Interview de M. Lionel Jospin, Premier ministre à TF1 le 16 mars 2000, sur l'utilisation de la "cagnotte fiscale" (baisse de la TVA, réduction de la taxe d'habitation, diminution des plus basses tranches de l'impôt sur le revenu, dotation aux grands services publics), sur la poursuite des objectifs gouvernementaux concernant la croissance économique, la lutte contre le chômage, la réforme des retraites et la réduction du temps de travail.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Patrick Poivre d'Arvor (TF1) : M.Jospin, bonsoir.
Lionel Jospin : "Bonsoir."
TF1 : On a un peu le sentiment, à regarder toutes ces manifestations qui pullulent depuis quelques jours, et singulièrement aujourd'hui, qu'au fond elles ont été attisées par le fait que l'argent afflue, semble-t-il, dans les caisses de l'Etat, actuellement. Je voudrais vous demander de répondre très directement, et si possible sans préambule, à cette question assez simple que se posent tous les Français. On leur demande d'être extrêmement économes, de faire attention, d'équilibrer leur budget sinon il y a un coup de téléphone de la banque : on demande la même chose aux entreprises et c'est bien la moindre des choses. Pourquoi l'Etat est-il incapable de nous dire au milliard près ce qu'il a exactement dans ses comptes ?
Lionel Jospin : "Il y a eu un problème en 1999, quand on a parlé de cette "cagnotte", parce que les prévisions budgétaires de l'Etat, ce qu'on appelle la loi de finances initiale, sont faites au mois d'août de l'année précédente. Pour préparer le budget, par exemple de 1999. Cela a été fait en août 1998 et, à ce moment là, il y avait la crise asiatique, il y avait un trou d'air. Nous avions fait des prévisions de croissance légèrement inférieures à 3 %, - 2,7 - et l'opposition nous a dit : "Vous êtes trop optimistes ; la crise asiatique va faire que vous n'aurez ni la croissance ni les recettes que vous escomptez". Et nous avons en partie révisé nos chiffres à la baisse. Et puis finalement, l'économie française a surmonté le trou d'air de la crise asiatique beaucoup mieux qu'on ne le pensait, a continué sur son élan, sur cette dynamique que je crois nous avions contribué à créer, si bien qu'on s'est retrouvés avec des évaluations en fait trop pessimistes et des résultats meilleurs. C'est ça qu'on a appelé "la cagnotte" en 1999."'
TF1 : Mais il y a eu un "feuilleton", parce que plusieurs chiffres ont été donnés de ci de là.
Lionel Jospin : "Oui, mais comme justement je tiens à un rapport de vérité avec les Français, qui pour moi en tout cas est absolument essentiel dans ma fonction, je suis heureux de pouvoir parler de ces problèmes aujourd'hui. Et c'est aussi pour cela que je ne voulais pas que ces interrogations se reproduisent en l'an 2000, pour le projet de loi de Finances 2000. Et c'est pourquoi j'ai proposé qu'il y ait un collectif budgétaire au printemps. Et c'est de celui-ci que nous allons parler ce soir, car nous aurons aussi des surplus de recettes en 2000. Et la question qui est posée aujourd'hui et notamment ce soir - et nous en avons parlé entre les ministres - est de savoir ce que nous voulons en faire. Et je vous le dirai dans quelques instants."
TF1 : Si j'ai bien compris, il y a eu 30 milliards de plus en 99 et il y en aura 50 milliards de plus en 2000.
Lionel Jospin : "C'est cela."
TF1 : Le contrôle du Parlement est à ce point tardif, en tout cas a posteriori, que quelqu'un de votre camp, le rapporteur général du Budget, D. Migaud, a dit qu'il y avait des tours de passe-passe dans ce budget. Pourquoi est-ce que les choses ne sont pas plus claires, plus transparentes ?
Lionel Jospin : "On fonctionne, en ces matières, sur la base d'une ordonnance de 1959. Et je pense que cette ordonnance, qui codifie la façon dont on mène les discussions budgétaires, et dont notamment se conduit le dialogue entre le Gouvernement, - l'exécutif - et le législatif, n'est plus adaptée, elle n'est pas assez transparente. 1959, c'est loin, et vous vous souvenez aussi quelle était l'époque. Nous sommes donc d'accord, au niveau du Gouvernement, pour revoir ces textes avec le Parlement, afin que nos évaluations soient plus précises, plus immédiates et que le débat puisse se faire sur les orientations, sur les choix en toute transparence. Et je vais, moi, ce soir, je crois, contribuer à cette transparence."
TF1 : Je vous trouve assez gentil avec Bercy. Voilà un ministère dont on nous dit que c'est une forteresse, qui apparemment a l'air du mal à donner avec précision le nombre de ses agents - c'est ce que dénonçait il n'y a pas très longtemps la Cour des comptes -, qui change ses évaluations, qui visiblement a du mal à se réformer - on en parlera peut-être avec la réforme du Trésor - qui fait apparaître et disparaître des recettes. Est-ce qu'il est possible de lui tenir tête ? Est-ce que vraiment ce n'est pas lui qui fait la loi finalement en France ?
Lionel Jospin : "Pas depuis 1997 et que je suis Premier ministre. J'ai toujours eu d'excellentes relations avec le ministre de l'Economie et des Finances, D. Strauss-Kahn, avec son secrétaire d'Etat au Budget, M. Sautter, désormais avec M. Sautter et F. Parly. Mais je crois que ce qui caractérise ce gouvernement par rapport à d'autres qui l'ont précédé, c'est que les choix sont faits collectivement, et les discussions sont menées entre les ministres. Ce que je vous dirai ce soir, nous en avons parlé aujourd'hui avec les ministres. Le ministère de l'Economie et des Finances est tout à fait essentiel. Son titulaire joue un rôle important dans le Gouvernement, mais cela se fait dans le cadre des choix collectifs que nous avons à faire. Mais je crois qu'il y a peut-être plus à dire que de parler de Bercy et de son mode de fonctionnement..."
TF1 : C'est simplement pour dire que pour tenir tête à ce ministère et peut-être pour être à sa tête, il faut peut-être un ministre politique, comme l'était par exemple D. Strauss-Kahn, ou comme l'était naguère je ne sais pas A. Pinay, R. Monory, N. Sarkozy et d'autres ?
Lionel Jospin : "Honnêtement, je ne crois pas qu'on va entrer dans la discussion, ce soir, par des discussions sur les ministres. On peut y venir peut-être un peu plus tard. Ce que je veux dire, d'abord, parce que j'ai vu ces manifestations et que je veux les entendre. Je crois d'ailleurs que celle du monde enseignant et des parents d'élèves expriment quelque chose de beaucoup plus large et plus profond que le mouvement des impôts qui est essentiellement centré sur le problème d'une réforme, qui n'a pas été comprise, qui n'a pas été admise dans la façon dont elle a été proposée."
TF1 : Et qui sera poursuivie jusqu'au bout ?
Lionel Jospin : "On reviendra sur ces deux sujets, si vous le voulez. Dans le monde de l'enseignement, c'est quelque chose de plus global. Mais on dit aussi qu'il y a des phénomènes d'impatience. C'est là que je voudrais vous dire que vraiment, je préfère les fièvres de croissance aux maladies de la dépression. Et c'est cela la période différente dans laquelle nous sommes entrés. Quand nous sommes arrivés en 1997, il n'y avait pas véritablement d'espoir. Le pays était dans une sorte de dépression. A tel point d'ailleurs que lorsqu'il y a eu une dissolution, surprenante, les Français ont décidé de changer la majorité alors qu'ils avaient élu un Président de la République proche d'elle, deux ans avant. Ce n'est pas si fréquent. Il y avait un sentiment de refus et pas d'espérance. Aujourd'hui, je crois, au contraire, qu'il y a des attentes, qu'on attend quelque chose de ce Gouvernement, et du coup, il y a des impatiences. Mais je préfère des hommes et des femmes impatients que des hommes et des femmes résignés, ou même pour certains d'entre eux désespérés. Et donc, réjouissons-nous qu'on puisse parler d'une "cagnotte". Réjouissons-nous de voir que l'économie française fait de la croissance, produit plus, investit, que les Français consomment - on a vu la progression du pouvoir d'achat que vous évoquiez tout à l'heure, que le chômage recule - nous avons créé un million d'emplois depuis trente-trois mois. Le chômage a reculé de 570 000 hommes et femmes qui ont retrouvé ou trouvé du travail, donc l'économie française est considérée par l'ensemble des observateurs comme la locomotive économique de l'Europe aujourd'hui. Et ce climat nouveau, que nous avons je crois en partie contribué à créer et qui nous a permis de profiter de la reprise de la croissance internationale, est l'élément essentiel de la période actuelle. Et c'est cela qui fondamentalement doit nous rendre optimistes, c'est cela qui fait qu'on a des surplus de recettes, c'est cela qui fait qu'on a une "cagnotte". Alors, on peut en parler de cette "cagnotte".
TF1 : Justement, sur la sémantique : vous dites "cagnotte", surplus fiscal ou moins de déficit, comme disent MM. Trichet ou Seguin... Peu importe, c'est là.
Lionel Jospin : "Exactement. A partir du moment où un mot a trouvé du succès, où il a été répandu dans l'opinion, où les médias l'ont repris, rien ne sert de le chicaner. Mais cette cagnotte, ces 50 milliards de recettes fiscales et non fiscales supplémentaires pour l'an 2000, dont on va évoquer l'attribution, c'est la cagnotte de tous les Français, c'est le produit de leurs efforts, de l'effort des entreprises, de l'effort des salariés, des créateurs, de tout le monde. Et c'est aussi je crois en partie la sanction positive d'une politique économique qui a été juste et d'une gestion de ce Gouvernement qui est correcte. Alors, ce que j'ai envie de vous dire, puisque parfois on m'attribue cette cagnotte - on dit "la cagnotte de Jospin" - moi je préfère honnêtement être responsable d'une cagnotte que d'être responsable d'un trou dans la caisse. Et quand nous sommes arrivés, il y avait quelques trous dans la caisse : le trou de la Sécurité sociale par exemple, un déficit public considérable. Nous, nous avons agi avec les Français, mais dans notre fonction gouvernementale, pour rétablir ce surplus de richesses. Et on ne va quand même pas, parce que sinon on serait dans un plein paradoxe, se désespérer parce qu'on a des ressources supplémentaires."
TF1 : Quand on a des ressources supplémentaires, en général, on attise les idées, on aiguise les différents envieux. Il y a eu un concours d'idées tout à fait hétéroclites, y compris dans votre propre camp. Des gens ont proposé que l'on baisse les impôts - impôts sur le revenu, TVA, taxe d'habitation, certains ont parlé de la redevance, d'autres des impôts pétroliers par exemple - ; d'autres disent qu'il faut surtout en profiter pour réduire le déficit ; d'autres disent : "Profitons de cela pour accroître la dépense sociale en aidant à l'augmentation des minima sociaux." Qu'est-ce que vous avez définitivement choisi, qu'est-ce que vous pouvez nous annoncer maintenant ?
Lionel Jospin : "Ce débat était normal et reste normal d'ailleurs, il se poursuivra au Parlement quand nous présenterons ce texte de révision du budget, ce collectif de printemps. Il est normal - et c'est cela la démocratie - : chacun exprime son point de vue. Alors, il y a trois objectifs possibles, à partir du moment où l'on est d'accord entre le législatif - du moins la majorité - et l'exécutif sur l'évaluation de ce surplus de recettes, de cette cagnotte, à 50 milliards de francs. On a trois objectifs : baisser le déficit du budget davantage, alléger les impôts et augmenter les dépenses. Voilà les trois choix possibles. Parce que, de toute façon, cet argent va quelque part. Il n'est pas enterré, il n'est pas dissimulé. Donc, il sert."
TF1 : Vous irez dans les trois directions et dans quelles proportions ?
Lionel Jospin : "Nous considérons, que dans la mesure où à l'issue de la discussion sur la cagnotte 99, - comme justement, nous n'avions pas pris les choses suffisamment à temps, - une partie essentielle de ce surplus a été au déficit budgétaire, du coup la façon dont la France réduit ses déficits budgétaires dans l'Europe a été en 99 plus rapide, nous pensons que nous devons consacrer ces 50 milliards à un certain nombre de dépenses et essentiellement à des allégements d'impôts. C'est dans cette double direction que nous irons. Si jamais, il se révélait que plus tard ces surplus étaient plus importants - parce qu'il est quand même très difficile de dire, en mars, quelles seront exactement les rentrées fiscales ou non fiscales pendant toute l'année 2000 - le solde, à ce moment-là, pourrait aller au déficit. C'est pourquoi, aujourd'hui, il nous paraît nécessaire de privilégier quelques dépenses et surtout des allégements fiscaux."
TF1 : Commençons par le "surtout", par les allégements fiscaux. Dans quelle direction : impôts sur le revenu, TVA... ?
Lionel Jospin : "D'abord, je vous dis un mot de la répartition. Sur ces 50 milliards, nous pensons que 10 milliards peuvent aller à ces dépenses supplémentaires et 40 milliards à l'allégement d'impôts. C'est donc le choix que nous faisons. Ces allégements d'impôts, nous pensons que nous devons les orienter vers la croissance, vers la réduction des inégalités, donc notamment pour mettre en cause les impôts les plus injustes, c'est-à-dire ceux qui sont payés de la même manière quelles que soient les ressources des personnes - la taxe d'habitation, la TVA. Donc, les trois choix que nous faisons, c'est : diminution de la taxe d'habitation, diminution de l'impôt sur le revenu, diminution de la TVA."
TF1 : Dans quelles proportions pour chacun d'entre eux ?
Lionel Jospin : "La taxe d'habitation sera réduite de 11 milliards. On pourra y revenir si vous voulez, parce que si je donne des indications précises, on pourra voir comment cela peut toucher très directement un certain nombre de gens. La taxe d'habitation représentera 11 milliards par la suppression de ce que l'on appelle la part régionale de la taxe d'habitation. Il y a une part régionale, une part départementale et une part communale..."
TF1 : La part régionale, c'est à peu près 20 %, 25 % de la taxe d'habitation quand on reçoit son avis ?
Lionel Jospin : "Oui. Et nous ferons aussi, sur cette taxe d'habitation, une extension de ce que l'on appelle les dégrèvement fiscaux pour les personnes qui ont le plus de mal à payer cet impôt. Cela, c'est le premier paquet : 11 milliards. Le deuxième, c'est un abaissement de l'impôt sur le revenu pour un montant également de 11 milliards, en touchant là les deux plus basses tranches de l'impôt sur le revenu."
TF1 : Et uniquement ces deux-là ?
Lionel Jospin : "Uniquement ces deux-là à ce stade, c'est-à-dire dans le collectif de printemps pour 2000. Nous avons l'intention, de pousser notre politique de réduction des impôts dans le domaine de l'impôt sur le revenu. Les deux plus basses tranches. Cela vise directement non seulement, évidemment, les catégories les moins favorisées mais qui payent quand même l'impôt sur le revenu, mais cela a aussi pour objectif de faciliter le retour à l'emploi. Nous savons qu'un certain nombre d'hommes et de femmes - alors qu'aujourd'hui l'activité économique est forte, que dans un certain nombre de secteurs on ne trouve pas toujours des personnes désormais, même si le chômage reste encore important, un certain nombre de gens qui touchent par exemple des minima sociaux sont découragés de reprendre un emploi parce qu'ils vont être pénalisés fiscalement. En agissant sur ces deux plus basses tranches, nous incitons le retour à l'emploi. C'est le deuxième paquet. Et le troisième, c'est la TVA."
TF1 : C'est 1 point, c'est ciblé selon les produits ?
Lionel Jospin : "Non. Nous pensons qu'il faut prendre une décision simple, claire, visible par tous les Français et vérifiable aussi par tous les Français. Donc, nous proposons de baisser d'un point la TVA."
TF1 : Donc on passe à 19,6.
Lionel Jospin : "On passe de 20,6 à 19,6. C'est le taux normal de la TVA que nous baissons d'un point. C'est la moitié de la hausse qu'avait fait Monsieur A. Juppé. Mais, nous avions déjà baissé la TVA par des baisses ciblées justement. Là, c'est un point, donc, c'est extrêmement clair. Cela peut être vérifié par tous les Français, y compris sur les prix des produits. Cela représente 18 milliards de francs. 11, 11, 18 : 40 milliards de francs. Voilà les annonces d'allégements de l'impôt que je voulais faire ce soir. Et je peux naturellement les préciser pour mesurer, pour chaque impôt, ou pour les deux premiers - taxe d'habitation bien sûr et impôt sur revenu - les conséquences pratiques pour des couples ou des ménages."
TF1 : La France est en tête du hit-parade des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire des prélèvements fiscaux, puisque l'on en est à 45,6 %. Vous avez annoncé votre désir de voir cette pression baisser. Normalement, avec ce que vous annoncez, cela devrait être le cas. Bien qu'assez souvent les Premier ministres annoncent cela et puis n'arrivent pas à tenir. Il y a eu des gens à l'intérieur de votre majorité, influents, y compris votre prédécesseur, L. Fabius, qui disaient : "On pourrait peut-être aussi toucher à la plus haute tranche", à celle qui fait qu'il y a des gens qui s'expatrient, qui vont en Angleterre, aux Etats-Unis et qui ne restent pas en France. Vous n'y touchez pas ?
Lionel Jospin : "Je retiens des propositions qui ont été faites, et notamment par L. Fabius, l'idée suivante : au-delà des mesures de baisse d'impôts que j'annonce ce soir, qui seront dans le collectif en mai - pour la taxe sur la valeur ajoutée, je voudrais préciser que cela s'appliquera dans les premiers jours d'avril. Et si je ne donne pas le jour exact, c'est parce qu'il y a des raisons à cela."
TF1 : Dans un mois, on va avoir la confirmation qu'il y a 1 point de moins.
Lionel Jospin : "Dans moins d'un mois, cette décision sera prise. De même que les décisions que j'annonce ce soir touchant la taxe d'habitation et l'impôt sur le revenu vont s'appliquer à l'impôt 2000, notamment lorsqu'il s'agira de payer son solde. Donc, l'impact va être immédiat. Je retiens donc de l'idée, qui a été avancée par L. Fabius et par quelques autres, que nous devons poursuivre cette politique d'allégement d'impôts. Et l'objectif que je fixe au Gouvernement, que je voudrais annoncer ce soir, c'est que, d'ici la fin de la législature, nous revenions à un taux de prélèvements qui soit celui qui existait en 1995. Pas même en 1997, quand nous sommes venus au Gouvernement, mais en 1995 avant que ne vienne aux responsabilités le précédent gouvernement. C'est l'objectif que nous nous fixons. C'est un objectif ambitieux, mais je pense qu'il ramènera la France dans une situation préférable."
TF1 : On a parlé de l'impôt sur le revenu. On vient de parler de la TVA. Ca a le mérite d'être limpide parce qu'on comprend. La taxe d'habitation ce n'est pas toujours simple. Il faut savoir que sur une feuille d'imposition il y a la part de la commune, souvent aussi du syndicat intercommunal, de la région et du département. Cela fait à peu près quoi ? Un exemple.
Lionel Jospin : "Je ne vais pas rentrer dans les parts. Si nous n'avons pas voulu toucher aux parts départementales ou aux parts communales, c'est que ces choses-là, si elles devaient être faites, ne pourraient être discutées qu'avec les collectivités locales."
TF1 : Oui, ce serait reprendre les prérogatives de la décentralisation.
Lionel Jospin : "Je crois que le plus important dans ce que je peux indiquer ce soir, c'est d'indiquer les effets de cette baisse de la taxe d'habitation. Du fait de cette décision, 1,1 million nouveaux ménages vont être exonérés de la taxe d'habitation. Tous les ménages dont le revenu est inférieur à 2 600 francs par mois seront exonérés. Et il y a des gens qui sont dans cette situation. Ce sont des chômeurs en fin de droit, des gens avec des minima sociaux. Tous ceux-là ne paieront plus de taxe d'habitation alors que certains d'entre eux payaient 1 500 francs en 1999. La taxe d'habitation va baisser en moyenne de 600 francs pour tous les ménages. Pour 6 millions de ménages modestes, la baisse représentera 1 000 francs en moyenne. Et pour une famille avec trois enfants et un revenu mensuel de 15 000 francs, sa taxe d'habitation baissera de 2 000 francs. Vous voyez comment en ciblant sur cet impôt assez inégal et assez injuste, on fait un effort de justice fiscale. On répond à la situation de certains de nos compatriotes qui sont dans les situations les plus difficiles et on favorise le retour à l'emploi."
TF1 : Donc ça c'est le gros paquet fiscal : diminution à la fois de la TVA, diminution de la taxe d'habitation et diminution des deux dernières tranches, les deux plus basses tranches de l'impôt sur le revenu ?
Lionel Jospin : "Ce qui va avoir là aussi des conséquences : 650 000 ménages ne seront plus imposables à l'impôt sur le revenu avec les décisions que nous prenons sur les deux plus basses tranches. 5 millions de ménages vont bénéficier d'une baisse d'impôt supérieure à 10 %. Voilà encore quelques chiffres précis pour montrer quand même l'impact des décisions que nous prenons ce soir."
TF1 : Je rappelle que globalement un ménage sur deux ne paie pas d'impôt sur le revenu.
Lionel Jospin : "C'est exact. Et comme nous avions pris dans la loi de finances initiale - puisque là c'est un collectif qui révise ce budget 2000 -, des décisions de baisse de 40 milliards d'impôts, cela veut dire que pour le budget 2000, les baisses d'impôts vont représenter 80 milliards de francs."
TF1 : Donc ça c'est le paquet fiscal et puis il y a également l'augmentation de la dépense sociale. J'imagine que c'est peut-être pour répondre en partie à tous ces gens qui ont manifesté aujourd'hui et qui l'ont dit parfois crûment, notamment les personnels de l'Education nationale. Les enseignants du Gard par exemple sont en grève depuis six semaines pour l'obtention de 500 postes, ceux de l'Hérault le sont depuis un mois pour l'obtention de 650 postes. Est-ce que vous allez pouvoir répondre concrètement à ces gens qui vous demandent avec insistance la création de postes par exemple ?
Lionel Jospin : "Les 10 milliards de dépenses supplémentaires que nous inscrirons dans le collectif grâce à cette cagnotte vont servir aux grands services publics. D'abord il y a les mesures qui concernent l'après-tempête et marée noire. Je les avais annoncées déjà mais encore faut-il les financer en net. Sinon cela veut dire qu'on les aurait repris sur d'autres crédits budgétaires."
TF1 : Je vous signale que sur la marée noire on a vu tout à l'heure des gens qui se plaignent que l'indemnisation ne vient pas.
Lionel Jospin : "Il s'agissait du Fipol en l'espèce, c'est-à-dire du fonds d'indemnisation des compagnies pétrolières, que j'invite à remplir sa mission."
TF1 : Oui, parce que les gens pensent que l'Etat ne tient pas sa parole. La parole que vous avez donnée en tout cas.
Lionel Jospin : " L'Etat s'engage et il le concrétise ici parce que c'est bien 5 milliards de francs nets pour l'année 2000 seulement - j'ai annoncé des mesures beaucoup plus importantes - pour répondre aux tempêtes et à la marée noire."
TF1 : C'est en plus que ce que vous aviez déjà annoncé ?
Lionel Jospin : "Ce n'est pas en plus de ce que j'ai déjà annoncé mais c'est inscrit dans le budget. Donc on est sûr qu'on ne va pas le reprendre sur d'autres crédits. C'est du net si vous voulez. C'est une façon de tenir nos engagements en donnant des ressources supplémentaires parce que cette question nous a été parfois posée par les élus : "Cela va-t-il être des ressources supplémentaires ou bien allez-vous le reprendre sur d'autres crédits ?" Non, ce ne sera pas sur d'autres crédits, ce sont des ressources supplémentaires inscrites dans le collectif de printemps. Deuxième type de mesures : c'est 2 milliards sur le budget, pour cette année, sur un engagement de dix milliards en faveur de l'hôpital. Là aussi on est dans le service public. L'hôpital c'est à la fois le lieu de l'excellence de la médecine, et c'est aussi le lieu où l'on accueille tous les Français sans distinction, quelque soit leurs revenus. Et où les conditions de travail sont très dures. Ce joyau d'une certaine façon à la fois des techniques de pointe et du traitement égal de nos compatriotes qu'est l'hôpital, nous devons, effectivement, y veiller et c'est pourquoi, dans des négociations qui ont été conduites par M. Aubry et D. Gillot, on a débouché sur des accords. Nous les traduisons immédiatement pour 2 milliards sur le budget. Il y a d'autre argent sur la Sécurité sociale et puis cela se poursuivra pour le plan de trois ans. Je peux vous annoncer que nous mettons un milliard sur l'éducation pour répondre immédiatement à des besoins urgents. 700 millions pour poursuivre la politique de la ville notamment en direction des quartiers en difficulté, ou dans l'aide aux communes qui se regroupent. Et là encore, on choisit donc solidarité et justice sociale. Mais puisqu'on parle des enseignants, des personnels Atos comme on dit, non-enseignants ou des parents d'élèves qui ont défilé aujourd'hui..."
TF1 : Est-ce que vous allez mettre fin au gel, au dogme du gel de l'emploi public ?
Lionel Jospin : "Je vous l'ai dit tout à l'heure, ce qui s'exprimait dans cette grève qui a été très largement suivie, dans ces manifestations assez significatives par leur nombre, c'est, je crois, le sentiment qu'ont les enseignants et tous ceux qui aiment l'école que remplir la mission d'enseignant aujourd'hui est plus difficile parce que les publics sont différents, plus mêlés, est plus difficile parce que le rapport du jeune à l'adulte est moins clair, moins hiérarchique, plus complexe, est plus difficile, parce que parfois la violence est là dans un certain nombre d'établissements, et nous prenons des mesures contre la violence dans l'école mais aussi autour de l'école avec le ministre de l'Intérieur. Est plus difficile parce qu'on s'interroge sur la transmission des savoirs, alors que tant d'autres médias transmettent eux aussi sinon du savoir, en tout cas de l'information. Cette question des moyens est une chose à laquelle les enseignants tiennent beaucoup. Alors ce que je voudrais dire parce que je pense qu'au-delà de ce qui a été dit, sur un plan plus personnel, le mot d'ordre essentiel de ces manifestations cela a été : "on ne veut pas le gel des emplois publics, en tout cas dans l'éducation et on veut des moyens supplémentaires". La réponse que je donne ce soir, c'est que je suis d'accord, le Gouvernement est d'accord, pour engager une démarche d'un plan pluriannuel pour examiner, en fonction des besoins, l'évolution des postes, des emplois, et aussi de l'évolution des moyens budgétaires."
TF1 : On va peut-être réembaucher ?
Lionel Jospin : "Mais de toute façon nous avons embauché depuis trois ans. Non seulement des enseignants, des personnels de l'éducation en général mais aussi 70 000 aides éducateurs, c'est-à-dire 70 000 jeunes gens qui sont présents et qui sont au contact des élèves. Nous avons fait progresser le budget de l'éducation depuis un peu moins de trois ans du double de la progression moyenne du budget de l'Etat. Donc nous avons fait des efforts mais il faut en faire davantage et j'ai compris que cette revendication centrale au fond était : "Acceptez d'entrer avec nous dans une discussion pour une programmation pluriannuelle, pour un plan pluriannuel. Je l'accepte."
TF1 : Vous avez dit : au-delà de la question personnelle - on ne peut pas l'évacuer celle de votre ami de 40 ans, C. Allègre, l'homme qui voulait dégraisser le mammouth et qui souvent donne un peu l'impression de l'éléphant dans le magasin de porcelaine. Lui faites-vous des reproches, trouvez-vous qu'il s'y prend bien avec ce milieu-là. Est-ce qu'il faut le changer ? Est-ce que vous n'avez pas le désir de le faire ?
Lionel Jospin : "Vous vous doutez bien que je n'aborde pas ces questions à la télévision comme cela. J'ai vu au cours des derniers mois des questions posées tour à tour à l'égard de tel ou tel ministre. Mon rôle est d'essayer de les aider, de les accompagner. Et les réponses que j'apporte ce soir sont faites pour cela. Je vous réponds sur le fond, les questions de personnes se traitent autrement. Mais ce que je pense - cela vaut pour les Finances comme cela vaut pour l'Education - c'est que la seule politique valable pour ce Gouvernement, c'est le dialogue. Et le dialogue suppose la compréhension."
TF1 : Après 1000 et quelques jours de pouvoir à Matignon et à deux ans de la fin de la législature, vous ne pensez pas qu'il faudrait changer un petit peu l'équipe en cours de route. Parce que peut-être que certains sont fatigués, d'autres vont se présenter aux municipales et des grandes pointures parmi lesquelles M. Aubry, D. Voynet, E. Guigou ou d'autres ?
Lionel Jospin : "Nous verrons bien le moment venu. Ce qui est sûr c'est que ce Gouvernement a été depuis presque trois ans maintenant - et vous savez en France il n'y a pas eu beaucoup de gouvernements qui aient duré, au cours des dernières années en tout cas, plus d'un an ou plus de deux ans - est dans une situation différente. Il ne semble pas que son lien, sa relation à l'opinion de façon globale soit particulièrement mauvaise à cette étape. Ce gouvernement en tout cas a été un gouvernement à plein temps. Il n'y a pas eu dans mon gouvernement des ministres qui étaient en même temps présidents de conseil général, maires de très grandes villes, et qui donc n'étaient que soit des ministres à mi-temps soit des maires ou des présidents de conseil général à mi-temps."
TF1 : Donc il faut que cela continue ?
Lionel Jospin : "Oui, bien sûr le principe reste le même. Nous verrons bien comment évoluera cette équipe. Je ne la crois pas globalement et collectivement usée. Au contraire, elle est remplie d'hommes et de femmes de talent et donc elle va poursuivre. Sur tel ou tel cas individuel nous verrons."
TF1 : D. Voynet a eu les mots qu'il fallait au moment de la marée noire ?
Lionel Jospin : "On ne va pas revenir sur la marée noire. Ce qui m'intéresse plutôt c'est les 5 milliards de francs que je confirme pour la marée noire et pour les ouragans."
TF1 : On va parler peut-être d'un dossier qui passionne également les Français, c'est celui des retraites. On sait qu'il y a aujourd'hui quatre retraités pour dix actifs. Les études nous disent que dans 40 ans il y en aura sept pour dix. Comment est-ce que vous allez faire pour financer ce système ? Le rapport Charpin préconise l'allongement de la durée de cotisations de 40 ans à 42 ans et demi. Il préconise également l'alignement du statut des fonctionnaires sur les statuts du privé. Est-ce que vous allez vous engager dans une de ces deux directions-là ?
Lionel Jospin : "Si vous voulez bien on n'en parlera pas longuement ce soir parce que je vais annoncer les orientations du Gouvernement sur les retraites le mardi 21."
TF1 : Vous le ferez à l'Assemblée ?
Lionel Jospin : "L'Assemblée et les questions d'actualité ne s'y prêtent pas. On ne va pas organiser une séance spéciale à ma demande. Donc il y aura une expression devant la presse où je présenterai le plan gouvernemental."
TF1 : Mais la philosophie ?
Lionel Jospin : "La philosophie, c'est de garantir l'avenir de notre système de retraite, c'est de veiller à préserver le système de répartition parce que c'est celui auquel les Français sont attachés, c'est celui qui garantit le plus de justice."
TF1 : Donc pas du tout de système de capitalisation ?
Lionel Jospin : "Non pas au sens où le système de capitalisation viendrait se substituer ou pervertir et affaiblir le système de répartition. C'est placer cette question des retraites dans le cadre plus large de la place croissante que vont occuper les personnes âgées dans notre pays, avec l'augmentation de l'espérance de vie. Des millions et des millions d'hommes et de femmes au-delà de 60 ans seront en pleine forme. Quel rôle pourra-t-on leur donner dans la société ? Un certain nombre d'entre eux malheureusement - et heureusement beaucoup moins nombreux - seront confrontés à des problèmes de maladie à des problèmes de dépendance. Comment traiter cette question ? Voilà, si vous voulez. Mais je ferai les propositions dans deux jours. Tout cela pour démontrer que ce gouvernement continue à avancer et comme il l'a dit traite tous les dossiers. Mais si on n'avait pas privilégié d'abord la croissance, l'emploi, la baisse du chômage, la modernisation de l'économie, on serait dans une position moins favorable pour aborder cette question des retraites."
TF1 : Il y a juste une petite cagnotte qu'on n'a pas évoquée, c'est celle de France Télécom. France Télécom a pris il y a exactement deux semaines 25% en une seule séance à la Bourse de Paris. Il ne serait pas temps de vendre une partie au moins pour pouvoir après récupérer pour autre chose, par exemple pour les retraites ?
Lionel Jospin : "J'aborderai sûrement ces questions mardi, y compris parce que, parmi les propositions - je l'ai déjà évoqué donc je peux le dire sans trop anticiper -, il y a l'idée d'un fonds de réserve, nous l'avons d'ailleurs déjà créé. Mais on ne peut pas tout fonder sur la spéculation quand même. Moi, je suis heureux de savoir que nos grandes entreprises de nouvelles technologies voient leur valorisation en bourse se faire. Je suis heureux de voir que notre économie est en pleine forme, qu'elle est performante. Je suis heureux de savoir que l'entreprise Thomson qu'un de mes prédécesseurs voulait vendre pour un franc à Daewoo, entreprise sud-coréenne qui a frôlé la faillite, est évaluée 110 milliards de francs. Donc je crois que nos choix ont été pertinents. Mais on ne peut pas tout fonder sur la spéculation. Mais je répondrai aussi à cette question mardi."
TF1 : Sur la croissance, les 3,5%, cela va être à peu près 3,5% cette année ?
Lionel Jospin : "C'est la prévision aujourd'hui."
TF1 : C'est grâce à vous ou c'est grâce à la marche du monde ?
Lionel Jospin : "Quand nous sommes arrivés - je l'ai dit -, il y avait un certain état de blocage et de dépression dans le pays. C'est pour anticiper sur lui et aussi sur des choix économiques douloureux que le précédent gouvernement devait faire qu'il y a eu cette dissolution. Je crois que nous avons fait plusieurs choses qui ont été importantes au début. D'abord, nous avons bien compris, dans l'analyse économique, que c'était l'offre qui était bloquée et que l'offre était bloquée parce qu'il n'y avait pas suffisamment de demande. Et nous avons favorisé la demande. Par là même, nous avons encouragé la reprise de la consommation. La deuxième chose que nous avons faite, c'est que nous avons dit : "ce gouvernement fixe comme première priorité la lutte contre le chômage, la lutte pour l'emploi. Il sait que c'est la première préoccupation des Français. Cela sera donc sa première priorité. Il accepte d'être jugé par les Français sur cette question centrale du chômage". Et nous avons combiné des mesures volontaristes - c'est ça le sens des 35 heures, dont on peut parler d'ailleurs parce qu'elles commencent à être un succès, ou le sens des emplois-jeunes - et nous avons montré par là que le Gouvernement lui-même avait une démarche volontaire qui ne considérait pas que tout avait été fait pour lutter contre le chômage mais qu'on pouvait redonner de l'élan. Et puis en même temps, il a mené une politique réaliste sur le plan industriel, sur le plan de la maîtrise des comptes publics. Donc je crois que nous avons rétabli la confiance dans le pays. Et de ce point de vue, quand la reprise internationale s'est faite, cette fois-ci, nous en avons profité. Alors que dans le passé, nous étions à la traîne de la croissance des grands pays européens, cette fois-ci, notre taux de croissance est le double de celui de l'Italie ou de l'Allemagne."
TF1 : Cela dit, sans les 35 heures, les Espagnols font mieux que vous en matière de croissance et pourtant, ce n'est pas un gouvernement de gauche, il vient d'être réélu.
Lionel Jospin : "C'est très bien. Cela prouve que, quand on est efficace économiquement, les concitoyens peuvent vous en savoir gré. Je pense que pour une fois, il peut y avoir une vérité en deça et au-delà des Pyrénées."
TF1 : Vous pensez vraiment que les 35 heures y sont pour quelque chose ?
Lionel Jospin : "Il faut savoir quand même que les taux de chômage en Espagne sont largement supérieurs..."
TF1 : Oui, mais il est descendu de 23%...
Lionel Jospin : .".. à 15% et nous, nous sommes passés de 12,6% à 10,5%. C'est-à-dire que nous avons fait baisser le chômage de 2 points en un peu plus de deux ans et demi et je pense que cette tendance va se poursuivre. "
TF1 : Vous pensez qu'avant la fin de l'année, on sera en dessous des 10% ?
Lionel Jospin : "Je pense que nous pouvons arriver cette année à un taux de chômage à un chiffre, qui ne sera plus à deux chiffres. Mais il faut dire aussi que face à ce que l'on a appelé les impatiences, les demandes - elles sont légitimes, elles sont normales en même temps -, c'est au Gouvernement qu'il revient de faire des choix et de tenir un cap. Et ce cap doit être déterminé par le fait que la bataille contre le chômage est bien engagée mais elle n'est pas gagnée. Il doit être aussi déterminé par le fait que, si beaucoup de gens profitent de la croissance, un certain nombre de nos concitoyens n'ont pas encore repris le train de la croissance et c'est pourquoi j'ai dit à des moments cruciaux : il faut choisir la société du travail, pas la société de l'assistance. Ce choix, je l'ai fait. Je pense qu'il est couronné de succès mais il faut poursuivre et pour cela, continuer à faire naturellement des efforts, c'est-à-dire aider tout ce qui muscle l'économie, tout ce qui aide l'innovation, tout ce qui permet de développer les nouvelles technologies par exemple. C'est la semaine de l'internet. Quand je suis arrivé, il y avait à peine plus d'un million d'internautes ; il y en a cinq millions maintenant en France. On est passé de 2% à 10% de gens qui utilisent l'internet."
TF1 : Ce n'est pas grâce à vous.
Lionel Jospin : "En août 1997, à l'Université de la communication à Hourtin, j'ai lancé un grand plan en faveur de ces nouvelles technologies, alors que nous étions restés très liés au minitel. Je crois qu'il y a la puissance des nouvelles technologies mais il y a le fait que le Gouvernement s'est saisi de cet objectif totalement."
TF1 : Et vous pensez vraiment que les 35 heures sont pour quelque chose dans la création de ces nouveaux emplois ou dans le maintien de certains d'entre eux ? Pour l'instant, on ne voit que les difficultés d'application de ces 35 heures, beaucoup de défilés de ci, de là.
Lionel Jospin : "40% des salariés dans les entreprises au dessus de 20 salariés - parce que vous savez que la loi ne s'applique pas encore aux entreprises en dessous de 20, nous avons fait ça quand même progressivement - sont actuellement couverts par un emploi à 35 heures. 40% des salariés, cela représente un nombre d'accords considérable. Ces accords ont permis de créer 175 000 emplois. Donc 175 000 emplois nouveaux sont dus aux 35 heures. Et quand on interroge ces salariés, 85% d'entre eux et aussi des chefs d'entreprises, disent qu'ils sont satisfaits des conditions dans lesquelles on est passé aux 35 heures. Voilà très succintement ce bilan et nous allons poursuivre.
TF1 : Monsieur le Premier ministre, puisqu'on est beaucoup regardés à l'étranger et notamment ce soir par nos amis de TV5, on va changer de sujet. Je vais vous évoquer la phrase d'un homme politique d'importance qui disait : "Je pense que la diplomatie est un art difficile, qu'il vaut mieux maîtriser les problèmes avant de les rencontrer." C'est ce que vous-mêmes, vous disiez à J. Chirac, c'était en octobre 1996, quand il a eu cet éclat public dans les rues de Jérusalem. Est-ce que vous pensez qu'il serait fondé à vous retourner le compliment aujourd'hui après ce qui vous est arrivé à Bir-Zeit ?
Lionel Jospin : "A aucun moment en 1996, au moment de ce que vous décrivez, je n'ai exprimé la moindre opinion. A aucun moment, quand le Président de la République à l'étranger ou en France a été attaqué, je ne me suis permis de faire chorus, au contraire."
TF1 : Vous étiez le chef de l'opposition à ce moment-là.
Lionel Jospin : "Oui, mais de toute façon, je ne suis plus le chef de l'opposition en l'espèce. Mais quand monsieur Haider s'est permis d'attaquer le Président de la République française, je me suis dressé contre ses accusations et je considère que c'est mon rôle, ma fonction et je le ferai toujours. Alors, puisque vous faites quand même allusion, je pense, directement à mon voyage en Israël et dans les territoires palestiniens, vous savez, l'axe essentiel de ce voyage, en me fondant sur des liens d'amitié que je pense avoir avec les dirigeants israéliens et l'amitié que j'ai aussi pour l'Etat d'Israël mais compte tenu aussi des liens très anciens que j'ai noués avec les Palestiniens et de l'appui de la France à leur cause, c'était de favoriser la reprise du processus de paix et du dialogue entre les Israéliens et les Palestiniens. L'axe central de mon déplacement était celui-là et je pense que j'ai contribué à ma façon, en sensibisant notamment E. Barak aux problèmes qui se nouaient, se tendaient encore dans les territoires palestiniens, à des évolutions positives."
TF1 : Mais est-ce que la meilleure façon de le faire, c'était de qualifier le Hezbollah d'aujourd'hui de terroriste ?
Lionel Jospin : "Mais je ne reviens pas sur ces problèmes. Je n'ai pas l'intention d'y revenir. Tout ça s'est apaisé, considérablement apaisé. J'ai simplement dit, et je l'ai expliqué au Parlement à mon retour, que la politique de la France, certes, devait être équilibrée et impartiale. Mais équilibrée ne signifie pas équidistante. Je veux dire par là que nous devons choisir de nous élever contre les forces de la violence quand elles existent et où qu'elles existent, d'ailleurs. Parce que les tentations existent, peuvent exister aussi en Israël. Pas en Israël en tant que le gouvernement, je parle en Israël notamment où un Premier ministre a été assassiné. Et puis, il peut y avoir des tentations aussi parfois dans la politique israélienne."
TF1 : Mais il y avait peut-être le Hezbollah des années 1980 qui procédaient à des enlèvements, des attentats et puis le Hezbollah d'aujourd'hui.
Lionel Jospin : "Oui, mais il n'est pas interdit non plus de garder le souvenir d'un certain nombre de choses qui sont arrivées à des Français. Il n'est pas interdit de garder le souvenir. C'est tout, je n'en dis pas plus. Alors, simplement une politique impartiale, oui. Mais une politque impartiale n'est pas une politique indifférente et elle ne doit pas être indifférente à ce que sont à mon avis les grands axes qui doivent être les nôtres dans l'approche des questions du Proche-Orient et notamment de la question israélo-palestinienne : la recherche de la paix, l'appui au développement et le soutien aux forces qui choisissent la démocratie."
TF1 : Est-ce que le Président de la République vous en a fait le reproche au téléphone lorsque vous êtes rentré le soir ?
Lionel Jospin : "Au téléphone, il m'a lu le communiqué qu'il voulait faire sortir le soir même. Nous en avons parlé, par contre, le mercredi."
TF1 : Vous pensez que vous avez été désinvolte, comme on pu le dire de-ci de-là à l'Elysée, en ne lui téléphonant pas, mais en attendant...
Lionel Jospin : "On ne va pas rentrer dans ces détails. Je devais appeler le Président soit le samedi soir - où j'étais pris -, soit le dimanche matin aux heures qu'il m'avait proposées. Mon intention était de l'appeler le dimanche matin. Il m'a précédé parce qu'il souhaitait sortir ce communiqué. C'est tout ! Cela fait partie de nos dialogues qui sont constants."
TF1 : C'est entre vous deux ! Nous, on regarde, et on a le droit de commenter.
Lionel Jospin : "33 mois de cohabitation en politique..."
TF1 : Harmonieuse ?
Lionel Jospin : "Le Président de la République laisse le Gouvernement gouverner, avec quelques critiques, et le Gouvernement laisse le Président présider, sans critique. Simplement, il y a une certaine dissymétrie entre le Président et le Gouvernement. C'est que, quand il y a la marée noire, quand il y a les ouragans, quand il y a des problèmes d'insécurité, quand il y a des licenciements, quand il y une question qui se pose à propos de la sécurité sanitaire, par exemple la vache folle, c'est vers le Gouvernement que les Français se tournent, et c'est au Gouvernement d'apporter les réponses. Donc, il clair que nous sommes lestés par la réalité, inscrits profondément dans la réalité. C'est notre tâche de chaque jour."
TF1 : En matière de politique étrangère, vous pensez qu'il a un rôle éminent, comme le dit H. Védrine, ou prééminent, comme l'a dit à un moment donné F. Hollande ? Qui a le dernier mot ?
Lionel Jospin : "En politique étrangère c'est la France qui s'exprime d'une seule voix. C'est la France, c'est notre pays."
TF1 : Quand on va vous retrouver tous les deux, par exemple, lors d'une conférence de presse la semaine prochaine à Lisbonne, au sommet européen, il y aura une seule voix ?
Lionel Jospin : "Il n'y a jamais eu de problème depuis 33 mois entre le Gouvernement et le Président, entre le Président et moi à propos de questions de politique étrangère dans une expression qui aurait été différente. Par exemple, nous allons aller au sommet sur l'emploi de Lisbonne. Et le Gouvernement a travaillé sur ce que serait la position française pour ce sommet sur l'emploi."
TF1 : Mais vous en avez parlé auparavant au Président de la République ?
Lionel Jospin : "Nous avons travaillé avec les ministres, parce que cela touche à des dossiers qui concernent toute la vie gouvernementale. Nous avons élaboré les propositions, nous les avons apportées au Président de la République, j'en ai reparlé avec lui mercredi et ses conseillers y sont naturellement associés. Nous ne travaillons pas séparément pour ensuite lui apporter des choses. C'est plus souple. On se dit les choses. Mais la position proposée par le Gouvernement a reçu l'approbation du Président de la République. Donc, comme d'habitude, nous irons dans un sommet européen en nous exprimant, tous les deux parfois, souvent mais d'une voix qui est celle de la France."
TF1 : Au fond, le problème que vous avez rencontré en Israël n'a-t-il pas été celui d'un homme qui est Premier ministre et qui se met progressivement dans une posture de présidentiable ?
Lionel Jospin : "Non, cette situation que vous décrivez n'existe pas. Elle est purement interprétative. Jamais je n'aborde ces questions. La seule chose qui compte pour moi, la seule chose à laquelle je me réfère, c'est mon action de gouverner. Et ma perspective politique est celle de la fin de la législature parce que j'ai, avec mon gouvernement et avec la majorité, comme l'opposition d'ailleurs aussi, un rendez-vous avec le peuple. Mais, c'est la seule chose. Je n'en parle jamais. Le reste c'est affaire d'interprétation et je ne me sens pas concerné quand j'entends cela."
TF1 : Cela ne serait pas plus facile si, ce soir, vous nous disiez : "Je suis candidat à la présidentielle", comme cela les choses seraient claires.
Lionel Jospin : "La seule chose à laquelle je ne peux pas être candidat, c'est au poste de Premier ministre parce que je l'exerce. C'est la seule chose qui occupe mon esprit. Je passe 15 heures par jour tous les jours à ma tâche. Les ministres font de même. Nous travaillons. Nous sommes confrontés aux problèmes des Français parce que même quand ce gouvernement est l'objet de discussions, peut être critiqué, en tout cas ce dont il parle et ce sur quoi il agit, ce sont bien les problèmes des Français. Et quand j'entends l'opposition, elle ne parle pas du problème des Français, elle parle de ses problèmes, elle parle de ses disputes, elle parle de ses querelles. Elle ne parle pas des problèmes des Français. Donc, c'est cela qui nous occupe et nous habite entièrement. Moi, je ne me suis jamais référé à autre chose."
TF1 : Donc, dans ces 15 heures par jour, il n'y a pas une minute où vous pensez à la présidentielle ?
Lionel Jospin : "Il faut aussi que je vous rende compte de toutes mes pensées, de mes pensées privées ?"
TF1 : Pouvez-vous encore tenir deux ans, sans éviter le surplace, à regarder du coin de l'oeil un homme qui va se représenter à la présidentielle ?
Lionel Jospin : "La critique de l'immobilisme est une critique qui est formulée par l'opposition. Elle essaye de trouver ce thème. Et c'est assez paradoxal si l'on y réfléchit bien parce que trois ans après sa défaite, elle en est au même point. C'est l'un de ses hommes les plus respectables, et qui s'efforce d'ailleurs lui-même de penser et de réfléchir, - M. Balladur - qui disait récemment : "Nous n'avons pas fourni de propositions depuis trois ans." "
TF1 : Ils se sont réunis aujourd'hui pour en parler.
Lionel Jospin : "Oui, ils ont fait une réunion pour dire qu'ils allaient s'entendre. Cela s'est produit parfois dans le passé. Nous le verrons. Je n'ai pas à m'en mêler. C'est l'affaire de l'opposition. Mais cette critique de l'immobilisme venant d'une opposition dans cette situation est paradoxale. Le deuxième paradoxe, c'est qu'il y a deux domaines effectivement dans lesquels l'action du Gouvernement a été freinée, c'est celui de la limitation du cumuls des mandats et c'est celui de la réforme de la justice - non pas dans tous ses aspects - E. Guigou heureusement a pu bien avancer - mais pour ce qui concernait la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et l'indépendance accrue du Parquet qui aurait dû être réglée dans un Congrès, sur lequel le Président et moi-même parlions d'une seule voix et étions d'accord. Et là encore c'est l'opposition qui a bloqué. Je ne vois pas comment un gouvernement pourrait être immobile alors que l'économie et la société sont en mouvement et qu'il y a contribué. Ce gouvernement non seulement a agi dans le domaine de l'économie - j'ai rappelé tout à l'heure un certain nombre de performances - mais a agi aussi dans le domaine du social, pour que justement les gens au bord de la route ne soient pas oubliés - la couverture maladie universelle, c'est trois millions de personnes maintenant qui peuvent être couverts gratuitement pour leur santé -, a agi par une loi contre les exclusions, agit, là, dans le domaine du logement social avec la loi Gayssot, Besson, avec cette volonté de répartir effectivement le logement social de façon à ce qu'il y n'ai pas des villes ghetto mais que tout le monde partage ce travail de solidarité et que les Français de toutes conditions acceptent de vivre ensemble dans les mêmes villes. Ce Gouvernement a fait évolué la société... La parité, c'est quand même une réforme formidable que de voir que les femmes vont avoir progressivement la même place que les hommes dans la vie politique et aussi dans la vie publique. Ou bien le Pacs, sur un autre terrain, c'est-à-dire l'acceptation du fait que des personnes puissent avoir envie de vivre leur relation différemment de la forme institutionnelle dominante à laquelle je me rattache, par ailleurs, par mes propres choix. Faire ce reproche de l'immobilisme n'a pas de sens et je l'ai d'ailleurs démontré récemment à l'Assemblée, je crois."
TF1 : Merci Monsieur le Premier ministre d'avoir répondu à notre invitation.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 17 mars 2000)