Texte intégral
Q - Ministre déléguée aux Affaires européennes, vous allez être un peu notre grand témoin tout au long de cette émission. Gerhard Schröder a demandé à Jacques Chirac de lire son message lors d'un sommet européen la semaine dernière à Bruxelles. Nombre de mes confrères y ont vu une espèce de symbole fort de l'union franco-allemande. Le président de la République, lui, a dit que ce n'était qu'un message qu'il était chargé - en toute amitié - de transmettre. Ne s'est-on pas trop emballé sur la dimension "historique" de cet acte ?
R - Non, c'est un acte qui a une dimension historique. Il s'inscrit dans le cadre historique de la relation franco-allemande. Vous évoquiez le général de Gaulle. C'est lui qui a bâti ce fameux Traité de l'Elysée avec Konrad Adenauer, le chancelier allemand, en 1963. Ils ont lancé ce moteur franco-allemand qui parfois fait grincer des dents mais qui joue bien son rôle, comme cela a été symbolisé au dernier sommet européen. Car bien souvent l'Europe avance sur la base des propositions conjointes et de la France et de l'Allemagne. C'est comme ça.
Q - Quelle réaction, Madame la Ministre, aux propos de M. de Saint-Etienne sur le rôle indispensable du couple franco-allemand quant à l'avenir de la construction européenne ?
R - Je ne me rallie pas totalement à la note finale de pessimisme. Ce n'est pas au moment où nous sommes en train de réaliser un rêve extraordinaire - celui de l'unification du continent européen - et au moment où par ailleurs on élabore une Constitution fondée sur une citoyenneté européenne réelle, que l'on peut considérer que l'Europe est en deçà de sa mission historique et morale. D'ailleurs, vous observerez qu'en préambule de la Constitution européenne, il est dit que l'Europe est "un continent porteur de civilisation". Quels que soient les débats actuels sur les thèmes de la civilisation et de la culture, la formule est on ne peut plus forte. Cela veut dire que nous allons passer de l'Europe comme un ensemble de pays qui défendent leur stabilité et leur sécurité, à une Europe qui se veut politique au sens de la Cité, appuyée sur des valeurs et bien décidée à les promouvoir. Y compris en intervenant sur certains terrains extérieurs avec une politique de défense beaucoup plus opérationnelle.
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En parallèle de mes fonctions ministérielles, j'ai été désignée en tant que Secrétaire générale de la coopération franco-allemande pour accompagner toutes les actions de ce fameux couple. Pour autant, il n'est plus possible de considérer que la Grande-Bretagne est simplement spectateur de l'Europe et qu'elle s'y joint car elle pense que c'est davantage son intérêt d'y être que de ne pas y être. La Grande-Bretagne est devenue acteur de l'Europe, à sa manière. J'ai une profonde admiration pour le système britannique, pour son système politique de "checks and balances", son système d'organisation sociale, et aussi son système économique, différent du nôtre, plus libéralisé mais ouvert et dynamique. Il faut compter avec une Grande-Bretagne acteur. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de plus en plus souvent ce couple se transforme en un trio ; dans certains domaines il y a des contributions ou des positions communes entre les trois pays. Cela a été le cas après le Sommet franco-britannique de février dernier, au lendemain duquel les trois chefs d'Etat ou de gouvernement ont adressé une lettre à la présidence grecque pour indiquer qu'ils étaient favorables à ce que la croissance figure en tête des priorités communautaires.
Encore récemment, les trois dirigeants ont adressé des observations à la Commission pour que la réglementation européenne ne soit pas un carcan et ne favorise pas la désindustrialisation de l'Europe au profit des puissances montantes que vous évoquez, ainsi que des Etats-Unis, dans le domaine de la chimie par exemple. ()
Ce que je voulais dire pour conclure, c'est que la Grande-Bretagne n'est pas en marge de l'Europe. Elle n'en a pas tout à fait la même vision que nous. Il reste qu'il faut échapper à ce qui est craint - à bon escient à mon avis - par certains petits pays, c'est-à-dire l'écueil du directoire. Il ne s'agit pas au moment de l'élargissement de l'Europe, de constituer une avant-garde de pays qui détiendraient la vérité contre les autres, les petits pays, les pays entrants. Ces pays doivent être considérés, écoutés et intégrés. Il faut simplement expliquer que l'Europe s'agrandit et que nous avons donc besoin de pays en mesure de proposer d'aller de l'avant plus vite que les autres. Et ce, au bénéfice de l'ensemble. Donc, oui, le couple franco-allemand est spécifique : à travers la reconstruction en franco-allemand de l'Europe, les contributions communes et maintenant l'institutionnalisation de plus en plus poussée de la relation franco-allemande. Oui, il y d'autres pays qui sont acteurs avec nous. Enfin, ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui, c'est bâtir au plan politique l'Europe à l'échelle du continent et cela, il ne faut surtout pas l'oublier.
Q - Madame la Ministre, les Français sont-ils en effet plus européens que nous, journalistes, le disons d'ordinaire ?
R - En tous les cas, les Français en débattent. Si j'interprète bien vos points de vue, la méthode des petits pas, qui a été si fructueuse pour la construction européenne pendant ces dernières décennies, a fait son temps. On ne peut plus faire l'Europe en transcendant un certain nombre d'intérêts nationaux et en faisant valoir par la méthode communautaire qu'il est mieux d'être unis que d'être séparés ; en d'autres termes si les décisions communes ne satisfont pas entièrement chacun, elles sont préférables à l'absence de décision. Je pense à l'ouverture des marchés. Certes, elle oblige à des transformations souvent radicales - certains en bénéficient, d'autres n'en bénéficient pas ou moins - mais il est indispensable d'avoir un grand marché plutôt qu'un marché fragmenté, ce qui est encore partiellement le cas, en Europe. Il y a plus de commerce, plus de développement, plus de possibilités d'investissement sur un espace plus étendu. Cette approche va au-delà de la méthode des petits pas qui correspondait à une union politique mais construite de façon "fonctionnelle". On avançait et on s'apercevait avec le recul qu'on avait plus avancé qu'on ne l'imaginait. Aujourd'hui c'est fini. L'Europe se conçoit comme un espace démocratique. C'est pourquoi beaucoup de citoyens se sentent Européens et protestent contre l'Europe un peu comme on proteste contre son Etat ou son gouvernement parce qu'il fait ceci ou cela. Ils parlent d'Europe et d'environnement, de lutte contre la pollution Aujourd'hui, on ne parle que de sujets citoyens en Europe. On parle de la justice, de la lutte contre la criminalité, de la politique d'immigration, de la défense. Comment va-t-on se défendre vis-à-vis d'un monde globalisé avec de nouvelles menaces, plus confuses mais finalement plus dangereuses ? Comment va-t-on harmoniser les droits sociaux ? On se pose ce type de questions à propos de l'Europe. On met en oeuvre la réforme des retraites en France en ce moment. Or toute la presse présente des comparaisons avec ce qui se passe ailleurs. Est-ce mieux ou moins bien ? En tout cas, l'Europe est au cur des préoccupations citoyennes. Il y a cependant un petit déphasage et c'est notre tâche à nous, responsables politiques au sens large, c'est-à-dire à ceux qui construisent les idées et qui font la pédagogie de la démocratie, de combler cet écart car si l'Europe est au coeur des débats citoyens, si elle concerne notre vie, dans le même temps, nous ne savons pas bien l'appréhender car l'organisation politique européenne n'est pas la transposition pure et simple de nos systèmes politiques nationaux.
Q - Madame Lenoir, pensez-vous que l'attitude de la France envers les contraintes budgétaires de Bruxelles soit arrogante ?
R - Je ne m'inscris pas dans ce registre d'auto-mise en cause pour ne pas dire d'auto-flagellation. Il y a eu dans d'autres cas, y compris entre l'Allemagne et la Commission européenne, des frottements et des tensions. Nous sommes plutôt, en l'état actuel des choses, dans une phase de dialogue La Commission européenne nous a indiqué qu'elle allait exercer un contrôle resserré et renforcé. On a le sentiment que ce contrôle nous permet, d'une certaine manière, de perpétuer ce dialogue après la tension, pour éviter de faire l'objet d'une recommandation en vue de la mise en oeuvre d'une forme de sanction qu'est le déclenchement de la procédure dite de "déficit excessif". Il y a quand même une logique qui est un peu différente de celle que l'on pouvait imaginer il y a encore quelques mois.
Cela étant, vous observerez qu'il y a une forte détermination des deux pays, la France et l'Allemagne, en matière de réformes structurelles. Il y a eu certes "du retard à l'allumage", mais nous essayons d'y remédier. Nous avons mené à bien en France une réforme des retraites difficile à faire passer dans l'opinion publique et dans la classe politique. Les Allemands sont en train de mettre en place une réforme de l'assurance maladie qui est extrêmement audacieuse car ils sont confrontés à un vieillissement démographique encore plus inquiétant que le nôtre. Dans les dix ans à venir, la population de l'Allemagne va diminuer de plusieurs millions - on parle de cinq à six millions d'habitants - c'est assez inquiétant. On ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens. Nous devons donc ménager nos systèmes de protection sociale pour permettre une vraie redistribution appuyée sur le modèle social européen. On ne peut pas nous accuser de mauvaises intentions. Nous témoignons par des actes que nous nous sommes engagés dans un processus de réformes. Cela étant, vous avez raison de dire que le Pacte de stabilité doit être présenté non pas comme une forme de supplice, mais comme une règle qui est dans notre propre intérêt. Elle est une garantie. Chacun sait ici que si endettement public il y a, celui-ci doit être remboursé par des emprunts de l'Etat sur le marché des capitaux internationaux. Or ces emprunts peuvent gêner les entreprises qui ont dès lors moins de facilités à obtenir des capitaux pour financer leurs propres investissements. En plus, l'endettement public limite les marges de la politique budgétaire. Actuellement, le remboursement de la dette représente 15 % de la dépense publique et demain - si on la laisse filer - ce seront 40-50 % du budget qui seront ainsi obérés.
Pour la première fois, à travers un débat animé, voire houleux, est donc posée la vraie question du niveau convenable de la gouvernance économique qui ne peut plus seulement être celui de l'Etat mais qui est aussi celui de l'Europe. L'avantage de notre situation actuelle où tout change, où tout se transforme, est que l'on pose les vraies bonnes questions.
Q - Madame Lenoir, est-ce jouable selon vous, de revenir dans les normes du Pacte de stabilité en 2005, compte tenu de la conjoncture économique ?
R - C'est indispensable. Il est vrai que si la conjoncture est meilleure, ce sera plus facile. C'est indispensable et nous allons y arriver.
Q - Madame la Ministre, l'élargissement de l'Union européenne risque-t-il d'être "une foire d'empoigne" ?
R - La Convention sur l'avenir de l'Europe est un petit miracle, puisque l'on a réuni sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing une sorte de petit parlement à l'échelle du continent européen. Avec plus de deux cents membres, la Convention a fait place à toutes les composantes politiques des gouvernements et du Parlement européen, auxquels s'ajoutaient les représentants des parlements nationaux avec leur composantes majorité-opposition. Donc le jeu était totalement ouvert et néanmoins nous avons abouti à un texte qui est plus que respectable. Et qui est respecté car la finalisation des travaux de la Conférence intergouvernementale sera en accord avec l'équilibre général du texte.
Q - Et ce malgré les "oppositions" de l'Espagne et de la Pologne que laissait sous-entendre Jean-Dominique Giuliani?
R - Pour avoir participé au dernier sommet, je suis optimiste. Pour ce qui est de l'élargissement - avant même de considérer l'opportunité économique fantastique que cela représente de faire un vrai grand marché de près de cinq cents millions de consommateurs, c'est-à-dire représentant le troisième pôle démographique après la Chine et l'Inde - il y a un aspect de responsabilité politique et morale. Nous avions le devoir moral de réparer l'outrage causé à ces Etats qui ont été "enfermés dans la prison de l'au-delà du mur de Berlin".
Q - Vous voulez dire le fait qu'on les ait un peu "abandonnés" à la Libération dans les griffes de Staline, en fait ?
R - Ils se sont sentis abandonnés, c'est vrai. Ce sont des peuples qui ont résisté. Il y a eu le coup de Prague, la révolte hongroise, les mouvements à Berlin en 1953, il y a eu Solidarnosc en Pologne. Ce sont des peuples qui se sont exprimés et qui ont essayé de se révolter. A l'époque, nos plus grands intellectuels ne protestaient pas beaucoup, et la pensée unique n'était pas tout à fait de leur côté. Il faut savoir ce que cela représente pour ceux qui ont vécu ces périodes.
Q - Est-ce qu'il ne faut pas non plus rappeler qu'ils se sont sentis sauvés par les Etats-Unis avant de se sentir sauvés par l'Europe ?
R - Il faut comprendre l'attractivité que représente pour eux la civilisation américaine. C'est la libéralisation en forme d'émancipation. Il y a aussi le modèle d'émancipation auquel renvoie l'établissement de la démocratie américaine. Contrairement à ce qui a été suggéré tout à l'heure, je nuancerais le propos qui oppose l'Europe et l'OTAN. Ces pays sont profondément européens et je peux vous dire qu'ils sont tout à fait intéressés par la politique de défense européenne. Simplement, ils considèrent qu'en l'état actuel des choses, l'OTAN est susceptible de les protéger d'une façon qui les rassure davantage que ne le fait la politique européenne de défense. Mais ils sont profondément européens et je n'ai aucun doute sur la dynamique permettant d'intégrer ces Etats dans une véritable Europe politique.
Q - Madame Lenoir, la culture du compromis dont parle Jean-Dominique Giuliani doit-elle être érigée en manière de gouverner ?
R - Les institutions sont indispensables pour prendre des décisions. A quinze, elles sont déjà indispensables, à vingt-cinq encore davantage. Sans parler de l'augmentation ultérieure du nombre des Etats membres de l'Europe. Le problème du contenu des politiques européennes se pose aujourd'hui dans le cadre de la stratégie de croissance, que vous appelez de vos voeux. Il ne faut pas s'imaginer que parce que le marché intérieur existe depuis 1993, il y a un véritable marché unifié. Le construire est pour moi un très grand enjeu, car l'Europe ne suscitera la pleine adhésion des citoyens que si on arrive à lutter contre le chômage. Et pour lutter contre ce dernier, il faut aller de l'avant à un rythme plus rapide qu'aujourd'hui, pour harmoniser ce marché. J'ai rencontré hier un responsable d'EADS qui me disait qu'en dépit de la compétitivité de son entreprise et des produits qu'elle fabrique - avions, hélicoptères - le marché européen restait trop fragmenté par rapport au marché américain.
Vous avez en Europe autant de statuts de sociétés que d'Etats européens. Il n'y a pas de société de droit européen. Vous avez en Europe autant de commanditaires d'armement que d'Etats, alors qu'aux Etats-Unis vous avez un seul commanditaire qui est le gouvernement américain. On se rend compte aujourd'hui qu'il reste aux frontières de l'Europe des barrières techniques et physiques qui sont encore plus handicapantes que les barrières juridiques ou douanières. Il faut remédier à cette situation si l'on veut éviter que pour des raisons totalement étrangères à l'Europe que les citoyens ne soient plus complètement convaincus qu'elle représente pour eux un bien du point de vue économique et du point de vue du progrès social.
Q - Madame la Ministre, que faut-il, selon vous, pour que l'Europe parle d'une voix aussi forte ? On l'a souvent dit, c'est un cliché dont moi-même j'ai usé dans mes éditoriaux : "l'Europe géant économique - nain politique". Que faudrait-il pour éviter que ce genre de phrases continue à courir les éditoriaux ?
R - L'Europe n'est pas un nain politique. Qui aurait imaginé en effet il y a encore quelques années qu'il soit possible d'avoir une politique étrangère commune ? Les Affaires étrangères sont l'expression de la souveraineté des souverainetés. Or, aujourd'hui on se rend de plus en plus compte que l'Europe ne se pérennisera comme un grand projet que si elle est politique et si elle compte dans le monde.
Q - Il y a quand même eu pas mal de "couacs" en politique étrangère ces derniers temps.
R - Non. Les positions sur le Proche-Orient ont toujours été totalement harmonisées. Il y a aussi des progrès considérables, qui ont été un peu trop passés sous silence, en matière de politique de défense. Pour la première fois, l'Europe est intervenue dans les Balkans avec les moyens de l'OTAN grâce aux accords entre l'OTAN et l'Union européenne - dits "Berlin plus". Fait encore plus exceptionnel, les forces européennes sous commandement européen sont intervenues au Congo dans une opération de maintien de la paix. Cela veut bien dire que les choses avancent, mais pas seulement dans les textes ou dans les idées, elles avancent sur le terrain. La crise irakienne est quelque chose de particulier car il s'est agi d'une guerre, non d'une opération de maintien de la paix, au moins dans son déclenchement. Aujourd'hui, il va y avoir à Madrid une Conférence des donateurs. La France sera représentée par mon collègue François Loos. Nous nous mettons donc autour de la table et nous essayons de faire au mieux en faisant entendre une voix européenne qui sera de plus en plus une voix unique car nous sommes tous confrontés, face à cette crise, au même problème.
Q - Madame la Ministre, n'êtes-vous pas un peu préoccupée de voir la France essayer de faire une décentralisation de façon un peu laborieuse au moment où l'Allemagne traverse une crise du fédéralisme ?
R - Je suis en train de préparer avec mon collègue allemand, Hans Martin Bury, la première rencontre entre les Länder et les régions françaises qui doit se tenir à la fin du mois à Poitiers. Je peux vous dire que dans la logique de la décentralisation à la française, il y a un lien étroit entre notre engagement européen et l'accroissement des responsabilités des collectivités territoriales, car plus le niveau de décision va passer du national au niveau européen, plus il faudra veiller à ce que les citoyens aient le sentiment qu'ils ont prise sur les processus démocratiques. Ceci conduit à inscrire un certain nombre de décisions, d'arbitrages politiques au niveau local et territorial. Il y a, pour le gouvernement, un très fort lien entre la décentralisation et la construction européenne. Pour que le citoyen se sente chez lui dans les grands espaces, il faut aussi qu'il soit chez lui dans les plus petits espaces.
Quant au fédéralisme allemand, il faut comparer ce qui peut être comparé. C'est en fait une manière de polycentrisme. Ce n'est pas de la décentralisation. Le fédéralisme n'est pas inscrit dans un tissu local alors qu'en France tout le territoire est maillé, depuis la commune de dix habitants jusqu'à celle de plus d'un million.
Q - Cette décentralisation n'est-elle justement pas trop maillée ?
R - Non, et quant au fédéralisme, c'est un polycentrisme qui instaure une espèce de coexistence entre deux systèmes politiques. Le chancelier fédéral est obligé de négocier pas à pas avec l'opposition toutes les réformes. Le Bundesrat, qui est l'équivalent de notre Sénat - dont la majorité n'est pas SPD mais CDU - peut en effet bloquer presque toutes les réformes dès qu'il est compétent pour statuer, sur à peu près 60 à 70 % des législations fédérales. C'est un système inscrit dans l'histoire de l'Allemagne, qui est différente de la nôtre. Nos deux systèmes ont du bon, mais doivent se gérer différemment. Il est vrai cependant que fédéralisme et Europe représentent une cohabitation difficile. Décentralisation et Europe est un mariage plus heureux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2003)
R - Non, c'est un acte qui a une dimension historique. Il s'inscrit dans le cadre historique de la relation franco-allemande. Vous évoquiez le général de Gaulle. C'est lui qui a bâti ce fameux Traité de l'Elysée avec Konrad Adenauer, le chancelier allemand, en 1963. Ils ont lancé ce moteur franco-allemand qui parfois fait grincer des dents mais qui joue bien son rôle, comme cela a été symbolisé au dernier sommet européen. Car bien souvent l'Europe avance sur la base des propositions conjointes et de la France et de l'Allemagne. C'est comme ça.
Q - Quelle réaction, Madame la Ministre, aux propos de M. de Saint-Etienne sur le rôle indispensable du couple franco-allemand quant à l'avenir de la construction européenne ?
R - Je ne me rallie pas totalement à la note finale de pessimisme. Ce n'est pas au moment où nous sommes en train de réaliser un rêve extraordinaire - celui de l'unification du continent européen - et au moment où par ailleurs on élabore une Constitution fondée sur une citoyenneté européenne réelle, que l'on peut considérer que l'Europe est en deçà de sa mission historique et morale. D'ailleurs, vous observerez qu'en préambule de la Constitution européenne, il est dit que l'Europe est "un continent porteur de civilisation". Quels que soient les débats actuels sur les thèmes de la civilisation et de la culture, la formule est on ne peut plus forte. Cela veut dire que nous allons passer de l'Europe comme un ensemble de pays qui défendent leur stabilité et leur sécurité, à une Europe qui se veut politique au sens de la Cité, appuyée sur des valeurs et bien décidée à les promouvoir. Y compris en intervenant sur certains terrains extérieurs avec une politique de défense beaucoup plus opérationnelle.
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En parallèle de mes fonctions ministérielles, j'ai été désignée en tant que Secrétaire générale de la coopération franco-allemande pour accompagner toutes les actions de ce fameux couple. Pour autant, il n'est plus possible de considérer que la Grande-Bretagne est simplement spectateur de l'Europe et qu'elle s'y joint car elle pense que c'est davantage son intérêt d'y être que de ne pas y être. La Grande-Bretagne est devenue acteur de l'Europe, à sa manière. J'ai une profonde admiration pour le système britannique, pour son système politique de "checks and balances", son système d'organisation sociale, et aussi son système économique, différent du nôtre, plus libéralisé mais ouvert et dynamique. Il faut compter avec une Grande-Bretagne acteur. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de plus en plus souvent ce couple se transforme en un trio ; dans certains domaines il y a des contributions ou des positions communes entre les trois pays. Cela a été le cas après le Sommet franco-britannique de février dernier, au lendemain duquel les trois chefs d'Etat ou de gouvernement ont adressé une lettre à la présidence grecque pour indiquer qu'ils étaient favorables à ce que la croissance figure en tête des priorités communautaires.
Encore récemment, les trois dirigeants ont adressé des observations à la Commission pour que la réglementation européenne ne soit pas un carcan et ne favorise pas la désindustrialisation de l'Europe au profit des puissances montantes que vous évoquez, ainsi que des Etats-Unis, dans le domaine de la chimie par exemple. ()
Ce que je voulais dire pour conclure, c'est que la Grande-Bretagne n'est pas en marge de l'Europe. Elle n'en a pas tout à fait la même vision que nous. Il reste qu'il faut échapper à ce qui est craint - à bon escient à mon avis - par certains petits pays, c'est-à-dire l'écueil du directoire. Il ne s'agit pas au moment de l'élargissement de l'Europe, de constituer une avant-garde de pays qui détiendraient la vérité contre les autres, les petits pays, les pays entrants. Ces pays doivent être considérés, écoutés et intégrés. Il faut simplement expliquer que l'Europe s'agrandit et que nous avons donc besoin de pays en mesure de proposer d'aller de l'avant plus vite que les autres. Et ce, au bénéfice de l'ensemble. Donc, oui, le couple franco-allemand est spécifique : à travers la reconstruction en franco-allemand de l'Europe, les contributions communes et maintenant l'institutionnalisation de plus en plus poussée de la relation franco-allemande. Oui, il y d'autres pays qui sont acteurs avec nous. Enfin, ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui, c'est bâtir au plan politique l'Europe à l'échelle du continent et cela, il ne faut surtout pas l'oublier.
Q - Madame la Ministre, les Français sont-ils en effet plus européens que nous, journalistes, le disons d'ordinaire ?
R - En tous les cas, les Français en débattent. Si j'interprète bien vos points de vue, la méthode des petits pas, qui a été si fructueuse pour la construction européenne pendant ces dernières décennies, a fait son temps. On ne peut plus faire l'Europe en transcendant un certain nombre d'intérêts nationaux et en faisant valoir par la méthode communautaire qu'il est mieux d'être unis que d'être séparés ; en d'autres termes si les décisions communes ne satisfont pas entièrement chacun, elles sont préférables à l'absence de décision. Je pense à l'ouverture des marchés. Certes, elle oblige à des transformations souvent radicales - certains en bénéficient, d'autres n'en bénéficient pas ou moins - mais il est indispensable d'avoir un grand marché plutôt qu'un marché fragmenté, ce qui est encore partiellement le cas, en Europe. Il y a plus de commerce, plus de développement, plus de possibilités d'investissement sur un espace plus étendu. Cette approche va au-delà de la méthode des petits pas qui correspondait à une union politique mais construite de façon "fonctionnelle". On avançait et on s'apercevait avec le recul qu'on avait plus avancé qu'on ne l'imaginait. Aujourd'hui c'est fini. L'Europe se conçoit comme un espace démocratique. C'est pourquoi beaucoup de citoyens se sentent Européens et protestent contre l'Europe un peu comme on proteste contre son Etat ou son gouvernement parce qu'il fait ceci ou cela. Ils parlent d'Europe et d'environnement, de lutte contre la pollution Aujourd'hui, on ne parle que de sujets citoyens en Europe. On parle de la justice, de la lutte contre la criminalité, de la politique d'immigration, de la défense. Comment va-t-on se défendre vis-à-vis d'un monde globalisé avec de nouvelles menaces, plus confuses mais finalement plus dangereuses ? Comment va-t-on harmoniser les droits sociaux ? On se pose ce type de questions à propos de l'Europe. On met en oeuvre la réforme des retraites en France en ce moment. Or toute la presse présente des comparaisons avec ce qui se passe ailleurs. Est-ce mieux ou moins bien ? En tout cas, l'Europe est au cur des préoccupations citoyennes. Il y a cependant un petit déphasage et c'est notre tâche à nous, responsables politiques au sens large, c'est-à-dire à ceux qui construisent les idées et qui font la pédagogie de la démocratie, de combler cet écart car si l'Europe est au coeur des débats citoyens, si elle concerne notre vie, dans le même temps, nous ne savons pas bien l'appréhender car l'organisation politique européenne n'est pas la transposition pure et simple de nos systèmes politiques nationaux.
Q - Madame Lenoir, pensez-vous que l'attitude de la France envers les contraintes budgétaires de Bruxelles soit arrogante ?
R - Je ne m'inscris pas dans ce registre d'auto-mise en cause pour ne pas dire d'auto-flagellation. Il y a eu dans d'autres cas, y compris entre l'Allemagne et la Commission européenne, des frottements et des tensions. Nous sommes plutôt, en l'état actuel des choses, dans une phase de dialogue La Commission européenne nous a indiqué qu'elle allait exercer un contrôle resserré et renforcé. On a le sentiment que ce contrôle nous permet, d'une certaine manière, de perpétuer ce dialogue après la tension, pour éviter de faire l'objet d'une recommandation en vue de la mise en oeuvre d'une forme de sanction qu'est le déclenchement de la procédure dite de "déficit excessif". Il y a quand même une logique qui est un peu différente de celle que l'on pouvait imaginer il y a encore quelques mois.
Cela étant, vous observerez qu'il y a une forte détermination des deux pays, la France et l'Allemagne, en matière de réformes structurelles. Il y a eu certes "du retard à l'allumage", mais nous essayons d'y remédier. Nous avons mené à bien en France une réforme des retraites difficile à faire passer dans l'opinion publique et dans la classe politique. Les Allemands sont en train de mettre en place une réforme de l'assurance maladie qui est extrêmement audacieuse car ils sont confrontés à un vieillissement démographique encore plus inquiétant que le nôtre. Dans les dix ans à venir, la population de l'Allemagne va diminuer de plusieurs millions - on parle de cinq à six millions d'habitants - c'est assez inquiétant. On ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens. Nous devons donc ménager nos systèmes de protection sociale pour permettre une vraie redistribution appuyée sur le modèle social européen. On ne peut pas nous accuser de mauvaises intentions. Nous témoignons par des actes que nous nous sommes engagés dans un processus de réformes. Cela étant, vous avez raison de dire que le Pacte de stabilité doit être présenté non pas comme une forme de supplice, mais comme une règle qui est dans notre propre intérêt. Elle est une garantie. Chacun sait ici que si endettement public il y a, celui-ci doit être remboursé par des emprunts de l'Etat sur le marché des capitaux internationaux. Or ces emprunts peuvent gêner les entreprises qui ont dès lors moins de facilités à obtenir des capitaux pour financer leurs propres investissements. En plus, l'endettement public limite les marges de la politique budgétaire. Actuellement, le remboursement de la dette représente 15 % de la dépense publique et demain - si on la laisse filer - ce seront 40-50 % du budget qui seront ainsi obérés.
Pour la première fois, à travers un débat animé, voire houleux, est donc posée la vraie question du niveau convenable de la gouvernance économique qui ne peut plus seulement être celui de l'Etat mais qui est aussi celui de l'Europe. L'avantage de notre situation actuelle où tout change, où tout se transforme, est que l'on pose les vraies bonnes questions.
Q - Madame Lenoir, est-ce jouable selon vous, de revenir dans les normes du Pacte de stabilité en 2005, compte tenu de la conjoncture économique ?
R - C'est indispensable. Il est vrai que si la conjoncture est meilleure, ce sera plus facile. C'est indispensable et nous allons y arriver.
Q - Madame la Ministre, l'élargissement de l'Union européenne risque-t-il d'être "une foire d'empoigne" ?
R - La Convention sur l'avenir de l'Europe est un petit miracle, puisque l'on a réuni sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing une sorte de petit parlement à l'échelle du continent européen. Avec plus de deux cents membres, la Convention a fait place à toutes les composantes politiques des gouvernements et du Parlement européen, auxquels s'ajoutaient les représentants des parlements nationaux avec leur composantes majorité-opposition. Donc le jeu était totalement ouvert et néanmoins nous avons abouti à un texte qui est plus que respectable. Et qui est respecté car la finalisation des travaux de la Conférence intergouvernementale sera en accord avec l'équilibre général du texte.
Q - Et ce malgré les "oppositions" de l'Espagne et de la Pologne que laissait sous-entendre Jean-Dominique Giuliani?
R - Pour avoir participé au dernier sommet, je suis optimiste. Pour ce qui est de l'élargissement - avant même de considérer l'opportunité économique fantastique que cela représente de faire un vrai grand marché de près de cinq cents millions de consommateurs, c'est-à-dire représentant le troisième pôle démographique après la Chine et l'Inde - il y a un aspect de responsabilité politique et morale. Nous avions le devoir moral de réparer l'outrage causé à ces Etats qui ont été "enfermés dans la prison de l'au-delà du mur de Berlin".
Q - Vous voulez dire le fait qu'on les ait un peu "abandonnés" à la Libération dans les griffes de Staline, en fait ?
R - Ils se sont sentis abandonnés, c'est vrai. Ce sont des peuples qui ont résisté. Il y a eu le coup de Prague, la révolte hongroise, les mouvements à Berlin en 1953, il y a eu Solidarnosc en Pologne. Ce sont des peuples qui se sont exprimés et qui ont essayé de se révolter. A l'époque, nos plus grands intellectuels ne protestaient pas beaucoup, et la pensée unique n'était pas tout à fait de leur côté. Il faut savoir ce que cela représente pour ceux qui ont vécu ces périodes.
Q - Est-ce qu'il ne faut pas non plus rappeler qu'ils se sont sentis sauvés par les Etats-Unis avant de se sentir sauvés par l'Europe ?
R - Il faut comprendre l'attractivité que représente pour eux la civilisation américaine. C'est la libéralisation en forme d'émancipation. Il y a aussi le modèle d'émancipation auquel renvoie l'établissement de la démocratie américaine. Contrairement à ce qui a été suggéré tout à l'heure, je nuancerais le propos qui oppose l'Europe et l'OTAN. Ces pays sont profondément européens et je peux vous dire qu'ils sont tout à fait intéressés par la politique de défense européenne. Simplement, ils considèrent qu'en l'état actuel des choses, l'OTAN est susceptible de les protéger d'une façon qui les rassure davantage que ne le fait la politique européenne de défense. Mais ils sont profondément européens et je n'ai aucun doute sur la dynamique permettant d'intégrer ces Etats dans une véritable Europe politique.
Q - Madame Lenoir, la culture du compromis dont parle Jean-Dominique Giuliani doit-elle être érigée en manière de gouverner ?
R - Les institutions sont indispensables pour prendre des décisions. A quinze, elles sont déjà indispensables, à vingt-cinq encore davantage. Sans parler de l'augmentation ultérieure du nombre des Etats membres de l'Europe. Le problème du contenu des politiques européennes se pose aujourd'hui dans le cadre de la stratégie de croissance, que vous appelez de vos voeux. Il ne faut pas s'imaginer que parce que le marché intérieur existe depuis 1993, il y a un véritable marché unifié. Le construire est pour moi un très grand enjeu, car l'Europe ne suscitera la pleine adhésion des citoyens que si on arrive à lutter contre le chômage. Et pour lutter contre ce dernier, il faut aller de l'avant à un rythme plus rapide qu'aujourd'hui, pour harmoniser ce marché. J'ai rencontré hier un responsable d'EADS qui me disait qu'en dépit de la compétitivité de son entreprise et des produits qu'elle fabrique - avions, hélicoptères - le marché européen restait trop fragmenté par rapport au marché américain.
Vous avez en Europe autant de statuts de sociétés que d'Etats européens. Il n'y a pas de société de droit européen. Vous avez en Europe autant de commanditaires d'armement que d'Etats, alors qu'aux Etats-Unis vous avez un seul commanditaire qui est le gouvernement américain. On se rend compte aujourd'hui qu'il reste aux frontières de l'Europe des barrières techniques et physiques qui sont encore plus handicapantes que les barrières juridiques ou douanières. Il faut remédier à cette situation si l'on veut éviter que pour des raisons totalement étrangères à l'Europe que les citoyens ne soient plus complètement convaincus qu'elle représente pour eux un bien du point de vue économique et du point de vue du progrès social.
Q - Madame la Ministre, que faut-il, selon vous, pour que l'Europe parle d'une voix aussi forte ? On l'a souvent dit, c'est un cliché dont moi-même j'ai usé dans mes éditoriaux : "l'Europe géant économique - nain politique". Que faudrait-il pour éviter que ce genre de phrases continue à courir les éditoriaux ?
R - L'Europe n'est pas un nain politique. Qui aurait imaginé en effet il y a encore quelques années qu'il soit possible d'avoir une politique étrangère commune ? Les Affaires étrangères sont l'expression de la souveraineté des souverainetés. Or, aujourd'hui on se rend de plus en plus compte que l'Europe ne se pérennisera comme un grand projet que si elle est politique et si elle compte dans le monde.
Q - Il y a quand même eu pas mal de "couacs" en politique étrangère ces derniers temps.
R - Non. Les positions sur le Proche-Orient ont toujours été totalement harmonisées. Il y a aussi des progrès considérables, qui ont été un peu trop passés sous silence, en matière de politique de défense. Pour la première fois, l'Europe est intervenue dans les Balkans avec les moyens de l'OTAN grâce aux accords entre l'OTAN et l'Union européenne - dits "Berlin plus". Fait encore plus exceptionnel, les forces européennes sous commandement européen sont intervenues au Congo dans une opération de maintien de la paix. Cela veut bien dire que les choses avancent, mais pas seulement dans les textes ou dans les idées, elles avancent sur le terrain. La crise irakienne est quelque chose de particulier car il s'est agi d'une guerre, non d'une opération de maintien de la paix, au moins dans son déclenchement. Aujourd'hui, il va y avoir à Madrid une Conférence des donateurs. La France sera représentée par mon collègue François Loos. Nous nous mettons donc autour de la table et nous essayons de faire au mieux en faisant entendre une voix européenne qui sera de plus en plus une voix unique car nous sommes tous confrontés, face à cette crise, au même problème.
Q - Madame la Ministre, n'êtes-vous pas un peu préoccupée de voir la France essayer de faire une décentralisation de façon un peu laborieuse au moment où l'Allemagne traverse une crise du fédéralisme ?
R - Je suis en train de préparer avec mon collègue allemand, Hans Martin Bury, la première rencontre entre les Länder et les régions françaises qui doit se tenir à la fin du mois à Poitiers. Je peux vous dire que dans la logique de la décentralisation à la française, il y a un lien étroit entre notre engagement européen et l'accroissement des responsabilités des collectivités territoriales, car plus le niveau de décision va passer du national au niveau européen, plus il faudra veiller à ce que les citoyens aient le sentiment qu'ils ont prise sur les processus démocratiques. Ceci conduit à inscrire un certain nombre de décisions, d'arbitrages politiques au niveau local et territorial. Il y a, pour le gouvernement, un très fort lien entre la décentralisation et la construction européenne. Pour que le citoyen se sente chez lui dans les grands espaces, il faut aussi qu'il soit chez lui dans les plus petits espaces.
Quant au fédéralisme allemand, il faut comparer ce qui peut être comparé. C'est en fait une manière de polycentrisme. Ce n'est pas de la décentralisation. Le fédéralisme n'est pas inscrit dans un tissu local alors qu'en France tout le territoire est maillé, depuis la commune de dix habitants jusqu'à celle de plus d'un million.
Q - Cette décentralisation n'est-elle justement pas trop maillée ?
R - Non, et quant au fédéralisme, c'est un polycentrisme qui instaure une espèce de coexistence entre deux systèmes politiques. Le chancelier fédéral est obligé de négocier pas à pas avec l'opposition toutes les réformes. Le Bundesrat, qui est l'équivalent de notre Sénat - dont la majorité n'est pas SPD mais CDU - peut en effet bloquer presque toutes les réformes dès qu'il est compétent pour statuer, sur à peu près 60 à 70 % des législations fédérales. C'est un système inscrit dans l'histoire de l'Allemagne, qui est différente de la nôtre. Nos deux systèmes ont du bon, mais doivent se gérer différemment. Il est vrai cependant que fédéralisme et Europe représentent une cohabitation difficile. Décentralisation et Europe est un mariage plus heureux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2003)