Déclaration de M. Jean-Piere Raffarin, Premier ministre, sur le rôle des cadres dans l'économie, les valeurs de dialogue social et d'engagement du syndicalisme réformiste, Issy-les-Moulineaux le 7 novembre 2003.

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Circonstance : 32ème congrès de la CFE-CGC à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) du 5 au 7 novembre 2003

Texte intégral

Merci beaucoup Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, merci de votre accueil ; merci de m'avoir invité et merci de me donner l'occasion de vous dire tout le respect que j'ai pour le travail que vous menez dans les entreprises, dans les administrations au service des autres. Je pense que dans notre République, il est très important que des femmes et des hommes s'engagent pour des valeurs auxquelles ils croient. Ces médiateurs du quotidien que sont les militants. J'ai beaucoup de respect pour les militants et je suis d'abord venu vous dire merci pour tout cela.
Je suis professionnellement né dans la famille des cadres, j'ai fait quelque chose qui est une école nationale des affaires qu'on appelle plus simplement une Sup de Co, c'est mon ENA à moi. Mais je suis donc très heureux de retrouver une famille que je connais, et je suis heureux d'ailleurs, parce que je m'étais dit en regardant le dossier que vous m'aviez remis, Monsieur le Président, et en voyant les brochures, sur les brochures je voyais beaucoup de dames, je me suis dit est ce qu'il y en aura autant dans la salle, eh bien oui. La CFE CGC ne ment pas dans ses brochures.
C'est très important pour moi de vous rencontrer, de parler avec ces praticiens de l'économie que vous êtes. Vous savez, le Général de Gaulle disait à propos des théoriciens : "Oh les théoriciens, ils ne sont utiles que par beau temps parce que dès qu'il pleut, ils se noient dans chaque goutte d'eau." C'est le contraire des praticiens, justement. C'est pour cela que je suis venu vous parler et puis c'est cette sensibilité que j'ai au statut de cadre que j'ai occupé dans des entreprises un certain nombre d'années, y compris dans une entreprise qui parrainne une course dans laquelle je sais que vous êtes engagés. Mais je n'ai plus d'intérêts dans cette entreprise, donc je peux en parler librement. D'ailleurs comme beaucoup de cadres, je n'avais comme intérêt que de donner à cette entreprise mon travail. Mais pour le reste... mais cela me permet d'être attentif et de comprendre vos messages, y compris ceux de votre président, y compris quand il parle russe couramment. Donc ne vous inquiétez pas, vous êtes entendus et vous êtes écoutés et je mesure la force de vos 142 000 adhérents, de vos délégués - 8500 - dans les grandes, dans les petits entreprises, dans le public et dans le privé vos 22 500 représentants. Je sais que vous êtes un syndicat qui compte et je sais que c'est un syndicat sur lequel on peut compter, que la République peut compter, vous en avez fait la preuve.
Je suis venu aussi vous parler de la France et de voir comment, ensemble, nous pouvons réfléchir à ce que l'encadrement peut apporter à notre pays. Je dirais franchement, je crois que d'abord la France - l'économie de la France qui nous mobilise, les entreprises de la France - a besoin de renforcer la fonction de l'encadrement. Je dirais même que la société moderne en France comme ailleurs a besoin de renforcer les fonctions de l'encadrement, parce que l'encadrement porte des valeurs, des valeurs qui sont utiles à notre pays. Je dirais en quatre points cardinaux.
Le Nord : le cap. Le cap c'est la création. L'avenir de la France ce n'est pas de chercher la banalisation et la standardisation, de chercher toujours plus grand, la concentration et le gigantisme, il y aura toujours plus fort que nous pour cela. L'avenir de la France c'est l'innovation, c'est la création, c'est la valeur ajoutée, c'est le travail des ingénieurs, des techniciens, de tous ceux qui apportent de l'intelligence dans la production, dans l'entreprise, dans le service. C'est cela la force de la France. La France, c'est cette capacité d'avoir une valeur humaine ajoutée à l'économie, c'est notre capacité d'ajouter de l'humain au processus économique qui fait que nous pouvons être en concurrence avec tous les produits du monde entier. C'est cette mobilisation sur la création comme valeur du travail, sur l'innovation, sur l'intelligence, sur donc la qualification sur la formation qui fait que nous avons besoin de renforcer les fonctions de l'encadrement. Cela c'est le Nord, c'est le cap.
A l'Est, l'organisation doit mettre en place davantage le sens des responsabilités, dans notre société, dans nos entreprises, dans notre pays, les responsabilités doivent être assumées. Il faut une société de responsables. Il y a un peu trop de " mistigri " dans notre société. On parle de solidarité, on parle d'un certain nombre de valeurs, et puis une fois qu'on a mis les valeurs sur l'étendard, derrière l'engagement est en retrait. Il faut assumer les responsabilités et pour cela il faut les définir. Pour cela, il faut les mesurer, il faut les évaluer, mais les responsabilités, et une société de responsabilités c'est ce qui est important pour nous aujourd'hui, que chacun mesure sa responsabilité dans son organisation. C'est un point clef. Sartre disait : " nous sommes innocents de nous mêmes ". Moi, je ne le crois pas, je ne me sens pas innocent de moi-même. Je crois que nous devons assumer nos responsabilités d'hommes dans notre sphère privée et notre responsabilité dans notre sphère publique, entreprenoriale ou sociale, c'est un point très important. C'est une valeur de l'encadrement mais c'est une valeur dont la société et la France ont besoin.
La création, la responsabilité, mais aussi ce dialogue médiateur qui est celui du cadre. Je crois que nous avons besoin de cette chaleur humaine, c'est le sud, cette relation humaine, j'y reviendrai tout à l'heure, mais je crois que c'est un élément très important pour le dialogue social, mais dans l'entreprise pour la communauté humaine. Je crois que c'est un élément très important, cette phase intermédiaire qui est la phase où se met en ordre la responsabilité et l'exercice de la décision.
Dans notre société, on a le sentiment que l'on veut tout faire en direct. L'information, c'est le 20 heures, direct de l'info au consommateur avec de moins en moins de corps intermédiaires. Dans l'économie quelquefois c'est la même chose : on fait les magasins d'usine, de la production au consommateur directe, comme si on allait gagner des marges en supprimant tous les intermédiaires. Mais les intermédiaires, souvent, c'est le lieu de l'humain, c'est le lieu où se fait l'échange, là où se fait la compréhension, là où se fait le respect, et je ne crois pas que l'on gagne en supprimant les corps intermédiaires, en supprimant les charnières et c'est je pense un élément très important d'une société comme la nôtre : sans corps intermédiaires, le citoyen est dans la solitude, dans l'isolement. Nous avons besoin, pour l'information, pour l'échange. Nous avons besoin de ce dialogue médiateur qui est un élément fondamental de votre mission.
L'Ouest c'est l'ouverture, c'est la formation. Je pense à ce que vous avez fait avec les partenaires sociaux - je vous en remercie profondément pour le pays. Cette ouverture au droit individuel à la formation, c'est une nécessité. Nous voyons bien que la société bouge, nous voyons bien les uns et les autres combien les technologies changent, combien nous avons besoin d'être en situation permanente pour la formation. Nous devons en permanence aller chercher au fond de nous-mêmes des ressources nouvelles et aller donc faire l'effort de formation. C'est un élément très important de cette sécurité qu'il faut trouver dans la société. Puisque la société génère des insécurités de toutes formes, la formation est une des sécurités, notamment sur le plan social qu'il nous faut renforcer, développer tout au long de la vie. Il y a là une étape essentielle que les partenaires sociaux ont franchie, montrant ainsi combien le dialogue social est un élément très important. Voilà pourquoi la création, la responsabilité, le dialogue social, la formation me paraissent des valeurs de l'encadrement essentielles, aujourd'hui pour l'encadrement, mais pour la France et pour sa société.
Je voudrais vous dire aussi, que la France a besoin d'un syndicalisme fort et réformiste. Je pense que c'est très important pour notre pays. Dans une société plurielle, dans une société diverse - diverse et plus moderne que plurielle -, mais dans une société qui a des diversités, tout le monde a la possibilité de bloquer tout le monde, tout le monde peut organiser le blocage. Le blocage il est à la portée de tous. Tout le problème est de faire en sorte qu'on fasse des progrès sans bloquer, qu'on puisse avancer, qu'on puisse mieux partager, qu'on puisse avoir plus de justice dans une société, sans systématiquement bloquer. Bloquer ça ne veut pas dire nier le rapport de force évidemment. Le rapport de force fait partie du progrès, mais il faut être capable de faire en sorte que le lien social soit vraiment un lien réformateur pour notre société et qu'il s'installe comme l'un des premiers médias de France. Je crois que le lien social est l'un des premiers médias de France et c'est pour cela qu'il nous faut nous occuper des corps intermédiaires mais aussi de cette humanisation de la société qui est très importante dans le rôle social que vous jouez auprès des salariés et auprès de ceux dont vous êtes les élus.
Revaloriser auprès de nos concitoyens le rôle du syndicat comme on revalorise le rôle de la commune, c'est à dire cette espèce de vie de dialogue où il y a des responsables, où l'on sort de sa solitude pour entrer dans la citoyenneté. Nous avons besoin de ces réseaux parce que - et on l'a vécu cet été, on le voit en permanence - ce qui menace cette société qui se croit être une société de communication, mais qui en fait est souvent une société d'isolement, parce que la communication c'est celle qui passe entre les hommes et pas celle qui passe entre les ondes. Même si de temps en temps, on est obligé d'aller sur les ondes pour pouvoir essayer d'expliquer, je l'ai vu sur des dossiers difficiles. J'y reviendrai sur le dossier des retraites, mais je pense à l'éducation et de voir combien des rumeurs sur la suppression de l'école maternelle - comme si notre pays allait supprimer l'école maternelle, alors que nous avons une des meilleures écoles maternelles ! mais c'était dit sur le terrain et vous pouviez dire à 20 heures, à 19h30 ou quand vous voulez, sur les grands médias, " ce n'est pas vrai " à partir du moment où cela a existé sur le terrain, ça existait dans les têtes. Le média était humain et quand un prof, quand un délégué, quand un responsable, quand quelqu'un disait à un moment ou à un autre quelque chose, cela passait par le canal humain et le canal humain est crédible, il est légitime. Il a beaucoup de force et il faut pouvoir en tenir compte. C'est pour cela que l'on a besoin de ce syndicalisme engagé et ce syndicalisme engagé dans une réforme et dans une vision de l'avenir, dans un goût de l'avenir dirait Jean-Claude Guillebaud, qui est à l'opposé de ce défaitisme que l'on voit dans tous ceux qui militent pour une vision du déclin de la France.
Je veux insister sur des organismes dans lesquels vous êtes qui sont très importants. Ma formation d'élu régional accorde une grande importance au CESR, mais je vous assure que j'ai tiré beaucoup d'expériences utiles du Conseil Economique et Social Régional, c'est un élément très important de dialogue social, parce que finalement le dialogue social, cela demande aussi une formation, cela demande aussi une expérience, on ne devient pas du jour au lendemain quelqu'un de capable de traiter avec d'autres d'un certain nombre de progrès, de sujets qui sont souvent complexes. On a besoin de cette formation à l'écoute, à la compréhension et à la capacité de rassembler pour agir. Je crois que l'on a besoin de ces instances. Moi j'ai vu souvent quand j'étais président de région, il y avait des sujets difficiles, je lançais le débat au Conseil Economique et Social et le débat était éclairant. Après le politique pouvait prendre ses décisions dans un débat qui avait été jardiné, qui avait été labouré, qui avait été clarifié. C'est un point très important et je souhaite vraiment que l'on puisse renforcer ce type d'initiative au Conseil National du Conseil Economique et Social, comme dans les Conseils Economiques et Sociaux Régionaux.
Le dialogue social doit devenir, dans les années qui viennent, vraiment un espace majeur de la démocratie. Je pense que les accords - j'ai entendu ce que vous souhaitiez pour la démocratie sociale - je pense qu'il y a trop de lois dans notre pays. Je pense qu'il faut faire en sorte qu'il y ait les grandes lois, les grandes règles et puis que, ensuite le dialogue social s'installe, mais que l'on évite d'avoir systématiquement ces lois qui, dès qu'il y a un problème en France, on dit : ah il faut faire une loi. On fait une loi, et après, il faut l'appliquer. Il faut attendre que les décrets sortent. Il y a encore des décrets du gouvernement d'avant qui attendent toujours. Donc on se dit, on a fait une loi, on est débarrassé du sujet. La loi ne débarrasse pas du sujet, ni sur la laïcité, ni sur un autre sujet. Je ne suis pas hostile à la loi, mais la question c'est pas la loi, mais c'est quelle loi ? Le voile, où ? à l'école, dans la cour, dans la rue, dans la Poste ? Il y a beaucoup de questions à traiter, donc traitons aussi les questions. L'appel à la loi comme " on fait une loi et on règle le problème ", la loi ne règle pas forcément le problème. La loi est un élément de décision, il faut la garder pour qu'elle trace le cap, qu'elle puisse être forte et elle sera d'autant plus forte qu'elle sera rare.
Je crois qu'il faut trouver en revanche, pour l'espace social, son espace de décision pour qu'il puisse apporter sa contribution. Et vraiment, je le dis avec sincérité, d'autant plus que je connais bien votre organisation, les syndicats doivent rester ces acteurs de l'intérêt général que la CFE CGC sait être, je pense que c'est très important. Notre société a toujours tendance à vouloir mettre en avant l'intérêt privé, l'intérêt catégoriel. Vous êtes porteurs de l'intérêt général, les syndicats, les familles politiques, tous les organes qui sont les organes vivants de la démocratie sont porteurs de l'intérêt général. Nous avons, nous politiques et vous syndicalistes, le même adversaire : c'est le lobbying, celui qui fait de l'intérêt privé un intérêt général. Vous, vous faites de l'intérêt général et vous souhaitez que l'intérêt général du pays puisse avoir une expression sociale, comme le politique doit prendre l'intérêt général pour son expression politique. Nous avons besoin de rassembler, la société française n'est pas faite de communautés additionnées, de féodalités dont on fait la somme. La société française doit pouvoir se rassembler. Elle se rassemble autour d'un certain nombre de grandes valeurs. Elle se rassemble autour de grandes perspectives, elle ne se rassemble pas autour que d'intérêts. La cause que nous défendons doit être supérieure à l'intérêt que nous représentons. C'est, je crois, un élément très important. C'est la dignité du militant, c'est ce en quoi le militant est digne et c'est son honneur que de défendre des causes qui sont plus grandes que lui-même. C'est un élément très important de l'engagement du syndicalisme et je crois que nous en avons besoin.
La France a besoin de la réforme. Vous vous êtes engagés dans cet axe. Nous devons préparer le pays à vivre le XIXe siècle de manière humaine et sereine. Nous avons des mutations profondes à affronter, nous voyons bien qu'il y a dans notre société, un certain nombre de sujets latents, des sujets qui n'ont pas été traités durant de nombreuses années. Nous avons le problème de la ville, la concentration urbaine. Nous avons des problèmes majeurs de violence. Nous avons le problème du respect de l'Etat, des fonctions régaliennes. On a laissé se détériorer le rôle de l'autorité républicaine au nom de tous, au nom de la République. Nous devons faire en sorte que la France puisse assumer cette réforme, d'une part pour rétablir les missions régaliennes de l'Etat - la sécurité, la justice, la défense, qui sont des éléments très importants. Quand il y a des dysfonctionnements dans ce qu'est le représentant de la République et l'Etat, ce sont toujours les plus fragiles qui sont les plus frappés. Nous avons donc besoin de ces réformes. Nous avons engagé ces missions régaliennes de l'Etat vers de nouveaux progrès. Nous voulons que l'Etat puisse être respecté. C'est cela la valeur de la République. La République tire de l'ensemble du peuple et de ses décisions la capacité de faire respecter le droit et la justice. Nous souhaitons que l'Etat de droit soit l'état de la France et il y a encore du travail à faire pour que la sécurité puisse être la première des justices dans notre pays.
Nous devons évidemment sortir de toutes les impasses sociales dans lesquelles se trouve notre pays. La première des impasses évidemment c'est le chômage. C'est cette douleur d'être exclu du travail, d'être exclu et d'un espace économique et d'un espace social et d'un espace culturel et je dirais presque, pour celui qui sent sa dignité concernée, dans l'espace moral de ne pas être dans l'organisation sociale lui-même. Cette douleur-là, nous la sentons profondément. Notre pays a connu une forte rupture de croissance. Nous avions 4% de croissance en l'an 2000, nous n'en n'avions plus que 2% en 2001 et à peine plus d'1% en 2002, moins de 0% au premier semestre de 2003. En quatre ans, chaque année, la croissance était divisée par deux. Nous avons souffert et nous souffrons naturellement de cette situation, parce que pendant ce temps-là, la Chine monte à 9%, l'Inde est à 7 et les Etats-Unis aujourd'hui reprennent. On voit bien que la bataille mondiale de la croissance est une bataille essentielle. Je crois qu'il nous faut faire toutes les réformes nécessaires pour aller chercher dans la société d'une part, mais aussi au niveau de l'Union européenne toutes les initiatives de croissance nécessaires. Il nous faut installer la stratégie de la croissance durable dans notre pays, faire en sorte que nous puissions avoir toujours un niveau de croissance qui nous permette de stabiliser l'emploi et de ne pas assister à ces destructions d'emplois et à un certain nombre de comportements qui sont inacceptables dans une démocratie qui fait de l'emploi une valeur de la cohésion sociale.
Je voudrais vous dire que cela passe par de nombreuses réformes, cela passe par la création d'entreprises, cela passe par le développement des entreprises existantes. Nous avons allégé les charges sociales de 17 milliards d'euros dans le budget 2004. Nous avons engagé un certain nombre de dispositifs pour les plus jeunes. Il nous faut travailler sur la question des seniors. Une petite fille sur deux qui naît aujourd'hui va vivre jusqu'à 100 ans. Faisons de cette valeur-là une valeur positive de notre société. Nous combattons les maladies, nous combattons les difficultés, nous gagnons du terrain et nous faisons cela et, au contraire, nous devons assumer tout cela comme une difficulté ! Faisons une chance de cette possibilité. Pour cela, donnons des libertés, y compris celle de pouvoir travailler, de s'épanouir, de trouver des formes d'expressions nouvelles et que le travail des seniors soit possible dans notre pays. Nous avons beaucoup de choses à faire, c'est un sujet prioritaire pour notre société. On n'est pas fini à 50 ans, on n'est pas fini à 60 ans. Nous avons de fortes capacités. L'expérience est une valeur nationale et il faut le reconnaître. Pour cela, il faut faire les réformes nécessaires pour que cela soit reconnu par nous, par les patrons et par l'ensemble de l'organisation sociale de notre pays.
Nous sommes devant le devoir de faire en sorte qu'à l'horizon 2010, peut-être avant même, nous soyons capables de garder l'objectif du plein emploi C'est un devoir de notre société que d'avoir cet objectif-là. Je crois qu'avec ce que nous avons fait avec les départs à la retraite, avec ce que nous avons fait sur l'ensemble d'un certain nombre d'initiatives, nous sommes dans cette perspective, il faut rester dans ce cap. Il faut réformer le service de l'emploi, il faut réformer un certain nombre de dispositifs pour que l'emploi puisse être cette valeur partagée à laquelle forcément la République est attachée. C'est donc cette première impasse sociale, le chômage, qu'il nous faut résoudre durablement pour la société française.
La deuxième impasse, nous l'avons traitée ensemble c'était celle des retraites. C'était évident que cette impasse était inscrite dans notre destin : de moins en moins de gens qui payent, de plus en plus des gens qui reçoivent. Il y a bien un moment où cela se termine par l'impasse. Il fallait du courage, il fallait de la détermination pour mener à bien cette réforme. J'ai apprécié le courage, la lucidité, la combativité aussi, pour arracher un certain nombre de décisions, de la CFE CGC. Vous vous êtes comportés les uns et les autres, sur ce sujet, à la fois, comme disait Max Weber dans l'éthique de conviction, mais aussi dans l'éthique de responsabilité, et quand on peut avoir à la fois l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité assumées, on peut être fier de soi.
Nous avons beaucoup de choses encore à faire. Il faudra adapter en permanence cette situation, il y a des décisions d'informations, il y a des décisions complémentaires à prendre, y compris sur les retraites complémentaires d'ailleurs. Il y a un certain nombre de décisions qui sont encore à prendre. Nous devons continuer à vivre avec ce sujet, c'est un sujet important de la société française, nous devons continuer à y être très attentifs et avancer ensemble sur ce sujet. Nous avons fixé des échéances, nous avons des rendez-vous. Il faut évidemment que nous continuons à travailler ensemble pour réussir jusqu'au bout cette grande réforme des retraites, grande réforme sociale nécessaire à notre pays.
Troisième impasse, cette impasse du vieillissement de la société française. J'en parlais tout à l'heure avec des cadres et l'emploi seniors. Notre société vieillit, il faut le voir : la courbe démographique est connue, elle est identifiée, elle est identifiée depuis 1974, date à laquelle nos générations ne se renouvellent plus. Donc depuis 74, nous sommes dans un processus de vieillissement. Autant, maintenant, commencer à anticiper cette situation. Plus jamais d'été meurtrier, comme l'été meurtrier 2003. Cette situation a été le révélateur de la situation d'isolement, de la situation dans laquelle se trouvait un grand nombre de personnes âgées, un grand nombre de personnes dépendantes dans notre pays. C'est pour cela que nous avons engagé un programme de réformes et que j'ai formulé hier des propositions sur la lutte contre les effets de la dépendance pour les personnes handicapées. Nous avons une grande loi, une des meilleures lois d'Europe qui était celle de 75, mais 75 c'est loin maintenant, les choses ont changé depuis 75. Le concept même du handicap a changé. Le concept de citoyenneté a changé, pour participer à la vie sociale, pour pouvoir assumer ses responsabilités quand on est handicapé. Il y a des droits nouveaux pour les handicapés aujourd'hui : le droit à la compensation c'est très important et c'est un droit qui est personnalisé. On ne parle pas de la même manière et on n'a pas les mêmes moyens à donner à un jeune enfant qui a besoin d'un livre scolaire en braille, et à une personne aveugle qui a besoin d'un chien pour la guider. Nous avons besoin de moyens spécifiques. Certains ont besoin de fauteuil, d'autres ont besoin d'accompagnement humain. Tout ceci demande de cette humanisation de l'action sociale. C'est pour cela que nous avons besoin de mobiliser les moyens considérables pour les personnes âgées dans les maisons de retraite, mais aussi pour permettre à 30 000 personnes supplémentaires au chiffre actuel de pouvoir rester à domicile et de pouvoir bénéficier des soins infirmiers qui leur permettent de rester chez eux, ce qui est la grande aspiration des personnes âgées de notre pays. C'est une action sociale majeure, une action importante pour laquelle j'ai engagé ce message de solidarité, je dirais même plus ce message de fraternité. Il faut accepter dans notre société que la solidarité, ne soit pas simplement un geste, un formulaire, un prélèvement. La fraternité c'est un engagement, c'est le fait de donner, c'est en donnant qu'on se réalise, c'est en donnant qu'on participe et donner un peu de son travail, de donner un peu de soi-même. C'est aussi cela le véritable engagement. Une société qui a peur de donner, une société qui aurait cette frilosité-là, c'est une société qui ne serait pas vraiment au fond d'elle-même généreuse. La générosité est un impératif social de notre pays.
Je comprends bien qu'il peut y avoir des doutes parce que dans le passé avec la vignette et quelques autres procédures, on a récolté de l'effort et l'effort n'a pas toujours profité à ceux auxquels il était destiné. C'est pour cela que nous avons créé une caisse spécifique, co-gérée avec l'ensemble des partenaires, de manière à bien vérifier que tout ce qui sera créé par les Français pour la solidarité sera bien destiné à l'ensemble des personnes dépendantes, les personnes handicapées comme les personnes âgées. Merci d'être attentif à ce combat, merci d'être attentif à la générosité dont la France a besoin.
Nous travaillerons ensemble sur l'assurance maladie, une négociation s'ouvrira au début du mois de janvier l'année prochaine. Nous avons là pour le moment le haut conseil qui est en train de préparer le diagnostic. Nous travaillerons sur ce sujet au cours de l'année 2004. J'insiste aussi sur une réforme très importante dans laquelle vous devez vous sentir intéressés, qui est la réforme de la décentralisation. Moi, je souhaite vraiment que le dialogue social ne souffre pas de la décentralisation, mais au contraire, que l'on puisse sur le terrain, grâce à des organismes paritaires, grâce à une organisation de vos différentes structures, avoir un dialogue social vivant, et que ce dialogue social puisse être partagé dans la vie quotidienne au niveau de l'organisation territoriale qui est une organisation d'avenir parce que, elle aussi correspond à l'humanisation de notre société.
Dernier élément, la France a besoin de la réforme, la France a aussi besoin de l'ouverture. Je termine par ce sujet parce que par définition, les cadres sont attentifs à cette exigence d'ouverture. D'abord l'ouverture de la société elle-même. Nous sommes, je le disais tout à l'heure, trop cloisonnés par les sectarismes et les communautés. La fraternité est nécessaire dans notre société. Je crois qu'il faut ouvrir la société sur elle-même, plus de relations, plus de fluidité dans la société. Ayons cette attitude d'ouverture, de respect de l'autre, mais au fond il s'agit simplement de faire partager aux Français les valeurs de la République. La République a pensé à cela, les trois grandes valeurs qui sont les valeurs de notre société, les Français y adhèrent. Mais quelquefois ces valeurs ne leur paraissent pas accessibles car c'est vrai que la liberté est souvent théorique, quand il s'agit de liberté d'entreprendre, quand il s'agit de liberté de ses loisirs, quand il s'agit d'un certain nombre de libertés essentielles aujourd'hui. Je crois qu'il faut être attentif à ce besoin de liberté, comme il faut être attentif à cette notion d'égalité, qui n'exclut pas ce qui va avec, le mérite. On a trop souvent confondu égalitarisme et égalité. On n'est pas tous pareils. La République, quand elle parle d'égalité, elle reconnaît le droit au mérite. Il faut faire en sorte que ce droit au mérite soit reconnu. Ce n'est pas tout le monde pareil. A force de vouloir traiter tout le monde pareil, on finit par tirer tout le monde vers le bas. On finit par faire en sorte que l'on ne permette pas à la société de s'épanouir. Il faut au contraire tirer vers le haut, vers la responsabilité. On confond les libertés, on confond le concept d'égalité et on a mis aussi quelquefois le concept de solidarité un peu à l'envers justement en en faisant quelquefois une charité business. On va même jusqu'à mobiliser l'opinion publique pour retourner à ces vieilles pratiques de la quête, dans le temps, qui a toujours bien marché d'ailleurs. Elle a constitué de véritables richesses, mais bon, il y a d'autres formes : par l'engagement personnel, c'est justement cette différence entre la solidarité et la fraternité qui est l'engagement individuel, donner de son temps, donner de soi-même aux autres. C'est un peu cela ce que nous voulons faire en remettant la République dans le bon sens. C'est en reprenant ces valeurs véritables de la République, et en faisant en sorte qu'elles soient accessibles aux Français. Ouvrir la France sur elle-même.
Deux mots pour vous dire qu'il faut que vous soyez très engagés, mais vous l'êtes évidemment, sur les grandes échéances européennes qui sont devant nous, sur l'Europe qui doit être pour nous un énorme projet des années à venir. 2004 va changer... Depuis le temps que nous parlons d'une nouvelle Europe. Cette nouvelle Europe, nous allons la bâtir à partir de 2004. Le 1er mai, nous allons accueillir 10 nouveaux pays dans l'Union Européenne. L'élargissement est un fait acquis. Nous allons pouvoir, le 1er mai, valoriser le Traité d'Athènes par cet élargissement réalisé. Une Europe avec un nouveau périmètre. Une Europe aussi avec de nouvelles institutions. Faisons en sorte que l'Europe n'oublie pas non plus le social. Cela n'a pas été si facile d'obtenir ce sommet social que nous avons finalement obtenu au niveau européen, avant le sommet européen sur la Convention, pour qu'on puisse faire en sorte que les représentants sociaux participent aussi à cette construction européenne. C'est un élément très important de l'organisation institutionnelle de cette nouvelle Europe. A 25 on ne pourra pas gouverner comme on a gouverné à 6 à 12 ou à 15, il nous faut des institutions renforcées, il nous faut une présidence stabilisée, il nous faut plus de démocratie. Démocratie politique, avec le rôle du Parlement Européen et le rôle des parlements nationaux, il nous faut ainsi une organisation sociale plus forte. Nous devons bâtir une nouvelle Europe, l'Europe va changer, on va changer d'Europe et c'est très important de s'associer à ce grand projet car c'est le projet du XIXe siècle.
Quant au monde, je voudrais dire aussi que je n'oublie pas, les cadres expatriés ; tous ceux qui, pour leur entreprise, sont en fait des ambassadeurs, aussi, de la France. Ceux-là, nous les rencontrons dans les ambassades, nous les voyons, aujourd'hui, à chacun des déplacements que font les responsables français. Ils portent par leur travail, ils portent par leur présence, les grands messages que la France veut faire entendre dans le monde. Je crois qu'il est très important, aujourd'hui, au moment où le président de la République fait à nouveau entendre la voix de la France dans le monde, de rappeler les valeurs qui ont toujours été les nôtres. Ces valeurs universelles, là où la France a été entendue partout dans le monde et est restée un guide pour l'ensemble des démocraties qui voulaient quitter les heures obscures qu'elles avaient vécues auparavant. Nous avons des messages de force à délivrer.
Aujourd'hui nous voulons le droit, nous voulons le droit à l'ONU parce que nous voulons que l'ONU soit la source du droit international et que l'on ne puisse pas décider des choses de manière unilatérale en matière de relations internationales. Nous voulons un monde qui puisse être un monde d'un Etat de droit et l'ONU est la source du droit. Nous voulons une OMC plus juste, plus équilibrée ; nous voulons qu'on respecte notre planète et que l'on ait la conscience de l'environnement et que l'on respecte le protocole de Kyoto. La France a des messages dans le monde, aujourd'hui, qui sont des messages entendus. Tous ceux qui participent par leur entreprise, par leurs activités, à la présence de la France dans le monde doivent pouvoir participer à cette dynamique nouvelle de la France et être la voix de la France dans le monde.
Voilà quelques-uns des engagements que je voulais vous faire partager, en vous disant que l'on était attentif à ce que vous faites, à ce que vous dites, à ce que vous représentez et que la France a vraiment besoin de cet encadrement.
Vous savez, la vie d'un Premier ministre n'est pas toujours facile, surtout quand la situation économique est difficile. Mais vous avez face à vous, quelqu'un de serein, qui mène une mission pour l'intérêt du pays , pas animé par des ambitions personnelles, mais par la capacité de mobiliser toutes les énergies, dont la vôtre, pour aider la France à surmonter tous ces défis. De ce point de vue-là, je suis un honnête homme au sens de Paul Valéry, c'est-à-dire un homme qui est d'accord avec la plupart des décisions qu'il prend. C'est-à-dire quelqu'un qui est engagé..., quelqu'un engagé, qui croit à ce qu'il fait et qui est déterminé à faire en sorte que notre pays puisse vivre ses mutations du XIXe siècle, avec sérénité car la France a tous les talents et la France ne doit pas se sentir condamnée entre l'arrogance ou le déclin, mais elle peut choisir le goût de l'avenir et elle pourra d'autant le faire qu'elle aura un encadrement qui ressemble à ce que disait Vasarelli : "L'homme d'aujourd'hui, disait-il - mais on pourrait dire le cadre d'aujourd'hui - est spécialiste dans sa vocation mais généraliste dans sa compréhension de la société". Merci à vous tous.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2003)