Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur la parité hommes-femmes dans la fonction publique, à l'Assemblée nationale le 7 mars 2000.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur la parité hommes-femmes dans la fonction publique, à l'Assemblée nationale le 7 mars 2000

Texte intégral

Mesdames et messieurs les députés
En matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, l'Etat employeur se sent une responsabilité particulière. Il se doit d'être un exemple, à la fois parce qu'il occupe un rôle symbolique éminent, et parce qu'il emploie un assez grand nombre d'agents pour lui donner un rôle moteur important.
C'est avec cet objectif en tête que j'ai demandé à Anne-Marie Colmou de se livrer à un travail dont elle m'a remis le résultat au début de l'année dernière. A la lecture de ce rapport, j'ai pu constater que si globalement les femmes sont en proportion équilibrée dans la fonction publique, où elles représentent à peu près la moitié des agents, elles sont beaucoup moins nombreuses dans l'encadrement, surtout dans l'encadrement supérieur, ainsi que dans certains corps techniques.
Je lisais en effet dans ce rapport que :
si 57 % des agent des 3 fonctions publiques étaient des femmes, en décomposant ce nombre on en trouvait 71 % aux affaires sociales, 65 % à l'éducation nationale et seulement 26 % à l'intérieur
Et que :
si parmi les cadres A de la fonction publique de l'Etat, les femmes représentaient en tout 52 % des effectifs, hors Education nationale, cette proportion tombait à 33, 3 % et avec de fortes fluctuations selon les ministères : par exemple, moins de 20 % à l'Equipement.
Et encore que :
si les femmes " A+ " issues de l'ENA représentaient environ 1/3 des promotions sortantes, par la suite on ne les retrouvait que pour 18 % en moyenne parmi les cadres de direction, 11 % dans des emplois de directeurs, 18 % dans les inspections générales et 14 % dans les grands corps de l'Etat.
Un tel constat ne pouvait pas laisser le gouvernement indifférent, aussi a-t-il décidé de s'attaquer aux trois noeuds principaux de difficultés repérés par le rapport : à savoir le recrutement, la carrière et les modes d'organisation du travail. Les solutions proposées par Anne Marie Colmou permettaient d'avancer de façon progressive mais volontariste sur ces points. Elles ont donc été adoptées.
Nos premiers efforts ont commencé à porter des fruits encore limités mais déjà sensibles. Le tout récent rapport élaboré à l'attention du Parlement par la DGAFP sur l'égalité entre les sexes dans la fonction publique apporte quelques satisfactions de ce point de vue.
On constate à sa lecture qu'en un an seulement, entre 1998 et 1999, le pourcentage de femmes directeurs de services déconcentrés passe de 6,3 à 7,1%. Le nombre de femmes directeurs d'administration centrale est passé de 19 à 21 alors même que le nombre total de ces postes était en diminution (de 150 à 140) compte tenu de la réorganisation de certains ministères. On a ainsi assisté à la première nomination d'une femme directrice au ministère de la Défense.
Pour les jurys de concours, la progression précède l'entrée en vigueur de mesures contraignantes : ainsi pour le jury de l'ENA, la part des femmes passe de 23 % (en 1998) à 54 % pour le concours externe et 31 % pour le concours interne (en 1999). Pour les jurys des IRA, ce chiffre passe de 33 % en 1997 à 43 % en 1999.
Il reste à s'assurer que les efforts ne se relâcheront pas et à faire, du souci d'égalité, une partie intégrante du fonctionnement des administrations. C'est pourquoi des mesures contraignantes restent nécessaires. Nous nous sommes attachés à les prendre.
Nous sommes ainsi amenés à adopter notamment des mesures législatives, étant bien entendu que la contrainte ne passe pas toujours par la loi. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'engager les ministres à des actions volontaristes qui sont de leur compétence, c'est la circulaire du Premier ministre qui vaut obligation. S'il s'agit de préciser la composition d'organismes administratifs, il faut passer par le décret. Nous avons utilisé toutes ces voies. Vous n'êtes appelés aujourd'hui à débattre que des modifications législatives. Bien entendu, avant de vous demander de les adopter, je vais d'abord les remettre, à votre intention, dans le cadre du programme d'ensemble dont elles font partie.
Le recrutement :
la fonction publique recrute par concours : le gouvernement n'envisage pas un instant de modifier ce système égalitaire qui a fait ses preuves en matière de recrutement d'agents d'excellence " selon leur talent et leur mérite ". Toutefois, une analyse des résultats des concours de haut niveau a révélé de réelles disparités :
- les femmes sont moins souvent candidates et, en moyenne, plus sévèrement sélectionnées que les hommes dans les concours de recrutement de cadres supérieurs (ENA, Polytechnique, Ponts et Chaussées, Mines) ;
- à l'issue des cursus scolaires dans les grandes écoles administratives, les femmes obtiennent en moyenne des places de sortie moins bonnes que celles des hommes.
Pourtant d'autres études montrent que les femmes ont d'excellents résultats dans les filières universitaires, et surtout dans les filières (droit, économie) utiles aux concours de la fonction publique. Les difficultés des femmes à franchir l'obstacle des concours administratifs de niveau supérieur pose donc une vraie question.
Partant de là, on peut faire l'hypothèse que les concours sélectionnent un type de profil étroit, ce qui, peut-être, pénalise les femmes, et sûrement, pénalise aussi les services, car notre administration a aujourd'hui besoin d'agents de profils très divers.
Comité de pilotage
C'est pour creuser cette question que je suis sur le point, en liaison avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, d'installer un comité de pilotage qui réunira des fonctionnaires, des enseignants, des chercheurs. Ce comité, comme le suggère le rapport d'Anne-Marie Colmou, examinera les programmes des concours et la scolarité dans les écoles de fonctionnaires afin d'y déceler d'éventuels obstacles à un recrutement plus diversifié. Puis il fera au gouvernement des propositions.
Féminisation des jurys
Dans le même esprit, il est souhaitable que la composition des jurys chargés de sélectionner les fonctionnaires se rapproche de celle de l'administration qui recrute pour remplir ses besoins en compétences. La proposition de Mme Génisson impose donc aux administrations de désigner davantage de femmes dans les jurys, lorsque leur choix n'est pas contraint par un texte statutaire ou une situation particulière.
Les articles de la proposition de loi utilisent les termes de " représentation équilibrée " : c'est une notion réaliste, qui a l'avantage de permettre de pondérer cet équilibre selon la composition des administrations qui désignent certains de leurs membres.
Le décret d'application de la proposition de loi précisera les proportions à atteindre. Pour le moment, le taux de 30 % est accessible dans la plupart des cas, exception faite de certains corps très uniformes, par exemple parmi les sage-femmes et les enseignants, où il est plus facile de trouver des femmes, ou parmi les techniciens, où il est plus facile de trouver des hommes. Nous n'avons pas voulu afficher une obligation trop ambitieuse qui aurait pour effet réel d'empêcher la formation des jurys, donc le recrutement de fonctionnaires. Mais n'oublions pas que la situation est loin d'être statique : l'ensemble du programme en cours va faire évoluer la composition de l'encadrement supérieur, celle des grands corps. Ces évolutions se refléteront dans la composition des instances concernées. D'autres mesures que nous mettons en place, vous et nous ensemble, par exemple la parité en politique, vont aussi y contribuer.
Carrière
Les femmes dans la fonction publique se raréfient à mesure qu'on monte dans la hiérarchie, au point que certains parlent d'un " plafond de verre " qui bloquerait l'ascension des femmes.
Vous l'avez vu chiffres à l'appui, depuis que le gouvernement a décidé de faire preuve de volontarisme en la matière, les progrès sont déjà sensibles. Nous allons les conforter par une combinaison de décisions qui prises ensemble donneront toute leur efficacité.
Organes paritaires consultés sur la carrière des fonctionnaires :
Les commissions administratives paritaires (CAP) sont les organes chargés de donner leur avis sur les carrières des fonctionnaires de chaque corps ; elles sont composées à parité de représentants des administrations et du personnel. Un certain nombre de contraintes prévues par les textes pour la désignation de leurs représentants pèse sur les administrations ; toutefois, cela ne suffit pas à expliquer le déséquilibre que l'on constate dans la composition de la plupart des CAP au détriment des femmes.
Plusieurs dispositions de la proposition de loi obligent donc les administrations à désigner davantage de femmes dans les CAP, chaque fois qu'elles sont libres de leur choix, selon le même principe que pour les jurys. Les représentants du personnel désignés par les syndicats dans ces commissions ne sont pas visés, car le gouvernement préfère les inciter par l'exemple et la concertation et non par la contrainte.
Plans d'objectifs
Cela dit, ce n'est pas parce qu'on aura des CAP mieux équilibrées que l'encadrement dans la fonction publique va se trouver lui-même féminisé. Il reste aux ministres à faire preuve de volonté dans les nominations qu'ils décident, lorsqu'ils ont à désigner les cadres de leurs services, selon les profils des postes et les compétences des candidats.
Il a été décidé à cet effet que les ministres devront arrêter des " plans d'objectifs " pluri-annuels, par lesquels ils s'engageront à atteindre en quelques années (3 en principe) des proportions de femmes et d'hommes correspondant mieux à celles des viviers où se trouvent les fonctionnaires susceptibles d'être désignés. Cette méthode progressive a été choisie pour ne pas imposer aux services des contraintes inapplicables, qui bloqueraient leur fonctionnement ou qui ne seraient pas conformes au principe de la carrière au mérite. Une circulaire du Premier ministre est actuellement en cours de publication.
Pour que les plans d'objectifs soient réalisables et permettent de répondre aux besoins des services, un haut fonctionnaire dans chaque ministère sera chargé de tenir à jour une liste sexuée des agents susceptibles de pourvoir les postes d'encadrement, comportant leur profil professionnel. Les responsables auront ainsi un réel choix lorsqu'ils rechercheront un bon candidat ou une bonne candidate.
Organisation du travail
Pour remplir leurs objectifs en la matière, les responsables font souvent état de difficultés à recruter des femmes cadres, et les observations des uns et des autres confirment que les horaires trop contraignants et les charges de travail trop lourdes qu'elles auraient alors à assumer rebutent les femmes davantage que les hommes.
Cette question est au cur de la réforme des administrations, qui ne va pas sans une organisation du travail plus efficiente. Elle sera aussi essentielle en matière d'aménagement et de réduction du temps de travail, notamment pour les cadres. Le gouvernement est attentif à cet aspect de la question dans chacun de ces chantiers.
Enfin, les ministères mènent une réflexion qui va déboucher sur une charte de la gestion des ressources humaines : il en résultera une meilleure gestion, utile à la carrière de tous les agents, mais qui favorisera tout particulièrement ceux dont la carrière risquerait, faute d'une telle gestion, de stagner -et parmi eux, les femmes.
Composition des CTP :
Pour ce qui est des organismes chargés de ces questions, une mesure est incluse dans la proposition de Mme Génisson : il s'agit de rééquilibrer les comités techniques paritaires, qui sont régulièrement consultés en matière d'organisation du travail. Je ne referai pas à ce sujet les remarques déjà faites à propos des deux autres instances concernées par la loi, le principe du texte est le même dans les 3 cas.
Je ne veux pas finir sur le thème de l'organisation du travail sans signaler que certaines mesures d'ensemble appliquées dans l'administration sont d'ores et déjà favorables aux femmes, par exemple en matière de temps partiel. Ainsi, sur environ 150 000 agents à temps partiel, 145 000 sont des femmes, et 80 000 femmes (pour 4700 hommes) travaillent à 80 % pour avoir un jour libre, en général le mercredi. Dans ce dernier cas, l'abattement de salaire est inférieur au strict respect du temps travaillé. Sans viser spécifiquement les femmes, cette mesure leur profite très largement puisqu'elle avantage les choix individuels qui, compte tenu de l'organisation actuelle de la société et de la famille, sont souvent leur fait.
Vous l'avez compris, les questions qui ont justifié l'introduction, dans la proposition de Mme Génisson, d'un titre II consacré à la fonction publique, ne sont qu'un élément de la politique du gouvernement en la matière. Si l'on s'en tenait à la lecture des articles, on pourrait avoir l'impression que nous prenons des mesures techniques concernant le fonctionnement des administrations. J'espère vous avoir démontré que notre ambition va bien au-delà. Je ne doute pas que vous en serez encore plus pleinement convaincus après nos débats.
(Source : http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 13 mars 2000)