Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, sur la coopération décentralisée entre les pays du Nord et du Sud, Paris le 5 mai 2004.

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Circonstance : Clôture du Congrès fondateur de l'Organisation mondiale des cités et gouvernements locaux unis, à Paris le 5 mai 2004

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents de la CGLU,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Monsieur le Maire de Paris,
Madame la Secrétaire générale,
Mesdames, Messieurs,
Je suis naturellement très heureux et très honoré de pouvoir m'adresser à vous, au terme du Congrès qui vient de donner naissance à cette nouvelle organisation mondiale que constituent Cités et gouvernements locaux unis (CGLU).
C'est là, bien évidemment, un événement considérable qui aura réuni, durant ces quatre journées d'échanges et de débats, près de 2000 élus locaux venus de toutes les régions de la planète, des maires de grandes et de petites villes, des représentants de gouvernements locaux très divers par la taille et la nature, regroupés ou non dans des associations nationales ou internationales.
Ce grand rendez-vous, que l'on peut d'ores et déjà qualifier d'"historique", apparaît comme l'heureux aboutissement d'une démarche d'unification progressive, mise en oeuvre depuis plusieurs années. La réunion à Istanbul, en 1996, de la première "assemblée mondiale des villes et des autorités locales" avait en effet marqué l'engagement d'une dynamique active de rapprochement. Mais il se situe surtout au confluent de deux évolutions majeures qu'a connues le monde dans les dernières décennies et qu'il continue de connaître.
La première est l'accélération vertigineuse de la croissance urbaine. Durant ces trente dernières années, l'homme a construit autant que dans toute son histoire passée. Aujourd'hui, un habitant de notre planète sur deux habite dans une ville. Ils pourraient être 4 sur 5 vers le milieu de ce siècle.
Si ce mouvement est universel, il concerne en tout premier lieu les villes du Sud. Quarante pour cent de la population de ces pays vivent désormais dans des villes. Ce chiffre devrait atteindre cinquante deux pour cent en 2020. Sur les 41 agglomérations de plus de 5 millions d'habitants, 33 se trouvent dans les pays du Sud.
Cette urbanisation effrénée - est-il besoin de le souligner ? - peut difficilement se comparer à l'expansion passée des villes des pays industrialisés. Les conditions dans lesquelles elle s'effectue sont très différentes. La pression démographique est beaucoup plus forte, les capacités institutionnelles et financières bien plus faibles. Aussi, tout en accroissant la richesse des pays, cette urbanisation n'en va malheureusement pas moins de pair avec une augmentation sensible de la pauvreté et des conditions de vie intolérables pour près d'un milliard d'hommes, de femmes et d'enfants.
Des efforts gigantesques sont donc nécessaires pour permettre à ces populations l'accès aux services de base indispensables à une vie digne et décente : adduction d'eau potable, assainissement, élimination des déchets, distribution d'énergie, transports publics ou encore télécommunications. Songeons que la moitié des foyers urbains d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine n'ont pas encore accès aux systèmes d'alimentation en eau. Tout ceci constitue pour la communauté internationale un immense défi à relever.
La deuxième des grandes évolutions mondiales est la montée en puissance des pouvoirs locaux, qui s'est traduite, à des degrés et selon des modalités et des calendriers différents, par des lois de décentralisation. Celles-ci ont généralement permis la création d'autorités locales fortes, ayant réellement compétence sur leurs territoires.
L'importance des responsabilités qui leur incombent désormais, le caractère stratégique des initiatives qu'elles peuvent prendre, l'effet mobilisateur des dynamiques de projet dont elles sont porteuses, leur capacité de mise en cohérence des politiques sectorielles concourent aujourd'hui directement et de façon déterminante à la maîtrise collective de notre développement.
Au sein de ce phénomène mondial qu'est la décentralisation, l'échelon municipal continue de rester le plus proche des citoyens en même temps que le plus universel : dans tous les pays, en effet, il y a des communes.
Cette proximité et cette universalité expliquent ce qu'il faut bien appeler la "complicité" des maires du monde entier. Je le sais d'expérience pour avoir administré une ville moyenne, les maires ont toujours des histoires de maires à se raconter et ils se comprennent toujours, même s'ils ne parlent pas la même langue.
C'est bien naturel. Quels que soient la taille de leur commune et le niveau de développement de leur pays, ils sont toujours confrontés aux mêmes problématiques. Comment assurer à leurs habitants les meilleures conditions de vie et de développement économique et social ? Comment arbitrer entre les demandes émanant de leur territoire et les contraintes financières et techniques qui sont les leurs ?
Il est donc de l'intérêt de tous de dialoguer, de confronter les expériences, les savoir-faire, d'échanger les bonnes pratiques. A cet égard, on ne pouvait rêver meilleur lieu de partage d'expertises sur les problématiques essentielles que votre Congrès.
Ce dialogue est nécessaire non seulement entre les villes du Nord, non seulement entre les villes du Sud, mais surtout entre les villes du Nord et celles du Sud. C'est là à mon sens le moyen le plus efficace pour prendre la mesure de l'appui que l'on peut apporter aux pouvoirs locaux des pays du Sud afin de les aider à gérer au mieux la croissance urbaine.
En ce domaine, les défis que j'ai rappelés sont si vastes que ni les collectivités locales ni d'ailleurs les Etats eux-mêmes ne pourront parvenir seuls à les surmonter. Il faut, me semble-t-il, croiser les efforts de l'aide publique au développement et de la coopération décentralisée et trouver entre elles des complémentarités. De même que les Etats et les pouvoirs locaux doivent "coproduire" les politiques publiques sur leur territoire, les Etats et les collectivités territoriales du Nord doivent "coproduire" leur politique de coopération et d'aide au développement.
C'est en tout cas, si vous me permettez de prendre un exemple français, le principe qui guide notre action en faveur des pouvoirs locaux en Afrique. Le ministère des Affaires étrangères appuie la politique de décentralisation, notamment en soutenant depuis sa création le Partenariat de développement municipal (PDM) qui a accompagné depuis plus de dix ans l'émergence des collectivités territoriales et la constitution d'associations nationales de maires. L'Agence française pour le Développement finance des équipements et des aménagements urbains. Nos collectivités territoriales contribuent à renforcer les capacités techniques et de gestion de plusieurs centaines de villes africaines. Bref, il y a là un dispositif d'ensemble permettant d'articuler les initiatives et les efforts de chacun des acteurs de l'aide au développement.
En tout état de cause, les coopérations internationales de collectivité territoriale à collectivité territoriale prennent aujourd'hui de plus en plus d'ampleur. Elles constituent désormais non seulement une composante particulièrement dynamique de l'aide au développement, mais offrent de nouvelles perspectives aux relations entre pays du Nord et pays du Sud.
Au-delà de ses effets immédiats, cette coopération décentralisée favorise l'ouverture au monde des sociétés locales dans un esprit de dialogue et de tolérance. Elle permet d'irriguer des réseaux vivants d'expériences et de savoir-faire. Elle articule efficacement les préoccupations universelles et les spécificités locales. Elle contribue à l'essor de la démocratie locale et concourt très directement à la construction d'un développement durable partagé. Enfin, comme l'a dit le président Jacques Chirac lors de l'ouverture de votre Congrès, elle permet à la solidarité internationale de créer des liens toujours plus denses entre les citoyens de tous les continents.
Mesdames et Messieurs, l'Europe ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans l'engagement des communes françaises et allemandes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les jumelages qu'elles ont noués ont contribué à conjurer les spectres du passé et à construire les bases de l'Union. Cet exemple montre que les citoyens, à travers les pouvoirs locaux, ont le pouvoir de construire la paix : la guerre civile ou étrangère n'est jamais une fatalité. Ce pouvoir sera encore plus fort et plus déterminant si les pouvoirs locaux du monde entier se rassemblent. C'est aujourd'hui chose faite.
En regroupant les trois principales fédérations de cités et d'élus locaux, l'organisation des Cités et gouvernements locaux unis a clairement vocation à mieux faire entendre leur voix et à affirmer leur rôle de partenaires pour le développement au sein des enceintes multilatérales, et en particulier au sein des Nations unies où elles ont toute leur place.
Cette voix doit s'exprimer clairement dans le dialogue permanent au sein de la communauté internationale pour mieux répondre aux défis posés par l'accroissement démographique mondial et le développement des villes et des grandes métropoles. Elle doit être fortement entendue dans le cadre de la Commission des établissement humains sur l'ensemble des questions liées à l'urbanisation, qu'il s'agisse du droit à un logement digne, de l'accès aux services essentiels, l'éducation, mais aussi, de façon plus générale, sur l'ensemble des thèmes liés aux principes fondamentaux de la vie en société et de la protection de notre environnement.
Elle doit se traduire de façon concrète par une implication croissante des collectivités locales, par le biais de la coopération décentralisée, dans les partenariats permettant la mise en oeuvre effective des recommandations des grandes conférences, notamment du Sommet de Johannesburg sur le développement durable et du Sommet de Tunis sur la Société de l'Information et la réduction de la fracture numérique, et des objectifs du Millénaire pour le développement.
Dans cette optique, je tiens à vous dire que la France est disposée à soutenir, et à promouvoir auprès de ses principaux partenaires, la proposition que soit octroyé à la CGLU un statut d'observateur à l'Assemblée générale des Nations unies.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 mai 2004)