Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à France-Inter le 2 février 2000, sur la perspective de la participation de l'extrême-droite au gouvernement autrichien, ses effets sur le fonctionnement de l'Europe des Quinze, la réaction des partenaires européens de l'Autriche et la proposition d'accélérer le processus d'élaboration de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Pierre Moscovici, bonsoir !
R - Bonsoir !
Q - Si l'Europe n'arrive pas à construire, à l'intérieur de ses frontières, un espace politique clair et cohérent, elle est malgré tout capable de se concerter et de rejeter un style éloigné de ses valeurs. On peut s'en féliciter mais dans le même temps mesurer ainsi sa force et sa capacité à impressionner. Premièrement, dans l'affaire qui aujourd'hui occupe l'actualité, les Autrichiens ne paraissent pas du tout, eux, s'émouvoir des déclarations faites ici ou là. Deuxièmement, dans la mise en garde récente des Quinze à la Russie dans sa guerre contre la Tchétchénie, les résultats ont été décevants, voir nuls. Troisièmement, dans la conduite lamentable du processus judiciaire contre l'ex-dictateur Pinochet alors que Pinochet est sur le sol européen on n'a pas vu beaucoup de bonnes âmes s'émouvoir, en tous les cas pas avec la même force et la même vigueur que sur l'affaire autrichienne. Le populisme autrichien, M. Moscovici, n'est pas le seul actuellement en Europe. En dehors des partis d'extrême droite, d'autres formations mettent en avant des sentiments nationaux ou prônent des comportements frileux vis-à-vis de l'Europe, de l'intégration, de l'immigration, alors y a t-il risque de contagion ? Nous allons parler de politique européenne avec vous, et je dirais c'est bien normal puisque vous êtes le ministre en charge de ce dossier dans le gouvernement Jospin. Mais commençons par l'événement qui fait la une de toute la presse aujourd'hui, c'est l'accord qui a été réalisé entre les conservateurs et l'extrême droite en Autriche. Il y a eu mise en garde, cela pour avoir mise en garde, je dirais que tout le monde y a été de son petit couplet et malgré tout cela n'a pas suffit. Alors qu'est-ce qui va se passer maintenant ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce que peuvent faire les quatorze qui restent ? Est-ce qu'il faut exclure l'Autriche ?
R - Ce n'était pas une mise en garde, très honnêtement. Personnellement, je ne pensais pas que la position qui a été prise par la présidence portugaise hier, avec l'accord, je dirais plus que l'accord, le soutien de la France, du président de la République, du Premier ministre, je ne pensais pas que cette mise en garde était de nature à empêcher la formation de la coalition entre les conservateurs et ceux qu'on appelle improprement les libéraux, qui sont un parti non seulement populiste mais un parti d'extrême droite qui n'a pas abjuré.
Q - Donc c'est
R - Non, au contraire, je crois que c'est le début d'une attitude qui doit se prolonger dans le temps, qui peut durer aussi longtemps que dure cette coalition et qui consiste à, finalement, faire face à un problème de fond. On sait ce qui va se passer, à peu près : le président Klestil, le président autrichien, est en train de réfléchir, il condamne personnellement la coalition mais
Q - Il est vrai qu'il a demandé aux quatorze d'intervenir ?
R - Pas à ma connaissance, mais il condamne
Q - De source diplomatique française, on le dit.
R - Il condamne clairement la coalition mais en même temps il a peu de moyens de l'éviter et aujourd'hui, il apparaît tout de même plus probable qu'elle se fera et qu'elle se fera très vite. A partir de ce moment-là, il faut vivre avec, vivre avec, dans l'Union européenne, un pays qui ne respecte pas les valeurs fondamentales de l'Union européenne alors que l'Union européenne ne peut pas, et elle ne veut pas d'ailleurs, exclure ce pays. Et c'est un peu l'équation qui nous attend. Ce qui est clair c'est que demain le ministre des Affaires étrangères actuel devenu chancelier, M. Schüssel, avec ses alliés libéraux d'extrême-droite, vont essayer de jouer la banalisation : "eh bien voilà, maintenant on l'a fait et puis vous ne pouvez pas nous sortir. Et finalement, on respecte les valeurs ". Non, nous, nous ne voulons pas nous accoutumer à cet état de fait qui est inacceptable, la présence d'un parti qui représente un danger pour la démocratie, qui ne partage pas nos valeurs. Donc, à partir de ce moment-là, les responsables autrichiens doivent sentir dans la durée, à tous les niveaux, que ce choix-là n'est pas, comme l'a dit hier M. Guterres, " business as usual ", ni dans les relations bilatérales, ni dans les relations au sein de l'Union européenne - nous aurons peut-être à nous exprimer au moment où nous aurons la présidence sur ce sujet-là -, ni dans les nominations : par exemple il est hors de question aujourd'hui d'envisager, soutenu par l'Europe ou par les nations européennes, une nomination quelconque d'un Autrichien, ni dans les instances européennes, ni dans les instances internationales.
Q - Quelles sont les conséquences pratiques de cette crise sur le fonctionnement de l'Union ? L'Autriche a un droit de veto, elle peut bloquer ce fonctionnement.
R - Attendez, pour le moment, encore une fois, cette coalition n'est pas faite. Elle va se faire et nous allons avancer
Q - Elle a été annoncée pour être officielle demain matin à 11h30
R - C'est vrai, mais en même temps le président autrichien a encore, par rapport à cela, un pouvoir. Il n'est pas encore exclu que des élections nouvelles se déroulent en Autriche, nous verrons bien. Je voudrais rappeler ce qui a été dit hier par la présidence portugaise, encore une fois, avec le soutien et même à l'instigation de la France. Interruption des contacts bilatéraux au niveau politique, cela veut dire en clair qu'aucun ministre d'un pays membre de l'Union ne peut se rendre, ne se rendra en Autriche et qu'à l'inverse, aucun ministre autrichien ne sera invité dans un pays membre de l'Union européenne.
Q - Mais ils participeront à des réunions communes à Bruxelles ?
R - J'y viens. La deuxième chose c'est, encore une fois, aucun soutien d'un pays membre de l'Union européenne des quatorze autres que l'Autriche à la nomination d'Autrichiens dans des postes internationaux. Et troisièmement, que les contacts au niveau des ambassadeurs soient réduits à un niveau technique seulement.
Q - C'est le côté bilatéral.
R - C'est le côté bilatéral, la question va se poser maintenant de ce qu'on peut faire dans le cadre de l'Union.
Q - C'est la question que je posais.
R - Ce que je voulais dire là-dessus - nous sommes en train d'y travailler mais c'est la présidence portugaise qui est aujourd'hui en charge -, c'est, encore une fois, que ce ne sera pas " business as usual ". Nous n'imaginons pas que ces ministres seront considérés exactement comme des ministres comme les autres et que l'Autriche pourra faire en sorte de tirer le bénéfice d'une Union où, après tout, nous partageons des valeurs, où nous travaillons en confiance. Je suis ministre des Affaires européennes, je participe à plusieurs Conseils des ministres, je participe au Conseil européen, on se tutoie
Q - Alors vous croyez que c'est suffisant tout cela pour dénoncer cet accord, je veux dire pour faire réfléchir le peuple autrichien, pour changer la donne politique en Autriche ?
R - Je pense que cela ne sera pas sans effet, encore une fois, dans la durée. Mais revenons quand même, à ce qui est en train de se produire. C'est un événement considérable et qui déroge à nos valeurs. M. Haider est un homme qui a tranquillement déclaré en 88 que la nation autrichienne n'était que le résultat d'une fausse-couche idéologique, " notre patrie ", disait-il, " c'est l'Autriche mais nous appartenons à la nation allemande ". M. Haider est un homme qui, en 91, disait " sous le IIIème Reich ils ont fait une politique d'emplois correcte, ce que le gouvernement de Vienne n'est pas capable de faire ". Alors, on nous dira " cela fait 10 ans ", oui mais en septembre 99, s'agissant de vétérans SS " ce sont des hommes respectables, de caractère, restés fidèles à leurs convictions, etc ". Donc, voilà un parti dont on peut dire qu'il ne partage pas les valeurs de l'Union. Alors, si vous demandez si on pourrait faire plus, soyons clair : nous agissons dans le cadre d'une Union européenne, nous agissons dans le cadre de traités, nous ne voulons pas agir contre l'Autriche, nous ne voulons pas agir contre les Autrichiens mais nous voulons dire aux gouvernants autrichiens jusqu'où on ne peut pas aller. Et là-dessus, il faut combiner plusieurs articles du traité, pardonnez-moi d'être technique : il y a l'article 6 qui dit que les pays membres de l'Union européenne doivent respecter les droits fondamentaux et qui fait référence à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Il y a l'article 13 qui dit que le principe de non-discrimination est un principe valable pour tous les pays de l'Europe. Et puis il y a l'article 7 qui est celui qui dit qu'effectivement on peut aller jusqu'à suspendre les droits d'un gouvernement à condition qu'il y ait des violations graves et persistantes des valeurs fondamentales. Procès qu'on ne peut pas faire avant, honnêtement, parce que, par définition, comme ils ne sont pas encore au gouvernement il n'y a pas de violation grave et persistante d'eux. Mais il y a, encore une fois, de la vigilance, de la surveillance et il faut que ce gouvernement sache que si, effectivement, il s'engage dans ce processus de violations graves et persistantes alors on peut recourir à l'article 6 et 7.
Q - Alors, pour l'instant, Monsieur Moscovici, ce gouvernement n'est pas constitué, on ne sait pas ce qu'il en sortira si jamais il se constitue et pourtant, déjà, il y a une mobilisation à l'intérieur des autres de cette Europe des Quinze devenue Quatorze puisqu'il y a le rejet de cette coalition et on a l'impression qu'on rentre là dans un processus d'ingérence au niveau des Etats qui est tout à fait nouveau, qui est inédit. Parce que, quand même, M. Jörg Haider a été élu par les Autrichiens, je veux dire, il n'est pas venu par une création magique, donc il y a, quand même, près de 27 % des Autrichiens qui ont voulu que son parti participe au pouvoir.
R - J'entends cet argument-là, on peut dire qu'il y a ingérence mais s'il y a ingérence alors à ce moment-là, c'est une ingérence qui est légitime, une ingérence positive qui tient à la nature même du contrat particulier que nous avons au sein de l'Union européenne.
Q - Cela ne vous rappelle rien cette ingérence : en 1981, quand certains voulaient arrêter la coalition socialo-communiste d'être aux affaires
R - L'ingérence ce n'est pas une ingérence par rapport à quelque chose qui nous est extérieur. Aujourd'hui nous sommes français et nous sommes européens et cette identité européenne est constitutive, y compris de notre identité nationale. Et cela veut dire que nous appartenons à un ensemble qui n'est pas un ensemble comme les autres. Nous avons des règles du vivre ensemble, des valeurs ensemble, l'Europe c'est un ensemble de valeurs partagées, c'est une Europe politique, c'est un espace politique, ce n'est pas uniquement une zone de libre échange ou la mise en commun d'intérêts. Et à partir de ce moment-là il est légitime que, appartenant à l'Europe, nous rappelions à ses membres, une sorte de club, qu'il y a des règles du jeu et encore une fois, même si les situations sont différentes, nous ne sommes pas dans les années 30, même si Haider n'est pas Hitler, nous ne pouvons pas accepter qu'un pays parti d'extrême droite, toujours xénophobe et n'ayant pas, manifestement, purgé toutes les nostalgies qu'on peut avoir, qu'un parti comme cela participe au gouvernement et pas dans n'importe quelles conditions, parce que là, à l'heure où nous sommes en train de parler, on nous dit qu'ils auraient la moitié des portefeuilles ministériels, pas tout à fait n'importe lesquels : les Finances, les Affaires sociales, la Défense, l'Armée quand même ! Un parti qui a dit cela, c'est incroyable ! Je veux dire : voilà un parti dont le président explique que les gens de la Waffen SS, il est le ministre de la Défense, c'est quand même un symbole fort. La justice, et puis tout ce qui concerne les infrastructures, par exemple les transports pour un parti on voit où est l'Autriche, on voit quelles sont ses connexions avec les pays de l'Est, etc. Donc tout cela n'est quand même pas neutre et je crois que cela mérite, non seulement qu'on marque le coup une fois pour les avertir, mais qu'on s'installe dans quelque chose qui est par rapport, encore une fois, pas tout à fait comme les autres. " Business as usual ", non !
Q - Vous nous annoncez qu'il est trop tôt, qu'il faut attendre des actes éventuellement délictueux par rapport aux articles du traité d'Amsterdam, il est trop tôt pour prononcer des sanctions. Vous nous annoncez donc une sorte de mise en examen de l'Autriche. Est-ce qu'à travers cette mobilisation de l'Europe, des quatorze membres de l'Union contre cette coalition en Autriche, on n'a pas assisté à une sorte de naissance de l'Europe politique que l'on avait un peu vu, avec des ratés, des insuffisances, dans une action extérieure au moment de la guerre du Kosovo et que l'on voit maintenant dans une action intérieure. Vous le dites vous-même, ce n'est plus vraiment de l'ingérence dans un pays étranger puisque nous sommes tous dans le même ensemble, est-ce que cela n'est pas l'acte fondateur d'une Europe politique ?
R - On peut le dire comme cela, on peut le dire comme cela mais encore une fois, c'est une affaire qu'il va falloir traiter dans la durée. Ce matin, en Conseil des ministres, je n'ai pas l'habitude de parler des délibérations du Conseil des ministres, mais là c'est quand même un peu spécial. Le Premier ministre disait que nous n'avions pas le droit de nous accoutumer et je crois que c'est exactement cela.
Q - Alors, on met sur pied une armée européenne. Le ministre de la Défense fait le tour de ses collègues européens, il va aller voir son collègue autrichien ?
R - Alors soyons clair : nous ne sommes pas en train, encore une fois, d'ostraciser un peuple ni une nation. L'Autriche est un membre de l'Union européenne, le peuple autrichien est européen. Je suis persuadé pour ma part que la très grande majorité des Autrichiens est européenne. Nous sommes en train de dire à un gouvernement, d'abord que cette coalition nous paraît un peu contre nature. Je connais M. Schüssel, je ne comprends pas pourquoi il a fait cela, ou alors si je le comprends, cela ne me paraît pas le calcul le plus pertinent qu'il ait jamais fait. Nous sommes en train de dire à ce gouvernement ; attention, c'est une mise sous surveillance en quelque sorte, c'est un devoir de vigilance, c'est beaucoup de détermination que nous exprimons et aussi nous manifestons que ce gouvernement n'étant pas un gouvernement comme les autres, il n'est pas tout à fait traité comme les autres. Mais en même temps, soyons clairs, les ministres autrichiens seront membres de toutes les instances ministérielles auxquelles ils appartiennent parce que l'Autriche ne voit pas ses droit suspendus dans l'Union européenne. Mais on essaye de lui montrer quelque chose. Et je suis persuadé que cela va finir par créer une situation en Autriche et qu'ils comprendront que cet isolement politique éventuel dont parlait le Premier ministre hier à l'Assemblée nationale n'est pas sans conséquence sur l'image du pays, image à l'extérieur, image à l'intérieur. ()
Q - On a l'impression que vous n'excluez pas tout espoir que M. Schüssel arrive à réduire l'extrême droite dans une sorte de baiser qui tue un peu comme le Parti communiste à l'époque avait été dilué, finalement, dans son alliance en
R - Pour être très honnête Ce n'était pas son choix le plus pertinent, je crains que ce soit exactement le contraire, je crains que M. Schüssel soit en train de faire un marché dupe, il se dit " enfin je suis chancelier ", c'est un homme respectable M. Schüssel, c'est un homme intelligent, on le connaît bien au ministère des Affaires étrangères aujourd'hui. Je suis surpris de ce qu'il fait, mais il se dit " enfin je peux être chancelier, par ailleurs je conserve quelques postes importants, les Affaires étrangères, l'Intérieur, l'Education " et il espère cela, mais ce qui se passe, c'est exactement le contraire. C'est-à-dire que plus le temps passe plus les électeurs conservateurs se tournent vers M. Haider, les élections il y a deux mois c'était 27/27
Q - Et les sondages lui donnent 30 %
R - 33 pour l'un et 18 pour l'autre. Et donc je crains qu'il soit, au contraire, en train de se faire enlacer par quelqu'un de plus puissant. Avec en plus une erreur politique, tactique, qui me paraît grave, c'est que M. Haider ne sera même pas impliqué dans le gouvernement. Donc, il pourra à travers ses ministres récupérer le bénéfice de la participation gouvernementale et pour sa part, continuer à s'exprimer d'une façon absolument invraisemblable. La dernière chose c'est : il a dit aujourd'hui qu'il y avait une sorte d'excitation dans le " poulailler européen " avant même que le renard y pénètre. Cela en dit quand même long sur la considération qu'il a pour l'Europe. Dans le cadre d'un parti au gouvernement c'est particulier, je vous assure que cela ne se produit pas partout.
Q - La prise de position des Quatorze est une prise de position très forte, c'est vrai, c'est un acte historique au fond parce qu'elle marque la naissance d'une conscience politique de l'Europe. Qu'est-ce que cela implique en ce qui concerne les institutions ? On va vers une conférence intergouvernementale avec un projet de réforme des institutions modestes tout à fait insuffisant pour gérer l'élargissement de la Communauté, de l'Union. Est-ce que cet acte n'oblige pas à une ambition beaucoup plus forte sur le plan institutionnel ?
R - Je veux être clair quand même sur une chose : on a compris que j'approuve la politique de très grande fermeté qui est menée par le président de la République et par le Premier ministre et pour ma part, je l'avais souhaitée.
Q - De ce côté-là, la cohabitation a bien fonctionné, on y reviendra
R - Comme quoi, vous voyez, l'essentiel n'est pas toujours touché. C'est une première chose mais je pense que cette attitude de fermeté n'est pas forcément le premier pas vers une exclusion de l'Autriche. Ce n'est pas ce que nous souhaitons. Nous souhaitons au contraire que l'Autriche revienne vers l'Europe et donc, pour ma part, ce que j'espère c'est que cette politique de pression, de vigilance, va conduire, à un moment donné, les Autrichiens à réagir.
Q - Ce n'est pas la question que je posais.
R - Non, mais je tiens à le dire quand même parce qu'il ne s'agit pas de dire maintenant " on va essayer de faire de la géométrie variable, de tout découper, de se permettre d'exclure untel ou untel ", nous ne sommes pas dans une
Q - Est-ce que l'Europe n'est pas obligée d'être plus ambitieuse en matière
R - Alors, moi je pense qu'il y a une première chose, dans cette affaire, sur laquelle on peut réagir ou réfléchir. Vous savez que les Européens ont lancé un processus d'élaboration, ce qu'on appelle une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et je pense qu'on peut renforcer, de façon considérable, les textes sur les valeurs, sur ce que nous souhaitons, sur ce que nous devons respecter et moi je crois que cela doit donner une ambition nouvelle à cette charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il n'existe pas de texte aujourd'hui qui, explicitement, autrement que par renvoi à la Convention des Droits de l'Homme, condamne la xénophobie et l'antisémitisme, le racisme, qui explique que tel ou tel pays ou gouvernement qui ne respecterait pas cela Donc je crois qu'il faut aller, non pas vers une Constitution européenne mais vers une sorte de préambule de grands textes sur les droits avec, bien sûr, à partir de ce moment là, nécessité de les respecter, donc un mécanisme. C'est une suggestion que je fais. La deuxième chose c'est que la CIG pour moi est un mécanisme tout à fait ambitieux contrairement à ce que j'entends ici ou là. Il s'agit d'améliorer le fonctionnement de la Commission, c'est un point important. Il s'agit d'aller vers plus de votes à la majorité qualifiée, c'est-à-dire au lieu d'être dans l'unanimité qui paralyse et d'être à la merci de tel ou tel veto sur tout, y compris de pays qui soient dans une situation un peu délicate ou particulière. On pourrait voter au sein de l'Union européenne avec une pondération des voix, c'est-à-dire un poids donné aux différents pays, telle qu'on éviterait les majorités aberrantes. Et puis il y a autre chose qui, du coup, prend peut-être davantage de relief : c'est l'idée d'avoir plus de flexibilité dans l'Europe, l'Europe va s'élargir, elle comportera 30 membres, il faut qu'on soit capable.
Q - Vous ne croyez pas qu'on va trop vite là ? Parce quand on voit, justement, des événements comme celui qui est en train de se produire
R - Ou pas assez.
Q - Oui, mais enfin peut-être trop.
R - Une des raisons, à mon avis, pour laquelle on prend cette position par rapport à l'Autriche, c'est justement par rapport à l'élargissement parce qu'on ne peut pas avoir deux poids, deux mesures. On ne peut pas dire, comme on l'a fait hier aux Slovaques, " vous ne pouvez pas avoir de négociations avec l'Union européenne parce que vous avez un président qui n'est pas démocrate " et accepter qu'un pays membre de l'Union européenne ne respecte pas la démocratie. On ne peut pas dire à la Turquie " vous devez respecter les valeurs démocratiques avant d'adhérer à l'Union "
Q - Il y a encore du chemin là pour la Turquie.
R - Absolument, mais il faut qu'ils le fassent. Et en même temps dire à un pays de l'Union, etc.. Et donc pour ma part, je pense qu'il faut que l'élargissement aille à son rythme mais qu'en même temps, l'Union se prépare à cet élargissement, que nous ne l'abordions pas les mains dans les poches et sans avoir amélioré considérablement le fonctionnement de la Et je reviens donc à ma flexibilité : je crois pour ma part qu'il faut des coopérations renforcées, c'est-à-dire la capacité qui est donnée à un groupe d'Etats d'agir de façon souple, assez aisée pour être capable de mettre en uvre entre eux des politiques particulières auxquelles tous ne voudraient pas assister.
Q - Alors, justement, là vous abordez le problème des institutions sur le plan politique. Cela fait longtemps qu'on parle, quand même, d'avoir un projet européen un peu plus lisible sur le plan européen et pas toujours avoir une Europe vue d'en haut avec une plus grande participation des citoyens. Est-ce qu'il n'est pas temps, justement, de progresser dans ce sens-là ? Et de donner un peu un corps et un visage à cette Europe ?
R - Tout à fait, mais vous voulez parler en terme de pouvoir ou
Q - De pouvoir, oui, d'expression politique.
R - Je pense que l'Europe, en fait, progresse sur ces terrains-là. On ne s'en est peut-être pas suffisamment rendu compte.
Q - Non, on ne s'en rend pas compte parce que Je voudrais juste vous interrompre un instant. Quand vous parlez de la charte des valeurs européennes, on peut tout à fait vous suivre, on peut même la souhaiter, on voit bien ce que cela veut dire en ce qui concerne par exemple l'Autriche. Mais on peut s'étonner, par exemple, de l'attitude des Européens dans l'affaire Pinochet. Pinochet est quand même sur le territoire européen, je crois qu'il va repartir au Chili. Lui ce n'est pas un dictateur à venir, c'est un dictateur qui est déjà fait.
R - Il faut, je crois, distinguer les différents niveaux. Là, nous sommes dans un cas, encore une fois, je l'ai dit tout à l'heure, d'ingérence légitime parce que c'est une affaire politique
Q - C'est à l'intérieur de l'Europe.
R - C'est à l'intérieur de l'Europe et là je crois que c'est effectivement un acte fort qui est en train d'être fait. S'agissant de Pinochet, c'est autre chose. La France, contrairement à ce que vous avez dit, a fait connaître et a transmis à chaque fois les demandes des juges et fait connaître son émotion et son souhait que Pinochet soit jugé, etc, etc. Mais je crois que pour le cas de Pinochet, c'est autre chose, il faut aller vers l'émergence d'une justice internationale, mondiale qui soit encore plus forte. C'est ce que cela cause et je continue à souhaiter que Pinochet soit jugé. On pourrait poursuivre les exemples. Je crois, encore une fois, que l'Europe agit là en conformité avec ce qu'il a toujours fait et aussi en conformité avec ses capacités qui ne sont pas les mêmes. Par exemple, en Tchétchénie, nous condamnons le terrorisme et en même temps, nous condamnons les conséquences humaines de ce conflit, fortement, mais c'est vrai que c'est une partie intégrante de la Russie, quoi qu'on en dise. ()./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)