Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à Sud Radio le 26 novembre 2003, notamment sur la ratification par l'Assemblée nationale du traité d'adhésion à l'UE de 10 nouveaux pays membres..

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Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

Q - Merci Noëlle Lenoir d'être avec nous car je crois que le débat a été très long cette nuit à l'Assemblée. Philippe de Villiers vous a fait coucher tard ?
R - Il a été très long. Plus que très long, quatre heures de discours.
Q - Le débat, c'est le vote par les députés français aujourd'hui, la ratification du pacte qui permettra d'élargir l'Europe de 15 pays à 25. A priori ce texte sera voté sans difficultés.
R - Il sera voté cet après-midi à l'Assemblée nationale puis le débat au Sénat aura lieu le 10 décembre. Dans les semaines qui viennent, avant la fin de l'année, nous aurons donc ratifié le traité d'adhésion de ces dix nouveaux pays et l'Europe sera réellement et définitivement agrandie à 25 le 1er mai prochain.
Q - Les députés ont voté ce texte mais, y compris ceux qui vont le voter, sont assez dubitatifs. Il est vrai que nous partons un peu dans l'inconnu.
R - On ne part pas du tout vers l'inconnu. Il y a 14 ans, presque jour pour jour, le mur de Berlin s'effondrait. Ces pays attendent depuis 14 ans à la porte de l'Europe. Ils ont recouvré, après 50 ans de communisme, leur liberté, leur souveraineté. Ils ont tous souhaité entrer dans la grande famille de l'Union européenne. Pourquoi ? Parce que l'Europe est un espace de paix, et, malgré les difficultés économiques qu'elle connaît, un espace de prospérité. Nous sommes en effet parmi les pays les plus prospères au monde. Nous avons aussi besoin de sécurité. Face aux menaces qui s'annoncent à l'horizon, le terrorisme international et la criminalité organisés en particulier, nous avons besoin de nous serrer les coudes. Il faut essayer de défendre nos valeurs. C'est de cela qu'il s'agit. Il ne faut vraiment pas bouder son plaisir. Cet élargissement est un moment historique.
Q - Les quinze pays les plus prospères au monde, les dix nouveaux peut-être pas ?
R - Les dix nouveaux sont, pour certains, dans l'état dans lequel étaient l'Espagne et le Portugal lorsque ces pays nous ont rejoint 1986. D'autres pays sont un petit peu plus riches, comme la Slovénie ou Chypre, et d'autres plus pauvres. C'est normal parce qu'en vivant sous un régime quasiment autarcique, derrière le mur de Berlin, ces pays n'ont pas connu les étapes de modernisation qui nous ont permis, à nous, de nous adapter pour être relativement compétitifs.
Q - Vous disiez tout à l'heure que certains députés étaient dubitatifs. La tonalité est : "l'Europe, ça ne marche pas toujours très bien à 15, donc, cela va encore être plus compliqué à 25 ".
R - Cela va certainement être plus compliqué. Mais, il ne faut pas non plus sans cesse être oiseau de mauvais augure. L'Europe, cela a toujours été compliqué. Comment pouvez-vous imaginer qu'il soit facile à des pays de se mettre ensemble pour partager leur souveraineté, de prendre ensemble des décisions, quand chacun à une identité très forte et souvent des problèmes internes. Regardez ce qui s'est passé sur le Pacte de stabilité. Est-il facile d'appliquer une règle que nous nous sommes donnée à nous-mêmes ? La France l'a pourtant souhaité, ce Pacte de stabilité.
Q - Ils l'ont souhaité et rompu, en quelque sorte. Cela fait débat, et même crise au sein de l'Union européenne, cette suspension des procédures engagées contre la France et l'Allemagne qui laissent leur déficit déraper.
R - La France et l'Allemagne, dont les économies représentent les deux-tiers de la zone euro, auraient préféré que cela se passe autrement. En réalité, il n'y a pas eu rupture du Pacte, mais simplement prorogation de la période qui est donnée aux deux pays pour rentrer dans les critères fixés par ce Pacte, c'est-à-dire 2005. C'est un bon compromis, un bon arbitrage, comme l'Europe est amenée à en prendre.
Q - On critique souvent les Américains pour leur main mise sur la planète. Est-ce qu'au niveau européen, les Français ne sont-ils pas en train de se comporter comme des Américains en dictant leurs propres lois ?
R - La politique est l'art du possible. La Commission européenne est investie du rôle de gardienne des traités. Son rôle est de rappeler : "vous devez appliquer les textes". Elle maintient sa position assez fermement. Cette position a été critiquée. Personnellement, je ne la critique pas. Simplement, l'ensemble des Etats est compréhensif parce que chacun d'entre eux sait qu'un jour ou l'autre, il sera confronté à des difficultés qui ne sont pas immédiatement surmontables. Nous ne voulons pas, en France, mettre en cause le Pacte de stabilité, parce que la stabilité de la monnaie, c'est très important. J'ai vécu une époque où l'inflation était, en France, de 15 à 20 %. Maintenant, elle est de moins de 2 %. C'est un atout pour notre commerce extérieur. Par ailleurs, nous savons que si nous allons trop loin, si nous abaissons le niveau des dépenses publiques trop brutalement, nous allons casser la croissance. Alors que des signes annonciateurs positifs s'annoncent, nous voulons absolument pouvoir saisir ces opportunités.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2003)