, de ce texte constitutionnel.
Q - Je reviens un instant sur votre idée de ratification le même jour et dans tous les pays d'Europe. Est-ce une idée de vous, de la France et, si oui, dans cette deuxième hypothèse, la France militera-t-elle pour convaincre ses différents partenaires européens d'accepter cette idée ?
R - C'est une idée que j'ai émise, il y a quelques mois, lorsque j'étais commissaire européen. Je crois aussi l'avoir dit ici et, avec un certain souci de la constance, je redis la même chose aujourd'hui.
Q - Avez-vous convaincu Jacques Chirac ?
R - Je pense que c'est une bonne idée.
Q - De l'avoir convaincu ?
R - Non, c'est une bonne idée en elle-même et je suis aussi là comme ministre des Affaires étrangères pour donner de bonnes idées au président de la République qui en a aussi souvent lui-même.
Pour adopter cette Constitution et quelle que soit la décision qui sera prise, le moment venu, par le président de la République - je le répète puisque c'est sa responsabilité dans le cadre constitutionnel que de consulter le peuple ou de consulter les représentants du peuple - ce sont deux voies démocratiques.
Je peux marquer mon accord avec M. Montebourg, qui est avec nous sur ce plateau, pour dire qu'il faut débattre des questions européennes et pas seulement lorsqu'il y a un référendum, pas non plus seulement lorsqu'il y a une crise - la vache folle ou la Bosnie - où l'on parle de l'Europe pour constater qu'elle est impuissante ou qu'il n'y a pas assez d'Europe. Il y a longtemps que je considère que nous avons construit l'Europe depuis 50 ans pour les citoyens mais sans eux. Je voudrais donc que, au-delà de telle ou telle consultation, davantage d'habitudes quotidiennes de parler de l'Europe soient prises. Nous ne parlons pas de politique étrangère, permettez au ministre des Affaires étrangères de le dire, nous parlons de la vie quotidienne, de la monnaie, des transports, de l'industrie.
Q - Nous parlons de politique intérieure en fait.
R - Oui, nous parlons de la vie quotidienne des Français et de sujets que nous avons choisis, non pas de déléguer aux autres - ce ne sont pas les autres qui décident pour nous à Bruxelles - mais nous ne décidons plus seuls d'un certain nombre de sujets, nous décidons avec les autres, c'est la règle, et c'est dans notre intérêt, pour être plus forts ensemble et pour mieux se protéger. Je trouve en effet que, dans les régions, les gouvernements, les ministres, les nouveaux parlementaires européens, les commissaires doivent prendre une part de ce débat et assumer davantage le choix européen qu'a fait notre pays depuis longtemps.
Q - Parmi les ambitions de l'Europe et les ambitions de ce projet de Constitution, il y a l'idée de cristalliser, de former, de proposer enfin une politique étrangère pour l'Europe. L'un des dossiers le plus brûlant du moment, c'est bien évidemment l'Irak. Monsieur le Ministre, la situation diplomatique a beaucoup évolué depuis quelques jours puisque l'on voit, maintenant, M. Bush soutenu évidemment par M. Blair qui était, il faut le rappeler, sur cette position il y a un an ; M. Bush donc souhaite remettre l'ONU en selle en quelque sorte et lui confier un rôle important dans la transition du pouvoir prévue pour juin prochain, transition du pouvoir auprès d'autorités irakiennes dont on devine mal, d'ailleurs, l'identité.
La France, dans ces conditions, serait-elle prête à participer à un effort des Nations unies en Irak et si oui, à quelles conditions ?
R - Comment la France qui, la première, avec quelques autres pays qui ont partagé l'analyse lucide qu'avait faite Jacques Chirac et le gouvernement français sur la manière de traiter cette crise irakienne depuis le début ; comment la France qui a souhaité depuis le début, cela a été notre ligne constante, que la solution soit politique, qu'elle soit fixée par les Nations unies, dans le cadre du droit international ; comment ne serait-elle pas d'accord aujourd'hui alors qu'elle n'a cessé de le demander pour que ce soient les Nations unies qui assument cet effort ?
Que voit-on sur le terrain ? Une véritable tragédie, une spirale de violences, de sauvagerie qui touche d'ailleurs la population civile irakienne, américaine. Vous avez vu ces images épouvantables de quatre citoyens américains et un otage italien assassinés. Il faut arrêter cela et nous ne l'arrêterons que par la seule attitude et la seule solution possible, c'est-à-dire la solution politique.
Q - Mais, une solution politique appuyée sur une présence militaire, la France, dans ces conditions-là, enverrait-elle des troupes en Irak ?
R - Il n'est pas question aujourd'hui que la France envoie des soldats en Irak. La question est de savoir si les Américains et les alliés de la coalition qui ont aujourd'hui la charge de la stabilité et de la sécurité et qui ont beaucoup de problèmes, si cette coalition acceptera sincèrement, véritablement, que le cadre soit fixé par les Nations unies.
Q - C'est ce que semble demander M. Bush depuis quelques jours.
R - Et c'est bien qu'il le demande et qu'il le dise mais nous verrons comment les choses se feront à New York.
De quoi s'agit-il concrètement ? Il s'agit que, dans les semaines qui viennent, soit préparé un nouveau gouvernement irakien, l'Irak aux Irakiens, un gouvernement légitime, représentatif, respecté par les différentes communautés d'Irak : les chiites qui sont les plus nombreux, les sunnites, les Kurdes et que ce gouvernement d'hommes et de femmes compétents prenne en charge le relais à partir du 1er juillet. Un gouvernement qui serait donc responsable, représentatif.
Q - Et la France, par votre voix, pourrait-elle prendre une initiative dans ce sens et pourquoi pas, c'est ce que suggérait en particulier un éditorial du Figaro ce matin, la réunion à Paris de toutes les composantes de la société politique irakienne ?
R - Vous savez, les choses sont très fragiles et très sensibles, nous souhaitons, dans le cadre des Nations unies, que les conditions d'un gouvernement représentatif, respecté par toutes les communautés en Irak, soit mis en place le 1er juillet. Il faudra une résolution des Nations unies pour vérifier la sincérité de ce transfert de souveraineté et dans une seconde étape, très importante également, celle de la préparation des élections, la souveraineté sera donnée par le peuple irakien au mois de janvier 2005 ; probablement, comme nous avons été les premiers à le demander avec les Russes et les Allemands, une conférence nationale pourrait être organisée avec l'appui, le soutien de la communauté internationale. Où cette conférence se situera-t-elle ? Probablement, je le souhaite, en Irak si c'est possible, mais ce n'est pas l'important.
Q - Et si ce n'est pas possible, cela pourrait être à Paris ?
R - Cela peut être ailleurs dans la région. Il y a beaucoup de pays qui sont intéressés à la stabilité en Irak ou à la stabilisation de l'Irak.
Ce que je veux dire, c'est que vous avez des étapes pour assurer la stabilité et puis très vite, il y a une étape dans laquelle nous prendrons notre part : c'est la période de la reconstruction. Elle viendra assez vite, je l'espère, la reconstruction économique et politique de l'Irak.
Q - Elle est déjà entamée ?
R - Oui, avec beaucoup de difficultés en raison de l'instabilité et de l'insécurité.
Nous sommes donc prêts à prendre notre part, y compris pour assurer par exemple, la formation des gendarmes, pour diminuer la dette de l'Irak dans le cadre du Club de Paris, pour apporter une aide avec l'Europe ou bilatéralement. Nous prendrons notre part à la reconstruction politique et économique de l'Irak.
Q - Et le retrait espagnol ? Considérez-vous que c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle vue de Paris ou vue de l'Europe ?
R - Vue de Paris, c'est une décision souveraine du gouvernement espagnol, nous l'avons jugée comme une décision souveraine de s'engager aux côtés des Américains avec le précédent gouvernement, c'est aujourd'hui une décision souveraine de s'en retirer. Moi, je n'ai pas envie de passer trop de temps à regarder dans le rétroviseur.
Q - Cela veut peut-être dire que les Espagnols rejoignent une position française que vous souligniez encore tout à l'heure ?
R - Mais, vous le constatez, vous le dites, ce qui est important, c'est de regarder devant soi, à la fois pour traiter la question irakienne tout de suite et puis, puisque nous parlions de la Constitution européenne, pour très vite utiliser ce qu'il y a dans ce texte, c'est-à-dire les outils d'une future politique étrangère commune.
Q - Il y a un autre dossier où l'Union européenne est, en principe, présente, elle l'est en tout cas financièrement, je veux parler du Proche-Orient.
On sait que l'Union européenne contribue de façon majoritaire dans le financement d'un certain nombre de projets à Gaza et dans les territoires occupés. On voit, là aussi, depuis quelques jours, l'initiative du gouvernement Sharon, soutenue sans aucune condition par la présidence américaine. N'est-il pas temps, qu'enfin, dans cette partie du monde de souffrances et de sacrifices atroces, l'Europe, enfin, affirme qu'elle a vraiment une politique ? Cela ne devrait-il pas être là le premier terrain d'actions d'une politique véritablement européenne ?
R - Autant, vous avez pu le voir, il y a eu des divisions sur l'analyse de la situation irakienne. En remontant un peu dans l'Histoire, on trouverait d'autres divisions autrement tragiques. Je veux rappeler ce qui s'est passé après l'explosion de la Yougoslavie et notre incapacité, à nous Européens, d'empêcher une guerre moyenâgeuse, 200. 000 morts sur notre propre continent. Nous en avons tiré les leçons et encore une fois, il y a dans ce texte des outils pour, non pas par un coup de baguette magique, mais par des outils, par du temps, de la volonté, aboutir à une culture diplomatique commune, à des décisions communes.
Dans le cas extrêmement tragique de la situation entre l'Autorité palestinienne et Israël, nous avons une vision commune, une position commune.
Q - Mais, franchement, cela n'a aucune incidence sur le terrain ? Pardonnez-moi, c'est une position commune que l'on ne voit jamais à l'oeuvre !
R - Les Européens s'étaient réunis cette fin de semaine. Nous avons tous condamné ces exécutions extra-judiciaires auxquelles procède Israël, comme nous condamnons d'ailleurs ces actes épouvantables que sont les attentats-suicides. Cette spirale de violence, de sang, de terreur doit cesser.
Comment faire, en faisant pression sur ceux qui se combattent pour qu'ils se remettent autour d'une table ? Nous avons un objectif très clair, celui de deux États. Un État d'Israël en sécurité, - nous ne transigerons jamais, nous Français, sur la sécurité d'Israël -, et un État palestinien viable et démocratique. Nous avons l'objectif mais nous avons aussi le plan.
Ce plan, c'est ce que l'on appelle la Feuille de route qui a été agréé par tous les Européens, par les Américains, par la Russie et par les Nations unies.
Q - Mais, la Feuille de route est abandonnée ?
R - Non, j'ai entendu le président Bush citer cette Feuille de route à cinq ou six reprises et je veux croire qu'elle n'est pas abandonnée. Il n'y a pas d'alternative sauf le chaos, il n'y a pas non plus d'alternative, sauf la violence, à ce que nous réclamons, y compris nos amis américains et à l'État d'Israël, c'est la négociation, le respect, l'écoute de l'autre partie c'est-à-dire les Palestiniens. On ne fait pas la paix en Israël avec l'État palestinien seulement entre les Américains et les Israéliens, on fait la paix avec les Palestiniens.
Q - Et lorsque le président Bush semble donner son feu vert à la politique d'Israël, en ce moment et ces derniers jours l'ont montré, que peut dire, que va dire l'Europe et Paris ?
R - Nous disons une chose très simple. Le retrait de la bande de Gaza a été annoncé unilatéralement, c'est une partie du futur État palestinien. C'est une étape, nous prenons acte de cet engagement, encore faut-il regarder comment les choses vont s'organiser, selon quelles modalités et comment cette bande de Gaza sera viable, comment l'on y accèdera, comment les permis de travail seront attribués aux Palestiniens, ce sont des questions qui ne sont pas réglées. Mais il n'y a pas que la bande de Gaza, il y a la Cisjordanie et le lien entre les deux. Tout cela fait partie de cette Feuille de route.
La Feuille de route, c'est le seul instrument que nous avons entre les mains, qui a été agréé par les quatre grands partenaires que j'ai cités, accepté par les Israéliens, accepté par les Palestiniens et nous n'avons pas d'alternative. Nous continuerons donc à faire pression et nous appelons l'opinion publique européenne à nous soutenir, tous ensemble puisque nous sommes ensemble, pour que, par tous les moyens, l'on puisse amener les Palestiniens et les Israéliens à nouveau à la table des négociations. C'est la seule solution.
Q - Ce que l'on voit, et maintenant que vous avez changé à la fois de portefeuille et de casquette, ce que l'on voit, c'est que votre propre discours est un discours bilatéral avant d'être un discours européen. Avec l'Europe élargie et une Europe en principe dotée d'une Constitution, pensez-vous qu'en matière de politique étrangère, précisément, cette idée d'une politique étrangère commune, très bien dans les discours, pourra passer dans les faits, à partir du moment où chaque pays voudra maintenir sa diplomatie, ou en tout cas un discours au sujet de cette diplomatie.
R - Nous ne parlons pas et je n'imagine pas une politique étrangère unique, nous parlons d'une politique étrangère commune.
Q - Et oui, et ça, c'est l'une des subtilités sémantiques.
R - C'est plus qu'une subtilité, le général de Gaulle disait un jour, qu'il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons. Nous gardons nos différences, j'ai toujours été Européen, je reste pourtant passionnément patriote et Français, y compris lorsque j'étais commissaire européen. Il ne s'agit pas d'effacer les frontières, les identités, les cultures, ni d'oublier nos amitiés dans le monde, nos réseaux, notre Histoire, nos histoires quelquefois différentes, y compris dans cette région du Proche ou du Moyen-Orient. Mais il s'agit de mettre en commun une partie de tout cela pour exister politiquement ensemble. Pat Cox a dit une chose que je veux confirmer : moi j'ai une vieille conviction, très ancienne, c'est que ce projet européen qui était parti d'une idée politique, la paix, la stabilité, une promesse qui a été respectée, tenue depuis 50 ans, la promesse de paix que nous allons étendre en accueillant la Hongrie et tous les autres pays qui nous rejoignent pour notre force commune et notre stabilité commune, ce projet est devenu quand même au fil des ans, davantage une construction économique, financière et monétaire et cela ne suffit pas. Il faut remettre l'homme au coeur de ce projet - la dimension sociale, culturelle - et il faut ajouter un point politique. J'ai une conviction, je vous l'ai dit et c'est pour cela que je me suis battu pour ces outils de la politique de défense commune et de la politique étrangère commune, il faut que l'Europe soit une puissance politique, il faut que l'Europe soit un acteur global et si nous ne le faisons pas, tout le reste sera fragilisé.
Q - Et cela ne sera-t-il pas plus difficile à 25 qu'à 15 ?
R - Oui, plus difficile et plus nécessaire encore. Il y aura un ministre, si cette Constitution est finalement approuvée, qui sera le ministre européen des Affaires étrangères et il y aura un lieu où des diplomates feront des analyses communes, travailleront ensemble, pourront créer ce que j'appelle une culture diplomatique commune. Qu'est-ce qui nous a manqué en Bosnie, lorsque la Yougoslavie a explosé, que nous a-t-il manqué dans la crise irakienne ? C'est que, préalablement, nous n'avions pas réfléchi ensemble à la situation. Il n'y a pas eu d'analyse préalable et donc, dans l'urgence, dans la crise, chacun retrouve ses réflexes, nous n'avons pas pu agir ensemble. Il faut donc remonter les choses, avoir un outil, un lieu de culture diplomatique commune et prendre le temps. Ce ne sera pas un miracle, mais je suis sûr que nous y parviendrons, au moins pour tous les sujets qui nous entourent et où il y a tant de risques et d'instabilité.
Q - Venons-en précisément à cette Europe élargie, je rappelle que le 1er mai prochain, l'Union européenne accueillera dix membres de plus. Parmi les préoccupations que l'on entend le plus souvent dans nos opinions publiques, en France d'abord mais aussi parmi les vieux pays membres, il y a celle-ci, c'est que ces pays qui sont moins riches que nous vont déverser sur notre marché du travail, toutes sortes de gens qui auront intérêt bien sûr à venir profiter de nos emplois et de nos conditions sociales. On a vu que plusieurs pays membres ont déjà adopté des législations très restrictives, notamment les pays scandinaves, pour empêcher le libre accès aux nouveaux entrants. La France devrait-elle faire la même chose à votre avis ?
R - Lorsque ces dix pays ont négocié leur traité d'adhésion, nous avons prévu des périodes de transition de cinq à sept ans pour ce que l'on appelle la libre circulation des travailleurs. C'est une sorte de précaution qui permettra de voir comment les choses se passent. Nous avions d'ailleurs donné des périodes de transition du même type dans le passé à d'autres pays qui ont adhéré et qui ne les ont pas utilisées.
C'est une crainte que je peux comprendre mais qui n'est pas justifiée. Actuellement, seulement 2 % des habitants vivent dans un pays qui n'est pas le leur. Je me souviens d'une chose qui m'avait beaucoup frappé lorsque j'étais étudiant, cela remonte assez loin maintenant. En France, le grand problème d'immigration était l'immigration portugaise et le Portugal n'était pas dans l'Union, les Portugais venaient chercher du travail chez nous. Qui parle de l'immigration portugaise aujourd'hui ? Personne. C'est le succès du projet européen, ce pays a adhéré parce qu'il l'a voulu, il a fait un effort, nous l'avons aidé comme nous allons aider la Hongrie, la Pologne et la Lituanie en partageant un peu de nos moyens. Ils ont créé progressivement un avenir chez eux, et c'est cela qui fait que le projet européen est pour moi le plus beau des projets politiques. Il ne nous empêche pas d'être Français, Hongrois ou Allemand, c'est un projet qui fabrique du progrès partagé, de la stabilité et de la paix plutôt que d'entretenir des conflits.
Q - Seriez-vous pour que la France adopte une législation spécifique comme l'ont fait la Suède, le Danemark ?
R - Nous n'avons pas imaginé cela pour l'instant car nous ne pensons pas qu'il y ait un vrai risque. D'autres pays ont probablement plus de préoccupations immédiates car ils sont des pays frontaliers et on peut comprendre cela. Encore une fois, cinq ou sept ans, c'est très court et ce dont il s'agit, c'est de créer du progrès et du développement dans ces pays.
Q - Quitte à délocaliser par exemple des entreprises françaises qui pourraient s'implanter dans ces pays, donc à les aider, ce qui pourrait être compliqué pour les Français.
R - Arnaud Montebourg a évoqué la question industrielle qui me préoccupe, je pense que l'Europe doit se doter d'une stratégie industrielle pour avoir une véritable puissance notamment dans les secteurs stratégiques. Mais, les délocalisations peuvent se faire, elles se font et sur dix investissements dans ces pays, il n'y en a que deux qui correspondent réellement à des délocalisations, les autres sont des investissements positifs.
Q - Positif pour les nouveaux entrants ou pour la France ?
R - Pour nous. Lorsque Peugeot s'implante en Slovaquie, c'est pour vendre des voitures aux Slovaques dont le niveau de vie augmente.
Q - Mais, cela peut supprimer des emplois en France M. Barnier ?
R - Pas forcément, puisque le niveau de vie augmente. Il faut dire les choses telles qu'elles sont ; souvenez-vous des conditions dans lesquelles l'Espagne a adhéré à l'Union européenne il y a une vingtaine d'années. Il y a eu les mêmes polémiques, les mêmes craintes que je comprends et dont je me souviens notamment dans le domaine des produits agricoles. Que se passe-t-il vingt ans après ? Tout n'est pas parfait mais les Espagnols nous achètent à nous, Français, plus de produits agricoles qu'ils ne nous en vendent. C'est cela le projet européen, il faut que je sois gagnant-gagnant. Actuellement, il y a à peu près 1800 entreprises françaises qui travaillent dans les pays de l'Est. Ce sont des milliers d'emplois en France par l'exportation.
Donc, je comprends ces craintes, il y aura des risques de délocalisation mais je préfère simplement qu'elles se fassent dans des pays où il y a une règle du jeu avec nous plutôt que de manière sauvage dans des pays où il n'y a pas de revenus minimums, où il n'y a pas de règles écologiques. En entrant, ces pays acceptent une règle du jeu commune avec nous.
Durant cinq ans, j'ai eu la charge d'une des plus belles politiques européennes comme commissaire européen, c'est la politique que Jacques Delors avait voulue, celle de la cohésion, la preuve de la solidarité, la preuve que l'Europe n'est pas seulement un grand marché. En Irlande, cet argent européen de solidarité était très bien utilisé et aujourd'hui, l'Irlande a 8 % de croissance, plus que les autres pays car il a mis cet argent dans l'intelligence, dans l'université, dans la recherche, dans la compétitivité et je pense que cet exemple irlandais peut être suivi utilement par les nouveaux pays qui nous rejoignent.
Q - Mais, faut-il les rejeter, ne pas les prendre dans l'Union européenne, allez au bout de votre raisonnement.
R - M. de Montebourg, en écoutant votre discours et puisque vous êtes socialiste et que vous avez des amis car l'on ne décide pas de cela tout seul, je vous invite à consacrer un peu plus d'énergie à convaincre un certain nombre de vos amis socialistes, notamment en Grande Bretagne pour qu'ils acceptent les règles que nous avons proposées avec Jacques Chirac, pour supprimer le droit de veto, pour aller vers plus de protection sociale, pour avoir des règles minimums. Nous avons fait des propositions qui ont été rejetées et vous seriez très étonné si vous regardiez qui a refusé ces propositions.
Voyez-vous, je suis très content que vous m'ayez invité avec M. Montebourg car il y a quelques temps, je voulais vous dire en face que j'avais trouvé un article que vous avez écrit, je l'ai ressorti ces jours-ci, le 2O septembre 2002, avec l'un des vos amis M. Christian Paul, j'ai trouvé cet article misérable, misérable M. Montebourg. Ce que vous avez écrit, je ne sais pas si vous le rediriez aujourd'hui de la même manière. En rejetant tous les pays comme celui de M. Medgyessi, sous le prétexte du dumping social, on croirait lire Le Pen en lisant cet article, non, je vous dis les choses telles que.
Q - M. Montebourg - Mais c'est une attaque vive là ! Et même un peu excessive.
R - C'est une attaque vive mais, j'invite les gens qui n'ont pas lu cet article à le relire, je vous fais de la publicité, cet article était misérable.
C'est une vision frileuse, recroquevillée, ce n'est pas une vision socialiste. Que faites-vous de l'héritage de tous les dirigeants socialistes, François Mitterrand, Jacques Delors qui ont voulu ce projet européen. Vous avez une vision égoïste de cette Europe ce que vous disiez à l'instant me rappelle un peu ce que j'ai lu dans cet article. En agitant toutes les peurs, on va supprimer la PAC alors que nous venons de la consolider jusqu'en 2013, on supprimera la politique régionale, vous ne savez pas de quoi vous parlez puisque j'ai moi-même proposé de la maintenir et de la réformer. Il y a là toutes les peurs pour agiter l'Europe comme un épouvantail et je ne trouve pas cela bien.
J'ai entendu l'autre jour M. Hollande dire que la seule chose qui comptait à ses yeux, c'est l'intérêt général et l'intérêt général de la France aujourd'hui, l'intérêt général des Européens, c'est de réussir cet élargissement, c'est de ne pas faire peur avec cet élargissement, de l'expliquer, de ne pas ignorer les critiques ou les problèmes. Il y en a, je ne cherche pas à peindre tout en rose mais je vous en prie, ne perdez pas l'espérance de ce projet européen, n'en parlez pas comme vous l'avez fait.
Je vous en prie M. Montebourg, vous n'avez pas le droit de perdre la perspective, je ne nie pas qu'il y ait des problèmes mais, les démagogies, les peurs existent, parfois, je connais les vrais problèmes et je sais bien le drame que peuvent constituer des délocalisations qui d'ailleurs entre nous sont beaucoup plus à l'Est qu'à l'Est, elles sont maintenant en Chine ou en Inde et nous sommes loin de l'Europe. Dans cette Constitution, nous avons, par nos politiques, trouvé des moyens et des règles comme vous le dites mais je vous en prie, ne perdez pas le fil car sinon, vous joignez votre voix à celle de tous ceux qui montrent l'Europe comme le bouc émissaire et ce n'est pas bien.
Q - Il y a par exemple des questionnements qui sont très prosaïques, très pragmatiques, d'actualité je dirai. On parlait de l'Irlande, de l'Espagne qui ont réussi grâce aux fonds structurels de l'Union à se mettre à niveau. Ceci rejoint une question d'un auditeur qui vous interroge M. Barnier, ancien commissaire européen et aujourd'hui ministre des Affaires étrangères. Évidemment, vous n'avez pas la même vision. Lorsque vous étiez commissaire européen, vous étiez par exemple pour que l'on élargisse le budget de l'Union pour aider ces pays à se mettre à niveau. Aujourd'hui membre du gouvernement, M. Sarkozy à Bercy dit 1 % et on ne va pas plus loin. Comment concilie-t-on cette nouvelle posture ?
R - Chaque homme a sa place, chacun a son poste et chaque chose en son temps. Je suis aujourd'hui membre du gouvernement, j'étais commissaire, ce n'est pas la même position et surtout, chaque chose en son temps. Il y a le temps de la proposition, la Commission, je le dis une fois de plus et je ne cesserai pas de le répéter, ne décide pas, elle fait des propositions. Nous avons fait, il y a quelques mois, une proposition sur le futur budget de l'Union européenne pour la période 2007-2013 en intégrant tous les besoins et toutes les politiques que nous devons mener et les politiques plus traditionnelles. Cette négociation commence à peine, elle va durer un an et demi, et c'est maintenant le temps de la négociation à partir du moment où nous avons une proposition. La France a exprimé un souci que je peux comprendre et que j'assume comme ministre aujourd'hui, c'est celui de la maîtrise de son budget.
Q - Êtes-vous aussi persuasif avec M. Sarkozy que vous l'êtes avec le président de la République, c'est ce qu'il faut comprendre ?
R - Nous aurons des débats internes, je respecterai la discipline du gouvernement auquel j'appartiens, le choix collectif que nous ferons sous l'autorité de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin, mais je ne suis pas dans la même position et les périodes ne sont pas les mêmes. Encore une fois, la Commission propose, ce sont les gouvernements qui décident finalement.
Q - Quelle est la position officielle de la France concernant l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. On a entendu que M. Juppé était dorénavant plutôt hostile à cette entrée, est-ce une pirouette, une position électoraliste compte tenu du scrutin du 13 juin prochain et la position de la France a-t-elle changé, notre auditeur demande une position claire sans "blabla" dit-il ou est-ce encore du domaine du président de la République ?
R - Tous ces sujets sont de la responsabilité principale du président de la République qui conduit la politique extérieure de la France, c'est la règle.
Non, la position de la France n'a pas changé, il n'est pas question aujourd'hui de l'adhésion de la Turquie à l'Union, ni aujourd'hui ni demain matin. Et ceux qui disent cela ne disent pas la vérité.
Il est question, à la fin de l'année, de savoir si et quand on ouvrira des négociations d'adhésion qui n'ont jamais été ouvertes, et qui peuvent durer très longtemps. Et c'est la Commission européenne qui nous dira si nous pouvons le faire. Le débat à la Commission, permettez-moi de le dire, n'a pas vraiment commencé. Il va avoir lieu dans les mois qui viennent, avec les commissaires qui sont en place.
Q - La décision est politique, Monsieur Barnier.
R - Non. C'est une décision importante et nous devons attendre, je vous en prie, pour parler sérieusement de cette question, l'avis de la Commission, qui dira si l'on peut ouvrir ou non des négociations d'adhésion.
Q - Alors pourquoi l'UMP a-t-elle pris l'initiative de déclarer qu'elle était contre ?
R - Parce que c'est un sujet qui est ouvert, qui préoccupe, qui inquiète. Il est donc normal qu'il y ait un débat, dans tous les partis politiques. Voilà ce dont il est question, et ça c'est la vérité.
Q - Mais est-ce que ce sujet-là ne méritait pas aussi un référendum ? Pourquoi ne consulterait-on pas les Français sur cette question ?
R - Mais, mettez les choses dans l'ordre, je vous en prie. Nous n'avons pas ouvert de négociations d'adhésion avec la Turquie. Elles peuvent durer dix ans, quinze ans, ces négociations. Alors, nous verrons bien, le moment venu, s'il s'agit de l'adhésion de la Turquie ou pas. Nous sommes aujourd'hui dans la situation où il n'est pas question, ni aujourd'hui, ni demain matin, d'une adhésion de la Turquie. Ne cherchons pas à agiter des problèmes qui ne sont pas posés maintenant.
Q - Monsieur Barnier, je suis d'accord sur le calendrier, mais vous savez bien que politiquement, la question est posée aujourd'hui et va être posée pendant la campagne.
R - Et je vous réponds. J'ai répondu à l'Assemblée nationale, l'autre jour, à un député qui m'interrogeait, je continuerai de répondre. Maintenant, ayant dit cela clairement, permettez-moi de faire un point d'histoire. Le dialogue avec la Turquie, qui est là, à côté de nous - vous ne changerez pas cette place, elle est là, à notre frontière, et même en partie en Europe - ce dialogue a été ouvert non pas hier ou avant-hier, il a été ouvert il y a 40 ans. Par qui ? Par le général de Gaulle et par le chancelier chrétien-démocrate Konrad Adenauer, qui eux ne regardaient pas en arrière, qui regardaient un peu plus au-delà des prochaines élections, et qui ont compris que nous avions intérêt à avoir un dialogue constructif avec ce grand peuple, à associer, d'une certaine manière, nos destins pour notre propre sécurité. Si la Turquie n'est pas encouragée, d'une manière ou d'une autre, à se rapprocher de notre modèle économique, démocratique et social, alors, probablement, le risque existe qu'elle choisisse un autre modèle. Moi, je pense qu'il faut bien réfléchir à cela et faire attention. Je pense, je vous dis, ma position n'a pas changé, il n'est pas question aujourd'hui d'adhésion de la Turquie, il est question de savoir si on ouvrira des négociations d'adhésion. Je souhaite que l'on maintienne et que l'on consolide le dialogue avec la Turquie.
Q - Si le problème de la Turquie est posé de façon aussi passionnelle aujourd'hui, c'est sans doute parce que là, on touche du doigt le déficit démocratique européen ; c'est à dire que les décisions se prennent en dehors des citoyens, ils ne sont pas consultés. Vous nous dites "les négociations ne sont pas ouvertes avec la Turquie", mais on sait très bien qu'à la fin de l'année, on va prendre une décision qui sera très symbolique...
R - Elle est prise par qui ? Par des gens qui sont membres du Conseil européen, ce n'est pas n'importe qui, c'est le président de la République française, c'est Tony Blair, c'est le chancelier allemand, qui sont élus démocratiquement dans leur pays, qui représentent leur pays, qui ont une légitimité pour le faire.
Q - Et on rejoint le problème de la ratification de la Constitution, soit par le Congrès réuni à Versailles, soit par référendum. C'est exactement le même problème.
R - Mais enfin, vous avez partout des chefs d'État, de gouvernement, qui ont des responsabilités et qui les assument, et puis vous avez un Parlement européen, dont, j'espère, nous allons parler, qui est élu démocratiquement par les citoyens, vous avez des députés, des sénateurs français qui assument leurs responsabilités.
Q - Comment allez-vous mener campagne ?
R - En parlant du sujet des élections européennes. Il s'agit de la France en Europe, il s'agit d'élire 78 députés parmi 730. Il s'agit d'élire des députés français, pour la première fois dans de grandes circonscriptions régionales près des citoyens...
Q - Il y a la Normandie dans le Nord, c'est le "grand Nord"...
R - Oui, mais dans ces grandes régions, que je connais bien puisque je les avais proposées, il y a de grands enjeux d'emploi, d'écologie, de transport, de grandes problématiques qui donneront aux députés une raison de se battre sur des dossiers. Nous devons dire qu'il s'agit d'élire des députés pour défendre la France, pour être présent dans les groupes...
Q - Ceci pour rappeler qu'il s'agit d'élire un Parlement...
R - Un Parlement européen, au suffrage universel...
Q - Mais, Michel Barnier, est-ce que, je vous pose la question de manière assez brutale, vous avez été nommé ministre des Affaires étrangères pour être le ministre "antidote" à une élection qui, traditionnellement, est catastrophique pour le parti auquel vous appartenez. Celui qui a mené la dernière campagne, c'est Nicolas Sarkozy, ça lui a été très difficile, le score pour le RPR à l'époque avait été dramatique. C'est toujours une épreuve difficile pour votre parti. Est-ce que vous avez été nommé pour être le ministre "antidote", celui qui va finalement éviter une catastrophe ?
R - Écoutez, je ne crois pas que c'est pour cela que Jacques Chirac et le Premier ministre m'ont confié l'animation de la diplomatie française.
Q - Oui, vous êtes un chiraquien convaincu, mais un européen convaincu.
R - Oui, j'ai toujours été gaulliste et européen depuis que j'ai 15 ans et je n'ai pas changé et je ne changerai pas. Je prendrai ma part à cette campagne électorale, à cette campagne qui ne sera pas pour moi de la propagande, qui sera de l'explication et du débat. Cela fait d'ailleurs beaucoup d'années que je vais dialoguer avec les Français et que j'entends des craintes. Les Français sont à la fois inquiets et intéressés par l'Europe. Il faut donc que les hommes politiques, je l'ai dit au début, répondent à cette inquiétude et à cet intérêt. Je vais donc prendre ma part dans la campagne électorale elle-même...
Q - Est-ce que vous pouvez nous préciser cette part ? Il y a des têtes de listes régionales, mais est-ce que vous allez être le porte-parole du gouvernement, de la majorité ?
R - Les ministres vont prendre leur part, parce qu'ils ont tous quelque chose à dire : le ministre de l'Économie, pour parler de la croissance, de l'euro ; le ministre de l'Intérieur pour parler de la sécurité, le ministre de l'Agriculture pour parler de cette Politique agricole commune.
Q - C'est vous qui allez coordonner ?
R - Je pense que tous les ministres doivent participer à cette campagne et expliquer en quoi et pourquoi le fait d'être dans l'Union européenne est important, utile et nous protège.
Q - Précisons les choses, M. Barnier. François Baroin, qui est le secrétaire général délégué de l'UMP, a annoncé ce matin que les élections européennes ne seraient pas une session de rattrapage pour les battus du suffrage universel, ou d'ex-ministres. Cela visait très précisément Roselyne Bachelot et l'ancien ministre Ferry, qui s'annonçait comme tête de liste dans le grand Nord, le grand Nord en France, pas le grand nord polaire. Vous venez de dire quelque chose qui me semble important, des ministres vont être tête de liste ou non ?
R - Non. Je crois avoir été clair. Ne me demandez pas de dire qui va être désigné, c'est l'affaire du parti et de nos partenaires de l'UDF qui ne sont pas très loin de nous, de chacun désigner de bons candidats. La seule chose que je peux souhaiter, c'est que nos candidats aux élections européennes s'engagent à ne faire que ça, à être disponibles et à passer le temps nécessaire pour défendre les intérêts de la France au Parlement européen à Strasbourg.
Q - Vous voulez dire que c'est un changement par rapport à la tradition. Je ne dis pas cela pour être polémique, mais ce n'est pas une tradition française d'être assidus au Parlement européen. Nous sommes le 14ème pays sur Quinze.
R - Ce sera un certain changement. Le cumul des mandats n'existe pratiquement qu'en France. C'est une faiblesse, au Parlement européen, que de faire ça plus autre chose. Je recommande donc, c'est une opinion personnelle, que les députés européens...
Q - Mais vous êtes bien placé, cela va être décidé, ce sera du plein temps ?
R - Je crois que cette idée va être mise en oeuvre, que les députés européens, candidats de l'UMP, s'engageront à faire ce travail à temps plein, un peu comme moi je suis ministre des Affaires étrangères à temps plein. Je souhaite que les ministres, je crois que c'est aussi l'idée du Premier ministre, prennent leur part à ce travail d'explication. Tous les ministres du gouvernement gèrent, probablement pour la moitié de ce qu'ils font, des décisions et des sujets dont ils décident avec les autres ministres européens. Il faut donc qu'ils expliquent en quoi c'est important, en quoi, par exemple, quand on parle de pollution maritime, de ces scandales de l'Erika ou des bateaux poubelle, on ne se protège qu'avec les autres et pas tout seul chacun chez soi ou chacun pour soi. Je souhaite donc que les ministres prennent leur part, mais ils ne participeront pas aux listes électorales. Et probablement, M. Montebourg nous le dira, il y aura des candidats socialistes, que vous allez désigner, et puis il y aura des leaders socialistes qui vont participer au travail d'explication aussi, voilà ce que je veux dire.
Q - Je voudrais que vous précisiez simplement, est-ce que cela va être vous, pour le gouvernement qui allez être l'animateur de la campagne des européennes, puisqu'il n'y a plus de têtes de liste nationales, serez vous l'animateur national de la campagne ?
R - Non, je ne le crois pas. Il y aura huit têtes de liste dans les huit circonscriptions, y compris les départements et régions d'Outre-mer qu'il ne faut pas oublier, et qui font partie de notre République. Nous allons faire un effort pour le renouvellement de nos candidats, pour que ces candidats soient représentatifs de la société française telle qu'elle est, et pour qu'ils s'engagent à travailler à temps plein au Parlement européen.
Q - Mais vous n'aurez pas une mission particulière ?
R - Je vais participer au travail d'explication et d'animation, je crois que cela fait partie de mon travail de ministre des Affaires étrangères et européennes, pour permettre de placer le débat là où il doit être placé : c'est un débat pour la France en Europe, et pour choisir des hommes et des femmes qui ont un rôle extrêmement important, au moins aussi important que celui des députés et des sénateurs français à Paris. Le pouvoir de codécision des députés européens consiste à avoir le droit d'approuver, en même temps que les ministres, tous ou beaucoup de textes européens. C'est donc un rôle très important pour défendre nos intérêts, pour défendre nos projets. C'est cela dont il est question, je ne cesserai pas de le répéter, aussi souvent que je le pourrai, en parlant aux Français de ces questions européennes, et en parlant de la France.
Q - (A propos des perspectives de la Construction européenne)
R - C'est toujours cette manière de voir les choses sans enthousiasme. Nous prolongeons un projet qui a commencé depuis 50 ans et qui a tenu ses promesses, qui mérite davantage de démocratie et d'explication. L'occasion est là en élisant les députés européens. Nous voulons une Europe qui soit une économie sociale de marché, et lui donner davantage une dimension sociale, préserver les services publics. J'ai été très attentif à ces questions, rigoureusement, et je continuerai à le faire, dans les années qui viennent, sous l'autorité de Jacques Chirac, qui lui aussi est attentif. Nous voulons une Europe qui ne soit ni fédérale, ni simplement un syndicat international. Nous voulons une communauté de nations qui partagent leur destin et qui aussi devienne un acteur global dans le monde, qui ne se contente pas d'être une sorte de puissance régionale, ou un grand supermarché. Voilà ce de quoi nous allons parler. Élire des députés européens qui ont un rôle très important, qui travaillent avec les autres, ce n'est pas un débat franco-français, seulement, et pas d'abord, car ils participent à la construction de ce projet politique pour l'améliorer, pour lui donner davantage une dimension humaine et politique. Voilà ce qui va motiver mon engagement dans cette campagne.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 avril 2004)