Déclaration de M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, sur le rôle de l'Etat, des régions et de l'Europe dans la politique d'aménagement et de développement des territoires, Paris le 3 mai 2004.

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Circonstance : Entretiens internationaux de l'aménagement et du développement des territoires à Paris le 3 mai 2004

Texte intégral

Depuis 2 jours, nous sommes 450 millions à partager le même destin. Avec 25 pays membres, l'Union européenne n'a jamais été aussi forte ni aussi attirante aux yeux du reste du monde. Comme le disait la semaine dernière le Président de la République en ouverture de sa conférence de presse : " En s'élargissant à dix nouveaux membres, en passant de quinze à vingt-cinq pays, l'Europe va, en réalité, renouer avec son passé et retrouver, dans une large mesure, sa géographie. Le rêve de ses pères fondateurs, au premier rang desquels les Français et les Allemands, d'autres aussi, la généreuse utopie qui était surgie des décombres de la guerre et de la barbarie, tout cela va devenir une réalité. "
Plus que jamais en effet, l'Union européenne est appelée à devenir une entité politique, économique, culturelle forte fondée sur ces valeurs essentielles que nous avons en partage : la démocratie, la liberté, le droit, la prospérité. L'Europe des 25, c'est aussi le plus vaste espace de progrès économique et social, un espace porteur de croissance, d'investissement et d'emplois.
Bien sûr, comme l'ont montré plusieurs intervenants, notamment le Président Giscard d'Estaing auquel je tiens à rendre hommage, cet élargissement crée dans un premier temps des disparités au sein de l'Union. Mais l'Europe n'a t-elle pas démontré par le passé sa capacité à les surmonter ? Souvenons-nous de l'entrée de la Grèce puis de l'Espagne et du Portugal dans les années 1980. Les esprits chagrins nous prédisaient à l'époque un piètre résultat. Il n'est pas besoin, je crois, de démontrer combien le succès de l'Europe des 12, puis des 15, leur a donné tort.
Certains secteurs traditionnels, c'est vrai, et donc certains territoires, sont plus exposés que d'autres à une concurrence désormais européenne, et même mondiale. Est-ce pour autant une menace ? Pour ma part, je n'en crois rien : si nos économies régionales renforcent leurs domaines d'excellence et se positionnent sur de nouveaux secteurs, et si nous mettons en place les moyens de corriger certains déséquilibres, cette concurrence peut être bien au contraire une source de stimulation et d'innovation en donnant accès au plus vaste marché intérieur du monde.
Notre ambition est donc de préparer les territoires et leurs entreprises pour leur permettre de tirer parti de ce nouveau contexte en utilisant les différents outils de l'aménagement du territoire : les investissements structurants, la recherche, la formation supérieuredans une approche qui conjugue l'impératif de cohésion et l'objectif de la compétitivité. I Le développement des territoires passe d'abord par la dynamique des projets locaux : il doit donc être dans les mains des acteurs locaux.
La France est engagée dans une nouvelle étape de sa décentralisation. Dans ce contexte, en matière d'aménagement du territoire, le rôle de l'Etat est double : d'une part à l'égard des grands projets d'intérêt général, il dispose d'une responsabilité particulière d'orientation et d'impulsion en matière de grandes infrastructures de transports ou de pôles stratégiques de niveau international, par exemple. Il est d'autre part le garant de la cohérence et de l'équité territoriale, plus encore aujourd'hui avec l'affirmation constitutionnelle du principe de péréquation. Mais l'Etat est aussi et de plus en plus, acteur d'une compétence partagée aux côtés d'autres acteurs.
Ainsi il revient aux régions, dans le cadre de schémas régionaux, d'organiser l'espace régional en s'appuyant notamment sur leurs nouvelles compétences en matière de développement économique ; les autres collectivités sont évidemment concernées, notamment les départements à partir de leurs attributions élargies en matière de transport.
1) Mais permettez-moi de consacrer un développement particulier à ce qui est sans doute l'un des traits communs de la formation du territoire européen : les villes. Les villes, cellules de base de la démocratie, ont également aujourd'hui un rôle majeur à jouer dans les politiques d'accompagnement et de développement local. Sur ce point, le gouvernement français, conscient du rôle moteur des métropoles et de leurs réseaux de villes, souhaite renforcer une offre métropolitaine capable d'entraîner les économies régionales et de promouvoir les coopérations entre villes. Lors du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003, le gouvernement a engagé une stratégie nationale destinée à consolider le rayonnement des métropoles françaises au niveau européen. Cette stratégie repose sur : o un renforcement du rayonnement économique : création de nouveaux quartiers d'affaires, accueil de sièges sociaux, de congrès o un renforcement de l'enseignement supérieur et de la recherche en veillant, par exemple, à favoriser l'accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, o un renforcement du rayonnement culturel et artistique, grâce à une présence accrue de grands équipements culturels, o une meilleure accessibilité avec la construction de nouvelles lignes de TGV, l'amélioration des dessertes aériennes et le développement de grandes plates-formes aéroportuaires.
A cette fin, l'Etat proposera à ses partenaires des villes et des régions une démarche fondée sur un appel à projets identifiant les projets structurants de coopération à l'échelle métropolitaine. Le point d'aboutissement est un " contrat métropolitain ", qui s'inscrira dans une nouvelle relation contractuelle entre l'Etat et les régions.
2) Mais l'Europe n'est pas seulement le nouvel horizon de cette politique de soutien aux villes et aux métropoles ; celles-ci doivent s'engager elles-mêmes dans des coopérations européennes, à l'échelle d'agglomérations transfrontalières (pour la France : Eurodistrict de Lille ou de Strasbourg-Kehl-Ortenau), des réseaux de villes transfrontaliers ( tels le Sillon lorrain ou alpin), voire de réseaux à l'échelle de l'Europe élargie.
3) Pour autant, sans opposer ville et campagne, l'espace rural, dont je suis moi-même issu doit faire l'objet d'une attention particulière. Le tissu économique du monde rural, aussi bien l'agriculture, l'industrie que les services, doit être soutenu. Il importe également de maintenir des services publics adaptés comme de mettre en valeur le patrimoine et le milieu naturel.
Le CIADT de septembre 2003 a permis ainsi d'élaborer une stratégie ambitieuse de développement rural durable. Lieu surtout de production jadis, l'espace rural a maintenant de multiples vocations (productives, résidentielles, touristiques, environnementales). Les territoires ruraux, par leur étendue et leur variété, constituent une richesse pour l'Europe. Les politiques publiques doivent s'appuyer sur une large concertation associant les collectivités locales, l'Etat et l'Union européenne. L'enjeu étant de promouvoir un développement rural durable respectant les spécificités locales.
Mais d'ores et déjà, nous savons que les politiques de développement rural doivent s'organiser autour de quelques axes principaux :
1 - Accompagner et soutenir toutes les dynamiques de développement. Il s'agit, en partenariat avec les collectivités locales, de diffuser les bonnes pratiques et les nouvelles technologies auprès des très petites entreprises (TPE) et PME des espaces ruraux
2 - Développer l'activité économique de l'espace rural dans toute sa diversité, c'est moderniser les instruments de gestion foncière, protéger et mettre en valeur la diversité des espaces naturels et des espaces ruraux périurbains, afin de veiller à un équilibre entre les différents usages de l'espace rural. C'est aussi encourager le développement économique par des incitations fiscales, en particulier dans les territoires les plus défavorisés.
3 - Promouvoir un accès à des services de qualité en milieu rural en assurant l'offre de service de santé, en réduisant la fracture numérique, en étendant la couverture du territoire en téléphonie mobile et en haut débit. Enfin en aidant les petites lignes aériennes pour accroître l'ouverture des territoires ruraux sur les métropoles qui favorisent leur développement économique.
II Face à ces défis communs concernant nos territoires, la Commission européenne vient de proposer une réforme ambitieuse de la politique de cohésion et d'affirmer pour l'Union européenne une ambition politique pour sa cohésion économique, sociale et territoriale (je rappelle le soutien de la France à cette dimension territoriale de la cohésion, désormais inscrite dans le projet de Traité ). La France, à quant à elle, fait connaître les principes qu'elle souhaite promouvoir :
1) Etant donné l'ampleur des disparités de développement régional à venir, la priorité à accorder aux pays et aux régions " en retard de développement " ne fait aucun doute, en particulier dans les nouveaux Etats membres.
2) Cependant, comme la Commission et une majorité de pays membres, le gouvernement français souhaite qu'une intervention dans les autres régions de l'Union européenne reste possible de façon non résiduelle; nous ne voulons pas d'une Europe à 2 vitesses. La triple exigence de compétitivité, de cohésion et de développement durable que s'est donnée l'Union européenne concerne chacune de ses 188 régions; il est bon que l'Europe, qui est notre nouvel horizon commun, dialogue avec les citoyens. Or la politique régionale reste à ce jour la politique européenne la plus visible à l'échelle des territoires, car pour nombre de nos concitoyens, elle s'incarne dans des projets de proximité.
La nouvelle politique de cohésion doit mobiliser les acteurs du développement régional sur les objectifs européens de compétitivité et de développement durable, affirmés lors des Conseils de Lisbonne et de Göteborg.
Pour ces régions, la politique de cohésion devra s'orienter en priorité vers des actions où la valeur ajoutée communautaire est la plus forte. Cela implique de privilégier un nombre réduit de thèmes et d'actions favorisant la compétitivité et le développement durable des territoires : l'innovation et l'économie de la connaissance, l'accessibilité des territoires et les Services économiques d'intérêt général, l'environnement et la prévention des risques.
Nous partageons pleinement ici cette double exigence de solidarité et de compétitivité, deux facettes pour une même ambition territoriale. Nous souhaitons, nous aussi, la promouvoir au titre de nos objectifs nationaux. Il s'agit d'une évolution importante à travers un objectif de solidarité au profit des territoires en retard de développement, mais avec l'affirmation parallèle d'un objectif de création de richesses.
Il faudra prendre en compte en même temps les spécificités de certains territoires : zones à handicap naturel comme la montagne, les départements d'Outre-mer, les zones à faible densité de population, les régions ultra-périphériques.
3) S'agissant des services d'intérêt général, les différents territoires doivent avoir les moyens de se développer et d'assurer aux citoyens une égalité d'accès aux services fondamentaux. Les dispositifs publics doivent par conséquent être adaptés à la diversité des territoires (tels que les zones urbaines en difficulté ou les régions rurales isolées), et tenir compte des handicaps qui les caractérisent selon le principe d'équité territoriale. Dans le cas des services marchands, cela implique de rechercher des modalités d'organisation diversifiées et de définir clairement le niveau de service universel, prenant en compte les objectifs d 'aménagement du territoire. Les modes de concertation en amont, que nous sommes en train de multiplier et de développer, nous permettront de sortir du débat manichéen opposant l'immobilisme à une évolution incontrôlée des réseaux qui ignorerait le besoin des habitants.
4) La future politique de cohésion sera d'autant plus pertinente qu'elle s'inscrira davantage dans des stratégies de développement territorial, conçues principalement à l'échelon régional, dans un cadre de cohérence nationale. L'aide européenne devra venir à l'appui de ces stratégies et concerner, dans un souci de sélectivité, un ou plusieurs des thèmes prioritaires proposés par la Commission. Les modalités de mise en place de ces actions devront nous permettre de clarifier la répartition des responsabilités entre l'Union européenne, les Etats membres et les régions, afin d'en faciliter l'appropriation et la visibilité pour ses bénéficiaires directs et l'ensemble des citoyens.
C'est dans cet esprit que les contrats de plan, support privilégié du partenariat entre L'Etat et les régions, sont appelés à évoluer. Ils ont largement contribué à l'émergence et à l'affirmation du rôle de la région dans le paysage institutionnel français et ils accompagnent très souvent la mise en uvre des programmes régionaux européens. Grâce à ces contrats de plan, un grand nombre de politiques de développement des territoires a pu être mené. Cette contractualisation doit cependant évoluer ; nous pensons que les futurs contrats gagneraient à être écourtés et à porter sur un nombre plus restreint de projets. Ils doivent également comporter une meilleure péréquation financière entre les régions. A l'issue de la grande concertation en cours sur ce sujet, un nouveau cadre contractuel entre l'Etat et les régions sera défini avant la fin de l'année.
Toutes les régions, tous les territoires dans leur diversité, urbains ou ruraux, centraux ou périphériques, participeront ainsi au développement de l'Europe et de chacun de nos pays. La coordination des actions des Etats en matière de développement du territoire nécessite de compléter la stratégie européenne de développement durable mise en place à Lisbonne et à Göteborg, par un volet " développement durable des territoires européens."" Cette stratégie européenne, approuvée par le Conseil européen, présentera une vision partagée, un cadre de cohérence pour le développement des régions européennes, des objectifs et des indicateurs communs ; ses orientations seront alors reprises et développées par les Etats dans des stratégies nationales, coordonnées au niveau européen.
Conclusion
Nous avons besoin de décentraliser, de régionaliser ; car les territoires sont riches d'un formidable potentiel de projets collectifs ; ils portent en eux cette cohésion sociale dont nous avons tant besoin. Dans ce processus de mondialisation, les Etats ont une mission incontournable pour garantir une cohérence aussi bien au niveau national qu'européen. C'est pourquoi le trinôme Europe, Etat, région offre un cadre structurant précieux dont chaque élément par sa valeur contribue à l'efficacité de l'ensemble.
Voilà comment, en nous appuyant d'une part sur la décentralisation, d'autre part sur une nouvelle politique européenne de cohésion et sur une meilleure coordination entre les politiques communautaires et les politiques nationales, nous pourrons mettre en uvre ensemble le développement des régions et des territoires, en conjuguant compétitivité, cohésion et développement durable. Je suis persuadé que vos échanges, au cours de la journée qui va suivre, y contribueront autant que ceux d'aujourd'hui.
Je vous remercie.
http://www.eiadt.com, le 6 mai 2004)