Déclaration de M. Christian Sautter, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la restructuration du secteur bancaire et la nécessité d'un marché unique des services financiers européens, Paris, le 11 janvier 2000.

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Circonstance : Dîner avec l'Association Française des Banques (AFB), Paris, le 11 janvier 2000

Texte intégral

On m'a beaucoup parlé du " dîner de l'AFB ". Je me réjouissais donc de participer à ce premier dîner avec vous. Vous venez de nous apprendre que ce sera aussi probablement mon dernier ! Je ne vous en veux pas bien sûr, car la cause le justifie : la naissance de cette " maison commune " de la profession bancaire, sans exclusive, vous renforcera dans la défense de vos intérêts communs et la promotion de vos établissements sur la scène européenne. Je serai heureux de nouer désormais le dialogue avec elle.
A la fin de l'année 1997, Dominique Strauss-Kahn avait appelé à la création de cette maison commune. Je suis très heureux de voir que cet appel a été entendu. A l'heure de l'euro et du développement des nouvelles technologies les vieilles querelles étaient devenues totalement dépassées. L'heure est au regroupement des forces pour faire face aux défis communs. J'en profite pour saluer l'action de Dominique en faveur de la restructuration du secteur bancaire. Je crois en effet que l'action menée par le Gouvernement depuis juin 1997 vous donne les moyens de jouer un rôle de premier plan dans l'Europe de l'euro, où l'industrie financière se restructure à une vitesse impressionnante, même pour les plus ardents défenseurs de la création de la monnaie unique. De cette réforme bancaire discrète mais complète, je ne veux donner qu'un seul exemple : je dois être le premier Ministre des Finances depuis longtemps auquel les banquiers ne parlent plus du Livret A. Soyez remercié, Cher Président d'avoir respecté ce soir cette innovation.
Le mouvement de restructuration nationale n'est pas fini, mais il touche à sa fin. Vient le temps des alliances européennes, que j'appelle de mes voeux dès lors que ces alliances seront équilibrées et contribueront à ancrer sur notre territoire les centres de décision de vos établissements. Nous avons fait l'euro pour reconquérir une part de notre souveraineté économique. Nous avons réussi. La constitution d'établissements financiers français puissants dans l'Europe de l'euro doit en être la suite logique.
1/ Un mot sur votre environnement. La croissance est là. Elle est forte. Je mettrai tout en uvre pour qu'elle soit longue. Tous les soldes d'opinion sont bien orientés et même, pour certains, à des sommets historiques, comme le moral des ménages. Les carnets de commandes des entreprises sont très étoffés et continuent de se garnir. La prévision d'une croissance 2000 d'au moins 3 % me paraît donc solide.
Cette forte croissance, nous la voulons pour l'emploi bien sûr, qui demeure la priorité du Gouvernement. Notre économie continue à créer massivement des emplois : 270000 emplois nets ont été créés entre le 30 septembre 1998 et le 30 septembre 1999. Même l'industrie crée à nouveau des emplois. J'ai la faiblesse de croire que la politique économique menée par le Gouvernement depuis juin 1997 n'y est pas totalement pour rien dès lors que nous avons la même monnaie et les mêmes taux d'intérêt que nos voisins. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, le taux de chômage était à 12,6 % de la population active. Nous sommes à 10,8 % aujourd'hui. Je pense que nous casserons la barre des 10 % cette année. C'est encore beaucoup trop, mais la direction est la bonne, et l'idée du plein emploi dans quelques années a cessé d'être un mythe pour devenir un objectif crédible.
Cette bonne conjoncture économique se reflète dans vos comptes bien sûr. Vos résultats économiques 1999 seront probablement très bons. Je m'en réjouis. Pourquoi ? Parce qu'une industrie financière forte est indispensable au bon financement de notre économie, des grandes comme des petites entreprises; au maintien dans notre pays des centres de décision financiers indispensables pour accompagner nos entreprises dans la conquête de nouveaux marchés ; enfin parce que les industries financières créent une forte valeur ajoutée et fournissent des emplois qualifiés précieux, qui irriguent le reste de l'économie. Dans cet esprit, je souhaite que la Place financière de Paris retrouve son dynamisme, ce qui veut dire fasse preuve de plus d'unité. Je suis prêt à étudier avec attention vos suggestions pour contribuer à son renouveau.
2/ Vous êtes en bonne santé financière. Mais il ne peut y avoir de banques structurellement fortes sans le soutien de l'ensemble de la population, et en particulier de leurs salariés et de leurs clients.
Vous l'avez vous-même relevé, Monsieur le Président, les banques n'ont pas toujours une excellente image dans notre pays. Que faire ?
a) D'abord savoir revenir sur le passé, fut-il douloureux. Vous avez évoqué les travaux de la mission Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France qui, vous le savez, rendra dans quelques semaines ses conclusions au Premier ministre.
La dimension financière de la question ne doit pas être négligée : même s'il est acquis qu'à la Libération, un travail de recherche, de restitution et d'indemnisation de grande ampleur a été effectué, il reste que tout ce qui aurait dû être fait ne l'a pas été et qu'inversement des actes ont été commis qui n'auraient pas moralement dû l'être, telle la vente par l'administration des Domaines des biens confisqués aux internés de Drancy.
Conscient de sa responsabilité, le Gouvernement a, d'ores et déjà, pris des dispositions d'ordre budgétaire : 20 MF pour le fonds international sur les spoliations basé à Londres ; un engagement de 50 MF pour le mémorial du Martyr Juif et une forme de provision inscrite au collectif budgétaire pour 1999 de 250 MF devant financer, pour partie, la montée en charge, en 2000, du dispositif en faveur des orphelins de déportés juifs et pour partie constituer une première contribution à l'uvre de réparation, dont les contours précis seront fixés par la mission Mattéoli.
S'agissant du secteur bancaire et des établissements de crédits, on peut dire qu'après quelques hésitations méthodologiques initiales, il a fait la démonstration de sa capacité à seconder avec probité et efficacité les actions d'investigations dont il a fait l'objet. Je tiens d'ailleurs ici à saluer le travail effectué par Jean Saint-Geours à la tête du comité de pilotage ad hoc placé auprès du CNCT.
Après les engagements respectifs du chef de l'État et de deux Premiers ministres successifs, l'attitude des parties concernées sera jugée, tant au plan international, qu'en France même, par une opinion qui s'attend, légitimement, à ce que l'on aille bien au-delà de la seule lecture comptable du montant des biens qui n'auraient pas été restitués.
Et, aller bien au-delà, y compris en termes financiers, c'est contribuer à l'incrustation profonde du devoir de mémoire dans cet esprit citoyen qui forge la pensée républicaine.
b) Je vous encourage par ailleurs à multiplier les initiatives citoyennes, prouvant que vous êtes solidement enracinés dans la vie de la collectivité. De ce point de vue les initiatives prises par plusieurs banques de prêts à taux zéro pour venir en aide en urgence aux victimes de la tempête étaient bienvenues. Je ne peux que me féliciter de la saine émulation avec la BDPME qui a mis en place à notre demande des avances de trésorerie ; je ne serais en rien choqué que votre dynamisme rende inutile le sien.
c) Des banques soucieuses de s'insérer dans la collectivité qui les entoure : cela suppose également un dialogue social exemplaire.
Avec la signature hier de la nouvelle convention collective du secteur bancaire par l'AFB et l'ensemble des fédérations syndicales, la profession bancaire a accompli un grand pas en avant. Je vous félicite chaleureusement de ce succès. Cette signature montre que votre association ainsi que vos interlocuteurs syndicaux ont accompli un travail remarquable malgré les grandes difficultés qu'ils ont dû surmonter et qu'ils ont su faire les concessions nécessaires et réciproques pour aboutir. Je salue cet état d'esprit nouveau et constructif, que le Gouvernement appelait de ses voeux. Cette signature montre aussi que le dialogue social peut aussi aujourd'hui être vivant et fécond dans notre pays, quoiqu'on en dise çà et là. Merci à la profession bancaire de donner aujourd'hui cette belle leçon de paritarisme.
Ce statut social rénové constitue un atout important pour vos établissements. Les garanties sociales dont bénéficient les salariés et auxquelles ils sont légitimement attachés ne doivent pas être uniquement considérées comme un coût mais comme un outil puissant de motivation des agents et un facteur important de paix sociale.
Au-delà, le Gouvernement est attaché à renforcer le rôle et l'information des salariés dans la bonne marche de leur entreprise. Ce sera l'un des axes du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques. Une épargne salariale plus répandue nous y aidera, et j'attends sur ce sujet dans les prochains jours les conclusions de MM. Balligand et De Foucauld, qui seront remises au Premier Ministre. Par ailleurs, nous proposerons des modalités permettant d'améliorer l'information et la consultation des salariés au cours des opérations financières et industrielles, tirant ainsi les leçons de quelques batailles printanières et estivales que beaucoup d'entre vous ont vécues et même menées. J'entends, avec Elisabeth Guigou, que nous procédions, par ailleurs, à des avancées substantielles vers un meilleur équilibre des pouvoirs au sein des entreprises, y compris entre Conseil d'administration et management.
d) L'image des banques dans notre pays dépendra enfin de votre capacité à rénover le lien qui vous unit à vos clients. Vous savez tous que ce dossier a une longue histoire. Je crois que les esprits ont évolué, les services bancaires apparaissant de plus en plus comme des services commerciaux comme les autres. Mais nous savons aussi que les sujets en cause ("le chèque payant", la rémunération des dépôts, le coût des incidents de paiement...) demeurent extrêmement sensibles dans le public.
Le temps est venu de faire évoluer les règles, dans l'intérêt de tous, par une démarche avant tout de concertation et d'information.
Les discussions du Groupe Jolivet ont été suspendues depuis plusieurs semaines. Je le regrette, mais je comprends également le souhait des associations de consommateurs d'une clarification du cadre juridique applicable aux relations quotidiennes entre les banques et les consommateurs, en ce qui concerne notamment la transparence des offres bancaires.
Avec Marylise Lebranchu, je considère que cette clarification est indispensable et qu'à une plus grande diversification de l'offre bancaire qui doit résulter de la modernisation des relations des banques avec leurs clients doivent effectivement correspondre des exigences renforcées en matière de transparence et d'information. Je sais que le Gouverneur de la Banque de France partage cette manière de voir.
Il s'agit en la matière de transposer les dispositions concernées du code de la consommation au secteur bancaire, en tenant compte des spécificités de celui-ci, notamment en préservant le pouvoir d'appréciation des banques en matière de refus de vente.
Avec Marylise Lebranchu, nous souhaitons également que soit mis en place un dispositif de sanction de ces dispositions permettant un traitement rapide et gratuit de la plupart des litiges entre les banques et les consommateurs. Les modalités précises de ce dispositif, qui de mon point de vue devrait s'appuyer avant tout sur la médiation sans exclure le recours au juge dans un second temps, devront être mises au point au cours des toutes prochaines semaines dans le cadre du Groupe Jolivet.
Le Gouvernement est prêt à présenter au Parlement, dans le cadre de la loi sur les nouvelles régulations économiques, le résultat de cette concertation, à mener autour des principes que je viens d'évoquer.
Sur cette base, j'imagine que le Groupe Jolivet pourra reprendre ses travaux d'ici la fin du mois et les conclure d'ici l'été. Mais ce groupe ne sera que ce que vous en ferez. Le Gouvernement a pris les décisions qui lui incombaient. Il peut inciter. Il ne peut ni conduire la négociation, ni contraindre les acteurs à négocier. Il appartient désormais à chacun des partenaires de prendre ses responsabilités. Une sortie désordonnée du cadre actuel serait mal comprise. J'ai la conviction qu'il demeure un espace pour une négociation "gagnant-gagnant". J'espère que vous ne manquerez pas cette occasion. C'est votre intérêt bien compris. Avec Marylise Lebranchu, j'adresse le même message aux organisations de consommateurs.
J'ajoute, et vous l'avez relevé Monsieur le Président, que le Gouvernement est particulièrement attaché à ce que les personnes les plus fragiles fassent l'objet d'une grande attention dans le cadre du groupe Jolivet.
3/ Naturellement c'est quand, comme aujourd'hui, les choses vont bien qu'il faut faire preuve d'anticipation, les situations de crise conduisant plutôt à parer au plus pressé. Cette anticipation doit concerner au premier chef l'activité de crédit, qui demeure le cur du métier de banquier.
Si nous ne voulons pas, lors du prochain cycle économique, retrouver la situation médiocre pour les banques et l'économie du début des années 90, lorsque les banques ont dû provisionner très rapidement des parts notables de leurs crédits, nous devons collectivement veiller à une meilleure tarification du crédit, et à une meilleure mesure du risque de cette activité, notamment en ce qui concerne les PME.
Nous devons réfléchir ensemble aux moyens de limiter les effets du cycle de crédit, c'est à dire aux moyens de lisser dans le temps les efforts de provisionnement nécessaires des crédits bancaires. Je fais bien sûr référence ici à la notion de provisionnement forfaitaire a priori, c'est à dire avant la constatation de la défaillance de la contrepartie.
C'est une question qui fait également l'objet de réflexions dans les autres pays développés. Il s'agit là d'un dossier complexe, aux dimensions tant prudentielles - et je sais que le Gouverneur de la Banque de France s'en préoccupe - que fiscales. Pour ma part, je suis disposé à lancer dans les prochaines semaines un groupe de travail sur ce sujet, associant l'ensemble des parties prenantes, et donc au premier chef la profession bancaire, pour que des propositions opérationnelles puissent être formulées à l'été prochain.
Mais naturellement la couverture des risques ne peut passer uniquement par le compte d'exploitation des banques. Elle concerne au premier chef leur bilan, et plus spécifiquement leurs fonds propres. Vous avez fait référence, Monsieur le Président, aux réflexions engagées à Bâle, et parallèlement à Bruxelles sur le sujet. Je suis comme vous vigilant car je considère qu'au-delà de sa technicité, l'évolution du ratio de solvabilité est un enjeu essentiel pour les établissements financiers et pour les pouvoirs publics, compte tenu notamment de son impact sur la concurrence bancaire. Je suis très attaché à ce que les dispositions qui seront in fine retenues permettent d'assurer une égalité de traitement, entre banques, quelle que soit leur taille et quelle que soit leur nationalité.
Je sais que la profession réfléchit beaucoup sur ces sujets. Je souhaite que la collaboration avec les pouvoirs publics se poursuive activement sur ces sujets importants pour nous tous.
Au-delà de ces réformes qui concernent directement les comptes des banques, demeure la question plus générale de la régulation du système financier international dans un univers devenu plus complexe, plus intégré et peuplé d'entités de taille macro-financière.
Cette régulation doit comporter une plus grande implication du secteur privé dans la prévention et la gestion des crises. Les banques françaises ont un rôle actif à jouer en la matière. Je vous félicite d'avoir su vous démarquer des oppositions de principe exprimées par certaines institutions financières privées, trop soucieuses d'assurer une " privatisation des gains " et une " socialisation des pertes ", en présentant en septembre dernier vos propositions par la voix de l'AFB.
De même je considère que vos établissements ont, dans leur intérêt même, un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et dans l'action pour isoler les centres off-shore qui pensent pouvoir fonder leur développement sur de telles pratiques. Le goût de l'antiphrase les fait parfois appeler "paradis bancaires". Je pense que nous serons d'accord pour dire que ces paradis bancaires sont la honte de la profession comme des autorités publiques qui n'ont pas su les réguler. J'attends beaucoup du Forum de stabilité financière, qui doit remettre ses propositions aux Ministres des Finances du G7 d'ici le printemps.
Cette question d'une régulation plus efficace doit clairement être posée, pour les industries financières, au niveau européen désormais. Je souhaite que nous avancions dans la constitution d'un véritable marché unique des services financiers, plus intégré qu'aujourd'hui. Ceci suppose d'avoir en contrepartie des règles communes, facteur de sécurité pour les citoyens et d'égalisation des conditions de concurrence pour les établissements. Cette meilleure régulation peut passer, ou non, par des réformes institutionnelles. Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est dans un fonctionnement de la relation des acteurs de marché et des régulateurs qui soit confiant, ce qui implique une certaine proximité, transparent et équilibré. Face à l'émergence d'acteurs privés de taille parfois imposante, je serai pour ma part très attentif au maintien de cet équilibre dans la relation avec le régulateur. Cela doit être vrai en France comme en Europe.
Voilà, Monsieur le président, ce que je souhaitais vous dire ce soir. Les sujets du moment sont nombreux, mais la conjoncture est propice à ce que nous les traitions paisiblement. 1999 a été une année de tumultes et de fanfare pour les banques françaises ; je souhaite que 2000 soit plus paisible et tout aussi glorieux.
Et pour conclure : " longue vie à la maison commune ! ".
(source http://www.finances.gouv.fr, le 13 janvier 2000)